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DOSSIER - Qualité des grains récoltés veiller, prévenir, lutter

Bruches des légumineuses : gestion au champ et au stockage

JEAN-DAVID CHAPELIN-VISCARDI*, SYLVIE DAUGUET**, GWÉNOLA RIQUET***, FRANCK DUROUEIX** ET LAURENT RUCK** *Laboratoire d'écoentomologie - Orléans. **Terres Inovia. ***Terres Inovia-Anils. - Phytoma - n°726 - septembre 2019 - page 32

Les attaques de bruches, notamment sur féverole, pois et lentille, altèrent la qualité des récoltes. Des pistes de gestion en culture et des solutions de lutte au stockage émergent.
> Bruchus signaticornis sur fleur de lentille. Photo : L. Jung

> Bruchus signaticornis sur fleur de lentille. Photo : L. Jung

 2. Bruchus pisorum       sur graine de pois.  3. Bruchus rufimanus sur féverole.  5. Bruchus rufimanus émergeant d'une graine bruchée de féverole.

2. Bruchus pisorum sur graine de pois. 3. Bruchus rufimanus sur féverole. 5. Bruchus rufimanus émergeant d'une graine bruchée de féverole.

 Photos : . L. Jung

Photos : . L. Jung

Les bruches, coléoptères ravageurs des graines de légumineuses, affectent peu les rendements. En revanche, elles dégradent la qualité des graines récoltées. Trois espèces principales posent des problèmes sur le territoire français : Bruchus rufimanus principalement trouvée sur la féverole, Bruchus pisorum principalement sur pois et Bruchus signaticornis sur la lentille.

Trois bruches dommageables aux légumineuses

Des larves consommant les graines

Les bruches forment une sous-famille parmi les coléoptères, regroupant environ 80 espèces en France (indigènes et exotiques). Une large majorité des espèces se développent aux dépens des légumineuses. Si les adultes sont floricoles et butinent les fleurs à la recherche de pollen et de jus sucrés, les larves quant à elles sont séminivores, c'est-à-dire qu'elles en consomment les graines. L'altération des graines peut rendre la récolte impropre à la consommation humaine. La dépréciation des denrées au champ et des denrées stockées peut entraîner leur déclassement et présente ainsi de lourdes conséquences économiques.

Bruches de la lentille, du pois et de la féverole

Trois espèces de bruches sont particulièrement dommageables. La bruche de la lentille Bruchus signaticornis (2,8 à 3,5 mm) (photo 1) ne semble pas nuire à d'autres plantes cultivées, mais est connue pour se développer également sur des gesses et des vesces spontanées. D'autres espèces de bruches se développent aux dépens de la lentille.

La bruche du pois Bruchus pisorum (photo 2) est un peu plus grande (3,8 à 4,5 mm) et peut se développer sur le pois cultivé, mais aussi aux dépens de la féverole cultivée, de gesses et vesces spontanées. Le pois reste toutefois sa plante-hôte de prédilection.

La bruche de la féverole Bruchus rufimanus (3,2 à 4,5 mm) est probablement la plus polyphage (photo 3). Elle s'attaque en particulier aux graines de la féverole, mais peut également se développer aux dépens du pois cultivé, de la lentille cultivée, des gesses et des vesces spontanées.

Ces trois bruches sont largement répandues sur notre territoire. Présentes en végétation, elles pondent leurs oeufs sur les gousses. La larve pénètre directement dans la gousse puis dans la graine, où elle se développe. Lorsque la bruche a terminé son développement dans la graine, un adulte sort de la graine (soit au moment de la récolte, soit au cours du stockage) en creusant un trou, ce qui donne une graine dite « bruchée » (photos 4 et 5). Ces insectes effectuent une seule génération par an et ne sont pas connus pour se multiplier pendant le stockage. Actuellement en France, ce sont les récoltes de féverole qui sont surtout touchées par les bruches (60 % des lots avec plus de 1 % de graines bruchées en 2017). Les normes actuelles sont les suivantes : moins que 1 % de graines bruchées pour l'alimentation humaine et moins que 10 % pour l'alimentation animale.

Bien cerner la biologie, l'écologie et la physiologie (phénomènes de résistance notamment) des espèces est un enjeu crucial pour une gestion bien comprise de ces ravageurs en parcelles.

Une identification difficile à l'oeil nu

L'identification des bruches est assez complexe car elle repose sur des critères morphologiques non appréciables à l'oeil nu et nécessite souvent un sexage préliminaire des individus. L'utilisation d'un matériel optique adapté est indispensable (loupe binoculaire, grossissement × 10 à × 80). Les adultes étant des insectes floricoles opportunistes, les fleurs sur lesquelles ils sont trouvés ne permettent pas d'identifier de manière certaine l'espèce de bruche concernée. Les critères de couleur (antennes, pattes, élytres...) sont peu informatifs car variables, et l'analyse par un spécialiste (Laboratoire d'écoentomologie, 5, rue Antoine-Mariotte, Orléans) est souvent nécessaire pour s'assurer de l'identité des bruches.

Un projet en cours pour protéger la lentille

Une campagne 2017 marquée par les attaques

Lors de la campagne 2017, les attaques de bruches sur les graines de lentille ont été rapportées en nombre. Les grains touchés présentent une cavité dans laquelle une bruche s'est développée, rendant ainsi la graine impropre à la commercialisation. La bruche de la lentille est un ravageur assez peu étudié jusqu'alors, pourtant préjudiciable pour la filière lentille. Le manque de connaissances actuel sur sa biologie et son cycle de développement sur cette culture ne permet pas une gestion optimale au champ ou au stockage. C'est pourquoi en 2018 l'Association nationale interprofessionnelle des légumes secs (Anils), en partenariat avec Terres Inovia, les coopératives et négoces partenaires et le Laboratoire d'écoentomologie (Orléans), a lancé un projet avec plusieurs objectifs : l'acquisition de données biologiques et écologiques en agroenvironnement sur le ravageur, l'élaboration de méthodes d'observation opérationnelles en cours de campagne, tant pour la recherche que pour les agriculteurs, et des essais d'efficacité de produits phytopharmaceutiques ou de solutions alternatives.

Campagne de piégeage

Le premier objectif a été de s'assurer de l'identité de la bruche apparentée à la lentille et d'approfondir les connaissances sur la biologie et l'écologie de l'espèce. Une bibliographie réalisée par les entomologistes du Laboratoire d'écoentomologie a permis de faire l'état des lieux des connaissances, jusque-là restreintes. Il ressort des investigations que la ponte de B. signaticornis est effectuée, selon les régions, de la fin du mois de mai à la fin août. Elle se produit sur les gousses de la plante-hôte et plutôt sur des gousses en début de croissance. Les oeufs éclosent sous huit à quinze jours. À l'éclosion, la larve pénètre immédiatement dans la gousse. La période de développement de la larve est comprise entre vingt et trente jours. La nymphose survient à la récolte ou peu avant. Elle est suivie, de près ou de loin, par l'émergence de l'adulte. En 2018, une campagne de piégeage nationale et une analyse des facteurs météorologiques ont été mises en place sur cinq bassins de production (Berry, Champagne, Haute-Loire, Vendée, Sud-Ouest). Ce suivi a été réalisé en partenariat avec les coopératives, négoces et organismes de défense et de gestion régionaux implantés dans les bassins de production de lentille (Axéréal, Cavac, Qualisol, ODG Lentille verte du Puy, Soufflet Agriculture) à l'aide de tentes Malaise (voir encadré). Placés dans une zone non traitée des parcelles suivies et relevés deux fois par semaine, ces pièges ont permis de débuter la caractérisation des conditions influant la colonisation des parcelles de lentille par les bruches, mais également de mieux comprendre leur activité au sein de la parcelle.

Présence en nombre avant floraison

La tente Malaise se révèle efficace pour la capture de bruche notamment en première partie du cycle de la culture (jusqu'à la floraison de la lentille). La bruche de la lentille détectée lors de l'expérimentation est essentiellement Bruchus signaticornis. Il apparaît que cette espèce est présente précocement et en nombre dans les parcelles de lentille : jusqu'à un mois avant floraison de la culture. Une forte baisse des captures par tente Malaise est observée dès le début de la floraison des lentilles (autour de début juin selon les régions) ; et une majorité de femelles est capturée dans cette seconde partie de cycle. Cela pourrait indiquer un possible changement de comportement des insectes, les femelles se déplaçant alors plutôt en végétation, pour se nourrir ou pour pondre. Ces résultats, encore embryonnaires, seront à confirmer lors de la deuxième année de piégeage (actuellement en cours).

Évaluation du piégeage et tests d'efficacité

Sur le site du Berry (Issoudun, Indre), une expérimentation complémentaire visant à comparer différents types de piégeage a également été mise en place (tests de cuvettes jaunes, Polytrap, utilisation du filet-fauchoir). En effet, les tentes Malaise sont efficaces lorsqu'elles sont bien positionnées et installées, mais restent assez onéreuses. Le but de cette expérimentation était donc de déterminer une méthode plus opérationnelle sur toute la durée du cycle et utilisable pour un suivi par les agriculteurs. Les résultats de ces tests sont en cours d'analyse et se poursuivront en 2019.

Parallèlement, des essais d'efficacité ont été mis en place par les partenaires de l'Anils et la Fnams (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences) pour identifier les solutions chimiques ou les solutions alternatives avec un objectif de portage des dossiers auprès des administrations.

Gestion au champ : perspectives

Biocontrôle, piégeage et résistance variétale

La lutte contre les bruches vise les adultes avant la ponte. Mais en raison du retrait de substances actives, de perte de mentions abeille, d'érosion d'efficacité, la lutte chimique est actuellement difficile. Des solutions alternatives sont testées sur les trois espèces (huiles, micro-organismes, kaolinite). Un projet semble intéressant pour lutter contre la bruche de la féverole au champ. Basé sur l'emploi de composés organiques volatils (COV) attractifs, il a été mis au point par l'Inra de Versailles en partenariat avec Arvalis puis Terres Inovia. Deux attractifs ont été produits :

- un attractif reproduisant les odeurs de fleurs de féverole, permettant le piégeage des insectes dès leur arrivée sur la parcelle ;

- un attractif reproduisant les odeurs de gousses de féverole, permettant le piégeage de bruches femelles prêtes à pondre.

Ces pièges et attractifs ouvrent la voie pour des outils de monitoring, voire de piégeage de masse ; la startup AgriOdor y travaille.La piste génétique, à plus long terme, permettrait de mettre au point des variétés de féverole résistantes, avec un faible taux de graines bruchées. Deux génotypes résistants ont été identifiés par l'Inra de Dijon, avec des mécanismes de résistances différents, et ont été croisés avec des variétés de féverole sensibles dans le cadre du projet Peamust. Des avancées variétales comportant ces traits génétiques pourraient ainsi émerger dans les prochaines années.

Lutte au stockage

Détection à la réception, application et fumigation

Au stockage, les lots de graines bruchées doivent être identifiés dès la réception sur le site de stockage, par un contrôle systématique de chaque livraison (méthode spécifique selon la culture et le collecteur), pour pouvoir les isoler et les orienter vers un traitement curatif ou vers un débouché spécifique selon les attentes des clients.

La lutte au stockage vise à tuer les bruches présentes dans les graines ou sortant des graines, afin de commercialiser des lots indemnes d'insectes, mais aussi de réduire les réinfestations des parcelles alentours. Des solutions chimiques sont disponibles en conventionnel. Le traitement insecticide avec K-Obiol UVL 6 (deltaméthrine + butoxyde de pipéronyle), appliqué sur les graines, est efficace par contact sur les insectes adultes et présente une persistance de 6 mois. Il ne tue pas les bruches à l'intérieur des graines, mais les élimine au moment où elles émergent. Ce traitement laisse des résidus de substances insecticides dans les graines, à des teneurs inférieures à la limite réglementaire (LMR) lorsque la dose homologuée est appliquée, mais qui peuvent ne pas être acceptés par certains cahiers des charges de clients.

La fumigation à la phosphine agit sur les insectes adultes et les larves, à l'intérieur et à l'extérieur des graines, puisqu'il s'agit d'un gaz, ne laissant pas de résidus dans les graines. La fumigation à la phosphine nécessite du personnel formé pour son application et des structures de stockage adaptées, puisque le lot de graines traitées doit être dans une enceinte étanche, pour que la concentration en gaz soit maintenue sur une durée suffisante (quelques jours).

Solutions physiques

Des solutions physiques peuvent être mobilisées également en conventionnel et en bio, agissant sur les bruches présentes dans et sur les graines. La thermo-désinsectisation tue larves et adultes par un passage en séchoir rapide à 50-70 °C et dénature peu le produit. La congélation est également une solution, mais pour des petits lots à haute valeur ajoutée puisqu'il faut atteindre des températures de -20 °C pendant 15-20 jours. Dernière possibilité : l'atmosphère modifiée par anoxie consiste à remplacer l'air par du CO2 pour de petits lots sous forme de big bags.

Les solutions en agriculture biologique sont limitées. Le nettoyage mécanique, voire le triage optique si disponible, permettent de réduire le taux de grains bruchés à l'expédition et d'évacuer les insectes vivants ou morts encore présents.

RÉSUMÉ

IDENTIFICATION - Les dégâts des bruches sur les grains de légumineuses peuvent avoir des conséquences économiques importantes. Les grains touchés, dits « bruchés », sont impropres à la commercialisation pour un débouché alimentation humaine. Les cultures les plus touchées sont la féverole, le pois et la lentille. Il existe environ 80 espèces de bruches en France (indigènes et exotiques). Leur identification est complexe car elle repose sur des critères morphologiques non appréciables à l'oeil nu. Trois bruches parmi les plus dommageables pour les cultures de légumineuses sont présentées ici.

GESTION AU CHAMP - En raison du retrait de substances actives, de perte de « mention abeille », d'érosion d'efficacité, la lutte chimique est délicate. Par ailleurs, sur des cultures comme la lentille, le manque de connaissances se fait sentir. À la suite d'attaques en 2017, l'Anils, Terres Inovia et leurs partenaires ont mis en oeuvre un projet d'étude afin d'acquérir des connaissances sur la biologie de ces insectes ainsi que sur les moyens de gestion au champ.

LUTTE AU STOCKAGE - La lutte au stockage a deux objectifs : garantir des lots indemnes d'insectes vivants et éviter la recolonisation des parcelles jouxtant les lieux de stockage. Plusieurs solutions chimiques mais aussi alternatives sont disponibles à l'heure actuelle.

MOTS-CLÉS - Bruches, coléoptères, grains bruchés, légumineuses, Anils (Association nationale interprofessionnelle des légumes secs), tente Malaise, réseau de suivi, essais d'efficacité, lutte au champ, lutte au stockage.

Principe de la tente Malaise

 Photo : C. Saysset - Qualisol

Photo : C. Saysset - Qualisol

La tente Malaise est un piège d'interception capturant les insectes volants évoluant dans un milieu. Elle est implantée en fonction des vents dominants et des structures extraparcellaires (haies, lisière de bois en bordure de champ...). Les insectes viennent se heurter au filet central et, du fait de leur tendance naturelle à monter lorsqu'ils sont face à un obstacle, sont dirigés vers le haut de la tente pour finalement tomber dans un flacon collecteur placé au sommet du piège. Ce flacon contient de l'alcool à 70 ° pour assurer la conservation des insectes entre deux relevés.

Ce dispositif représente un bon moyen d'étude des populations d'insectes, mais n'est pas une technique de lutte contre les ravageurs.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : chapelinviscardi@laboratoireecoentomologie.com ; l.ruck@terresinovia.fr ; g.riquet@terresinovia.fr ; s.dauguet@terresinovia.fr

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