1. Rumex extrait du sol à la suite d'un passage de déchaumeur à ailettes à 8 cm. 2. Parcelle de blé infestée, au printemps.
La gestion des adventices est l'un des principaux freins au développement de l'agriculture biologique, spécialement dans le secteur des grandes cultures (Fontaine et al., 2012) (voir Encadré 1). En 2009 et 2015, les résultats d'enquêtes menées par l'Itab (Institut de l'agriculture et de l'alimentation biologiques) ont révélé que le chardon des champs (Cirsium arvense) et les rumex (Rumex crispus et Rumex obtusifolius) étaient les deux adventices les plus préoccupantes, pour les agriculteurs, en grandes cultures biologiques (Itab, 2015).
Le rumex, une adventice problématique
Nombreuses graines et reproduction végétative
Le rumex est une plante pluriannuelle de la famille des polygonacées. Cette plante, bien qu'ubiquiste, a des préférences pour des sols compacts et riches en azote (Zaller, 2004). Les graines produites (nombreuses et viables longtemps), ainsi que la racine pivotante (capable de se régénérer), font du rumex une plante adventice particulièrement problématique (Figure 1).
Pour simplifier, dans la suite de l'article, nous avons choisi de ne pas différencier les deux principales variétés préoccupantes (Rumex crispus et Rumex obtusifolius), sauf en cas de nécessité.
Des lacunes de connaissances
Les recherches menées pour gérer le rumex ont surtout été réalisées en systèmes prairiaux mais restent lacunaires dans un contexte de grandes cultures. On trouve quelques travaux sur le désherbage mécanique des plantules de rumex et l'arrachage manuel (Zaller, 2004 ; Bond et al., 2007), deux stratégies efficaces mais difficiles à mettre en place dans le cas de fortes infestations.
Le contrôle du rumex par travail du sol a aussi fait l'objet de quelques publications (Pekrun et Claupein, 2006 ; Bond et al., 2007), mais reste à ce jour peu étudié. De plus, l'efficacité de ces stratégies de lutte dépend fortement des conditions pédoclimatiques dans lesquelles les moyens de contrôle sont mis en place (Zaller, 2004).
Enquête en ligne et traque aux pratiques innovantes
Projet Capable : apprendre des agriculteurs
Les lacunes de connaissances sur la biologie et l'écologie du rumex, ainsi que sur les techniques permettant sa gestion, limitent les capacités des structures de développement à accompagner les agriculteurs. Face à ces constats, le projet Capable (Fontaine, 2017) a été initié en 2018 par l'Itab, en collaboration avec diverses structures de la R&D. Dans ce projet, en parallèle d'essais au champ, l'implication des agriculteurs est favorisée, à la fois pour prendre en compte leurs attentes et pour valoriser leurs savoirs en matière de gestion de la flore adventice (Turner et al., 2007 ; Fontaine et al., 2013). En outre, des agriculteurs conçoivent et mettent en oeuvre des combinaisons de pratiques originales, qui peuvent être inconnues de la recherche et du développement (Petit et al., 2012 ; Salembier et Meynard, 2013 ; Lamé et al., 2016).
Un travail d'enquête en ligne, méthode exploratoire, a permis de faire un état des lieux des problèmes liés aux rumex ainsi que des pratiques mises en oeuvre par les agriculteurs pour les gérer. Une seconde approche complémentaire, la traque aux pratiques innovantes, a eu pour objectif de repérer, de caractériser et d'analyser des pratiques jugées innovantes à partir d'un échantillon ciblé.
Enquête en ligne
En février 2018, le questionnaire de l'enquête a été conçu, en collaboration avec les partenaires du projet. Ensuite, il a été diffusé largement via des partenaires puis via divers acteurs de l'AB. Même si le projet Capable vise spécifiquement les grandes cultures, le questionnaire a aussi été adressé à des éleveurs. Après l'examen préliminaire des données qui a permis leur « nettoyage » et la mise en forme des variables étudiées, les données ont été traitées par des méthodes d'analyse statistiques descriptives avec les logiciels R et Excel début 2019.
Traque aux pratiques innovantes
La traque aux pratiques innovantes s'est inspirée des travaux de Salembier et Meynard (2013). La première étape est de définir les objectifs : « Que cherche-t-on ? ». Ce qui fait « innovant » a été défini en relation avec :
- ce qui est « inconnu », ce qui n'apparaît pas ou peu dans la bibliographie, mais aussi ce qui est inconnu des partenaires du projet ;
- ce qui est « efficace », ce que les agriculteurs mettent en oeuvre et jugent efficaces dans leurs situations.
La deuxième étape vise à identifier des agriculteurs ayant des pratiques innovantes, à partir des réponses à l'enquête en ligne et des réseaux d'agriculteurs des partenaires. La troisième étape cherche à caractériser les pratiques des agriculteurs identifiés, par des entretiens semi-directifs réalisés en région Bourgogne Franche-Comté.
Enfin, la dernière étape consiste à analyser ce qui a été appris sur ces pratiques, pour produire des connaissances sur les logiques agronomiques des agriculteurs et identifier des questions de recherche. L'analyse des entretiens de traque se structure autour de quatre volets (Encadré 2 page suivante).
Résultats de l'enquête : les pratiques de gestion du rumex
Une problématique variable
Au total, 245 agriculteurs ont répondu à l'enquête en ligne. Les régions comptant le plus de répondants sont les régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Parmi ces 245 agriculteurs, 53 % n'ont pas d'élevage, 35 % ont des ruminants, 9 % ont des monogastriques et 3 % sont dans un autre cas.
À la question « Sur votre ferme, comment évaluez-vous le niveau de la problématique rumex ? », 18 % des répondants considèrent le problème comme étant majeur, et 39 % comme étant un problème réel mais qui reste secondaire. De plus, 4 % seulement considèrent l'avoir résolu (Figure 2).
Structure du sol et systèmes ruminants : influence sur le rumex
À la question à choix multiple « Quel lien faites-vous entre la présence de rumex et l'état du sol ? », 44 % des 131 agriculteurs ayant répondu à cette question estiment que la présence de rumex est liée à la structure du sol. D'autres relient la présence de rumex aux pratiques (24 %), au pH (21 %), à la texture (12 %), à la fertilité (7 %) et à l'humidité (5 %). Les systèmes ruminants semblent davantage concernés par les problèmes de rumex que les systèmes sans élevage. En effet, on trouve trois fois plus de fermes sans rumex dans les systèmes sans élevage que dans les systèmes ruminants. 94 % des systèmes ruminants utilisent du fumier contre 40 % des systèmes sans élevage. Plusieurs facteurs de risques pour ces systèmes peuvent être énoncés : contamination par du fumier non ou mal composté (Lorthios et Rodriguez, 1995) ; compaction par piétinement du bétail, ou surfertilisation par les apports de fumier (Zaller, 2004).
Effet de l'année de conversion en AB
Quinze pourcents des fermes converties récemment en AB (depuis 2014) n'ont pas de rumex, alors que cette proportion est de 3 % pour les conversions anciennes (avant 2004) et 4 % pour les conversions intermédiaires. La part des agriculteurs ayant résolu la problématique est plus faible pour les conversions récentes. On peut supposer que les fermes récemment converties bénéficient de l'effet rémanent des herbicides ou de sols exempts de rumex du fait des herbicides.
Techniques de gestion du rumex mobilisées par les enquêtés
Les techniques mobilisées par les agriculteurs ont été triées par ordre de fréquence décroissante (Figure 3). Le travail du sol - de tous types - est la technique à laquelle les agriculteurs enquêtés font le plus référence pour gérer le rumex. Le recours aux outils à dents est le plus fréquent. Le travail du sol peut être superficiel ou profond, réalisé au printemps ou en automne. L'implantation de luzerne ainsi que l'arrachage manuel semblent également fréquents. En revanche, le travail du sol avec des outils à disques est quant à lui peu mobilisé, tout comme les chaulages et les écimages.
Résultats de la traque aux pratiques innovantes
Ressource 1 : des connaissances nouvelles et des pistes de recherche
L'analyse des observations faites par les agriculteurs sur l'évolution des populations de rumex sur leurs parcelles en Bourgogne a permis de mettre au jour des conditions du milieu qui apparaissent, selon eux, favorables au développement de l'adventice. Nous détaillons ici des conditions qui n'avaient jusque-là pas été évoquées dans la littérature.
Selon huit des onze agriculteurs rencontrés, les prairies temporaires de luzerne, trèfle violet ou trèfle blanc nain créent un milieu favorable au rumex et stimulent son développement. Deux hypothèses sont émises par les agriculteurs. D'une part, une entrée de graines de rumex via des semences de ces légumineuses. En effet, les graines de rumex sont difficiles à très difficiles à trier dans les semences de luzerne et trèfle violet (Bouet et al., 2005 ; Collin et Brun, 2003). D'autre part, des effets de levées de dormance des légumineuses sur les graines de rumex présentes dans le sol sont suspectés. Selon eux, et en comparaison à d'autres cultures, la luzerne et les trèfles stimuleraient la germination des graines de rumex présentes dans le sol.
Les limons battants et les sols à structure fragile sont davantage infestés par les rumex. Chez un agriculteur, une parcelle visitée en avril avant semis de soja témoignait de la présence de ronds larges de rumex sur les zones claires, indicatrices, selon lui, de limons battants. La tendance des sols battants à se tasser pourrait expliquer l'infestation par les rumex (Zaller, 2004 ; Favrelière et Ronceux, 2016). Un autre agriculteur évoquait une observation faite par un collègue en agriculture de conservation (AC) pour qui le passage à l'AC aurait « diminué la pression du rumex grâce à une augmentation du taux de matière organique (MO) dans le sol ».
Ressource 2 : des pratiques élémentaires originales
De chaque entretien, nous avons extrait des pratiques élémentaires originales, ou peu courantes dans la région, dont voici quelques exemples.
Semer le blé pour permettre le binage et la concurrence : généralement le blé est semé sur des rangs équidistants, trop proches les uns des autres pour biner. Un des agriculteurs enquêtés sème son blé en alternant deux rangs proches et deux rangs éloignés de 25 cm de manière à pouvoir passer un outil de désherbage dans l'interrang. Dans l'interrang, les binages sont particulièrement efficaces au printemps contre les jeunes rumex issus de graines de l'année. Entre les rangs proches, le couvert végétal plus dense est concurrentiel contre les adventices. D'autres agriculteurs rencontrés profitent des cultures d'été sarclées comme le tournesol, le maïs ou le soja pour effectuer un travail de désherbage mécanique dans l'interrang en plus des désherbages mécaniques du printemps.
Récolter les menues pailles : le récupérateur de menues pailles est un accessoire de moissonneuse utilisé depuis quatre ans par un agriculteur. Lors de la moisson, le récupérateur lui permet d'extraire du champ les petites graines d'adventices (Métais et Brun, 2019). Grâce à cette pratique, il juge la pression rumex faible sur son exploitation.
Favoriser la vie du sol par l'apport de matières organiques : en automne, un agriculteur apporte depuis quelques années sur ses cultures et prairies temporaires un produit commercial composé d'une sélection de végétaux naturels compostés. Pour lui, « plus il y a de vie dans le sol, plus il y a de vers et plus le sol est aéré. Ce qui est désavantageux pour les rumex qui préfèrent les sols compacts ». Les relations entre matière organique, structure du sol et rumex pourraient aussi faire l'objet de recherches ultérieures.
Ressource 3 : des pratiques à éviter
Au cours des entretiens, certains agriculteurs ont évoqué des pratiques à éviter en se basant sur leurs expériences personnelles.
Déchaumer avec des outils à disques : auparavant, un agriculteur utilisait un outil à dents avec pattes d'oie. Il y a cinq ans, motivé essentiellement par un débit de chantier plus élevé, il opte pour un outil à disques indépendants. Il constate alors une augmentation significative du nombre de rumex. « L'outil à disque sectionne les pivots et les racines, multipliant le nombre de ces vivaces. Il n'y a pas extraction de la racine mère qui se développe et se renforce en profondeur (20 cm) », précise-t-il.
Faire suivre le déchaumeur d'un rouleau : un agriculteur a observé que le rouleau placé à l'arrière de son déchaumeur rappuyait dans le sol les pivots extraits par l'outil à dents équipés de pattes d'oie. Cela « revient à planter les pivots arrachés ». Il a donc adapté son outil en remplaçant le rouleau par une triple herse, qui laisse les pivots de rumex en surface, ce qui est propice à leur dessiccation.
Effectuer un labour profond : selon un agriculteur, les pivots enfouis au niveau de la semelle de labour peuvent refaire une plante, et sont ensuite très difficiles à arracher.
Ressource 4 : des comparaisons entre pratiques
Sept stratégies de gestion du rumex ont été identifiées (Figure 4), agissant sur l'environnement du rumex, ainsi que sur le pivot et la graine. Ces stratégies ont été reprises dans une base de données qui permet l'analyse croisée des pratiques d'agriculteurs sous différents angles.
De nombreuses pratiques existent pour une même stratégie visée. Prenons l'exemple de la stratégie d'extraction-exportation du pivot qui vise à extraire le pivot du sol et à l'exporter de la parcelle. Elle peut être mise en oeuvre par deux pratiques principales : l'arrachage manuel ou le passage d'outils à dents munies de pattes d'oie suivi d'une extraction des pivots laissés en surface. En plus d'être différentes dans leurs réalisations, ces pratiques diffèrent dans leur période d'exécution. L'arrache manuel est généralement réalisé sur la période de mai à juin, alors que les passages d'outils à dents équipées de pattes d'oie suivi des ramassages sont généralement réalisés après la moisson, ou parfois en mars-avril après un labour d'hiver. La plus grande diversité des pratiques s'observe pour la stratégie de création d'un milieu défavorable ou les leviers sont multiples : amendements, implantation de cultures d'été permettant les désherbages mécaniques au printemps, réduction des durées de culture de luzerne, etc.
Une même pratique peut être adaptée à diverses conditions de mises en oeuvre. Celles-ci peuvent concerner les conditions d'humidité, les profondeurs de travail du sol, le nombre de répétitions des passages, etc. On l'a vu, les déchaumages à l'aide d'un outil à disques se sont révélés contreproductifs. Pour autant, un agriculteur, chez qui la renouée empêche le passage d'outils à dents, effectue un premier passage très superficiel d'outil à disques, suivi de plusieurs passages d'outil à dents équipées de patte d'oies entre 5 et 15 cm de profondeur pour scalper les racines. Dans ce cas précis, l'approche par pratique dans l'analyse croisée apporte des solutions à une problématique dans différentes conditions du milieu.
Des pratiques peuvent être combinées différemment par les agriculteurs, dans le temps, et dans l'espace. Un agriculteur possède 220 hectares de grandes cultures convertis en bio depuis 2010, et aimerait parvenir à réduire considérablement le rumex sur son exploitation. Pour cela, il mobilise cinq des sept stratégies répertoriées. Il effectue des déchaumages répétés (extraction-dessiccation du pivot), des arrachages manuels systématiques tout au long de l'année (extraction-exportation du pivot et des graines), des broyages de luzerne plusieurs fois par an à 5 cm de hauteur (évitement des graines) et des faux semis (épuisement du stock semencier). Pour cet agriculteur, la gestion du rumex est multifactorielle, mais nécessite un investissement important (en temps de travail, en observations pour savoir quand agir, en coûts de mécanisation...).
Enquête et traque
D'un état des lieux à des pratiques singulières
Deux difficultés ont été rencontrées lors de la réalisation puis de l'analyse de l'enquête en ligne :
- la gestion des données manquantes, dues au caractère « non obligatoires » des questions ;
- le choix du vocabulaire employé pour décrire les pratiques des agriculteurs, par exemple, les différentes modalités d'action de travail du sol (avec des outils à dents, superficiel, en automne, etc.) peuvent laisser penser à des déchaumages, des faux semis, du binage, mais le vocabulaire de l'enquête ne permet pas de connaître les pratiques exactes sous-jacentes à ces actions.
Les résultats des deux approches ont montré des points de convergence, à des niveaux de précision différents (échantillon large pour l'enquête, échantillon ciblé pour la traque). L'enquête a par exemple montré un lien entre la structure du sol et la présence de rumex. Ce résultat a aussi émergé de la traque où les agriculteurs enquêtés observaient, dans leurs situations, davantage de rumex dans les sols compacts, sensibles à la battance. En réponse à cette observation, la traque à l'innovation suggère des solutions : apporter de la matière organique à son sol pour en améliorer la structure, décompacter le sol, ne pas travailler son sol en conditions humides, etc. L'enquête révèle également un lien entre le pH du sol et la présence de rumex. Cette observation, peu citée dans la bibliographie, s'est précisée au cours de trois entretiens durant lesquels les agriculteurs observaient davantage de rumex sur sol acide. Concernant les pratiques, le travail du sol avec des outils à disques s'est révélé très peu pratiqué contre le rumex, ce que l'on retrouve dans les pratiques à éviter citées par les agriculteurs rencontrés lors de la traque. Pour autant, si les outils à disques sont utilisés de manière très superficielle avant des déchaumages aux outils à dents, ils peuvent aider à la gestion de la flore adventice.
Si l'enquête permet l'étude du rumex à l'échelle nationale ou régionale, la traque se fait à l'échelle d'une exploitation, et du point de vue d'un agriculteur. Dans un contexte précis, il est possible de spécifier les conditions de mises en oeuvre des pratiques ainsi que d'avoir des informations sur leur efficacité. Cela concerne par exemple les effets du système d'exploitation, des rotations, du climat et de la pédologie sur les périodes et les fréquences d'intervention, les profondeurs de travail du sol ou encore les leviers d'action.
Perspectives pour la suite du projet Capable
Les premiers résultats de l'enquête ont été publiés dans un document synthétique à destination des agriculteurs et des conseillers en AB en décembre 2018 (voir « Lien utile »).
Une mise à jour avec des résultats plus larges est prévue d'ici la fin de l'année. Les résultats de la traque seront enrichis par un travail déployé à l'échelle nationale par tous les partenaires impliqués dans cette tâche : Occitanie, Pays de la Loire, Normandie, Nouvelle-Aquitaine. Un guide proposera des repères pour s'engager dans l'étude de pratiques innovantes d'agriculteurs, et valorisera, entre autres, la démarche déployée dans ce travail. Ces deux approches et les ressources produites seront utilisées lors d'ateliers de co-conception de stratégies de gestion. Les diverses ressources produites seront mises à disposition des agriculteurs ou conseillers, sous forme de fiches, voire de vidéos, non pas en proposant des recettes à appliquer, mais en partageant les éléments clés qui pourront être adaptés ou servir de source d'inspiration. Les questions de recherche identifiées seront transmises aux partenaires en charge des essais en conditions contrôlées et pourront aussi inspirer des projets de recherche au-delà du projet Capable.
En comparaison des études fondées sur l'expérimentation, la force des deux approches (l'enquête et la traque aux pratiques innovantes) est de prendre appui sur des expériences de praticiens. Un des enjeux majeurs reste cependant de composer avec la notion de subjectivité, comprenant les différents points de vue des agriculteurs sur la tolérance au rumex, l'innovation et l'efficacité des pratiques.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Dans le cadre du projet Casdar « Capable » initié en 2018 et visant notamment à gérer le rumex en grandes cultures biologiques, l'Itab a mené une enquête en ligne auprès de 245 agriculteurs afin de lister les problèmes rencontrés et les pratiques de gestion mises en oeuvre.
Parmi ces dernières, les plus originales ont été décrites et analysées grâce à la méthode de la traque aux pratiques innovantes, menée auprès de onze agriculteurs de région Bourgogne-Franche-Comté.
RÉSULTATS - Le recours au travail du sol, par des outils à dents, de façon superficielle et en automne est la pratiques la plus fréquente. La traque a permis de produire des connaissances nouvelles sur le rumex (interaction avec les légumineuses...), sur des pratiques originales (récupérateur de menue paille...), sur des pratiques à éviter (utilisation d'outils à disques...) et de construire une base de données pour capitaliser la diversité des pratiques rencontrées.
Cette approche mobilisant les agriculteurs ouvre des pistes pour l'élaboration de stratégies de gestion du rumex.
MOTS-CLÉS - Agriculture biologique, désherbage, Rumex crispus, Rumex obtusifolius, innovation, grandes cultures.
1 - Une AB qui peine en grandes cultures
L'agriculture biologique (AB) est un mode de production qui connaît une dynamique croissante avec un record du nombre de conversions en 2018, atteignant 7,5 % de la SAU française, soit 2 millions d'hectares. Cependant, seuls 4,3 % des grandes cultures sont conduites en AB (Agence Bio, 2019).
2 - Une analyse des entretiens de traque en quatre volets
L'analyse des entretiens de traque se structure autour de quatre parties :
La mise en récit de l'entretien vise à rendre compte des liens tissés par l'agriculteur entre différents éléments de sa stratégie, pour faire connaître ce qu'il a fait, comment il l'a fait, et dans quelles situations (Salembier, 2019).
La fiche récit permet de rendre compte des logiques agronomiques sous-jacentes aux pratiques, du point de vue de l'agriculteur.
Elle sert de base aux autres tâches d'analyse.
L'analyse des conditions favorables-défavorables a permis d'enrichir les connaissances sur la biologie du rumex, et d'identifier des observations nouvelles, non abordées dans la bibliographie, à partir des connaissances et observations des agriculteurs.
L'analyse des pratiques de chaque agriculteur a pour objectif de confronter les pratiques de l'agriculteur aux connaissances produites par la R&D. Cette étape a nécessité la mobilisation de diverses sources, scientifiques et techniques, au travers de la presse spécialisée et des avis des partenaires du projet. Parfois, les agriculteurs indiquaient des pratiques « à éviter » résultant généralement de leur propre expérience, qui ont été analysées.
L'analyse croisée des entretiens a été rendue possible en regroupant diverses informations contenues dans chaque fiche récit : les facteurs favorables et défavorables au rumex aux dires des enquêtés, les pratiques mises en oeuvre, les stratégies de gestion, ainsi que les pratiques à éviter. Ces informations ont été centralisées dans une base de données. En amont, un travail d'identification de stratégies de lutte contre le rumex a été effectué, inspiré du vocabulaire existant en bibliographie (Itab, 2012 ; Favrelière et Ronceux, 2016) et adapté aux innovations rencontrées lors la traque.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT :
helene.sicard@itab.asso.fr
LIEN UTILE : http://www.itab.asso.fr/programmes/CAPABLE.php
BIBLIOGRAPHIE : - Agence Bio, 2019, Un ancrage dans les territoires et une croissance soutenue, Les chiffres 2018 du secteur Bio.
- Bond W., Davies G., Turner R.J., 2007, The biology and non-chemical control of broad-leaved dock (Rumex obtusifolius L.) and curled dock (R. crispus L.).
- Bouet S., Collin F., Deneufbourg F., 2005 - Produire des semences de trèfle violet dans un itinéraire agrobiologique, Brochure ITAB-FNAMS, Consultable sur www.itab.asso.fr
- Collin F., Brun L., 2003, Produire des semences de luzerne dans un itinéraire agrobiologique, Brochure Itab-Fnams, Consultable sur www.itab.asso.fr
- Favrelière E., Ronceux A., 2016, Moyens de gestion curatifs des rumex crépu et à feuilles obtuses.
- Fontaine L., Fourrié L., Mangin M., Colomb B., Carof M., Aveline A., Prieur L., Quirin T., Chareyron B., Maurice R., Glachant C., Gouraud J.-P., 2012, Connaître, caractériser et évaluer les rotations en systèmes de grandes cultures biologiques, Innovations Agronomiques 25, 27-40.
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- Fontaine L., 2017, Projet CAPABLE : Maitriser le chardon des champs (Cirsium arvense) et les rumex (Rumex crispus, Rumex obtusifolius) en grande culture biologique.
- Itab, 2012, Connaître les adventices pour les maîtriser en grandes cultures sans herbicide. Restitution du Casdar 8135, Désherbage mécanique, 89 p. Consultable sur www.itab.asso.fr
- Lamé A., Jeuffroy M.-H., Pelzer E., Meynard J.-M., 2016, Les agriculteurs sources d'innovations : exemple des associations pluri-spécifiques dans le grand Ouest de la France, Agronomie, environnement et société, Vol 5 (1) : 14p.
- Lorthios P., Rodriguez A., 1995, Incidence du compostage sur le pouvoir germinatif des semences de mauvaises herbes, Communication personnelle.
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- Petit M.-S., Reau R., Dumas M., Moraine M., Omon B., Josse S., 2012, Mise au point de systèmes de culture innovants par un réseau d'agriculteurs et production de ressources pour le conseil. Innov. Agron. 20, 79-100.
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