2a, larve âgée de Cryptoblabes gnidiella (foncée, poilue, deux bandes noires de chaque côté du thorax, 12-15 mm de long). 2b, larve d'eudémis. 2c, jeune larve de C. gnidiella (la confusion avec l'eudémis est ici possible). Photos : C. Cassarini
3a à c, dégâts de Cryptoblabes gnidiella en vignoble de Costières de Nîmes. 3a en 2019, 3b en 2018. Les pourritures s'installent sur les grappes desséchées par la pyrale.
Voilà plusieurs décennies que la pyrale Cryptoblabes gnidiella est présente sur les vignobles proches de la mer Méditerranée. Confondue avec l'eudémis (Tortricidae), elle était surnommée la « quatrième génération ». Depuis plusieurs années, la chenille cause des pertes importantes dans certains vignobles méditerranéens.
Cryptoblabes et eudémis : à ne pas confondre
Des chenilles âgées différenciables
Au début du stade larvaire, la confusion est certes possible entre Cryptoblabes et eudémis, mais sur larves plus âgées (stades L1 et L2), un néophyte peut faire la différence sans difficulté : la larve de C. gnidiella est beaucoup plus foncée que celle de l'eudémis Lobesia botrana, très poilue avec deux bandes noires de chaque côté du thorax, et elle est beaucoup plus grosse dans les derniers stades larvaires (12-15 mm contre moins de 10 mm pour l'eudémis) (photos 1 et 2). Une autre différence existe entre les deux ravageurs. Les oeufs de C. gnidiella ne sont pas observables, car la femelle pond sur la rafle à l'intérieur des grappes (l'eudémis pond sur les faces extérieures des grains). La proportion de ponte est donc imprévisible.
Des échecs de traitement dus à la confusion
Identifiée officiellement pour la première fois en 1999 par Michel Blanc, de l'Institut français de la vigne et du vin (IFV), cette chenille avait causé de gros dégâts, attribués à des échecs de traitement de la troisième génération d'eudémis dans la zone des Costières de Nîmes. L'insecticide employé à cette époque était un produit à base de flufénoxuron, une substance active inefficace sur pyralidés.
Des dégâts dans les vignobles du Sud
Gard, Pyrénées-Orientales, Hérault, Corse et Var
Depuis plusieurs années, C. gnidiella cause des pertes de récoltes importantes dans le Gard, dans l'appellation Costières de Nîmes et dans les Côtes du Rhône sud (Remoulins, Montfrin, Comps) et, dans une moindre mesure, dans la zone des vins des sables (Golfe du Lion) car les vendanges sont réalisées tôt avant que les dégâts ne surviennent. Les départements voisins ne sont pas épargnés, la pyrale posant de sérieux problèmes dans les vignobles des Pyrénées-Orientales, de l'Hérault, de Corse et du Var.
Grappes desséchées et pourritures
Les dégâts sont spectaculaires. En quelques jours, les grappes se vident de leur jus, et si l'année est humide, tout un cortège de pourritures s'installe alors : botrytis, pourriture acide, voire Penicillium et Aspergillus avec pour conséquence des contaminations à l'ochratoxine (photos 3 a et b). Avec l'absence d'hivers rigoureux depuis plusieurs années, le ravageur est en recrudescence. En effet, cette pyrale supporte mal les températures négatives sur une durée moyenne à longue (plus de deux semaines). Sans trop s'avancer, il est possible d'attribuer en partie son expansion au réchauffement climatique.
Dynamiques de vols
Le nombre de générations de C. gnidiella dépend du climat et des plantes-hôtes (plus de 80). Il peut aller jusqu'à sept dans la bibliographie. Les générations peuvent changer de plantes-hôtes selon la nourriture disponible, ce qui complique les méthodes de lutte comme la confusion.
Dans la zone des Costières de Nîmes, avec le microclimat chaud au sol dû aux galets qui font office de surface réfractaire ou avec les sables sombres de la zone d'Aigues-Mortes, le nombre de générations est au moins de cinq, de mai à octobre (Figures 1 et 2). Les différentes générations reviennent pondre toujours aux mêmes endroits. Certains foyers dans les grappes comportent tous les stades larvaires jusqu'au stade chrysalide, et on dénombre parfois plus de trente chenilles par grappe.
Sous notre climat, cette espèce a trois à quatre périodes d'activité de vol : mai à juin, juillet et août à octobre. Son seuil de température est de 13 °C. Une génération nécessite un cumul 455 degrés-jour (base 0 °C). La température optimale est de 25 à 30 °C, avec 65 à 67 % d'humidité relative, ce qui peut expliquer la forte recrudescence de C. gnidiella en 2018, année marquée par un printemps et un été chauds et humides. En revanche, 2019 est marquée par la canicule et l'absence d'humidité, ce qui peut expliquer le faible niveau de population et de dégâts dans le Gard et l'Hérault. L'hivernation se passe soit au stade larvaire ou au stade de pupe dans les momies de grappes restées dans les souches (photos 8 et 9). Les larves sont très résistantes à l'humidité, elles sont peu parasitées par des champignons comme peut l'être eudémis, les survivantes reprendront leurs cycles au printemps suivant.
Les méthodes de lutte
Les insecticides et les toxines de Bacillus
Comment positionner un insecticide alors que les pontes ne sont pas visibles ? Pour le moment, le piégeage sexuel est la seule méthode pour évaluer le début de vols significatifs, ce qui permet un positionnement de l'insecticide, mais cette stratégie reste aléatoire car on ne peut pas avoir un aperçu quantitatif.
En Italie, un modèle de prévision des vols et des pontes est en cours d'évaluation. Les substances actives approuvées sont l'émamectine, la spinétorame(1), le spinosad... Les produits sont autorisés pour l'usage Vigne*Trt Part.Aer.*Tordeuses de la grappe. Quant aux Bacillus, toutes souches confondues, ils présentent une efficacité insuffisante sur C. gnidiella, d'après nos observations.
La confusion sexuelle
Cette technique présente des difficultés :
- la forte volatilité de la phéromone de C. gnidiella ;
- la grande aptitude de déplacement des adultes, selon les sources de nourriture rencontrée.
Deux firmes travaillent sur des solutions de confusion. La société CBC Biogard, basée en Italie, mène depuis de nombreuses années des essais de confusion sur C. gnidiella dans tout l'arc méditerranéen. La société SEDQ, située en Espagne, a développé des diffuseurs pour la surveillance et la confusion.
L'évaluation de cette technique doit se poursuivre. L'amélioration des connaissances du cycle de ce ravageur doit aussi progresser afin de mieux comprendre quand et comment positionner les diffuseurs.
Les trichogrammes
Les trichogrammes pondent des oeufs dans les oeufs des pyrales (produit Tricholine Vitis, de Phyteurop). Les micro-hyménoptères (famille des guêpes) doivent être lâchés au début des vols significatifs de C. gnidiella, c'est-à-dire fin juin-début juillet. Cette méthode est encore en tout début d'évaluation.
(1) www.alanwood.net/pesticides/index_cn_frame.html
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Cryptoblabes gnidiella (pyralidés) est en pleine expansion dans les vignobles méditerranéens proches du littoral. Les dégâts sur les vendanges sont notoires et occasionnent des pertes de récolte, ainsi que des conséquences sur la qualité, qui se trouve fortement altérée.
LUTTE - Cette pyrale ne doit pas être confondue avec l'eudémis (tortricidés). Si depuis quelques années des moyens de lutte se développent, la problématique reste le bon positionnement des traitements. Le piégeage à la parcelle est crucial pour estimer la présence du ravageur, en attendant le développement d'un modèle de prévision performant. Par ailleurs, la précocité des cépages détermine l'attirance de la pyrale vers ces derniers : plus le cépage est précoce, plus tôt la pyrale est attirée sur la parcelle.
MOTS-CLÉS - Cryptoblabes gnidiella (pyralidés), pyrale, vigne, eudémis, piégeage.
1 - Cryptoblabes gnidiella : éléments de biologie
Genre, espèce : Cryptoblabes gnidiella (Avidov et Harpaz, 1969).
Noms vernaculaires : il en existe plusieurs selon le pays et les cultures attaquées (pyrale du daphné, pyrale des agrumes, etc.(1)
Famille : pyralidés.
Expansion : présent sur tout l'arc méditerranéen et plus largement dans la plupart des régions tempérées chaudes du monde.
Ce lépidoptère polyphage (plus de 80 plantes-hôtes) est attiré par le sucre, le miellat secrété par les cochenilles ou par des raisins déjà attaqués ou très mûrs. Il s'installe après des dégâts d'eudémis de deuxième génération.
L'importance des populations varie en fonction des conditions hivernales (le gel réduisant les effectifs). Les papillons, nocturnes (photos 4 et 5) vivent environ un mois pendant la saison froide et huit à dix jours pendant la saison chaude. Le nombre de générations dépend du climat, il peut atteindre quatre à cinq dans le Sud. Les femelles s'accouplent à partir de fin juin une fois (les mâles plusieurs fois). Elles pondent, le lendemain de l'accouplement, en moyenne 150 oeufs, sur la rafle à l'intérieur de la grappe. Les oeufs éclosent au bout de quatre jours environ en période chaude, et au bout de huit à treize jours en début de saison.
Les premières larves sont visibles fin juin-début juillet. Elles se nourrissent d'abord uniquement de miellat des cochenilles (photos 7a à c). Ainsi, si ces dernières (Parthenolecanium corni, Pseudococcus viburni) sont nombreuses, les populations larvaires peuvent être très élevées. S'il y a peu de miellat, les jeunes larves peuvent consommer des baies peu sucrées.
Les larves plus âgées grignotent superficiellement la peau des raisins, elles ne font pas de perforation comme l'eudémis.
Cinq stades larvaires se succèdent. La chenille de dernier stade secrète un fin cocon de soie dans laquelle elle effectuera sa métamorphose. La nymphose se déroule ainsi dans la grappe que les chenilles ont consommée (photos 6a à e).
(1) https://gd.eppo.int/taxon/CRYBGN
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : cyril.cassarini@gard.chambagri.fr
BIBLIOGRAPHIE : - Cryptoblabes gnidiella (Avidov et Harpaz, 1969).