La protection biologique intégrée (PBI) est développée avec succès depuis plusieurs dizaines d'années en cultures florales sous serre. Les surfaces stagnent à cause de plusieurs verrous : coût important des lâchers d'auxiliaires, cultures peu attractives... La lutte inondative consiste en des apports massifs de macro-organismes, la lutte par conservation favorise les auxiliaires existants dans l'environnement direct des cultures. En oeuvrant au maintien de ces organismes de contrôle, le nourrissage (pollen, proies...) optimise la PBI (voir Figure 1). Une autre étape consiste à fournir un habitat adapté.
Deux approches, un objectif
Lutte biologique inondative par augmentation
En serre, la lutte biologique est habituellement basée sur des lâchers massifs et répétés d'auxiliaires commercialisés. Cette stratégie de lutte inondative se heurte parfois à des conditions de milieu antagonistes à leurs exigences biologiques (climat défavorable, manque de nourriture, d'abris et de sites de pontes). Dans ce cas, l'implantation des auxiliaires est souvent hétérogène. Pour contourner cette difficulté, des introductions régulières et à forte dose sont programmées dans une stratégie souvent préventive. On peut objecter un manque d'analyse du contexte phytosanitaire de départ, autant qu'un surcoût économique important. En conséquence, un des risques est de considérer ces auxiliaires commercialisés comme des « biopesticides ». Il est indispensable de prendre en compte l'écologie spécifique des organismes, mais aussi de leur fournir des conditions pour leur survie et leur reproduction par la pratique du nourrissage.
Lutte biologique par conservation
En extérieur, la lutte biologique s'oriente essentiellement vers l'aménagement d'un environnement favorable aux auxiliaires spontanés. Des dispositifs pérennes ou annuels peuvent être mis en place dans et autour de la culture (haies, bandes enherbées et fleuries). Il s'agit de fournir des lieux de ponte et de refuge, mais aussi des ressources alimentaires (pollen, nectars floraux et extra-floraux) indispensables pour les adultes de certaines espèces ainsi que des proies. La question du transfert effectif des auxiliaires vers la culture doit ensuite être évaluée en termes d'efficacité.
Sous serre, des méthodes similaires pourraient être utilisées. Elles imposent toutefois des dispositifs comme les plantes de service, qui empiètent sur les surfaces de serre et, en conséquence, ont un impact sur la rentabilité globale. Par ailleurs, dans les serres de plantes en pot, les conditions d'installation sont souvent hostiles : milieu anthropisé où le continuum végétal est absent, rotation des plantes fréquente, et pratiques culturales peu favorables (aspersion, effleurage, distançage).
Pourtant, les stratégies de contrôle biologique par conservation peuvent s'avérer payantes au regard de certaines limites de la lutte inondative, à savoir :
- une synchronisation pas toujours évidente entre les dates des lâchers massifs et les besoins réels de la culture ;
- la nécessité d'une grande quantité d'auxiliaires et de compétences spécifiques des applicateurs.
Complémentarité des deux approches
Combiner ces deux approches de lutte biologique apparaît souhaitable. En complément de la conservation de l'entomofaune spontanée des serres, des lâchers d'auxiliaires peuvent s'avérer efficients, s'ils sont accompagnés de mesures qui améliorent leur installation. L'enjeu est de leur fournir à la fois les ressources alimentaires ainsi que les abris nécessaires à la réalisation de leur cycle. Les sachets d'élevage commercialisés correspondent à cette stratégie.
À La Réunion, où le contexte insulaire restreint pour des raisons réglementaires l'accès aux phytoséiides des biofabriques, l'Armeflhor a dû s'orienter vers une stratégie de conservation, favorisant la faune indigène.
En métropole, où une large gamme d'auxiliaires est disponible pour réaliser des apports massifs dans les cultures, Astredhor Sud-Ouest et le Scradh cherchent également à favoriser l'implantation durable des auxiliaires sous les serres.
Favoriser la PBI par le nourrissage
Au menu : pulvérisation de pollen, oeufs d'Ephestia et Papyrus
Le complément de la ressource alimentaire peut être apporté soit par des plantes de services anémophiles, soit par des compléments alimentaires exogènes (pollen, proies).
Les stations Astredhor Sud-Ouest, Astredhor Méditerranée Scradh et Armeflhor (La Réunion) ont intégré le nourrissage des auxiliaires lors d'expérimentations conduites au sein du projet Otelho (voir article p. 24). L'outil S@M a permis de suivre les populations (encadré ci-dessus). Les ravageurs-cibles étaient l'aleurode du tabac, Bemisia tabaci, pour le gerbera et le poinsettia, et le thrips californien Frankliniella occidentalis pour la rose, le géranium et le cyclamen ; les acariens prédateurs étudiés étaient Amblyseius swirskii et Amblydromalus limonicus. Des lâchers d'acariens prédateurs ont été associés à des apports de compléments alimentaires exogènes : distribution ponctuelle d'oeufs d'Ephestia kuehniella (Entofood), saupoudrages réguliers de pollen Typha sp. (Nutrimite).
À La Réunion, la disponibilité locale des auxiliaires d'élevage est encore insuffisante : la biofabrique locale est récente, et l'approvisionnement en phytoséiides et punaises prédatrices est encore réalisé à l'échelle expérimentale. La seule alternative est donc de s'appuyer sur la faune auxiliaire indigène. Des plantes-relais ont été placées sous la serre pour favoriser la conservation d'Amblyseius swirskii (voir article p. 28). En particulier, Papyrus cyperus produit sur l'Île en période fraîche une quantité importante de pollen, en même temps qu'il fournit un habitat bien adapté à A. swirskii à l'aisselle de ses bractées florales. Des nourrissages à base de pollen (Nutrimite) en dehors de la période naturelle de floraison du papyrus ont par la suite favorisé l'implantation durable d'A. swirskii. Sur potées fleuries de gerbera, des suivis combinant des plants de tabac en plantes-relais, associés à Nesidiocoris volucer, punaise indigène, prédatrice de thrips et d'aleurodes, ont également fourni des résultats probants sur l'installation de cette entomofaune bénéfique.
Pollen de Typha angustifolia
À Astredhor Sud-Ouest et au Scradh, l'utilisation du pollen de Typha sp. a donné de bons résultats sur certaines cultures : amélioration de la diffusion de l'auxiliaire en culture de gerbera en pot, augmentation des populations et des pontes en culture de gerbera et de poinsettia, réduction du nombre de lâchers en culture de poinsettia avec un intérêt économique de réduction des coûts de protection. En général, quatre à six apports du complément alimentaire à la dose de 0,5 kg/ha sont réalisés au cours de la culture en même temps que les lâchers d'auxiliaires au début, puis seuls si la population de phytoséiides est suffisamment installée. Si le nourrissage est recommandé et semble essentiel en culture de gerbera et de poinsettia, il n'améliore pas toujours de façon visible l'acarien prédateur. En culture de géranium et de cyclamen par exemple, l'effet bénéfique n'a pas été mis en évidence. Certaines pratiques culturales, comme le bassinage des cultures de cyclamen, sont défavorables à son utilisation. Par ailleurs, l'utilisation de pollen peut également favoriser le développement du thrips. Il faut donc éviter de l'utiliser quand la pression du ravageur est trop importante. Le même constat s'impose à La Réunion, concernant les acariens tétranyques sur rose fleur coupée.
Habitat : matériaux testés
Pas de succès pour les substituts de domatie
L'établissement et la reproduction des auxiliaires relâchés dans la serre sont fortement dépendants des caractéristiques de la plante en culture. Des sites de pontes adaptés sont cruciaux au bon développement de nombreux prédateurs. Or les sites de pontes comme les tiges de fleurs sont souvent récoltés ou intentionnellement enlevés (effeuillage, effleurage).
Pour pondre, les acariens auxiliaires préfèrent des plantes avec des trichomes (poils) pour attacher leurs oeufs ; et trouvent refuge à l'aisselle des nervures des feuilles dans des structures appelées domaties. Beaucoup de cultures ornementales en sont dépourvues, notamment le cyclamen et la rose. Astredhor a voulu tester si cette absence pouvait être compensée par l'application de fibres dans les cultures qui mimeraient cette fonction et leur offriraient des micro-habitats de substitution. L'équipe M2P2 (Modèles et méthodes pour la protection des plantes) de l'Inra de Sophia Antipolis travaille à l'utilisation de plantes-banques présentant des domaties, Vitis riparia et Viburnum tinus, et l'ajout de pollen pour améliorer la lutte biologique en culture de rose fleur coupée.
Dans le cadre de ces travaux, des matériaux de substitution qui imitent ces structures ont été testés (Figure 1). En 2016, douze matériaux ont été testés au laboratoire sur la ponte de l'acarien auxiliaire Neoseiulus californicus. Un de ces matériaux, à base de laine bouillie, ainsi qu'un produit déjà commercialisé (C32, Biosystèmes), ont été testés en station d'expérimentation en culture de cyclamen (Astredhor Sud-Ouest) et en culture de rose (Armeflhor). Les tissus ont été apportés sous forme de bandes tendues dans la culture. Les observations réalisées n'ont pas permis d'observer d'installation d'auxiliaires.
En 2017, dans le cadre d'une expérimentation préliminaire sur un matériau artificiel susceptible de stimuler la reproduction de l'acarien prédateur Amblyseius swirskii, huit nouveaux matériaux ont été testés. Des produits commercialisés comme du paillis ou de l'aqua-nappe ont été testés en boîte de Pétri. Le produit Aqua-nappe épaisse Thorenap 600 g/m² a ensuite été testé sans succès en application au pied des plantes de cyclamen comme un disque de paillage.
Les plantes-relais : double fonction, nourriture et habitat
À l'Armeflhor, l'installation des populations d'A. swirskii est passée par la mise en place de plante-relais de papyrus dans les cultures. Dans un premier temps, les recherches se sont orientées vers Papyrus cyperus. Ses inflorescences servent de refuges aux phytoséiides mais uniquement pendant la période de production de pollen en saison fraîche, soit de juin à octobre. Dans la culture à proximité des plantes-relais, un bon maintien des A. swirskii a été observé avec une diffusion jusqu'à 6 mètres (Figure 2). Un gradient de présence de phytoséiides dans l'espace est visible : plus on s'éloigne, moins les populations d'auxiliaires sont denses. Ce phénomène a aussi été vérifié à la verticale sur la culture avec plus de présence sur le bas de la culture qu'au sommet de la plante.
Deux autres espèces de Cyperus sont à l'étude depuis 2018, ayant une complémentarité de périodes de floraison mais aussi des plantes moins volumineuses. Le comportement d'A. swirskii face à ces plantes-relais reste à définir.
Vers une approche agroécologique
La combinaison « gîte et couvert » pour favoriser l'installation des auxiliaires lâchés, rétablir la diversité d'une faune entomophage et augmenter les interactions entre espèces et niveaux trophiques, ouvre des perspectives de productions horticoles agroécologiques. Les leviers testés offrent des avantages et des limites (tableau ci-contre).
Ces travaux seront poursuivis dans le projet Dephy Expe 2.Zhero et des recherches appliquées en partenariat avec la recherche fondamentale sont souhaitées pour sécuriser la lutte biologique par conservation des espèces. De nouvelles possibilités émergent avec la commercialisation des acariens proies (Carpoglyphus lactis, Tyroglyphus casei et Thyreophagus entomophagus) comme sources de nourrissage pour les acariens prédateurs.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Le nourrissage et l'amélioration de l'habitat des acariens phytoséiides ont été étudiés dans le cadre du programme Otelho pour optimiser les stratégies de protection biologique intégrée (PBI) mise en oeuvre sous serre.
ÉTUDE - Astredhor a étudié la capacité de plantes à fournir une source alimentaire aux auxiliaires et ravageurs, et l'effet de compléments alimentaires exogènes. L'impact sur les rendements a été estimé. Concernant les stratégies d'habitat, des tests de matériaux biologiques assurant des refuges de pontes et d'habitat ont été étudiés. Leur efficience a d'abord été étudiée en laboratoire à l'Inra de Sophia Antipolis puis en station d'expérimentation (Armeflhor, Astredhor Sud-Ouest).
MOTS-CLÉS - Nourrissage, auxiliaire indigène, lutte biologique par augmentation, par conservation, aleurode du tabac, thrips californien, parasitisme, acarien prédateur, pollen, plantes de service.
S@M, outil de pilotage, de notations et de suivi
L'outil S@M (voir article p. 16) a permis de suivre le développement des populations sur différentes cultures ornementales (géranium, gerbera, poinsettia, cyclamen, rose, chrysanthème...) suivies dans le cadre du projet Otelho.
Les ravageurs et auxiliaires sont dénombrés (estimation visuelle, frappage de capitule, de bouton ou de végétation, identification et recensement de populations), et les critères de développement de la plante et des organismes sont pris en compte à l'aide d'une échelle d'évaluation. Les notations comportent également le nombre et la nature des interventions phytosanitaires, et le coût des intrants.
L'échelle de notation indique l'abondance ou la pression de la population (0 : absence ; 1 : présence légère ; 2 : présence modérée ; 3 : abondance). Les relevés ont lieu une fois par semaine par l'expert qualifié dans la reconnaissance des agents biologiques et le diagnostic sanitaire de la culture.
En fin d'essai, d'autres observations portent sur la qualité commerciale et le rendement, la maîtrise des bioagresseurs, des critères environnementaux et économiques...
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : emilie.maugin@astredhor.fr
jacques.fillatre@armeflhor.fr
cabeu.isabelle@armeflhor.fr ; cecile.bresch@inra.fr
bruno.paris@inra.fr ; ange.drouineau@astredhor.fr
BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).