Retour

imprimer l'article Imprimer

Analyse

Culture des OGM vers une spécialisation ?

MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°716 - septembre 2018 - page 47

En 2017, les surfaces de plantes génétiquement modifiées ont augmenté dans le monde - mais toujours pour les quatre mêmes cultures et les deux mêmes caractères - et le nombre de pays « ogémiculteurs » a baissé.
80 % du coton (matière première de nombreux vêtements) cultivé en 2017 était GM, selon l'Isaaa.  Photo : Pixabay

80 % du coton (matière première de nombreux vêtements) cultivé en 2017 était GM, selon l'Isaaa. Photo : Pixabay

La principale source de données sur les cultures d'OGM dans le monde, à savoir l'Isaaa(1), a publié en juillet 2018 ses chiffres pour 2017. Première information : 189,8 millions d'hectares ont été occupés cette année-là par des cultures génétiquement modifiées.

Davantage de surfaces mais moins de pays

Suprématie américaine

Les surfaces d'OGM, plus exactement de PGM, plantes génétiquement modifiées, ont augmenté de 4,7 millions d'hectares, soit de 2,54 %, par rapport aux 185,1 millions de 2016.

Quand on se penche sur la dimension géographique (Tableau 1, page suivante), il apparaît que la hausse des surfaces vient des États-Unis (2,1 millions d'hectares en plus), suivis du Canada (1,5 million d'hectares d'augmentation) et du Brésil (1,1 million d'hectares supplémentaires). Les augmentations de surface de quatre autres pays (Inde, Pakistan, Bolivie et Soudan) ne font que compenser la baisse de quatre autres (Argentine, Paraguay, Uruguay et Philippines).

Par ailleurs, les pays du continent américain totalisent, en 2017 comme en 2016, environ 88 % des surfaces mondiales d'OGM - c'était 87 % en 2015. La suprématie américaine, toujours...

Cinq nations se détachent du lot avec plus de 10 millions d'hectares chacune. Outre les États-Unis, le Brésil et le Canada déjà cités, ce sont l'Argentine et l'Inde, ce dernier étant le seul pays non américain. Six pays cultivent entre 1 et 3 millions d'hectares, quatre entre 200 000 et 900 000 ha, trois autour de 100 000 ha et six moins de 50 000 ha (Tableau 1).

Moins de pays ogémiculteurs

En tout, 24 pays ont cultivé des OGM en 2017, alors qu'ils étaient 26 l'année précédente et 28 en 2015. Aucun nouveau pays n'a adopté ce type de culture, et deux l'ont abandonné entre 2016 et 2017. Ce sont la République tchèque et la Slovaquie.

On se souvient que la Roumanie avait fait de même entre 2015 et 2016(2), suivant l'exemple de l'Allemagne et de la Pologne auparavant. Ainsi, l'Europe ne compte plus que deux pays ogémiculteurs : l'Espagne et le Portugal. Les seuls OGM cultivés dans ces pays sont des maïs Bt résistant aux insectes foreurs de l'épi (pyrale et sésamie). L'Espagne, avec 124 227 ha, cultive l'essentiel des surfaces européennes.

Sachant qu'il y a des cultures OGM en Afrique, Asie et Océanie, l'Europe apparaît plus que jamais comme un bastion anti-OGM. Du moins pour leur culture, car notre continent en importe allègrement.

Quant au nombre d'agriculteurs cultivant des PGM, il est annoncé à 18 millions, comme en 2015 et 2016. Selon l'Isaaa, 90 % d'entre eux, soit environ 16 millions, sont de petits producteurs de coton, dont 7,5 millions vivent en Inde et 6 à 7 millions en Chine. Rappelons que le rapport Isaaa publié en 2009 annonçait 13,3 millions d'agriculteurs concernés, dont 12,1 petits producteurs de coton (7 millions de Chinois et 5 millions d'Indiens)(3).

Cultures : la « bande des quatre » et guère d'autres

Soja, coton : des taux d'adoption élevés

Concernant les cultures pratiquées (Tableau 2), la « bande des quatre » (soja, coton, maïs et colza/canola) continue depuis vingt ans à couvrir l'essentiel des surfaces : 99 % en 2017. Le taux d'adoption des variétés génétiquement modifiées est de 77 % pour le soja et 80 % pour le coton cultivés dans le monde ! Des chiffres pas loin des sommets... Côté maïs et colza/canola, on est autour de 30 %.

Huit autres cultures

S'y ajoutent huit autres cultures dans cinq pays :

- la luzerne (1,22 million d'ha), la betterave (458 000 ha), la pomme de terre (3 000 ha) ainsi que, pour 1 000 ha chacune, la papaye, la courge et la pomme, aux États-Unis ;

- la betterave (15 000 ha), la luzerne (3 000 ha) et la pomme de terre (40 hectares symboliques) au Canada ;

- la papaye en Chine (7 130 ha) ;

- l'aubergine Brinjal (2 400 ha) au Bengladesh ;

- l'ananas (25 hectares symboliques) au Costa-Rica.

Les cultures de diversification sont les mêmes que l'an dernier, plus le pommier aux États-Unis et moins le peuplier chinois, que l'Isaaa n'a pas inclus par manque d'informations fraîches sur cette culture.

Et leurs surfaces ? Certes, celle de l'aubergine bengalie a plus que triplé... Mais elle n'atteint encore que 2 400 ha, ce qui est fort peu au niveau mondial ! Bref, pas d'évolution fracassante.

Caractères : vingt ans après, toujours le duo HR/Bt

L'ascension des « empilés »

Du côté des événements, la prééminence de la résistance aux herbicides se poursuit. Certes, les cultures estampillées « HR » (« herbicide resistant ») ne représentent « que » 47 % des surfaces (Tableau 3)... Mais celles à « caractères empilés » en pèsent 41 %, et ces empilements contiennent la résistance à un ou des herbicides. Ainsi, 88 % des PGM cultivées dans le monde sont, de fait, tolérantes à un herbicide.

D'autre part, les plantes « Bt », rendues résistantes à un ou des insectes via la fabrication de toxines de Bacillus thuringiensis, représentent 12 % du total. Mais les 41 % à « caractères empilés » associent les caractères HR et Bt. Ainsi, 53 % des PGM mondiales résistent à un ou des insectes ravageurs.

Soyons plus clairs : l'essentiel des 41 % de surfaces à « caractères empilés » sont couvertes par des variétés associant la tolérance à un herbicide avec la résistance à une ou plusieurs espèces d'insectes.

Toujours les mêmes dans les piles

Il apparaît donc que 99 % des 189,8 ha de plantes transgéniques cultivées en 2017 portent les mêmes types de caractère - tolérance herbicides, résistance insectes - qu'il y a vingt ans, lors du démarrage en fanfare des PGM commerciales. Seules évolutions notables :

- des tolérances à de nouveaux herbicides, même si, à notre connaissance, celle au célébrissime glyphosate prédomine toujours ;

- des résistances à de nouveaux insectes, notamment la chrysomèle du maïs, associées à celles d'origine visant les chenilles de lépidoptères - mais toutes sont dérivées du Bt ;

- des maïs ajoutant la tolérance à la sécheresse, en réalité au stress hydrique, au combiné « tolérance herbicides/résistance à des insectes » ont couvert 1,4 million d'hectares en 2017.

Déploiement des maïs tolérants à la sécheresse

Pour mémoire, cette tolérance à la sécheresse a été lancée commercialement (combinée aux deux autres traits) en 2013 sur 50 000 ha aux États-Unis. C'est donc une innovation récente par rapport aux deux autres caractères. Elle avait couvert 275 000 ha en 2014 puis 810 000 en 2015 et 1,2 million d'ha en 2016. Il s'agit là d'une évolution réellement significative.

Mais c'est bien la seule : les autres événements originaux (tolérances à des virus et d'autres maladies, caractères nutritifs...) couvrent toujours très peu de surfaces à l'échelle mondiale.

Le riz doré enrichi en pro-vitamine A, dont on parle depuis des années, a été autorisé à l'importation fin 2017 en Australie et Nouvelle-Zélande, et début 2018 au Canada... Mais aucune culture commerciale de ce riz n'est officiellement autorisée nulle part ! En pratique, son adoption se fait donc encore attendre.

Les pays adeptes développent... et les autres achètent

Soixante-sept pays utilisateurs dont vingt-quatre cultivateurs

Ainsi, les pays et les cultures « rodés aux OGM » maintiennent et développent ce type de production, et le reste du monde continue de s'en passer. Le lancement de nouveaux événements et l'adoption sur de nouvelles cultures et par de nouveaux pays se font attendre comme la dentition des gallinacées... Mais le spectre de l'abandon ou au moins de la régression des OGM, par exemple aux États-Unis face à des résistances de mauvaises herbes, ne semble pas s'annoncer non plus. De quoi décevoir promoteurs comme détracteurs de la technique !

Quant à l'utilisation des PGM, elle concerne 67 pays selon l'Isaaa : les 24 producteurs mais aussi 43 pays qui ne cultivent pas de telles plantes sur leur sol tout en autorisant leur importation.

C'est le cas de la France : nous importons des tonnes de tourteaux de soja GM d'Amérique pour alimenter notre bétail. Il semble que, en France comme dans d'autres pays de l'Union européenne, les opposants aux OGM, très actifs, médiatiques et efficaces pour en faire interdire la culture, ne parviennent pas à faire de même pour les importations...

En août dernier, la Commission européenne a autorisé l'importation dans toute l'Union européenne de deux nouveaux maïs GM et renouvelé l'autorisation d'importer deux autres maïs et une betterave GM, le tout destiné à l'alimentation humaine et animale et non à la culture(4).

Par ailleurs, il n'existe pas d'autorisation d'importation de fibres brutes ou de graines de coton GM mais, sachant que 80 % du coton cultivé dans le monde est génétiquement modifié, peut-on penser sérieusement que la majorité des vêtements en coton qui se balancent sur les cintres de nos magasins ne sont pas issus de telles cultures ?

Vers une spécialisation

Bref, le monde entier utilise des OGM : qui ne porte aucun vêtement de coton ? Dans quel pays n'élève-t-on aucun bétail ? Mais il semble se dessiner comme une spécialisation :

- des cultures ayant adopté la technologie OGM, globalement, la « bande des quatre » ;

- des pays qui produisent de telles cultures, soit les vingt-quatre cités par l'Isaaa.

Ainsi, l'Europe - Espagne et Portugal exceptés - s'interdit la culture des OGM... Et bientôt, depuis un récent arrêt de la cour de justice européenne, celle des variétés issues des nouvelles techniques de mutagénèse(5). Les interdictions en vigueur sont scrupuleusement respectées, du moins dans la partie occidentale de l'Union, et il en sera très probablement de même pour les futures.

Ceci étant, peut-on en dire autant de pays réputés non producteurs d'OGM ou alors seulement pour des surfaces en stagnation, mais :

<2212_6>qui ont une population importante à nourrir et des compétences en recherche/développement à même de trouver des événements de transgenèse originaux (donc sans royalties à verser aux sociétés de biotechnologies multinationales) ;

<2212_7>qui souhaitent échapper au radar des ONG anti-OGM, et dont la presse est suffisamment muselée ou patriote pour ne pas dévoiler les productifs secrets de leur nation ?

Cette interrogation est, bien entendu, absolument théorique, toute ressemblance avec la réalité ne pouvant être que le fruit d'un facétieux hasard.

(1) International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications.(2) Voir Phytoma n° 706, juin 2017, p. 4. (3) Voir « Tour de plaine des OGM », Phytoma n° 622-623, juin 2008, p. 42 à 45.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le rapport annuel de l'Isaaa, paru en juillet 2018, fait l'état des lieux du secteur mondial des PGM (OGM végétaux) en 2017.

STATISTIQUES - Dans le monde, des OGM ont été cultivés sur 189,8 millions d'ha (4,7 millions de plus qu'en 2016, hausse de 2,54 %) dans 24 pays (contre 26 en 2016) par environ 18 millions d'agriculteurs (comme en 2016) ; 88 % des surfaces sont sur le continent américain.

Soja, coton, maïs et colza/canola couvrent 99 % des surfaces GM. Parmi les 99,9 % des PGM tolérant un herbicide et/ou résistant à un ou des insectes, 0,7 % tolèrent aussi la sécheresse.

MOTS-CLÉS - OGM (organismes génétiquement modifiés), PGM (plantes génétiquement modifiées), statistiques, soja, coton, maïs, colza, canola, résistance aux insectes, tolérance aux herbicides, tolérance à la sécheresse.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : www.isaaa.org (pour les statistiques OGM)

https://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_1217549 (pour l'arrêt mutagénèse)

https://eur-lex.europa.eu/oj/direct-access.html?locale=fr (puis aller à la date du jour de publication du texte recherché) (pour les décisions au JOUE)

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :