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DOSSIER - Jardins, espaces verts, forêts une lutte sans frontière

Charançon du palmier : évolutions techniques et réglementaires

ÉRIC CHAPIN*, CATHERINE GIGLEUX**, ROBERT CASTELLANA***, HERVÉ PIETRA**** ET STÉPHANE ASIKIAN******Cosave - Pignans. **Fredon Corse - Cauro. ***Progetto Phoenix France-Italie. ****Sauvons nos palmiers - Toulon. *****Bioassays France - Mandelieu-la-Napoule - Phytoma - n°727 - octobre 2019 - page 33

Dans la lutte contre le charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus, obligatoire en France, aucune technique n'est à elle seule efficace.
 Un détecteur sismique positionné dans la base foliaire des palmiers permet d'identifier la présence de ravageurs tels que le charançon rouge. Photo : É. Chapin

Un détecteur sismique positionné dans la base foliaire des palmiers permet d'identifier la présence de ravageurs tels que le charançon rouge. Photo : É. Chapin

 2. Deux palmiers présentant des symptômes douteux. Les détecteurs sismiques mettent en évidence que, le jour de la prise de vue (8 août 2018), les deux palmiers sont infestés. 3. et 4. Dégâts internes à la suite d'une injection de benzoate d'émamectine.

2. Deux palmiers présentant des symptômes douteux. Les détecteurs sismiques mettent en évidence que, le jour de la prise de vue (8 août 2018), les deux palmiers sont infestés. 3. et 4. Dégâts internes à la suite d'une injection de benzoate d'émamectine.

 Photos : É. Chapin

Photos : É. Chapin

Fig. 1 : Ex. de dynamique de vol de charançon rouge sur la Côte d'Azur

Fig. 1 : Ex. de dynamique de vol de charançon rouge sur la Côte d'Azur

 Charançon rouge du palmier adulte infesté par Beauveria bassiana souche 203. Photo : É. Chapin

Charançon rouge du palmier adulte infesté par Beauveria bassiana souche 203. Photo : É. Chapin

Depuis 2006, année de sa détection en France, le charançon rouge du palmier (CRP) Rhynchophorus ferrugineus reste une problématique phytosanitaire majeure pour les paysages urbains de la zone méditerranéenne, et les établissements producteurs et revendeurs de palmiers. Depuis l'année dernière, plusieurs évolutions réglementaires et techniques sont venues poser un nouveau cadre, modifier les pratiques et apporter de nouvelles perspectives dans la lutte contre le CRP.

Situation sanitaire en France métropolitaine

Deux zones de répartition

Dans son avis relatif aux stratégies de lutte contre le CRP, l'Anses distingue deux zones : - la zone 1 dite « méditerranéenne » où des foyers et l'aire de répartition sont en expansion ;

- la zone 2 constituée du reste de la France métropolitaine qui, sur la base des résultats de la surveillance du territoire, ne contient pas de foyers déclarés ou en expansion, y compris sur les cas de détections dans le Morbihan en 2013 et en Seine-Maritime en 2016.

En résumé, la zone 1 correspond à une zone infestée soumise à une pression parasitaire constante et incontrôlée, et la zone 2 correspond, à ce jour, à une zone indemne dont les populations de CRP sont contrôlées.

Dynamiques de progression et pressions parasitaires variables

Dans le Sud-Est, les Fredon (Fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles) ont pu observer des dynamiques de progression d'invasion variables : en fonction des températures (hivernales) et de la densité des populations de palmiers, comme par exemple entre Vaucluse, Hérault et Alpes-Maritimes, Pyrénées-Orientales (Roberti et al., 2013). En Corse, la façade est de l'île a été touchée par le CRP dès 2006 alors que sur la côte ouest son installation est notée seulement à partir de 2014. Sur le terrain, on constate des pressions parasitaires très variables : des secteurs où les taux de captures et le nombre de palmiers morts sont à la baisse et des secteurs où le nombre de palmiers morts est à la hausse, avec une forte pression parasitaire.

La dynamique d'invasion du CRP et la pression parasitaire sont dépendantes de plusieurs facteurs, comme l'historique de l'infestation, le nombre de palmiers dans le paysage, les moyens de lutte mis en place à l'échelle du jardin et du territoire, le climat, et de nombreux autres facteurs environnementaux et biologiques que l'on ne détaillera pas ici.

Par ailleurs, si l'on observe une diminution des captures (clairement corrélées au nombre de foyers dans l'environnement) et du nombre de palmiers déclarés infestés, on ne peut pas pour autant considérer que le risque sanitaire pour les palmiers survivants est réduit ; a fortiori si l'on prend en considération la présence du papillon palmivore Paysandisia archon (Tabone et al., 2019).

Un ravageur opportuniste

Depuis 2006, ce sont majoritairement (95 %) des palmiers des Canaries Phoenix canariensis qui meurent et qui ont été touchés par le CRP (Rochat, 2017). Cependant, d'autres espèces ont été attaquées, comme Washingtonia sp., Syagrus romanzoffiana, Phoenix dactylifera, Jubaea chilensis et, plus récemment, Chamaerops humilis. Si ces cas d'infestation sont moins fréquents, cela ne signifie pas pour autant que ces palmiers sont des espèces résistantes. Rappelons que l'insecte s'est montré très opportuniste et a su s'adapter à différents climats, différents environnements et trouver différents hôtes de prédilection : cocotier en Indo-Malaisie, dattier au Moyen-Orient et palmier des Canaries en Europe.

Le nouveau cadre réglementaire de la lutte

Interdiction de l'imidaclopride

La réglementation relative à la lutte contre le CRP est effective sur le territoire national depuis 2010 et a été en constante évolution, en particulier sur les techniques de lutte permettant de protéger préventivement les palmiers (autorisation de produits à base d'imidaclopride, autorisation de techniques d'injection, de Beauveria bassiana à des fins expérimentales, etc.).

Depuis le 1er septembre 2018, l'utilisation de produits à base d'imidaclopride (préconisée réglementairement et largement utilisée dans les stratégies de protection des palmiers en pépinière, en jardin et en espaces verts) est interdite. Ceci a obligé plusieurs professionnels, propriétaires et gestionnaires à modifier leurs pratiques et à trouver des alternatives à cette substance.

Lutte obligatoire... en France

La décision 2007/365/CE du 25 mai 2007 qui visait à éviter l'introduction et la propagation du CRP dans la Communauté européenne a été abrogée. Ainsi, à partir du 1er octobre 2018, la lutte contre Rhynchophorus ferrugineus n'est plus imposée aux États membres. En revanche, le CRP est maintenu comme organisme nuisible de quarantaine pour les établissements de production et de revente de palmiers.

Dans cette situation réglementaire, l'État français a décidé de maintenir la lutte obligatoire sur son territoire au travers de l'arrêté du 21 juillet 2010 puis d'un arrêté du 25 juin 2019 qui abroge l'arrêté précèdent et fixe le nouveau cadre réglementaire de la lutte contre le CRP sur le territoire français. En résumé :

- la surveillance des palmiers et l'éradication des foyers sont obligatoires sur tout le territoire français ;

- le dispositif de la lutte s'applique dans la zone contaminée dont l'aire dépend de la proximité des foyers ; elle est d'un rayon minimal de 100 m autour du ou des foyers et peut couvrir tout un territoire communal ou intercommunal ;

- en matière de traitements préventifs dans les jevi (jardins, espaces végétalisés et infrastructures), le règlement distingue deux situations : 1/les départements de la zone 2 où ils sont obligatoires en tout lieu dans la zone contaminée et 2/les départements du pourtour méditerranéen (zone 1) où les traitements préventifs ne sont obligatoires que sur les territoires communaux ou intercommunaux qui possèdent un plan de surveillance et un réseau de piégeage, qui traitent préventivement tous les palmiers du domaine public et qui disposent d'une gestion adaptée des déchets, y compris chez les particuliers ;

- la surveillance des palmiers, les opérations d'éradication et l'application de traitements préventifs ne peuvent être effectuées que par des personnes, des entreprises ou des services reconnus aptes par le service en charge de la protection des végétaux ;

- les lieux de production, de stockage ou de mise en vente qui se situent dans une zone contaminée doivent protéger les palmiers physiquement ou par des traitements préventifs appropriés.

Le diagnostic précoce, un point crucial dans la lutte

Examen visuel

Pour le palmier des Canaries, le début de l'infestation se situe à la base des palmes, puis dans les tissus tendres du coeur et, lorsque ceux-ci sont détériorés, dans les tissus du stipe.

De manière générale, les palmiers disposent de réserves d'eau et d'un système vasculaire performant leur permettant d'alimenter les palmes malgré les dommages engendrés par la colonie de CRP (ou autres insectes foreurs). Les palmes jaunissent et ne dessèchent que très lentement. Par conséquent, l'expression des symptômes est tardive et excède souvent plusieurs trimestres après l'infestation. La détection la plus précoce et la localisation des foyers font partie des éléments clés du succès de la lutte, en permettant d'éradiquer les foyers avant leur dissémination.

L'examen visuel depuis le sol ou à l'aide d'une nacelle élévatrice est le plus simple à mettre en oeuvre. Cependant, il reste souvent insuffisant pour détecter le début d'une infestation ou d'un foyer sans l'expression de symptômes. Le diagnostic repose ici sur un examen minutieux et attentif de la partie aérienne des palmiers, sa qualité dépend beaucoup de l'expérience, des capacités de jugement et d'analyse des premiers symptômes de l'observateur en charge de la surveillance.

D'autres outils complémentaires

Pour améliorer la détection, différents outils, méthodes et approches non destructives ont été évaluées ; certains montrent un intérêt certain. Soroker et al. (2017) décrivent des procédés qui ont pu être testés et qui peuvent faire l'objet d'une utilisation pendant les contrôles phytosanitaires des lots de palmiers ou en gestion de foyer. Ces techniques font appel à des outils permettant de détecter des substances olfactives (piège olfactif, nez électronique, chien), les sons émis (microphone, vibromètre laser) par les larves ou encore la température du palmier (image thermique aérienne).

Tous ces moyens permettent d'améliorer la détection mais aucun ne parvient à détecter tous les foyers ou toutes les infestations. Ils sont tous complémentaires. En milieu urbain, l'utilisation de vibromètre laser ou de microphones fixés au stipe semble répondre le mieux aux contraintes de la surveillance. Ces nouvelles technologies sont peut-être encore trop peu développées en raison de leur coût et de la technicité nécessaire pour les utiliser à bon escient. Aujourd'hui, trois techniques sont utilisées en France : l'inspection visuelle du palmier, le détecteur sismique intelligent et le piégeage olfactif.

Les détecteurs sismiques intelligents

Distribué commercialement depuis fin 2018, ce matériel met à disposition une technologie qui permet une surveillance en continu des palmiers. Ces détecteurs captent, à l'aide d'une vis de 15 cm (insérée dans les bases foliaires de la partie apicale du palmier) et analysent (à l'aide d'algorithmes) les ondes qui circulent dans le palmier et qui sont émises depuis l'intérieur du palmier (photo 1 p. 33). Selon la firme qui les commercialise, les détecteurs sont capables d'identifier l'activité de larves xylophages de plus de 7 millimètres. Par ce dispositif, les opérateurs de terrain disposent d'un outil complémentaire à la surveillance visuelle pour les aider à statuer sur l'état d'infestation des palmiers et à prendre des décisions de gestion des foyers. À ce jour, plusieurs palmiers ont été équipés de ces détecteurs. L'expérience confirme que les symptômes extérieurs ne suffisent pas pour statuer sur l'état d'infestation du palmier (photo 2). Le retour d'expérience des utilisateurs permettra de préciser l'intérêt et le champ d'application d'un tel outil.

Le piégeage olfactif de surveillance

Le piégeage olfactif de surveillance est efficace et adapté à la surveillance du territoire, au suivi de l'évolution des foyers ou au suivi de la pression parasitaire à l'échelle d'un territoire communal ou d'un jardin. Sur les territoires officiellement non infestés, ce dispositif permet de révéler la présence ou l'absence de CRP avant l'expression des signes d'infestation.

Les pièges nécessitent une maintenance régulière et rigoureuse pour maximiser leur efficacité et éviter tout effet non intentionnel lié à l'utilisation d'une phéromone d'agrégation, comme attirer des populations sans les capturer. Dans une démarche diagnostic, les pièges peuvent être utilisés pour le monitoring des actions de lutte collective, évaluer l'évolution de la pression parasitaire ou encore définir une stratégie pour le piégeage massif dynamique. Plusieurs matériels sont disponibles dans le commerce ; rappelons juste que les composants olfactifs sont la phéromone d'agrégation, l'acétate d'éthyle et des appâts alimentaires de type broyat de palmier, banane, mélasse de canne à sucre, etc.

Du diagnostic à l'éradication des foyers

Abattage ou assainissement

L'intérêt de la détection précoce d'un foyer est de conduire à l'éradication de ce dernier par un abattage ou un assainissement conformément à la réglementation et selon les protocoles officiels. Bien que l'efficacité curative précoce d'une substance active ou d'agents biologiques soit suspectée, elle n'est bien souvent pas réellement mise en évidence scientifiquement ; et dans tous les cas, ils sont non autorisés. Pour que ces opérations d'éradication (abattage ou assainissement) aient un impact sur la dynamique parasitaire du ravageur, il est important d'intervenir au maximum 15 jours après la détection. Au-delà de cette période, le risque sanitaire s'accroît au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la date de détection. Les délais d'intervention sont une des causes expliquant l'échec de lutte au sein d'un jardin ou d'un territoire. Pour que ces techniques soient complètement efficaces, il est indispensable de gérer convenablement les déchets de palmiers infestés de manière à éviter la fuite d'adultes dans l'environnement.

Dans le contexte parasitaire du littoral de Paca, on constate que les palmiers assainis finissent par subir une réinfestation dans la majorité des cas, quels que soient la qualité du travail et le niveau d'infestation du palmier assaini. Le tableau p. 34 n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Cela conduit à conclure que la taille sanitaire permet de laisser une seconde chance aux palmiers en allongeant leur durée de vie de quelques années (4 à 6 ans) mais qu'elle doit être considérée comme une opération transitoire à réserver dans les situations où tous les moyens sont mis en oeuvre pour contrôler les populations de CRP.

Intérêt des traitements préventifs

Une disparition inéluctable sans prévention

Malgré l'obligation réglementaire de protéger les palmiers par des traitements préventifs, force est de constater que cette obligation n'a pas toujours été respectée pour des raisons très variées, comme une charge financière importante, des difficultés d'ordre organisationnel et matériel, des problèmes d'efficacité, des idéologies écologiques, etc. Cependant, notre expérience montre que l'absence de traitements préventifs réguliers pendant la période de pression parasitaire aboutit à une disparition inéluctable du palmier des Canaries, avec une perte de plus de 80 % deux à trois ans après la détection.

Toutes les méthodes de lutte exposées dans cet article ont montré leur intérêt et leur efficacité dans des tests en laboratoire, en conditions contrôlées ou par des essais au champ. À ce jour, nous ne disposons d'aucune étude comparative de terrain permettant d'évaluer l'efficacité des stratégies de lutte appliquées dans les jardins et espaces verts. Au regard des situations sur le terrain, on peut affirmer qu'aucune méthode de lutte ne permet, à elle seule, de garantir une efficacité totale sur le long terme. Notre expérience montre que l'arrêt des traitements préventifs entraîne une situation à risque qui aboutit à une perte très importante des palmiers des Canaries, dans l'année qui suit l'arrêt ou la réduction des traitements.

L'injection de benzoate d'émamectine

Pour rappel, l'injection consiste à injecter, à hauteur d'homme (entre 100 et 170 cm du sol), dans les tissus du stipe, une formulation à base de benzoate d'émamectine. Pour ce faire, le stipe est percé entre 15 et 30 cm de profondeur à l'aide d'un foret afin de constituer un tunnel dans lequel l'insecticide sera déposé à l'aide d'un pistolet à injection. De cette manière, l'insecticide se trouve dans une zone vascularisée (composée de tissus parenchymateux et de vaisseaux du xylème et du phloème) et peut ainsi être véhiculé par les flux de sève. L'efficacité de l'insecticide est obtenue lorsque le CRP est en contact ou ingère une dose létale (DL90 fixée à 50 µg/kg) ou sublétale. Conformément à la décision d'AMM, une seule application annuelle est autorisée.

Cinq ans après la première autorisation (2014), cette technique montre, elle aussi, des efficacités très variables sur le terrain. Si de bonnes efficacités sont obtenues dans certains espaces (notamment à Fréjus où elle a été pratiquée de manière massive à l'échelle de la communauté d'agglomération), on constate des mortalités importantes de palmiers injectés (pouvant aller jusqu'à 50 % sur un alignement) sans que l'on ait connaissance du ou des facteurs explicatifs : perturbation des flux de sève, conditions édapho-climatiques, distribution hétérogène, palmiers infestés avant l'application, etc. Cette technique est par ailleurs invasive et engendre des blessures dont on ne connaît pas l'évolution et l'impact sur le fonctionnement biologique du palmier à long terme.

À ce jour, les conséquences sur le palmier sont peu, voire non documentées. Deux types de blessures sont identifiés : celles à la périphérie du stipe (très rarement observées) et celles qui se situent dans les tissus du stipe (photos 3 et 4). Les seules blessures externes que nous avons pu observer correspondaient à des cavités nécrotiques se développant autour de chaque point d'injection. En revanche, il est très fréquent d'observer des nécroses de forme et de dimension très variables autour du tunnel d'injection.

Nos différentes observations sur des palmiers des Canaries de grande taille et injectés montrent que ces nécroses se situent en amont et en aval du tunnel d'injection. On constate une coloration des tissus parenchymateux, des noircissements des vaisseaux du xylème et des nécroses évolutives autour de la zone injectée. À ce jour, aucune étude n'a mis en évidence l'impact des injections sur le fonctionnement des flux de sève et sur l'évolution des blessures 10 ans, 15 ans, 20 ans et au-delà après l'injection. Au regard des blessures constatées dans les tissus du stipe, il apparaît prudent de limiter le nombre d'injections dans le temps et d'évaluer le risque selon le caractère patrimonial du palmier.

Les champignons entomopathogènes

Plusieurs champignons entomopathogènes ont été étudiés et montrent un pouvoir pathogène contre le CRP : Metarhizium anisopliae, Isaria fumosorosea, etc. Ce sont les Beauveria bassiana qui ont fait l'objet de recherches approfondies et de développement commercial. En France, deux souches sont distribuées contre le CRP : la souche 111 à la suite d'une décision d'AMM et la souche 203 par la voie d'AMM dérogatoires et provisoires. Dans leur étude d'évaluation de la pathogénicité de différentes souches de Beauveria bassiana, Ricaño et al. (2013) montrent que toutes les souches de B. bassiana étudiées présentent une pathogénicité contre le CRP, qu'elles se différencient par leur pouvoir pathogène et leur potentiel de fructification et que la souche 203 (provenant d'une souche isolée à Elche sur CRP) est celle qui s'est montrée la plus efficace et la plus « fructifère ». Larves et adultes peuvent contracter la maladie (photo 5).

À ce jour, nous ne disposons d'aucun test permettant de comparer les efficacités des deux souches commercialisées sur le territoire français, toutes deux ont pu montrer à travers des essais semi-field que leurs efficacités préventives se situaient au-delà de la référence chimique, l'imidaclopride. Les différentes études menées montrent que les souches de B. bassiana sont transportées par les charançons adultes. De ce fait, des efficacités sont constatées sur les palmiers se situant dans l'environnement proche de la parcelle traitée.

L'application des nématodes entomopathogènes

Plusieurs espèces de nématodes ont été testées et montrent un pouvoir pathogène sur le CRP. En Europe, c'est Steinernema carpocapsae qui est distribué et utilisé dans différentes spécialités commerciales. Comme toutes les autres techniques, ce nématode montre des efficacités (préventives et curatives) très variables : parfois insuffisantes, parfois satisfaisantes. Plusieurs exemples (comme celui de la commune de Mandelieu-la-Napoule) montrent qu'il est possible de protéger les palmiers des Canaries par des applications préventives de nématodes dans un contexte de forte pression parasitaire dans le domaine privé.

L'application combinée de champignons et de nématodes est l'une des pistes actuellement privilégiées par plusieurs collectivités territoriales.

Le piégeage de masse

Dans son avis en date du 26 octobre 2018, l'Anses précise que « la littérature démontre le potentiel de cette technique pour contrôler le CRP après 2 à 5 ans de campagne. L'efficacité du piégeage de masse est conditionnée par la capacité à faire évoluer rapidement la densité locale des pièges en fonction de l'évolution des foyers identifiés par les captures (micro-réseaux de piégeage dynamique), qu'ils soient confirmés ou non par détection de palmiers infestés, et en intégrant les résultats des autres actions de lutte menées (traitement insecticide, curetage, abattage) ». Dans la grande majorité des cas, un palmier infesté se trouve au voisinage (100 m) d'un piège qui capture. Le ratio de quatre à dix pièges/ha peut être valable pour une palmeraie ou un petit jardin privé mais doit être modulé à l'échelle d'une ville. En matière de piégeage de masse, l'approche la plus pragmatique est d'adapter le réseau de pièges en fonction de la densité de palmiers. Dans cette démarche, les travaux de Gigleux & Noui (2019) et les retours d'expériences en régions Corse et Paca (Castellana, 2019) mettent en évidence l'intérêt de disposer au sein d'une ville un réseau de pièges important (120 pièges pour 35 km² de zone urbaine avec 7 686 palmiers cartographiés) et de placer des spots « leurres » de pièges à l'extérieur des plantations de palmiers et de la ville dans l'objectif d'attirer les adultes migrateurs à l'extérieur. En 2019, la solution XP19 Attract rhyncho dispose d'une AMM dérogatoire permettant son utilisation dans le cadre du piégeage de masse.

Quelles stratégies adopter ?

Aujourd'hui, le gestionnaire d'espaces verts ou de jardin dispose de différents outils permettant de surveiller et d'engager la lutte à l'échelle d'un jardin ou d'un territoire. Toutes les méthodes de lutte peuvent être associées et adaptées à différentes situations. Le gestionnaire aura donc tout intérêt à combiner les méthodes entre elles (car toutes présentent des avantages) en y associant l'utilisation de pièges olfactifs telle que le recommande l'Anses. Actuellement, nous ne disposons d'aucune étude pour évaluer quelle sera la combinaison la plus efficace dans les différentes situations réglementaires et de pression parasitaire.

Dans cette situation, l'approche empirique s'impose sachant que toute décision est associée à un coût et à un temps de travail... pas toujours possibles ou souhaités par le décideur. Les expériences positives dans la gestion du CRP montrent que la réussite dans la lutte contre ce ravageur est fortement liée aux moyens humains et financiers dégagés. En d'autres termes, il faut se donner les moyens correspondant à la situation sanitaire et disposer d'un coordinateur territorial (État, commune, autres) expérimenté pour suivre et coordonner les actions des différents acteurs du territoire ou intervenant dans le jardin.

Pour les établissements de vente et de revente de palmiers, la question de la protection des palmiers la plus efficace reste, pour notre part, sans réponse. À la lecture de la bibliographie, les traitements chimiques systémiques seraient certainement les plus appropriés et les plus efficaces pour éviter la dissémination de l'insecte.

Enfin, un autre problème qui reste actuellement en suspens est celui de l'action combinée exercée par le papillon palmivore et le CRP qui oblige à avoir une approche globale en matière de protection des palmiers.

RÉSUMÉ

< CONTEXTE - Détecté pour la première fois en France en 2006, le charançon rouge du palmier est désormais largement disséminé en Paca, en Occitanie, en Corse, ainsi que dans la plupart des régions de la zone menacée. Si la décision européenne qui prévoyait des mesures d'urgence pour éviter son introduction et sa propagation a été abrogée le 1er octobre 2018, les autorités françaises ont souhaité maintenir la lutte obligatoire sur le territoire.

LUTTE INTÉGRÉE - Cet article fait le point sur la situation dans l'esprit de la stratégie de lutte intégrée préconisée contre le CRP par la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et relayée par l'Anses.

MOTS-CLÉS - Charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus, Beauveria bassiana, détecteurs sismiques, pièges olfactifs, benzoate d'émamectine, Steinernema carpocapsae, piégeage de masse, arrêté du 25 juin 2019.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : eric.chapin@cosave.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Anses, 2018, Avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relatif aux « stratégies de lutte contre le charançon rouge du palmier », saisine n° « 2017-SA-0137 ».

- Castellana R., Pietra H., Gigleux C., 2019, Bonnes pratiques de piégeage à destination des collectivités territoriales.

- Tabone É., Castellana R., Pietra H., 2019, Les ravageurs émergents des palmiers Rhynchophorus et Paysandisia aux portes du Maghreb, retours d'expériences sur la lutte en cours sur la Riviera franco-italienne et perspectives, onzième congrès de l'Association marocaine de protection des plantes, 26-27 mars 2019, Rabat, Maroc.

- Gigleux C, Noui A. A., 2018, Le monitoring du charançon rouge de palmier Rhynchophorus ferrugineus en milieu urbain : La ville d'Ajaccio, France, onzième congrès de l'Association marocaine de protection des plantes, 26-27 mars 2019, Rabat, Maroc.

- Ricaño J. et al., 2013, Evaluation of the Pathogenicity of Multiple Isolates of Beauveria bassiana (Hypocreales : Clavicipitaceae) on Rhynchophorus ferrugineus (Coleoptera : Dryophthoridae) for the Assessment of a Solid Formulation Under Simulated Field Conditions Florida Entomologist, 96 (4) : 1311-1324.

- Roberti A., André N., Bodendorfer J., Colas C., Vidal C., 2013, 2006-2012, Évolution des foyers de charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus dans les trois régions contaminées : Corse, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur, Colloque méditerranéen sur les ravageurs des palmiers, AFPP, Nice, 16-18 janvier 2013.

- Rochat et al., 2017, Rhynchophorus ferrugineus : taxonomy, distribution, biology and life cycle, Handbook of Major Palm Pest : biology and Management, 316, 69-130, Ed Wiley.

- Soroker et al., 2017, Surveillance techniques and detection methods for Rhynchophorus ferrugineus and Paysandisia archon, Handbook of Major Palm Pest : biology and Management, 316, 209-232, Ed Wiley.

Cet article fait partie du dossier Jardins, espaces verts, forêts une lutte sans frontière

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