Les températures douces et l'humidité sont des facteurs favorisant les attaques de mildiou. Photo : C. Hannon - Arvalis
Fig. 1 : Les différents compartiments du modèle Mileos basé sur le cycle de vie de P. infestans Schéma inspiré de Muckensturm, 1989.
Fig. 2 : Évolution des cumuls des poids de contaminations sur deux sites selon différentes années Ce critère semble bien adapté à la comparaison des risques selon les sites et les années climatiques.
Fig. 3 : Évolution des cumuls de poids de contaminations selon les scénarios RCP4.5 et RCP8.5 Les scénarios médian (RCP4.5) et pessimiste (RCP8.5) sont présentés ici (l'optimiste n'est plus de mise).
Il est fort probable que le dérèglement climatique aura un effet sur les épidémies de mildiou de la pomme de terre. Des éléments de prévision sont apportés ici par le biais d'un OAD.
Une question légitime
Le mildiou, un ennemi redoutable
Le mildiou de la pomme de terre, causé par Phytophthora infestans, est le principal bioagresseur de cette culture en France. Cette maladie est redoutable tant par son caractère épidémique que par sa capacité à attaquer tous les organes de la plante (feuilles, tiges, tubercules), à tous les stades de développement de la culture, dès lors que les conditions climatiques sont propices. Or, sur tout l'Hexagone, le climat rencontré en période de végétation (températures douces et humidité) est souvent favorable à très favorable aux attaques de mildiou.
À ce jour, la principale méthode de lutte contre cette maladie est l'application répétée et préventive de fongicides de synthèse (IFT fongicide moyen 2014 : 14,4) (Agreste, sept. 2016). Pour réduire cette dépendance aux pesticides, les filières professionnelles et leurs instances scientifiques et techniques tentent depuis plusieurs années de promouvoir une véritable protection intégrée appuyée, entre autres, sur l'outil d'aide à la décision Mileos qui permet de piloter l'application des traitements en fonction du risque réel (Verjux N., 2017).
Le dérèglement climatique, facteur prépondérant
Le cinquième rapport du Giec daté de 2013 confirme que le réchauffement du système climatique mondial est sans équivoque, avec nombre des changements sans précédent depuis des décennies, voire des millénaires : réchauffement de l'atmosphère et des océans, diminution de la couverture neigeuse et recul des glaces, élévation du niveau des mers et augmentation des concentrations de gaz à effet de serre. Chacune des trois dernières décennies a été plus chaude à la surface de la terre que la précédente, et plus chaude que toutes les décennies antérieures depuis 1850 (Giec, 2013).
Au niveau mondial, l'augmentation de température est de +0,6 °C depuis les années 1980 par rapport à la moyenne depuis les années 1850. Pour la France, cette hausse semble de l'ordre de 0,9 à 1 °C.
Le climat étant le facteur prépondérant de la dynamique épidémique de l'agent pathogène, il convient de se demander dans quelle mesure le changement climatique observé risque de modifier le comportement de cette maladie (impacts directs) et l'interaction hôte/pathogène (impacts indirects). Quels seront les impacts des perturbations des paramètres climatiques (pluie, température, humidité relative, etc.) sur les différentes phases de développement du pathogène fongique (germination, infection, etc.) ?
Mileos pour poser des hypothèses
L'utilisation de l'OAD Mileos semble pertinente afin d'émettre des hypothèses quant à la possible évolution du pathogène dans le temps et dans l'espace.
L'étude du changement climatique exige des données climatiques du futur, dites projections, permettant d'appréhender à la fois la variabilité naturelle et les tendances anthropiques, à une échelle la plus fine possible, pour évaluer ces changements à l'échelle d'un territoire (Gaucher et al., 2017).
Incertitudes
La difficulté d'étudier les effets du changement climatique sur les pathosystèmes réside dans des sources d'incertitudes.
La première concerne les modèles climatiques. Il en existe plusieurs, régionalisés. Tous s'accordent sur la hausse des températures mais les projections sur les précipitations varient d'un modèle à l'autre (Hawkins et Sutton, 2010).
Une autre source d'incertitude vient des modèles agronomiques ou de prévision de développement des pathogènes qui comprennent aussi une part d'erreur.
Enfin, l'interaction hôte/pathogène évolue en fonction des changements de phénologie et de distribution spatiale de l'hôte ainsi que de l'évolution des souches pathogènes, sources d'incertitude lorsque l'on bâtit des projections avec nos connaissances actuelles du fonctionnement du pathosystème.
Néanmoins, ces incertitudes ne doivent pas entraver les recherches. Sous réserve de certaines précautions, il est possible de réaliser des projections avec l'aide de modèles. Ainsi, des travaux ont été publiés concernant les effets des changements climatiques sur les relations climat/hôtes/pathogènes (Gouache et al., 2013 ; Launay et al., 2014 ; Manici et al., 2014, Gourdain et al., 2015).
Proposer des voies d'adaptation
Il a donc paru intéressant de valoriser, dans l'OAD Mileos, les projections des données climatiques fournies par le projet Drias « Les futurs du climat » sur la période 1950-2100 afin d'évaluer les conséquences de ces évolutions sur les épidémies de mildiou chaque année. À partir de ces résultats, le système de production français devra s'adapter pour maintenir ou accroître la production de pommes de terre dans les futures conditions.
Cette analyse a été réalisée au niveau régional afin de comprendre les effets sur quelques zones de production de pomme de terre et de proposer des adaptations régionalisées.
Simulations réalisées
Les variables
Pour étudier les effets possibles du changement climatique sur les épidémies de mildiou en France, des simulations avec l'OAD Mileos ont été réalisées sur des variables climatiques à partir de divers scénarios climatiques et sites disponibles.
Mileos est un outil d'aide à la décision (OAD) basé sur un modèle épidémiologique mécaniste. Il permet, à partir de données météorologiques horaires (température, humidité relative de l'air, pluviométrie), de calculer l'évolution du risque mildiou sur la campagne de culture (Gaucher et al., 2017, Hansen et al., 2017). Il décrit les quatre compartiments du cycle de vie de P. infestans : contamination et survie des spores, incubation et sporulation potentielle, sporulation réelle et dispersion des spores (Figure 1).
D'expérience, il apparaît que le poids de contamination est un critère intégrateur. La variable « cumul des poids de contamination » sur la saison de culture telle qu'actuellement définie (1er mars au 30 septembre) est un indicateur pertinent de l'importance de l'épidémie pour un site et/ou une année donnée. Chaque marche dans la construction de la courbe correspond à une contamination. Sa hauteur dépend de l'importance du nombre de spores contaminatrices (Figure 2 page suivante).
Trois projections climatiques
Les séries climatiques utilisées pour cette étude sont issues du projet Drias « Les futurs du climat ». Le projet a permis de produire, à partir du modèle Aladin-Climat, des séries quotidiennes du climat sur la période 1950 à 2100, soit une période « de référence » de 1950 à 2010 et une période « future » de 2010 à 2100. Ces données ont ensuite été régionalisées à l'aide de la méthode quantile-quantile (à une résolution de 8 × 8 km).
Trois projections climatiques d'évolution du forçage radiatif (appariées à une évolution de la concentration atmosphérique en CO2) ont été étudiées : un scénario dit optimiste (RCP2.6) avec une projection d'une teneur en CO2 en 2100 inférieure à 490 ppm ; un scénario médian (RCP4.5), avec une teneur en CO2 de 660 ppm d'ici 2100 et un scénario dit très pessimiste (RCP8.5), avec une teneur en CO2 de 1 370 ppm d'ici à 2100.
L'OAD Mileos exigeant des données horaires pour calculer le risque mildiou, les chercheurs de l'Inra Agroclim ont transformé les projections climatiques précédentes en données horaires à l'aide de méthodes physiques et statistiques utilisées auparavant dans le projet Climator.
Pour chaque jeu de données climatiques utilisé, des simulations ont été réalisées sur le cumul annuel des poids de contamination pour la période de culture actuelle (1er mars au 30 septembre). La variabilité interannuelle du climat est visualisée par la construction de box-plots (boîtes à moustaches) réalisés sur les valeurs médianes prises annuellement pour chaque site.
Six sites étudiés
La variabilité spatiale est analysée à l'aide des sites français étudiés : Mons (Somme), Versailles (Yvelines), Bordeaux (Gironde), Rennes (Ille-et-Vilaine), Colmar (Haut-Rhin) et Avignon (Vaucluse). Ils représentent les régions productrices de pommes de terre actuelles mais aussi celles pouvant accueillir des cultures demain.
Prévisions obtenues
Cohérence observée
Les résultats sont présentés sous forme de box-plots par période climatique de 30 ans pour lisser les variations interannuelles pouvant être très importantes. Pour chaque box-plot sont indiquées la médiane et les valeurs interquartiles et interdéciles. Pour chaque site, les graphiques comportent donc cinq box-plots, deux illustrant le passé (1950-2009) et trois le futur (2010-2100) ; une courbe de tendance calculée sur les valeurs médianes est visible (Figure 3).
Bien que les données climatiques utilisées aient été validées par l'Inra Agroclim, le premier contrôle en sortie de Mileos a été de comparer les valeurs de risque issues des calculs sur la période passée (1950-2009) avec celles issues des données réelles fournies par les stations météo réelles ces mêmes années. Les valeurs calculées avec les données fournies sont tout à fait comparables avec celles observées (moyenne pluri-annuelle) sur les six sites. Les différences entre sites sont cohérentes et représentent bien la réalité actuelle. Cela permet de conclure à la validité des données utilisées et de poursuivre l'analyse.
Températures et humidités relatives
La Figure 3 présente les résultats sur les sites de Mons, Versailles et Bordeaux, sans les projections du scénario optimiste RCP2.6 qui semble de moins en moins réaliste.
Focalisons-nous sur le site de Versailles avec le scénario médian RCP4.5. Nous constatons que la température moyenne annuelle suit une tendance nette à la hausse, avec, entre 1950 et 2100, +3,5 °C. Dans le même temps, les humidités relatives de l'air subissent une baisse de -6,5 %. La conjugaison de ces deux facteurs nous conduit à émettre l'hypothèse d'une forte diminution des périodes climatiques favorables au mildiou de la pomme de terre, donc d'une baisse des cumuls de poids de contaminations constatées par la suite.
Projections 1er mars/30 septembre pour les scénarios RCP4.5 et RCP8.5
Dans l'hypothèse de cycles de culture identiques (1er mars au 30 septembre), les cumuls de risque mildiou montrent une décroissance plus marquée et accentuée en fin de période de 2070 à 2100, avec une réduction significative de la variabilité interannuelle en fin de période, principalement à Versailles. Seul le site de Mons semble encore peu touché (Figure 3).
Les cumuls de risque mildiou montrent une décroissance très forte de 2040 à 2100 avec une variabilité interannuelle plus ou moins réduite en fin de période sur tous les sites. Ce scénario montre une quasi-disparition du risque mildiou sur tous les sites si la saison de culture reste identique à l'actuelle (1er mars au 30 septembre) (Figure 3).
Stratégies testées
Plantation tôt à Mons
Le climat futur sera à la fois plus chaud et plus sec en été, ce qui réduira le risque mildiou... Mais la pomme de terre elle-même nécessite des conditions climatiques sans excès de chaleur et avec une alimentation hydrique relativement régulière. C'est pourquoi nous avons testé des stratégies d'adaptation visant à éviter la période trop chaude et sèche des étés futurs par une plantation avancée en fin d'hiver pour le site de Mons : plantation en janvier ou février pour une levée en mars après la période de risque de gel.
Le risque de gelée en mars va décroître très significativement, surtout à partir de 2050-2060 (Figure 4). À partir de 2060, les gelées seront très rares après le 15 mars. Les pommes de terre pourront donc être levées entre le 1er et le 15 mars.
Le risque mildiou reste stable ou en légère baisse sur cette période et se situe légèrement en dessous des valeurs observées actuellement en été. La baisse est moins nette que pour la saison estivale. Cela est dû, en particulier, à l'augmentation hivernale des températures (Figure 5).
Contre-saison à Bordeaux
Dans le cas de Bordeaux, nous avons testé une production de contre-saison, plantée en novembre ou décembre avec levée en février, un peu à l'image de certaines pratiques culturales actuelles au Maghreb, pour les scénarios RCP4.5 et RCP8.5.
Le risque de gelée en février devient très faible à Bordeaux après 2060, à la fois en nombre de jours et en nombres d'heures. Une levée des parcelles au milieu ou à la fin de février paraît donc envisageable.
Quant au risque mildiou, il augmente fortement en hiver du fait de la hausse des températures, donc plus fortement sur la période décembre-mai. Cependant, comme à Mons, il reste inférieur aux valeurs de la saison estivale actuelle.
Comment s'adapter ?
Surveiller les stress abiotiques
Les résultats de cette étude ont permis de montrer que les données climatiques futures fournies par le projet Drias et transformées en données horaires par l'Inra AgroClim à Avignon ont la qualité requise pour une valorisation dans Mileos. Une validation préalable sur les valeurs de cumul de risque mildiou des deux périodes du passé (1950-2009) était indispensable pour vérifier la fiabilité des données utilisées.
Dans le contexte du dérèglement climatique actuellement en cours, il faudra adapter les cultures de pommes de terre en France à la nouvelle réalité climatique. Il est probable que les adaptations nécessaires seront guidées avant tout par des stress abiotiques (excès de chaleur, stress hydrique...) plutôt que par les stress biotiques.
Ceci étant, ce premier travail avait pour but de vérifier que les adaptations rendues nécessaires pour compenser l'effet négatif des stress abiotiques n'étaient pas génératrices de stress biotiques (mildiou en particulier) difficiles à gérer. Nous nous sommes donc intéressés uniquement aux évolutions prévisibles des risques d'attaque de mildiou avec le calendrier actuel des cultures et enfin avec un avancement des dates de plantation - avancement adapté à la diminution du risque de gel après levée des pommes de terre selon les sites.
Risque moindre à Versailles et Bordeaux
Il apparaît clairement que, quels que soient les sites et scénarios testés, le risque mildiou va décroître à l'avenir, plus ou moins selon les scénarios et les sites, et davantage à Versailles et Bordeaux qu'à Mons. Cette évolution commencera plus ou moins tard selon les scénarios : vers 2040 pour le scénario RCP8.5 et vers 2070 pour RCP4.5, en corrélation avec les hausses de température prévues. Dans le cas d'un décalage de calendrier de culture, le risque mildiou pourra augmenter mais en restant inférieur, voire très inférieur aux valeurs actuelles en saison estivale. Ces résultats ont été obtenus avec la version 2018 de Mileos qui prend en compte les caractéristiques des nouvelles populations de mildiou (Corbières et al., 2017, Chatot et al., 2015), mais pas les éventuelles futures évolutions de populations à venir qui pourraient modifier, par exemple, la réaction à la température de cette maladie.
Futurs travaux complémentaires
Ces travaux constituent une première étape, à compléter par d'autres travaux :
- validation de la robustesse et de la cohérence de ces résultats à une échelle plus large en mobilisant davantage de points ;
- réalisation de profils épidémiques complets de manière à identifier les périodes de risque les plus fréquentes ; les épidémies futures pourraient être plus souvent divisées en périodes très tranchées de risque fort sur quelques semaines suivies de plusieurs semaines sans risque (un peu à l'image de 2012, 2016 et 2017) ;
- évaluation de l'impact réel sur les calendriers de traitements antimildiou, donc les indices de fréquence de traitement (IFT) ;
- évaluation de l'impact des hivers plus doux fréquents sur la quantité d'inoculum primaire en sortie de l'hiver, donc la violence de début d'épidémie au printemps ;
- évaluation de l'impact sur le risque alternariose, maladie connue pour être favorisée par des conditions climatiques chaudes de type continentales ou méditerranéennes ;
- évaluation de l'impact des décalages de dates de plantation sur la physiologie de la plante (tubérisation, rendement en jours courts), ainsi que les conséquences éventuelles sur les choix variétaux.
Ce ne sera qu'après l'obtention de ces résultats complémentaires que des stratégies d'adaptation pourront faire l'objet de réflexions dans les filières de production.
Conclusion
Globalement, moins de mildiou
Il semble clair que l'augmentation des températures et la diminution probable de l'humidité de l'air dues au réchauffement climatique vont provoquer une baisse plus ou moins marquée des risques de développement du mildiou dans les cultures de pommes de terre en France.
Les stratégies d'adaptation testées (décalage des dates de plantation jusqu'à la contre-saison) montrent des possibilités d'adaptation pour faire face aux effets des stress abiotiques prévisibles sans pour autant aggraver le risque mildiou et même, dans la plupart des cas, en diminuant ce risque. Il sera important de bien évaluer les conséquences de ces adaptations sur la physiologie et le rendement de la pomme de terre avant de les valider.
REMERCIEMENTS Les auteurs remercient l'équipe du projet CLIF ainsi que l'ANR pour le financement de ce projet. Ils remercient aussi Floriane Larrieu pour son aide dans la réalisation des premières simulations Mileos.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Le mildiou est la plus importante maladie de la pomme de terre en France. Elle est capable de causer de très gros dommages quand le climat est favorable à son développement.
Dans un contexte de dérèglement climatique, il est intéressant de simuler l'évolution des épidémies de mildiou dans différentes régions de France jusqu'en 2100 afin d'identifier les adaptations nécessaires et possibles pour la production française.
Les simulations climatiques journalières utilisées proviennent du modèle Aladin-Climat pour six localités et dont les biais ont été corrigés par la méthode quantile-quantile.
Ces données ont ensuite été transformées en données horaires par l'Inra (AgroClim, Avignon) à l'aide des algorithmes du projet Climator. Les simulations des épidémies ont été réalisées avec l'outil d'aide à la décision Mileos.
ÉTUDE - Cette étude montre que le risque mildiou de la pomme de terre va globalement diminuer significativement pour tous les sites et tous les scénarios climatiques en France, surtout après 2060-2070. Des stratégies d'adaptation avec avancement des dates de plantation (jusqu'à la contre-saison dans le sud) ont été testées afin de vérifier les valeurs de risques avec ces nouvelles conditions de cultures. Des perspectives sont discutées.
MOTS-CLÉS - Dérèglement climatique, pomme de terre, Phytophthora infestans, outil d'aide à la décision (OAD).
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : d.gaucher@arvalis.fr
LIENS UTILES : www.drias-climat.fr
www.vegephyl.fr
BIBLIOGRAPHIE : - Gaucher D., Deudon O., Huard F. et Launay M., 2018, Effets du dérèglement climatique (...), 12e Cima de Végéphyl, à Tours, du 10 au 12 décembre 2018.