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DOSSIER

Trois exemples de nourrissage sur gerbera, poinsettia et rose

ANGE LHOSTE-DROUINEAU*, ÉMILIE MAUGIN**, ISABELLE CABEU***, JACQUES FILLÂTRE***, CÉCILE BRESCH****, TATIANA DENEGRI*, JEAN-MARC DEOGRATIAS** ET BRUNO PARIS***** *Astredhor Méditerranée - Scradh - Hyères. **Astredhor Sud-Ouest GIE fleurs et plantes - Vil - Phytoma - n°725 - juin 2019 - page 24

À la suite de l'article précédent, illustration de nourrissage sur trois cultures : aleurode du tabac sur gerbera et sur poinsettia, et thrips californien sur rose.
Fig. 1 : Cycle biologique de l'aleurode du tabac B. tabaci sur gerbera      Source : M. Sourzat & A. Drouineau, 2015. Photos : Astredhor Méditerranée - Scradh

Fig. 1 : Cycle biologique de l'aleurode du tabac B. tabaci sur gerbera Source : M. Sourzat & A. Drouineau, 2015. Photos : Astredhor Méditerranée - Scradh

Fig. 2 : Stratégie de lutte biologique contre les aleurodes avec nourrissage d'Amblyseius swirskii et Amblydromalus limonicus      Campagne 2014-2016 dans les conditions d'expérimentation du Scradh. L'échelle de notation indique l'abondance ou la pression de la population : 0 : absence ; 1 : présence légère ; 2 : présence modérée ; 3 : abondance.

Fig. 2 : Stratégie de lutte biologique contre les aleurodes avec nourrissage d'Amblyseius swirskii et Amblydromalus limonicus Campagne 2014-2016 dans les conditions d'expérimentation du Scradh. L'échelle de notation indique l'abondance ou la pression de la population : 0 : absence ; 1 : présence légère ; 2 : présence modérée ; 3 : abondance.

Fig. 3 : Indice de fréquence de traitement par nuisible pour deux campagnes dans les conditions de l'essai Scradh      2012-2014 : PBI sans nourrissage ; 2014-2016 : PBI avec nourrissage des phytoséiides, acariens prédateurs d'aleurodes.

Fig. 3 : Indice de fréquence de traitement par nuisible pour deux campagnes dans les conditions de l'essai Scradh 2012-2014 : PBI sans nourrissage ; 2014-2016 : PBI avec nourrissage des phytoséiides, acariens prédateurs d'aleurodes.

 1. Encarsia bimaculata (Heraty and Polaszek, 2000), parasitoïde de l'aleurode du tabac. 2. Eretmocerus adulte.  Photos : 1. Astredhor Méditerranée - Scradh. 2. Astredhor Sud-Ouest

1. Encarsia bimaculata (Heraty and Polaszek, 2000), parasitoïde de l'aleurode du tabac. 2. Eretmocerus adulte. Photos : 1. Astredhor Méditerranée - Scradh. 2. Astredhor Sud-Ouest

Fig. 4 : Dynamiques des populations d'aleurodes, de phytoséiides et de parasitoïdes en 2017 sur poinsettia dans un concept de nourrissage au pollen de Typha sp., Nutrimite, dans les conditions de l'essai       Astredhor Sud-Ouest, 2017.

Fig. 4 : Dynamiques des populations d'aleurodes, de phytoséiides et de parasitoïdes en 2017 sur poinsettia dans un concept de nourrissage au pollen de Typha sp., Nutrimite, dans les conditions de l'essai Astredhor Sud-Ouest, 2017.

Fig. 5 : Cycle biologique du thrips californien dans un bouton de rose dans les conditions d'observation au Scradh      K. de Bellecsize & A. Drouineau, 2014.

Fig. 5 : Cycle biologique du thrips californien dans un bouton de rose dans les conditions d'observation au Scradh K. de Bellecsize & A. Drouineau, 2014.

 Culture de gerbera où ont été lâchés Amblyseius swirskii et Amblydromalus limonicus. Photo : Scradh

Culture de gerbera où ont été lâchés Amblyseius swirskii et Amblydromalus limonicus. Photo : Scradh

 Thrips californien capturé sur une plaque engluée jaune de monitoring. Photo : Astredhor Méditerranée - Scradh

Thrips californien capturé sur une plaque engluée jaune de monitoring. Photo : Astredhor Méditerranée - Scradh

Dans trois contextes culturaux, le pollen de Typha a permis d'améliorer l'installation d'auxiliaires, et de mieux contrôler les thrips et les aleurodes. Ce levier a ainsi sécurisé la protection biologique.

Aleurode du tabac sur gerbera fleur coupée au Scradh

Cycle de développement du ravageur

Le cycle biologique complet de Bemisia tabaci se déroule sur vingt à cinquante jours (Figure 1). Seuls les deux premiers stades larvaires sont consommés par les phytoséiides. Puis le parasitisme s'opère à partir du stade L3.

Maintien des prédateurs et régulation du ravageur

Au Scradh, les phytoséiides Amblyseius swirskii et Amblydromalus limonicus ont été lâchés distinctement sur des tables de culture, chaque table étant une modalité étudiée avec un phytoséiide (Figures 2A et B). Durant la campagne 2014-2016, les lâchers ont eu lieu en début de culture, dès la plantation des gerberas en juin 2014, puis en été et automne la première année, et au début de la deuxième année. Les auxiliaires ont été apportés en vrac, les formes mobiles étant sur du son.

Dans les conditions de suivi des populations, la station a procédé à dix lâchers d'A. swirskii, soit au total 3 066 individus/m² de serre de gerbera contre sept lâchers d'A. limonicus, à raison de 830 individus/m² de serre. Deux modalités de nourrissage ont été testées : oeufs d'Ephestia (six apports d'Entofood durant les deux ans d'essai, à 0,2 g/m² de serre) et pollen de Typha (65 saupoudrages de Nutrimite durant la campagne, à 10 g/m² de serre). L'apport d'Entofood s'effectue par un simple dépôt de petits tas sur des oeufs sur les feuilles de gerbera. Le pollen est saupoudré à l'aide d'un pistolet souffleur (marque Makita).

En 2015, sur une année civile complète, les aleurodes sont toujours contrôlés par les deux phytoséiides, dont les niveaux d'abondance sont supérieurs à ceux du ravageur pourtant bien implanté. La modalité A. limonicus se démarque avec un meilleur contrôle et une abondance supérieure. Ceci alors que la stratégie A. limonicus a un lâcher de moins comparativement à la stratégie A. swirskii. En 2016 (six mois de pleine production avant l'arrachage), le niveau d'aleurodes est toujours bas dans la modalité A. swirskii et absent dans la modalité A. limonicus, l'auxiliaire est en abondance dans cette modalité, bien que la proie n'y soit plus (dans les conditions d'observation) : les apports de compléments alimentaires ont contribué à son maintien (pollen de Typha). Le fait de ne plus recenser d'aleurodes sur gerbera est totalement inédit.

Une baisse d'IFT et une présence de parasitoïdes indigènes

Comparativement à la campagne 2012-2014 où les auxiliaires ne recevaient pas de complément alimentaire, l'expérimentation 2014-2016 révèle une baisse de l'indicateur de fréquence de traitement (IFT) dans la lutte contre l'aleurode : il passe de 236 à 70,8 (Figures 3A et B).

Les pratiques de la protection biologique intégrée (PBI) de l'essai ont favorisé l'installation spontanée de parasitoïdes indigènes de l'aleurode. La nouveauté est incontestablement l'installation des parasitoïdes consommateurs de pollen que sont Eretmocerus mundus, Encarsia bimaculata (photo 1), et Encarsia mineoi identifié pour la première fois à Hyères sur le site du Scradh. Malgré cette diversité, le contrôle reste fragile et la balance biologique peut facilement pencher en faveur de l'aleurode du tabac.

Rendement et coût

Durant l'expérimentation, la production et la qualité des gerberas étaient d'un bon niveau avec plus de deux tiges qualité standard par mois. Sur deux ans, le rendement a atteint 422 tiges florales par m² de serre qualité « Extra » et « premier choix » confondus.

Bien que la lutte biologique ait été sécurisée et que la production soit bonne, le coût de la protection sur les deux années de la campagne 2014-2016, de 9,63 €/m² de serre, est supérieur à celui des campagnes précédentes, tout en restant économiquement acceptable à moins de 5 €/m²/an. De nouvelles pistes sont à trouver pour renforcer le maintien des auxiliaires et réduire ainsi les intrants biologiques.

Aleurode du tabac sur poinsettia à Astredhor Sud-Ouest

Une pression de ravageur élevée mais stabilisée

En 2017, un travail comparatif a été mené avec différents auxiliaires avec et sans nourrissage au pollen sur culture de poinsettia pour lutter contre l'aleurode à la station Astredhor Sud-Ouest. Neuf stratégies ont été testées (tableau). Les évaluations de populations montrent une pression forte d'aleurodes dès les premières semaines, quelle que soit la modalité (Figure 4).

Les meilleurs résultats sont obtenus avec Amblyseius swirskii ou Amblydromalus limonicus et des apports complémentaires de pollen. Ces derniers sont indispensables pour garantir une présence optimale, de l'ordre de cinq phytoséiides par plante. Les lâchers doivent être réalisés le plus tôt possible, soit dès la première larve observée sur plante et sans attendre de piéger les adultes sur les panneaux. L'utilisation de sachet seul est insuffisante. Le meilleur résultat est obtenu avec un mix entre apport en vrac et en sachet. En absence de pollen, il n'y a pas de différence marquée entre l'apport en vrac à la dose de 100 individus/m² et le sachet diffuseur de 250 individus/sachet. Euseius gallicus est le phytoséiide le moins efficace et il reste très peu visible dans les conditions estivales de l'essai. Amblydromalus limonicus est le plus performant même s'il reste peu visible en début de culture ; la population explose en fin d'essai et il réagit positivement au nourrissage au pollen. A. swirskii s'implante bien, fournit aussi de bons résultats et génère le meilleur rapport qualité/prix de la stratégie (tableau ci-dessous). Le rôle des parasitoïdes, ici Eretmocerus sp. (installation naturelle, provenant de la culture précédente : bractéantha) (photo 2) vient compléter celui des prédateurs phytoséiides en réduisant le nombre de larves d'aleurode sur la dernière partie de la culture (taux d'infestation < 100).

Coût de la PBI

Au niveau économique, la stratégie la plus rentable est celle basée sur les lâchers d'A. swirskii en vrac à la dose moyenne de 100 individus par m², introduits dès le premier adulte d'aleurode piégé (trois lâchers à quinze jours puis deux à un mois) et nourris au pollen (sept apports de pollen de Typha sp. (formulation commerciale Nutrimite ; 0,5 kg/ha/an). Dans ce cas, le coût de la protection des plantes ne dépasse pas 1 € HT par m², soit moins de 0,15 € HT par plante, ce qui est économiquement acceptable. Cette stratégie revient moins chère que les lâchers d'auxiliaires sans pollen, 1,33 €/m², car il faut réaliser plus de lâchers, surtout en fin de culture quand la surface à traiter est plus importante. L'installation spontanée d'auxiliaires sédentarisés Eretmocerus sp. a permis de ne pas dépasser 1,5 €/m² dans les conditions de l'expérimentation 2017, quelle que soit la modalité.

Thrips californien sur rose à l'Armeflhor

Régulation sous condition

Seules les larves de thrips peuvent être consommées par les acariens prédateurs. Les autres stades ne sont pas toujours accessibles aux auxiliaires : les oeufs dans les tissus, les nymphes cachées dans les pétales. Les adultes sont facilement identifiables aux soies qui forment leurs ailes (ordre des thysanoptères) (Figure 5, photo 3).

À La Réunion, compte tenu de la disponibilité locale aléatoire en auxiliaires et des restrictions réglementaires d'importation de macro-organismes, l'Armeflhor privilégie la PBI par conservation (nourrissages, plantes-relais), en particulier pour le phytoséiide Amblyseius swirskii, qui est apparu spontanément en 2014 sur sa culture de roses.

Le suivi des populations d'acariens prédateurs, de thrips et de dégâts sur les boutons des tiges florales montre que la population d'auxiliaires, en l'occurrence Amblyseius swirskii, a été abondante et bien supérieure à celle du thrips californien (figure non montrée). Les dix apports de pollen de Typha (formulation commerciale Nutrimite) volontairement surdosés à 2,5 kg/ha (au lieu des 0,5 à 1 kg/ha préconisés) rapprochés durant le premier semestre ont été nécessaires pour arriver à maintenir une certaine linéarité des phytoséiides. Un pic de phytoséiides en fin d'année peut s'expliquer par l'augmentation des proies, à savoir les larves de thrips. Puis, malgré les apports rapprochés de nourritures complémentaires associant du pollen (Nutrimite) à des proies (Artemac), la population d'A. swirskii a chuté, ne faisant plus obstacle au thrips qui a poursuivi sa régulière progression. L'effet nourrissage opère à partir du deuxième apport, puis, malgré cinq saupoudrages réguliers supplémentaires, la population d'auxiliaire a une dynamique erratique de mars à juillet. Cette variabilité est due à des traitements fongiques contre l'oïdium (soufre, bicarbonates, azoxystrobine, myclobutanyl...) et insecticides contre les cochenilles farineuses en fin d'année (huile de colza).

Évolution des dégâts

L'impact du contrôle du thrips sur la qualité des roses récoltées est estimé par le comptage des boutons présentant des piqûres de nutrition de thrips.

En présence d'une population abondante et régulière de l'auxiliaire Amblyseius swirskii, confortée par l'apport de compléments alimentaires, les pertes sont quasi nulles (figure non montrée). Les symptômes et donc les pertes suivent en fin d'année la dynamique du thrips. En été, soit de novembre à février à La Réunion, et en l'absence de disponibilité d'autres auxiliaires prédateurs de thrips, il faudra envisager l'introduction d'un agent de lutte biologique n'ayant pas d'impact sur l'auxiliaire indigène, par exemple un champignon entomopathogène du genre Beauveria.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : ange.drouineau@astredhor.fr

tatiana.denegri@astredhor.fr

jacques.fillatre@armeflhor.fr

cabeu.isabelle@armeflhor.fr

emilie.maugin@astredhor.fr

LIEN UTILE : www.astredhor.fr/vegetaux-permettant-l-alimentation-des-auxiliaires-pour-une-protection-biologique-efficace-en-production-et-paysage-hab-alim-142956.html

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