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Bioagresseurs

Pyricularia oryzae : quelques précisions taxonomiques

DIDIER THARREAU*, ÉLISABETH FOURNIER**, PIERRE GLADIEUX*** ET MARC-HENRI LEBRUN**** *Chercheur au Cirad, UMR BGPI - Montpellier. **Directrice de recherche à l'Inra, UMR BGPI - Montpellier. ***Chargé de recherche à l'Inra, UMR BGPI - Montpellier. ****Direc - Phytoma - n°723 - avril 2019 - page 44

Différent de Pyricularia grisea, P. oryzae est responsable de la pyriculariose sur le ray-grass en France. Cette espèce comporte différents groupes génétiques, responsables d'épidémies destructrices sur le riz et le blé.
Diagnostic morphologique. Les symptômes sur feuille de digitaire sont comparables (lésion en forme de losange), mais l'aspect est différent du fait de la plus grande largeur des feuilles de digitaire (en général). 1. Symptômes sur ray-grass. 2 à 4. Lésions sporulantes et spores sur feuille après inoculation sur ray-grass. Photos : 1. T. Bousquet, Montpellier Méditerranée Métropole, 2017. 2 à 4. P.H. Aberlenc, CBGP, Cirad, 2017.

Diagnostic morphologique. Les symptômes sur feuille de digitaire sont comparables (lésion en forme de losange), mais l'aspect est différent du fait de la plus grande largeur des feuilles de digitaire (en général). 1. Symptômes sur ray-grass. 2 à 4. Lésions sporulantes et spores sur feuille après inoculation sur ray-grass. Photos : 1. T. Bousquet, Montpellier Méditerranée Métropole, 2017. 2 à 4. P.H. Aberlenc, CBGP, Cirad, 2017.

Fig. 1 : Arbre phylogénétique de trois espèces de Pyricularia       Pyricularia oryzae, responsable de la pyriculariose des ray-grass, est différent de Pyricularia grisea, une autre espèce fongique regroupant des isolats qui ne sont pathogènes que des digitaires. Les isolats de P. oryzae provoquant des épidémies sur ray-grass appartiennent à un groupe génétiquement très différent de celui regroupant les isolats provoquant des épidémies sur riz.

Fig. 1 : Arbre phylogénétique de trois espèces de Pyricularia Pyricularia oryzae, responsable de la pyriculariose des ray-grass, est différent de Pyricularia grisea, une autre espèce fongique regroupant des isolats qui ne sont pathogènes que des digitaires. Les isolats de P. oryzae provoquant des épidémies sur ray-grass appartiennent à un groupe génétiquement très différent de celui regroupant les isolats provoquant des épidémies sur riz.

L'article intitulé « La pyriculariose attaque le ray-grass de terrains de sport » d'Ollivier Dours, paru dans le numéro n° 719 (décembre 2018, p. 38-42) de Phytoma, fait une synthèse très utile sur la pyriculariose des gazons et alerte sur l'émergence en France de cette maladie qui cause des dommages importants sur les pelouses des terrains de sport.

Cependant, il contient certaines inexactitudes et ambiguïtés en partie liées au fait que la taxonomie de l'agent pathogène a changé plusieurs fois au cours des trente dernières années. Il est important de lever ces ambiguïtés, car elles pourraient avoir des conséquences en matière réglementaire et de lutte contre la maladie.

Pyricularia oryzae

Un champignon qui cause des dégâts sur le ray-grass

Pyricularia oryzae est l'agent responsable de la pyriculariose sur le ray-grass en France. La taxonomie a été récemment révisée et il est maintenant établi que le nom correct pour le champignon responsable de la pyriculariose des ray-grass (Lolium spp.) est Pyricularia oryzae (Klaubauf et al., 2014, Zhang et al., 2016).

Un synonyme accepté est Magnaporthe oryzae. Le nom Pyricularia grisea doit être utilisé pour une autre espèce fongique qui regroupe des isolats qui ne sont pathogènes que des digitaires (Couch et Kohn, 2002 ; Klaubauf et al., 2014).

P. oryzae n'avait probablement jamais été observé sur ray-grass en Europe avant l'épidémie récente. P. grisea a été isolé de digitaires infectées en France (J. L. Nottéghem, données non publiées). P. grisea ayant été décrit pour la première fois en Italie sur une graminée indéterminée à la fin du XIXe siècle (Saccardo, 1880), il n'est pas possible de savoir s'il s'agit bien de P. grisea ou de P. oryzae et si la plante-hôte était du ray-grass ou une autre graminée. Nous n'avons trouvé aucune mention de pyriculariose (donc de P. oryzae) sur ray-grass avant l'article paru en Suisse, en août 2017 (Vinsentini, 2017), et le bulletin d'alerte du réseau d'épidémiosurveillance de l'Institut Ecoumène Golf & Environnement signalant la pyriculariose à Monaco, en juin 2017 (Institut Ecoumène Golf & Environnement 2017).

Il semblerait que cette maladie ait été diagnostiquée quelques années auparavant en France, en Italie et en Espagne mais qu'elle n'a pas été relatée sous la forme de publication. Il est peu probable que cette maladie ait été présente en France depuis plusieurs décennies et soit restée non détectée. À notre connaissance, la première publication scientifique démontrant que P. oryzae est responsable des épidémies observées en Europe sur le ray-grass date de 2018 (Milazzo et al., 2018).

Une forme sexuée jamais observée

Suspectée en Asie et au Brésil

Les structures de la reproduction sexuée de P. oryzae n'ont jamais été observées dans la nature. En se basant sur des études de génétique des populations (impact du mode de reproduction sur la structure génétique des populations) et/ou des observations biologiques (capacité à produire la phase sexuée in vitro), la reproduction sexuée de P. oryzae est suspectée avoir existé au sein des populations attaquant le riz dans des zones très localisées d'Asie (Saleh et al., 2012) et au sein des populations attaquant le blé au Brésil lors de l'émergence de la maladie (Cruz and Valent, 2017). Cependant, cette forme sexuée n'a encore jamais été observée dans la nature.

Une même espèce et des groupes différents génétiquement

Les champignons responsables de la pyriculariose du riz et du ray-grass appartiennent à la même espèce, Pyricularia oryzae, mais sont très différents génétiquement. L'espèce P. oryzae est composée de différents groupes génétiques (Gladieux et al., 2018). Chacun de ces groupes correspond à un ensemble d'isolats qui ont en commun un spectre de plantes hôtes spécifique de ce groupe. Ainsi, les isolats du groupe « riz » n'attaquent que le riz, alors que les isolats du groupe « blé » n'attaquent que le blé et quelques graminées sauvages (dont le ray-grass).

Les isolats de tous les groupes sont capables d'attaquer l'orge qui est un hôte « universel » de P. oryzae. Les isolats provoquant des épidémies sur le ray-grass appartiennent à un groupe génétiquement très différent de celui regroupant les isolats provoquant des épidémies sur le riz. En revanche, ils sont très proches génétiquement du groupe d'isolats provoquant des épidémies sur blé (Islam et al., 2016 ; Gladieux et al., 2018 ; Valent et al., 2019). Les isolats de ray-grass d'Europe ou des États-Unis (où ils sont très fréquents) sont pathogènes de plusieurs espèces de Lolium dont le ray-grass anglais (Lolium perenne) et le ray-grass d'Italie (Lolium italicum).

Un agent pathogène à prendre au sérieux

Mode de dissémination mal connu

La pyriculariose cause des épidémies destructrices sur le riz (Pennisi, 2010) et sur le blé (Cruz and Valent, 2017 ; Islam et al., 2016). Le cycle de vie du champignon sur le ray-grass, et en particulier son mode de dissémination, est mal connu. Si Pyricularia oryzae peut survivre sous une forme saprophyte dans les débris de ray-grass (Harmon et Latin, 2005), ce n'est nullement un opportuniste, mais bien un champignon phytopathogène qui propage la pyriculariose à l'aide de spores produites par les lésions foliaires qu'il provoque.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - À la suite de la parution dans Phytoma d'un article, en décembre 2018, sur la pyriculariose des gazons, il est apparu nécessaire d'apporter des précisions sur la taxonomie de l'agent pathogène, qui a changé plusieurs fois au cours des trente dernières années. Ces ambiguïtés pourraient avoir des conséquences en matière réglementaire et de lutte contre la maladie. D'autant que le champignon pourrait se révéler un redoutable bioagresseur.

TAXONOMIE - Le nom correct pour le champignon responsable de la pyriculariose des ray-grass (Lolium spp.) est Pyricularia oryzae et non pas P. grisea, pathogène des digitaires. Les isolats provoquant des épidémies sur le ray-grass appartiennent à un groupe génétiquement très différent de celui regroupant les isolats provoquant des épidémies sur le riz. Mais ils sont très proches du groupe d'isolats provoquant des épidémies sur blé.

MOTS-CLÉS - Pyricularia grisea, P. oryzae, pyriculariose, taxonomie, ray-grass, riz, blé.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : tharreau@cirad.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Couch B C., Kohn L M., 2002, A multilocus gene genealogy concordant with host preference indicates segregation of a new species, Magnaporthe oryzae, from M. grisea, Mycologia 94:683-693. DOI: 10.2307/3761719.

- Cruz C. D., Valent B. 2017, Wheat blast disease: danger on the move, Tropical Plant Patholology 42:210-222. DOI 10.1007/s40858-017-0159-z.

- Gladieux P. et al., 2018, Gene flow between divergent cereal- and grass-specific lineages of the rice blast fungus Magnaporthe oryzae, Mbio 9:e01219-17. DOI:10.1128/mBio.01219-17.

- Harmon P. F., Latin R., 2005, Winter survival of the perennial ryegrass pathogen Magnaporthe oryzae in north central Indiana, Plant Disease 89:412-418. DOI:10.1094/PD-89-0412.

- Institut Ecoumène Golf & Environnement, 2017, Bulletin d'alerte n° 6 au 19 juin 2017. www.ecoumenegolf.org/accueil.html

- Islam M. T. et al., 2016, Emergence of wheat blast in Bangladesh was caused by a South American lineage of Magnaporthe oryzae, BMC Biology 14(1):84. DOI:10.1186/s12915-016-0309-7.

- Klaubauf S. et al., 2014, Resolving the polyphyletic nature of Pyricularia (Pyriculariaceae). Studies in Mycology 79:85-120. dx.doi.org/10.1016/j.simyco.2014.09.004.

- Milazzo J. et al., 2019, First scientific report of Pyricularia oryzae causing gray leaf spot disease on perennial ryegrass (Lolium perenne) in France, Plant Disease, DOI:10.1094/PDIS-09-18-1545-PDN.

- Pennisi E., 2010, Armed and dangerous, Science 327 :804-805. Doi:10.1126/science.327.5967.804.

- Saccardo P. A., 1880, Conspecus generum fungorum italiae inferiorum, Michelia 2(6):1-135.

- Saleh D. et al., 2012, Sex at the origin: an Asian population of the rice blast fungus Magnaporthe oryzae reproduces sexually, Molecular Ecology, 21:1330-1344. DOI:10.1111/j.1365-294X.2012.05469.x.

- Valent B. et al., 2019, Pyricularia graminis-tritici is not the correct species name for the wheat blast fungus: Response to Ceresini et al. (MPP 20:2), Molecular Plant Pathology 20:173-179. DOI:10.1111/mpp.12778.

- Visentini D., 2017, La pelouse de la Praille est un terrain de spores. Malaise... La Tribune de Genève, 31/08/17.

- Zhang N. et al., 2016, Generic names in Magnaporthales, IMA Fungus 7:155-159. DOI:10.5598/imafungus.2016.07.01.09.

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