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DOSSIER

La Réunion : nouveaux ravageurs et auxiliaires observés

ISABELLE CABEU ET JACQUES FILLÂTRE, Armeflhor - La Réunion. - Phytoma - n°725 - juin 2019 - page 28

L'outil d'aide à l'observation S@M utilisé en contexte insulaire a permis de relever la richesse faunistique en cultures de rose et chrysanthème.
 Photos : 1 et 3. Armeflhor. 2. Cirad - A. Franck

Photos : 1 et 3. Armeflhor. 2. Cirad - A. Franck

 Potées de la modalité A. swirskii en fin d'essai. Photos : Armeflhor

Potées de la modalité A. swirskii en fin d'essai. Photos : Armeflhor

6 et 7. Potées de la modalité Amblyseius swirskii + Nesidiocoris volucer en fin d'essai.  8. Stethorus histrio adulte.

6 et 7. Potées de la modalité Amblyseius swirskii + Nesidiocoris volucer en fin d'essai. 8. Stethorus histrio adulte.

 Photos : 6 et 7. Armeflhor. 8. Chambre d'agriculture Réunion - D. Vincenot.

Photos : 6 et 7. Armeflhor. 8. Chambre d'agriculture Réunion - D. Vincenot.

Sur la base du relevé des effectifs de présence des bioagresseurs par classes d'importance, et grâce à l'interface de l'outil S@M (voir article p. 16), les expérimentateurs horticoles disposent en temps réel d'une représentation des évolutions des populations des ravageurs et des auxiliaires dans la serre. L'utilisation de l'OAD dans le cadre du projet Otelho a soulevé les insuffisances de la rubrique de saisie « Autres auxiliaires » et la nécessité d'enrichir la liste de genres et espèces d'intérêt dans une stratégie de PBI par conservation. Exemple de la biodiversité observée, dans le contexte insulaire de La Réunion.

De nouveaux bioagresseurs

Un ravageur émergent : Thrips hawaiensis

Malgré les contrôles stricts effectués aux frontières, La Réunion reste vulnérable aux introductions de nouveaux bioagresseurs. Dans un contexte tropical, ces derniers bénéficient souvent de conditions optimales à leur expansion sur l'Île. Répertorié comme étant un ravageur majeur sur culture de poivron sous abri, notamment sur fleur (fruit déformé), Thrips hawaiensis occasionne des pertes agronomiques conséquentes s'il est mal maîtrisé. Fin 2018, les premiers individus ont été observés sur une culture expérimentale de rosiers fleur coupée à l'Armeflhor, dans le cadre du projet Otelho. La parcelle fait aussi l'objet d'un suivi épidémiologique, dans le cadre du programme Écophyto. Thrips hawaiensis coexiste désormais aux côtés de Frankliniella occidentalis. La dynamique entre les deux espèces reste à préciser. Les dégâts interviennent à un stade très précoce du bouton floral et laissent peu d'espoir de commercialiser la tige.

Des ravageurs opportunistes qui réémergent avec la PBI

Les nombreuses attaques des noctuelles sont récurrentes et provoquent des dégâts irréversibles sur boutons floraux. En dehors des applications à base de la bactérie Bacillus thuringiensis var. kurstaki (Dipel DF) ou d'insecticide à base de béta-cyfluthrine (Ducat...) sur les stades juvéniles du ravageur, d'autres moyens de lutte pourraient être mis en place de façon pérenne. La mise en place d'une barrière mécanique, par la pose d'un filet spécifique antinoctuelles, apparaît comme le plus simple d'entre eux.

À plusieurs reprises et sur différentes espèces (rosier, chrysanthème, gerbera), la recrudescence des attaques de pucerons en début de saison estivale (novembre-décembre) s'est révélée importante. L'absence de traitements chimiques ciblés sous la serre permet l'apparition spontanée d'Aphidius colemani, de Praon volucre et de syrphes indigènes.

De nouveaux auxiliaires parfois inattendus !

Amblyseius swirskii

Au démarrage du programme Otelho, la stratégie phytosanitaire sur rose fleur coupée à l'Armeflhor a conduit à une limitation drastique de certaines substances actives chimiques et l'élimination systématique de celles qui ont un impact négatif sur la faune auxiliaire (ex. : mancozèbe, acrinathrine, lambda-cyalothrine...), ainsi qu'à l'utilisation croissante des produits de biocontrôle. Dans ce contexte, l'acarien prédateur Amblyseius swirskii est apparu spontanément sur culture de rosiers fleur coupée vers avril-mai 2014. Identifié formellement par Serge Kreiter (Montpellier SupAgro), il était jusqu'à cette date non répertorié sur l'Île. Cette découverte a suscité de grands espoirs, étant donné l'efficacité reconnue de l'auxiliaire. Sa forme locale, qui se distingue par quelques critères morphologiques, s'est bien adaptée à La Réunion, pour preuve, sa vaste répartition actuelle sur l'Île.

Compte tenu des restrictions réglementaires drastiques d'importation de macro-organismes, la préservation d'Amblyseius swirskii via une lutte biologique par conservation est devenue une priorité :

- nourrissage à base d'Artemac et de Nutrimite (encadré ci-dessus) ;

- utilisation privilégiée de substances actives de biocontrôle (soufre, spinosad, Beauveria bassiana, Bacillus thuringensis...) ;

- meilleure gestion des pics de chaleur (ombrage de la structure, brumisation de la culture) ;

- et, via l'outil numérique S@M qui permet d'appréhender les crises sanitaires émergentes, stratégie de traitement moins systématique optimisant la conservation d'A. swirskii.

Bénéficiant de ces stratégies combinées, Amblyseius swirskii s'est bien implanté sur la culture. Sa commercialisation à partir de l'élevage de la souche locale n'est encore qu'au stade de la mise au point à la biofabrique locale La Coccinelle. Ce phytoséiide a cependant ses limites : à certaines périodes de l'année, il contribue très largement au bon état sanitaire de la production ; en revanche, et souvent à la suite d'événements climatiques extrêmes (fortes chaleurs, aléas cycloniques), il ne suffit pas seul à garantir cette qualité.

L'Armeflhor nourrit donc de grands espoirs sur l'efficience de produits de biocontrôle, tels que le champignon Beauveria bassiana (Botanigard) en complément de la prédation généraliste d'Amblyseius swirskii.

Nesidiocoris volucer

Punaise indigène de La Réunion, Nesidiocoris volucer (photos 1, 2 et 3) présente un bon potentiel sur thrips et aleurodes, en particulier en culture de tomate sous abri. Si les tentatives d'implantation sur rosier n'ont pas été concluantes, celles sur gerbera et chrysanthème en potée fleurie ont fourni des résultats prometteurs, notamment dans la lutte contre les thrips (Figure 1) :

- un produit final de qualité commerciale correcte, avec un taux de déchets nul ;

- la présence de quelques thrips adultes résiduels dans les fleurs ;

- un effectif important de larves de Nesidiocoris volucer par plant à la livraison des plants (moyenne maximale de 4,7 larves/plant) ;

- une baisse importante de l'IFT conventionnel (77 %) avec ce test, réalisé à l'Armeflhor (photos 1, 2, 3). La pratique conventionnelle de l'horticulteur se base sur un programme de traitements systématiques (un à deux insecticides par semaine sur les trois mois de culture). Le test comprend un traitement chimique préventif (acrinathrine) en début de cycle, suivi, trois semaines plus tard, de lâchers d'auxiliaires (Nesidiocoris volucer et Amblyseius swirskii) et de nourrissages (Artemac, Nutrimite).

N. volucer sur chrysanthème : des perspectives intéressantes

Test d'implantation

Lors d'un test préliminaire réalisé sur 3 mois de culture (1er août au 30 octobre 2018), l'Armeflhor a testé deux modalités d'implantation d'auxiliaire sur chrysanthème (tableau, Figures 2A et B) :

- Amblyseius swirskii ;

- Amblyseius swirskii et Nesidiocoris volucer.

Un mois après le lâcher, soit le 5 octobre 2018, les adultes de N. volucer ont migré d'une modalité à l'autre, preuve de leur bonne capacité de diffusion. La présence en fin de suivi de stades larvaires de nouvelle génération souligne le caractère attractif de la culture. Avec une bonne qualité commerciale des plants à la livraison, ces résultats prometteurs incitent à réitérer l'essai en grandeur nature, avec un lâcher des auxiliaires dès la réception des jeunes plants (photos 4, 5, 6 et 7).

Une petite coccinelle prometteuse

Stethorus histrio Chazeau (photo 8), de la famille des Coccinellidae (longueur 1 mm), est une espèce endémique de La Réunion, de petite taille, entièrement noire. Eurytope (capable de supporter des variations importantes de plusieurs facteurs abiotiques), elle se rencontre du niveau de la mer jusqu'à une altitude de 2 500 m. Commune, elle a été récoltée dans le Nord (Saint-Denis : Belle-Pierre, La Bretagne, La Montagne, La Roche Écrite), l'Ouest (Brûlé de Saint-Paul) et le Sud (Cilaos, le Gol-les-Hauts). On peut la trouver en grande abondance associée aux pullulations de divers acariens Tetranychidae. Identifiée par la FDGDON, les premiers individus ont été observés en septembre 2018 sur la parcelle de transfert Otelho située dans les hauts de l'Île, à 1 200 m d'altitude, à la suite d'une forte présence de tétranyques sur la culture de roses fleur coupée. La coccinelle a été observée durant trois mois, jusqu'à l'éradication complète des foyers d'acariens (mi-décembre).

L'exploitation contient une biodiversité exceptionnelle, à mettre en lien avec l'absence de substances actives de synthèse utilisées sur l'exploitation : un autre acarien - Anystis baccarum, des syrphes, des coccinelles, des hémérobes, des hyménoptères (Praon volucre et Aphidius colemani), des micro-araignées (plusieurs espèces).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - S@M s'appuie sur les relevés épidémiologiques hebdomadaires, élargis à l'ensemble de la biodiversité présente, réalisés sur des cultures tests. Cet outil est mis en oeuvre dans différents projets, dont Otelho, qui a pour but d'aider l'horticulteur à réduire ses traitements phytosanitaires.

ÉTUDE - Dans le cadre de ce projet, l'outil d'aide à la décision a mis en évidence la richesse de la faune auxiliaire dans plusieurs cultures ornementales en métropole et à La Réunion, et l'importance d'intégrer cette biodiversité dans l'outil.

MOTS-CLÉS - Outil d'aide à la décision (OAD), observation et suivi des organismes nuisibles et auxiliaires de lutte biologique, protection biologique intégrée (PBI), Armeflhor, La Réunion.

Contrainte de nourrissage des auxiliaires à La Réunion : les fourmis attirées

Les produits fourmicides y compris ceux utilisables en AB (poudres à base de pyrèthre naturel et de squelettes siliceux d'algues) ne sont homologués qu'aux abords des structures de production. Avant et après le nourrissage des auxiliaires (oeufs d'Ephestia et cystes d'Artemia), une vigilance particulière vis-à-vis des fourmis est d'autant plus nécessaire qu'elles favorisent d'autres problématiques sanitaires : pucerons, cochenilles, lésions racinaires participant au développement de maladies secondaires...

En production de potées fleuries, l'élevage des plants sur tablette à 1 m ou 1,25 m du sol reste la meilleure solution pour se soustraire à leur invasion.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : jacques.fillatre@armeflhor.fr

cabeu.isabelle@armeflhor.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Koppert Biological Systems, 2018, Connaître et reconnaître la biologie des ravageurs, maladies et leurs solutions naturelles, 443 p.

- Quilici S., Vincenot D., Franck A., Ohm P., Kreiter S., Delvare G., Kassebeer C., Ledoux J.-C., 2003, Les auxiliaires des cultures fruitières à l'île de La Réunion Saint-Denis, Cirad, 168 p.

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