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Bioagresseurs

Chancre de l'abricotier diversité bactérienne en verger

LUCIANA PARISI*, LAURENT BRUN**, ODILE BERGE*, BENOÎT BORSCHINGER*, CHRISTELLE LACROIX*, CHARLOTTE CHANDEYSSON*, JEAN-FRANÇOIS BOURGEAY*, CAROLINE GUILBAUD*, CHRISTOPHE GROS**, FREDDY COMBE**, BÉNÉDICTE MORGAINT*, BENJAMIN HAIM*, BENOÎT CHAUVIN-BUTHAUD*** - Phytoma - n°727 - octobre 2019 - page 42

L'abondance et la diversité des populations bactériennes ont été explorées dans différents réservoirs en verger d'abricotier afin d'élucider leur rôle dans la maladie du chancre bactérien.
Symptômes de chancre bactérien sur tronc et branches d'abricotier.

Symptômes de chancre bactérien sur tronc et branches d'abricotier.

 Photos : L. Parisi - Inra Avignon

Photos : L. Parisi - Inra Avignon

Fig. 1 : Diversité des bactéries du groupe Pseudomonas syringae classées en treize philogroupes (Berge et al., 2014) et bactéries pathogènes sur les Prunus (pour les bactéries pathogènes de l'abricotier, voir le texte)      Les valeurs du Boostrap au niveau des branches de l'arbre représentent leur robustesse. Toutes les branches qui ont une valeur supérieure à 50 % sont assez fiables et on fait apparaître cette valeur sur l'arbre. Quand la valeur du Bootstrap est inférieure à 50 %, la valeur n'apparaît pas et on considère ces branches comme peu robustes.

Fig. 1 : Diversité des bactéries du groupe Pseudomonas syringae classées en treize philogroupes (Berge et al., 2014) et bactéries pathogènes sur les Prunus (pour les bactéries pathogènes de l'abricotier, voir le texte) Les valeurs du Boostrap au niveau des branches de l'arbre représentent leur robustesse. Toutes les branches qui ont une valeur supérieure à 50 % sont assez fiables et on fait apparaître cette valeur sur l'arbre. Quand la valeur du Bootstrap est inférieure à 50 %, la valeur n'apparaît pas et on considère ces branches comme peu robustes.

Fig. 2 : Bactéries totales et du Ce-Psyringae dans les différents réservoirs      CFU : unités formant colonies, soit le nombre de colonies sur milieu de culture.

Fig. 2 : Bactéries totales et du Ce-Psyringae dans les différents réservoirs CFU : unités formant colonies, soit le nombre de colonies sur milieu de culture.

Fig. 3 : Répartition (%) des isolats dans les différents phylogroupes (PG) du Ce-Psyringae en fonction de leur origine (UERI de Gotheron)      Nombre d'isolats : terre = 94, débris de culture = 184, racines = 6, tiges =102, symptômes = 530, eau d'irrigation = 38.

Fig. 3 : Répartition (%) des isolats dans les différents phylogroupes (PG) du Ce-Psyringae en fonction de leur origine (UERI de Gotheron) Nombre d'isolats : terre = 94, débris de culture = 184, racines = 6, tiges =102, symptômes = 530, eau d'irrigation = 38.

Fig. 4 : Structure des populations des bactéries du Ce-Psyringae dans le couvre-sol      Prélèvement et analyse du couvre-sol au pied de neuf arbres des vergers P2 (Baronnies) et P3 (Larnage). Ordonnée : log CFU par gramme de matière fraîche. Mars 2014, thèse B. Borschinger.

Fig. 4 : Structure des populations des bactéries du Ce-Psyringae dans le couvre-sol Prélèvement et analyse du couvre-sol au pied de neuf arbres des vergers P2 (Baronnies) et P3 (Larnage). Ordonnée : log CFU par gramme de matière fraîche. Mars 2014, thèse B. Borschinger.

Fig. 5 : Comparaison des populations des bactéries du Ce-Psyringae dans les bourgeons et dans le couvre-sol du verger P3      Comparaison des populations de bactéries contenues dans les bourgeons échantillonnés sur neuf arbres du verger P3 avec celles du couvre-sol au pied de ces mêmes arbres. Ordonnée : log CFU par gramme de matière fraîche. Mars 2014, thèse B. Borschinger.

Fig. 5 : Comparaison des populations des bactéries du Ce-Psyringae dans les bourgeons et dans le couvre-sol du verger P3 Comparaison des populations de bactéries contenues dans les bourgeons échantillonnés sur neuf arbres du verger P3 avec celles du couvre-sol au pied de ces mêmes arbres. Ordonnée : log CFU par gramme de matière fraîche. Mars 2014, thèse B. Borschinger.

Fig. 6 : Structure des populations du Ce-Psyringae dans la litière foliaire des vergers P1 et P2

Fig. 6 : Structure des populations du Ce-Psyringae dans la litière foliaire des vergers P1 et P2

Le chancre bactérien est une des principales maladies de l'abricotier. C'est une maladie endémique qui provoque, certaines années, de fortes mortalités en jeunes vergers, mais aussi des mortalités récurrentes au fil des années dans des vergers d'abricotiers plus âgés. Les premiers dégâts graves et caractéristiques d'infections bactériennes en vergers d'abricotiers ont été observés entre 1967 et 1973 (Edin et al., 2000).

La bactériose de l'abricotier, un frein à sa culture

Quatre attaques depuis les années 1990

Depuis la fin des années 1990, quatre épisodes de contamination se sont succédé avec de fortes attaques engendrant la mort de plusieurs milliers d'arbres, et la bactériose de l'abricotier a pris de l'importance dans les zones de développement de la culture d'abricotier (Lichou et Jay, 2012). Cette maladie constitue un réel frein à la culture de l'abricotier dans certaines régions exposées à la maladie, comme la région historique Rhône-Alpes, qui représentait 58 % de la production française en 2017.

Un complexe d'espèces de Pseudomonas syringae

La maladie est causée par des bactéries du groupe Pseudomonas syringae, un complexe d'espèces bactériennes que nous appellerons Ce-Psyringae (Berge et al., 2014). Ce complexe comporte actuellement treize groupes phylogénétiques principaux ou phylogroupes (PG 01 à 13) subdivisés en vingt-trois sous-groupes, nommés clades (Figure 1). Ce-Psyringae présente une grande diversité bactérienne : il comprend différentes espèces de bactéries et aussi de nombreux pathovars, dont certains ont une gamme d'hôte assez large. Par exemple, le pathovar syringae (P. syringae pv syringae) a été décrit sur une soixantaine d'espèces végétales. Jusqu'à présent, si quatre membres de ce complexe avaient été décrits comme pathogènes sur Prunus (Figure 1), seulement deux pathovars avaient été formellement décrits comme pathogènes sur abricotier : P. syringae pv syringae appartenant au PG 02 et P. syringae pv morsprunorum appartenant au PG 3. Notre équipe a récemment montré que des bactéries d'au moins quatre PG différents peuvent être pathogènes sur abricotier ; aux deux pathovars cités, il faut rajouter P. viridiflava appartenant au PG 07 et des bactéries du PG 01 (Parisi et al., 2019 - Figure 1).

Une diversité de réservoirs de bactéries

Des populations pathogènes des plantes et d'autres non

La grande majorité de la diversité des bactéries du Ce-Psyringae se trouve dans des réservoirs environnementaux, comme les réseaux hydrographiques d'eau douce, les prairies, les litières. Ces réservoirs hébergent des populations qui peuvent être denses et particulièrement diverses (Morris et al., 2008). Les souches du Ce-Psyringae trouvées dans ces substrats environnementaux ont des pouvoirs pathogènes très variés vis-à-vis des plantes cultivées (Monteil et al., 2013) mais une partie de cette métapopulation n'est pas pathogène du fait de l'absence naturelle du système de sécrétion des facteurs de virulence (Berge et al., 2014). Ainsi, le Ce-Psyringae comprend des PG qui regroupent surtout des bactéries de l'environnement et d'autres des bactéries potentiellement pathogènes des plantes (Figure 1). Au niveau du verger, on peut penser que les couvre-sols et la litière, ainsi que les eaux d'irrigation et le sol (Riffaud et al., 2002) sont des sources d'inoculum potentielles de bactéries du Ce-Psyringae mais peu de choses sont connues sur leur importance relative dans la dispersion des populations de ces bactéries.

De la surface des feuillesà l'intérieur des tissus

Lorsque des bactéries du Ce-Psyringae sont en association avec des plantes, leur cycle comporte une phase épiphyte, au cours de laquelle elles sont présentes à la surface du végétal (feuilles en particulier), sans déclencher forcément la maladie (Bordjiba et Prunier, 1991). Par ailleurs, certaines bactéries du Ce-Psyringae ont un pouvoir glaçogène, c'est-à-dire qu'elles peuvent provoquer la prise en glace de l'eau à des températures très proches de 0 °C. Si elles sont présentes dans les tissus de la plante, les dégâts de gel se déclencheront à des températures de -2 à -3 °C (au lieu de -7 °C) et seront plus importants qu'en absence de ces bactéries. Les phénomènes de gel et dégel successifs favorisent la pénétration et la progression des bactéries dans les tissus de la plante (Vigouroux, 1989).

Conservation des bactéries et origine des contaminations

La quantité, la qualité de l'inoculum présent sur le végétal ainsi que l'exposition au froid semblent influer fortement sur la survenue de l'infection (Gaignard et Luisetti, 1993). Les bactéries du Ce-Psyringae pénètrent dans le végétal par les lésions naturelles et les blessures (taille, grêle, gelées). Au niveau de la conservation des bactéries et de l'origine des contaminations, il n'y a pas de certitude en ce qui concerne l'abricotier. L'hypothèse d'une conservation dans les bourgeons pendant la phase épiphyte a été explorée. En effet, des cellules bactériennes peuvent se trouver enfermées à l'intérieur des bourgeons lors de leur formation en été puis, à l'occasion des gelées hivernales, faire prendre en glace (effet glaçogène) les tissus du bourgeon, et pénétrer dans les tissus internes lors de la décongélation (Prunier et al., 2005).

À partir de ces portes d'entrée hivernales (bourgeons nécrosés), au printemps suivant, les bactéries envahissent le végétal, ce qui provoque des dessèchements complets de branches, et même parfois des flétrissements d'arbres entiers (nécroses des tissus étendues au niveau des troncs). À la fin du printemps, la formation de chancres plus ou moins étendus peut être observée sur les branches et les troncs atteints (photos 1 et 2). Toutefois, il est rapporté qu'une faible proportion de rameaux porterait des bourgeons contaminés (1 à 2 %) en entrée d'hiver et d'autres moyens de conservation et dissémination existent probablement (dans la plante par exemple).

Au printemps, d'autres symptômes associés à des contaminations par des bactéries du Ce-Psyringae peuvent être observés. Il s'agit de criblures sur feuilles et de taches liégeuses sur fruits qui peuvent déprécier la récolte. Ces contaminations ne sont pas à l'origine de vascularisation de la bactérie et ne provoquent pas de mortalités de branches et d'arbres.

Quel lien entre les différentes populations et la maladie ?

Au cours du travail rapporté ci-dessous, nous avons exploré la diversité des populations bactériennes des réservoirs potentiels du Ce-Psyringae en vergers d'abricotiers : quels sont ces réservoirs, quelles populations contiennent-ils ? Quel rôle jouent-ils dans l'apparition de la maladie ? Existe-t-il un lien entre les populations des arbres et celles des réservoirs ? Il est important de le savoir, car la lutte contre la maladie repose principalement sur des mesures culturales et prophylactiques, visant à défavoriser son apparition et ses épidémies. Il est donc essentiel de savoir quelles mesures prendre pour diminuer l'impact de ces réservoirs.

Les réservoirs suivants ont été explorés : le sol du verger, les débris de culture (avant plantation du verger), la plante au moment de la plantation (greffon et racines du porte-greffe), le couvre-sol (enherbement du verger), la litière foliaire, l'eau d'irrigation.

Recherche de bactéries du Ce-Psyringae à la plantation

Étude en verger expérimental (UERI de Gotheron)

La recherche de la présence de bactéries du Ce-Psyringae a été menée lors de la plantation d'un verger expérimental du projet CaPRed : « Cerisiers, abricotiers, pruniers - réduction des intrants et durabilité », financé par Écophyto Dephy Expé (2013-2018). Les objectifs de ce projet et les premiers résultats obtenus ont été décrits dans Phytoma n° 720 en janvier 2019 (Brun et al., 2019). Le sol, les débris de culture, ainsi que les plants - greffons asymptomatiques et racines du porte-greffe - ont été analysés (le porte-greffe n'a pas pu l'être dans cette phase du travail, car cette analyse est destructive pour la plante). À l'Unité expérimentale de recherches intégrées de Gotheron, des prélèvements sur abricotiers malades ont eu lieu dans d'autres parcelles que le verger CaPRed, et les bactéries ont été quantifiées et caractérisées à partir des prélèvements sur ces arbres symptomatiques, à titre de comparaison avec celles trouvées dans les réservoirs. L'eau d'irrigation des vergers de l'UERI, provenant du canal de la Bourne et de l'Isère, a été analysée avec plusieurs prélèvements au cours du temps.

Comptage et identification

Sur les différents types d'échantillons prélevés, le comptage des bactéries cultivables présentes a été réalisé par la méthode de dilution-étalement. Après broyage des tissus végétaux et suspension des échantillons de terre dans un tampon phosphate, différentes dilutions sont étalées sur un milieu non sélectif permettant la croissance des bactéries totales, et sur un milieu sélectif pour les bactéries du Ce-Psyringae. Puis trente colonies bactériennes morphologiquement semblables à P. syringae (Psy-like) sont isolées à partir du milieu sélectif, et leur appartenance au Ce-Psyringae ainsi que leur PG sont déterminés par PCR (Guilbaud et al., 2016 ; Borchinger et al., 2016).

En ce qui concerne les plants issus de pépinières, nous avons simplement isolé les bactéries sans quantifier leur abondance : un tronçon de tige ou de racine est posé sur le milieu sélectif après désinfection ; les bactéries qui se développent sont isolées et testées par PCR comme celles obtenues par dilution-étalement. Pour l'eau d'irrigation, les prélèvements d'eau sont filtrés, et les bactéries retenues sur le filtre sont remises en suspension dans un peu d'eau, puis traitées par la méthode de dilution-étalement, comme décrit ci-dessus.

Une majorité d'arbres porteurs de bactéries du Ce-Psyringae

Les résultats obtenus montrent que le sol et les débris de culture d'orge (précédent cultural) du vergerCapREd abritent des populations du Ce-Psyringae de taille significative, comparativement aux bactéries détectées dans les plantes malades des autres parcelles du domaine (Figure 2). En ce qui concerne les plants d'abricotiers à la plantation, sur les racines, seul 1,75 % des 344 isolats obtenus appartenait au Ce-Psyringae, ce qui indique une faible occurrence dans ce compartiment, contrairement aux greffons, pour lesquels 72 % des 144 isolats appartenaient aux PG 02 et PG 01 du Ce-Psyringae. Le Tableau 1 montre les résultats de l'analyse des 70 tiges de greffons asymptomatiques analysées. Toutes variétés confondues, 60 % des arbres analysés portent des bactéries du Ce-Psyringae.

Une faible présence dans l'eau d'irrigation

Dans l'eau d'irrigation, bien que le niveau de populations bactériennes cultivables soit habituel (environ 106 bactéries/l), les bactéries du Ce-Psyringae ne sont détectées que cinq fois sur les seize échantillons analysés (31 %), ce qui est peu comparé aux rivières, où elles sont présentes dans 95 à 100 % des échantillons. De plus, quand elles sont détectées, leur abondance dans l'eau d'irrigation (10 à 200 bactéries/l) est dans la fourchette basse de ce qui est habituellement mesuré dans les rivières (autour de 1 000 bactéries/l). L'eau d'irrigation de Gotheron semble contenir peu de bactéries du Ce-Psyringae. On constate que les bactéries du Ce-Psyringae de l'eau d'irrigation ont une diversité spécifique (PG 09, autres PG) et que le PG 02 est dominant.

Phylogroupes 02 et 07 communs aux différents réservoirs

Le sol et les débris de culture contiennent surtout des bactéries appartenant aux PG 02 et PG 07, tandis que les greffons asymptomatiques hébergent des bactéries du PG 02 (majoritaire), du PG01 et dans une moindre mesure du PG 07 (Figure 3). On peut comparer ces populations à celles des arbres malades sur le même site ; on constate qu'à l'UERI de Gotheron les arbres symptomatiques sont majoritairement associés à des bactéries du PG 01, puis du PG 02 et, dans une moindre mesure, des PG 03 et PG 07. Les PG 02 et PG 07 sont trouvés en commun dans l'eau et les autres réservoirs.

Réservoirs potentiels de la bactérie en culture : couvre-sol, litière, eau

Étude en vergers commerciaux de la Drôme

Pour la recherche de bactéries en culture, nous avons travaillé dans trois vergers commerciaux (Tableau 2). Ces trois vergers de la variété 'Bergeron' étaient touchés par la maladie à différents niveaux. Si le verger de Larnage (P3) était le plus atteint au niveau du symptôme « charpentières malades », il l'était moins au niveau du rendement (d'après l'arboriculteur et le conseiller agricole, nous ne disposons pas de données chiffrées de rendement) et au niveau du remplacement des arbres malades (Tableau 2). Pour ce dernier critère, le verger 2 (P2) des Baronnies était le plus touché. Les Baronnies sont un bassin de production où les conditions pédoclimatiques sont plus favorables à la maladie que sur le plateau de Larnage. Nous avons étudié le couvre-sol dans les deux vergers enherbés (P2 et P3). La litière a été analysée dans les deux vergers des Baronnies (P1 et P2), ainsi que l'eau d'irrigation qui, dans ce cas, provenait d'un bassin de rétention.

Couvre-sol : des populations variables d'un arbre à l'autre

Les résultats acquis (Figure 4) montrent qu'au niveau des neuf points de prélèvement du couvre-sol (correspondant à neuf arbres), les structures et quantités des populations du Ce-Psyringae sont différentes d'un verger à l'autre et peuvent l'être aussi d'un arbre à l'autre. Ainsi, globalement, les populations sont plus abondantes dans le verger P2 que dans le P3, avec une majorité de PG 02. Dans le verger P3, il y a une plus grande variabilité d'un arbre à l'autre (dont une absence de bactéries du Ce-Psyringae dans deux cas sur neuf), avec les PG 01, 02 et 07 majoritaires suivant l'arbre analysé. Le PG 13, qui ne contient pas, a priori, de bactéries pathogènes, est présent dans le verger P2 mais pas dans le P3. Dans ce dernier, nous avons comparé aux neuf points de prélèvements les populations du couvre-sol à celles des bourgeons de l'arbre correspondant (Figure 5) : nous avons analysé les bourgeons pour la population totale de bactéries du Ce-Psyringae (épiphyte et endophyte). Contrairement à ce qui est observé au niveau du couvre-sol, le PG 01 est le plus abondant au niveau des bourgeons, quelles que soient les populations du Ce-Psyringae au pied de l'arbre.

Litière et eau d'irrigation

Dans la litière foliaire tombée au sol et analysée en novembre 2014 et février 2015, on trouve des populations bactériennes (totales et de Ce-Psyringae) abondantes (Tableau 3). On constate une prédominance des PG 01 et 02 dans la litière ; le pourcentage de PG 02 augmente dans les deux vergers au cours de l'hiver (Figure 6).

L'analyse de l'eau d'irrigation du verger P2 a montré que les bactéries totales dans le bassin de rétention sont en moyenne de 4,1 106 bactéries/l, niveau comparable à celui des rivières. Des bactéries du Ce-Psyringae sont détectées dans 100 % des échantillons, avec une moyenne de 400 P. syringae/l (variation de 200 à 4 200). Ce niveau est comparable à celui des rivières, autour de 1 000 bactéries/l. Globalement, les bactéries totales et les P. syringae ont la même abondance dans le bassin et à la sortie du tuyau d'irrigation, avec des variations saisonnières. En avril et mai 2014, la comparaison des empreintes génétiques des souches de P. syringae isolées sur des jeunes arbres malades (verger P2) avec celles des souches issues du bassin de rétention montre que dans l'eau d'irrigation à ces deux dates, 35 % des P. syringae sont des souches trouvées dominantes sur jeunes arbres malades (même empreinte génétique) et appartenant au PG 02.

Les effets des différents réservoirs de bactéries

Une présence constante du Ce-Psyringae

Parmi les différents réservoirs potentiels explorés au cours de cette étude, la terre, les débris de culture (avant plantation du verger), la plante (greffon), le couvre-sol (enherbement du verger), la litière foliaire et l'eau d'irrigation contiennent des populations du Ce-Psyringae parfois abondantes. Ces populations diffèrent d'un réservoir à l'autre et d'un verger à l'autre, mais leur présence paraît constante au cours de notre étude. Elles appartiennent majoritairement aux PG 01, 02 et 07 potentiellement pathogènes sur abricotier.

Adaptation des phylogroupes aux réservoirs

Si la présence de bactéries du groupe P. syringae dans la litière et les couvre-sols n'est pas surprenante par rapport aux connaissances déjà acquises sur la bactérie (Monteil et al., 2013), leur abondance et l'appartenance à des PG potentiellement pathogènes doit nous alerter sur le rôle effectif de réservoirs de la maladie que peuvent jouer ces compartiments du verger. Cependant, cette étude ne permet pas de savoir quels sont les échanges de populations entre compartiments, comme par exemple entre les arbres et le couvre-sol ; nous avons montré que ces populations peuvent être différentes.

Il y a sans doute des adaptations spécifiques de chaque PG à un mode de vie (à un réservoir). Par exemple, le PG 02 est abondant dans les débris de culture, le couvre-sol, la litière et l'eau, son caractère ubiquiste est connu. Mais il contient aussi des bactéries fortement pathogènes (P. syringae pv syringae) et est prédominant dans les tiges d'abricotier asymptomatiques à la plantation. Le PG 01 est trouvé plutôt sur les plantes, et majoritaire dans les symptômes déclarés à Gotheron, mais est aussi abondant dans le couvre-sol du verger P3. Le PG 07 (P. viridiflava) est trouvé abondamment dans la terre et les débris de culture, mais aussi parfois sur les arbres où nous savons qu'il peut être pathogène. P. syringae n'est pas une bactérie connue pour sa survie dans le sol, son abondance dans la terre avant plantation du verger dans cette étude est probablement liée à l'abondance de résidus de culture (orge), connus pour pouvoir porter d'importantes populations de la bactérie. Nous pouvons remarquer l'absence de détection du PG 03 dans les différents compartiments, sauf dans les symptômes déclarés à Gotheron. Il est probable que ce PG soit plutôt inféodé à la plante-hôte.

Rôle de l'eau d'irrigation

Concernant l'eau d'irrigation, nous avons montré deux situations contrastées. À Gotheron, l'eau d'irrigation paraît peu chargée en bactéries, tandis que l'eau d'irrigation provenant d'un bassin d'irrigation dans les Baronnies contient des populations bactériennes non négligeables et des souches communes avec celles trouvées sur les arbres malades.

Cependant, il est difficile de savoir si l'eau est une source de contamination initiale ou si elle se charge au cours du temps des bactéries provenant des vergers avoisinants par ruissellement. Il est donc difficile de tirer des conclusions définitives concernant le rôle de l'eau dans les contaminations effectives, comme dans le cas du couvre-sol. On peut cependant remarquer que le verger P1 (non enherbé et non irrigué) est moins touché par la maladie que le verger P2 (enherbé et irrigué), alors qu'ils sont très proches.

Le greffon, un réservoir potentiel de maladie

La présence de P. syringae endogènes dans les tiges des greffons à la plantation a été une surprise, bien que cette voie de propagation du chancre bactérien ait déjà été mise en évidence sur le cerisier (Lyskanoska, 1979). La plante (greffon et porte-greffe) comme réservoir potentiel de la maladie est actuellement étudiée dans le cadre de ChaBAbri (Identification et hiérarchisation des facteurs biotiques de risque « Chancre bactérien » en verger d'abricotiers, coordination : Luciana Parisi et Cindy Morris) un projet financé par Écophyto 2, auquel collaborent l'Inra, le Centre expérimentation pépinières, syndicat de pépiniéristes fruitiers affilié à la Fédération nationale de producteurs de l'horticulture et des pépinières, dont le siège est à Lyon, et trois pépiniéristes, pour une durée de trois ans (2018-2020).

Perspectives

Quelle est l'importance relative de chaque réservoir mis en évidence dans cette étude dans le déclenchement et déroulement des épidémies de chancre bactérien de l'abricotier ? Nous ne connaissons pas la réponse, qui est pourtant cruciale. C'est cette question qu'il va falloir aborder dans les travaux futurs, pour pouvoir envisager une lutte efficace, qui permettrait de réduire les populations dans ces réservoirs par des pratiques culturales adaptées.

Voici quelques propositions de démarches expérimentales qui pourraient être envisagées :

- litière foliaire ; réduction de la litière foliaire dans les vergers comme dans le cas de la tavelure du pommier (ramassage, broyage, enfouissement) ; un bénéfice de cette pratique est attendu aussi pour la rouille de l'abricotier ;

- débris de culture à la plantation ; confirmer leur rôle et préconiser leur élimination/broyage ;

- eau d'irrigation ; arrosage par aspersion ou goutte à goutte d'arbres avec de l'eau contaminée, pour montrer la possibilité d'une contamination par cette voie.

Quelles que soient les options choisies, il ne faut pas oublier qu'il n'existe pas de méthode permettant un contrôle complet du chancre bactérien, et que les différentes méthodes de lutte disponibles sont à efficacité partielle et devront se compléter pour diminuer le risque « chancre bactérien » au verger.

REMERCIEMENTS Les auteurs remercient Émilie Neraudeau pour son aide au choix du verger de Larnage, et les arboriculteurs qui ont soutenu ce projet et permis les différents prélèvements dans leurs vergers.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le chancre bactérien de l'abricotier est causé par plusieurs bactéries du complexe d'espèces Pseudomonas syringae. Ces bactéries peuvent vivre dans des milieux très divers (prairies, litières, eaux douces). En verger, des réservoirs de bactéries potentiellement pathogènes peuvent jouer un rôle dans le déclenchement des épidémies de la maladie. Il est important de connaître ces réservoirs et leur rôle pour lutter contre la maladie par des méthodes culturales et prophylactiques visant à réduire les populations des bactéries de ce complexe d'espèces.

ÉTUDE - L'abondance et la diversité des populations bactériennes du complexe d'espèces P. syringae ont été explorées dans les réservoirs potentiels suivants : sol du verger, débris de culture (avant plantation du verger), plante au moment de la plantation (greffon et racines du porte-greffe), couvre-sol (enherbement du verger), litière foliaire, eau d'irrigation.

RÉSULTATS - Le sol et les débris de culture (avant plantation du verger), la plante (greffon), le couvre-sol (enherbement du verger), la litière foliaire et l'eau d'irrigation contiennent des populations du complexe P. syringae parfois abondantes. Ces populations sont différentes d'un réservoir à l'autre et d'un verger à l'autre, mais leur présence est constante. Elles appartiennent majoritairement aux phylogroupes 01, 02 et 07 (PG 01, 02 et 07) du complexe d'espèces et sont potentiellement pathogènes sur abricotier. Si le rôle des populations bactériennes de ces réservoirs dans le déroulement des épidémies n'est pas complètement élucidé, des pistes pour confirmer ce rôle et diminuer l'impact de ces réservoirs sont proposées, pour réduire le risque « chancre bactérien » en verger d'abricotier.

MOTS-CLÉS - Vergers d'abricotiers, chancre bactérien, complexe d'espèces Pseudomonas syringae, réservoirs bactériens, prophylaxie.

Définitions

Phylogroupe : groupe issu de la classification phylogénétique, c'est-à-dire du système de classification des êtres vivants qui repose sur la phylogénie (qui rend compte des relations de parenté). Synonyme : groupe phylogénétique.

Pathovar : souche ou un ensemble de souches ayant des caractéristiques similaires, différenciées d'autres souches de la même espèce ou sous-espèce sur la base de son pouvoir pathogène à l'égard d'une ou plusieurs plantes-hôtes.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : luciana.parisi@inra.fr

laurent.brun@inra.fr ; odile.berge@inra.fr

LIENS UTILES : https://www6.paca.inra.fr/pathologie_vegetale/ ; https://www6.paca.inra.fr/ueri/

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article est disponible auprès de ses auteurs.

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