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DOSSIER

Protéger le grain sans pesticides rémanents : les principes

FRANCIS FLEURAT-LESSARD, Insecto-Net IAA - Gradignan. - Phytoma - n°716 - septembre 2018 - page 32

La protection antiparasitaire intégrée (PAI) des stocks de grains permet de se passer d'insecticides rémanents, donc d'éviter la présence de résidus de traitements post-récolte. Voyons d'abord quelles en sont les conditions.
Fig. 1 : Paramètres physiques agissant sur les bioagresseurs des céréales stockées       Limites de température et d'humidité pour les agents de biodétérioration de ces grains.      N. B. : ce schéma ne s'applique pas aux protéagineux. Source : exposé de F. Fleurat-Lessard aux 7es rencontres RAFT RMT Quasaprove, Surgères 2017 (voir « Liens utiles »).

Fig. 1 : Paramètres physiques agissant sur les bioagresseurs des céréales stockées Limites de température et d'humidité pour les agents de biodétérioration de ces grains. N. B. : ce schéma ne s'applique pas aux protéagineux. Source : exposé de F. Fleurat-Lessard aux 7es rencontres RAFT RMT Quasaprove, Surgères 2017 (voir « Liens utiles »).

Fig. 2 : Principales espèces nuisibles des stocks de céréales       Les insectes sont répartis ici en deux groupes selon leur mode de vie, lequel joue sur leur nuisibilité (les ravageurs « primaires » étant les plus redoutés).       Source : exposé de F. Fleurat-Lessard aux 7es rencontres RAFT RMT Quasaprove, Surgères 2017 (voir « Liens utiles »).

Fig. 2 : Principales espèces nuisibles des stocks de céréales Les insectes sont répartis ici en deux groupes selon leur mode de vie, lequel joue sur leur nuisibilité (les ravageurs « primaires » étant les plus redoutés). Source : exposé de F. Fleurat-Lessard aux 7es rencontres RAFT RMT Quasaprove, Surgères 2017 (voir « Liens utiles »).

Fig. 3 : La multiplication des charançons       L'évolution quantitative d'une population de charançons au cours d'une année de conservation d'un stock de blé à température ambiante montre une multiplication par mille ! Source : exposé de F. Fleurat-Lessard aux 7es rencontres RAFT RMT Quasaprove, Surgères 2017.

Fig. 3 : La multiplication des charançons L'évolution quantitative d'une population de charançons au cours d'une année de conservation d'un stock de blé à température ambiante montre une multiplication par mille ! Source : exposé de F. Fleurat-Lessard aux 7es rencontres RAFT RMT Quasaprove, Surgères 2017.

 30 % des céréales « bio » consommées en France sont importées. Photo : Pixabay

30 % des céréales « bio » consommées en France sont importées. Photo : Pixabay

En 2000, le chapitre 5 de l'ouvrage La lutte physique en phytoprotection(1) débutait ainsi : « Doit-on continuer à traiter les céréales pendant la période de conservation avec des insecticides qui laissent des résidus pour les protéger contre les attaques d'insectes ravageurs des stocks ? Cette question est d'actualité parce que les industries des céréales et les consommateurs, relayés par les législateurs européens, souhaitent pouvoir un jour se passer des insecticides en protection post-récolte. » En 2018, la situation s'est améliorée mais les craintes persistent.

La protection post-récolte

Insecticides et résidus

Parmi les principaux dangers biologiques menaçant la qualité sanitaire des grains après la récolte, l'infestation des stocks par les insectes est de plus en plus préoccupante pour les stockages de longue durée. La conservation des céréales en silo n'est jamais à l'abri d'attaques d'insectes en conditions de climat tempéré (Figure 1).

Les colonies d'insectes granivores sont installées à demeure dans les circuits de manutention des organismes stockeurs (OS) (et à la ferme chez les agriculteurs-stockeurs). L'infestation initiale des récoltes se produit dès le début du stockage des lots.

La méthode de lutte « corrective » la plus utilisée en France est l'application d'insecticides neurotoxiques qui laissent sur les grains des résidus à longue persistance. Selon les enquêtes nationales réalisées en France en 2010 et 2011 sur les silos de blé tendre, près de 50 % des échantillons prélevés contenaient des résidus d'insecticides autorisés pour traiter les céréales après récolte (Leblanc et al., 2014). Les teneurs des substances retrouvées étaient inférieures à la limite maximale réglementée (LMR), mais une part de ces résidus persiste dans les produits transformés et les aliments à base de céréales (Fleurat-Lessard, 2015).

PAI : les cinq composantes

Pourtant, la protection contre les attaques d'insectes granivores peut être réalisée sans insecticides rémanents en s'appuyant sur une approche raisonnée dite « protection antiparasitaire intégrée (PAI) » (Fleurat-Lessard, 2013a). La PAI des stocks de céréales repose sur la combinaison des deux approches, préventive et curative, cette dernière n'étant envisagée que si les indicateurs de risque évoluent vers le seuil critique.

La mise en pratique de la PAI pour la prévention des risques d'infestation par les insectes des stocks de céréales consiste à combiner de manière cohérente les cinq composantes d'un plan de prévention classique :

- l'exclusion des colonies d'insectes installées dans les organismes stockeurs (OS) de céréales avant la nouvelle récolte ;

- l'intervention sur les lots de grain livrés à l'OS et le choix de l'itinéraire technique de stockage le plus sécurisé possible ;

- la mise en oeuvre des méthodes physiques pour prévenir la multiplication des insectes ou pour réprimer des infestations de densité proche du seuil de perte économique(2) (SPE) ;

- la surveillance continue des insectes circulant ou étant cachés dans le grain pour évaluer leur densité et l'écart avec le SPE ;

- le déclenchement d'une intervention curative en cas de risque de dépassement du SPE.

Tous les outils, composantes et mesures d'accompagnement sont développés dans ce qui suit pour « démystifier » la PAI des stocks de céréales et favoriser l'abandon de la lutte chimique classique contre les insectes granivores au profit de plans de protection intégrée, sans pesticides rémanents, et visant à satisfaire les cahiers des charges des utilisateurs (artisans ou industries de première transformation, en France ou à l'export).

Insectes nuisibles et source des infestations

Ravageurs d'origine souvent tropicale

Les nombreuses espèces d'insectes qui infestent les grains stockés ont des caractéristiques physiologiques et morphologiques leur permettant de vivre, se déplacer et se reproduire dans la masse des grains. On y trouve plusieurs coléoptères à tous les stades de développement et quelques chenilles de lépidoptères (Figure 2).

Les espèces les plus nuisibles, capables d'attaquer les grains sains et dont les stades larvaires vivent cachés à l'intérieur des grains, sont les « ravageurs primaires ». Les masses de grains stockés sont souvent colonisées par un second groupe d'espèces qualifiées de « ravageurs secondaires ».

La plupart des espèces qui infestent les stocks de céréales en France sont d'origine tropicale et ont une température optimale de développement comprise entre 25 et 34 °C (Fleurat-Lessard, 1991 ; Cruz et al., 2016). Leur reproduction est inhibée si la température de la masse des grains chute sous 10 °C, et est très perturbée si elle s'élève au-dessus de 40 °C (Fields, 1992).

Bien que la plupart des insectes granivores aient une distribution cosmopolite, ils restent confinés sur les lieux d'entreposage des céréales dans les pays à climat tempéré « frais » (Europe du Nord et du Centre-Ouest, Canada). Dans ces pays, les insectes les plus nuisibles ont colonisé la plupart des sites de stockage de grains, en particulier les systèmes et circuits de manutention des OS. Ils restent cachés toute l'année. Chaque nouvelle récolte de grain livrée à l'OS court donc le risque d'être immédiatement infestée au moment où elle est manutentionnée pour le chargement des cellules de n'importe quel centre de stockage.

Population initiale... et multiplication

Le principal danger des insectes granivores est lié au niveau de la population d'insectes initiale dans les circuits et structures de stockage en début de collecte et à leur potentiel de multiplication pendant le stockage de longue durée. Comme les céréales doivent approvisionner les entreprises de transformation jusqu'à la récolte suivante, une partie des stocks doit pouvoir se conserver sans dégradation de qualité durant au moins un an. Au cours de ce stockage de longue durée, une population de charançons a le temps de se multiplier par mille dans un site non refroidi par ventilation (Figure 3).

Le facteur de multiplication dépendant en premier lieu de la température, la manipulation de la température du grain représente le principal levier de réduction du potentiel de multiplication des ravageurs primaires des céréales stockées.

Le taux de reproduction des insectes dépend aussi de la teneur en eau du grain : le taux d'accroissement du charançon du riz (Sitophilus oryzae) est ainsi maximal dans un blé à 15 % de teneur en eau (× 25 à chaque génération) mais réduit dans un blé à 12 % de teneur en eau (× 12 par génération) (Driscoll, 2000). Mais ce levier d'action sur la dynamique de multiplication des insectes n'est pas utilisé. En effet, la perte de masse qu'il entraîne induit un manque à gagner car le marché du blé se réfère à la masse brute et non à la matière sèche !

Insecticides rémanents : la remise en question

Grains stockés : en France, les oubliés d'Écophyto ?

Une réduction drastique des usages des insecticides rémanents en protection des cultures a été menée en France depuis le Grenelle de l'environnement de 2008. Elle a été renforcée en 2016 (plan Écophyto 2 : 2018-2025 ; instauration des CEPP(3)), avec des mesures d'accompagnement visant à limiter les risques d'intoxication des utilisateurs de produits concentrés (ex. : formation certiphyto des applicateurs), ainsi que des incitations au développement d'approches alternatives à la lutte chimique (conversion à l'AB(4), gestion intégrée et biocontrôle des ravageurs des cultures).

Mais la protection insecticide des stocks de céréales échappe à cette dynamique. Les OS de céréales pratiquent toujours régulièrement les traitements directs des grains stockés après récolte avec des pesticides à longue persistance de résidus (Leblanc et al., 2014). Les résidus de ces traitements vont contaminer les produits de première ou seconde transformation (farine, semoule, pain, pâtes alimentaires, biscuits, céréales de petit-déjeuner, etc.) (Fleurat-Lessard, 2015).

Une demande croissante

Pourtant la demande de denrées issues de grandes cultures sans résidus de pesticides est en progression constante en France et bien supérieure à l'offre des producteurs français. Les entreprises de transformation des céréales ont recours à des importations. Ainsi, 30 % des céréales « bio » consommées en France sont importées. Certaines filières de produits transformés pour des marchés de gamme ou de niche garantis sans résidus de pesticides sont en demande toujours croissante (Fleurat-Lessard, 2013b).

Des produits sous référentiel ou charte de qualité certifiés « sans pesticide » (« le blé de nos campagnes » du GIE CRC(5)) prennent des parts du marché des céréales destinées à la transformation pour l'alimentation humaine diététique (filières baby-food, alimentation des enfants/adolescents ou personnes à faibles défenses immunitaires, panification diététique) ou animale (filières pet-food et élevages d'animaux de chair à label ou bio).

La pression médiatique liée aux pesticides s'est renforcée depuis quatre ou cinq ans et les enquêtes auprès des consommateurs montrent que 80 % d'entre eux, intéressés par plus de « naturalité » dans les aliments issus de grandes cultures, ont comme première exigence l'absence de résidus de pesticides (Tavoularis, 2017).

Or, la solution consistant à changer de stratégie de lutte contre les insectes granivores existe. Si elle n'a pas été développée à grande échelle en France, elle est déjà effective dans plusieurs pays concurrents sur le marché international des céréales : Australie, États-Unis, Canada, Allemagne et Royaume-Uni. Il s'agit donc bien d'une option réalisable, et non pas utopique.

Principes de la protection raisonnée des grains stockés

Approche systémique

Il existe déjà une stratégie éprouvée de protection des stocks de céréales contre les insectes sans insecticide persistant : la protection antiparasitaire intégrée (PAI), qui reprend l'« integrated pest management » (IPM) appliqué depuis plus d'une décennie à la protection des stocks de céréales en pays anglo-saxons.

La gestion intégrée de la protection des cultures (GIPC), transposée à la PAI des grains stockés, peut être définie ainsi (d'après la directive européenne CE 2009-128) : « Approche systémique (globale) visant à prévenir les infestations grâce à la combinaison de moyens d'intervention diversifiés permettant de contenir les niveaux de population de parasites au-dessous d'un seuil acceptable dans le contexte de production local, et faisant appel à des techniques de gestion de risque préventives avant de recourir à des traitements correctifs. »

Cinq étapes échelonnées

Cette approche systémique (organisée en interne en OS, avec un minimum de prestataires externes) est structurée autour des cinq étapes suivantes qui s'échelonnent tout au long de la campagne de stockage :

- la réduction de l'infestation endémique sur le site de stockage (la population initiale) ;

- le dépistage précoce des insectes dans les livraisons et la surveillance continue des espèces se développant dans les cellules de stockage ;

- la prévention continue des infestations par la modification de l'état physique du grain ;

- la gestion des symptômes d'infestation latente et de la prise de décision pour une intervention corrective (privilégiant les procédés alternatifs aux pesticides persistants) ;

- la mise en oeuvre d'un plan de PAI orienté « utilisateur final ».

Ce type de gestion « globale », basée sur la prévention et l'anticipation des risques d'infestation et les méthodes physiques de prévention ou de répression d'une infestation « probable ou déjà déclarée » est pratiquée depuis longtemps en France par certains groupements de producteurs de céréales (AB, CRC, certains labels rouges) qui approvisionnent les entreprises agroalimentaires avec des blés à forte valeur ajoutée et qui sont capables de certifier leur mode de production (à la source) et la traçabilité des interventions en cours de stockage, jusqu'à la transformation en aliment.

Cette nouvelle approche n'est donc pas une révolution des pratiques, mais un simple changement de logique ou de paradigme en abandonnant l'idée de combattre les insectes sans les voir (traitement d'assurance ou de « précaution ») ou seulement quand l'infestation est visible à l'oeil nu (généralement par une application d'insecticide « à action de choc »). L'article suivant détaille la construction de programmes opérationnels de PAI des stocks de céréales en cinq étapes successives.

(1) Fleurat-Lessard F., Le Torc'h J.-M. (2000), Contrôle des insectes en post-récolte : hautes températures et atmosphères inertes. In : Vincent C., Panneton B., Fleurat-Lessard F. (Eds.), La lutte physique en phytoprotection, Inra Éditions, Paris, p. 71-94.(2) Niveau de densité de population devenant détectable dans un échantillon de grain représentatif du lot dont il est prélevé (en général un insecte « libre »/2 kg de grain).(3) Certificat d'économie de produits phytosanitaires (plan Écophyto 2, 2016).(4) Agriculture biologique.(5) Groupement d'intérêt économique de producteurs de céréales en « culture raisonnée contrôlée ».

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Qu'ils soient transformateurs, distributeurs ou clients, les acteurs de la filière grains situés en aval des OS (organismes stockeurs) veulent des lots sans résidus de pesticides.

Un moyen pour les satisfaire semble être de stocker les grains sans les traiter avec des insecticides de post-récolte rémanents. Mais dans ce cas, comment faire pour, en même temps, protéger ces stocks contre les insectes nuisibles qui en détruisent une partie et nuisent à leur qualité sanitaire ?

Une protection efficace des stocks de céréales contre les attaques d'insectes peut être réalisée sans avoir recours à des pesticides rémanents, à condition d'adopter des stratégies de « protection antiparasitaire intégrée (PAI) ».

Ces stratégies, pourtant couramment mises en oeuvre dans d'autres pays, sont encore peu utilisées en France.

PRINCIPE - La PAI s'appuie sur une prévention rigoureuse des risques d'infestation, associée à la surveillance d'indicateurs de prédiction des signes avant-coureurs de la présence d'insectes. Les interventions curatives sont déclenchées seulement si le seuil de densité maximale tolérable (seuil de perte économique variant selon la destination de chaque lot) est proche. Elles privilégient les procédés physiques ou la fumigation (désinsectisation sans résidu rare en France mais courante dans d'autres pays). L'article suivant détaille les étapes de ces stratégies.

MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, grains stockés, pesticides rémanents, protection antiparasitaire intégrée (PAI), prévention, surveillance, procédés physiques, fumigation, OAD (outil d'aide à la décision).

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : francis.fl@orange.fr

LIENS UTILES : www.quasaprove.org/moodle/course/view.php?id=121 (F. Fleurat-Lessard, Principes de gestion intégrée... diaporama et résumé issus des 7es rencontres RAFT du RMT Quasaprove du 14 décembre 2017, à l'Enilia-Ensmic (Surgères). N. B. : les trois figures de cet article sont extraites de ce diaporama.

www.quasaprove.org/moodle/course/view.php?id=46 (Leblanc M.-P., Fleurat-Lessard F. et Barrier-Guillot B., 2011, Résultats d'enquête sur les insectes des stocks de blé... diaporama et résumé issus des 2es rencontres RAFT du RMT Quasaprove, à Paris).

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (10 références) est disponible auprès de son auteur (contact ci-dessus).

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