Le défi adventices en cultures de maïs et de tournesol

L'évolution de la flore adventice et les pratiques de désherbage associées ont été observées pendant près de quatorze années. Bilan des enquêtes Vigie Flore.

Àla suite de l'arrêt de l'atrazine en 2003, Syngenta a développé Vigie Flore, un service d'enquêtes agronomiques à partir de la campagne 2004-2005 sur un grand nombre de parcelles, permettant de suivre les évolutions d'adventices au champ dans un contexte où les matières actives disponibles se restreignent. Dans un premier temps dédié à la culture de maïs, ce service s'est diversifié depuis 2014 sur les grandes cultures, incluant le tournesol, les céréales à paille et le colza.

Vigie Flore : suivre les flores et les pratiques

Vigie Flore est un service proposé à certains distributeurs et prescripteurs partenaires répartis sur différents territoires. Basé sur des enquêtes directement réalisées auprès des agriculteurs, il permet de rendre compte des pratiques et des flores difficiles retrouvées après désherbage sur un secteur donné. Reconnu par différents acteurs (distributeurs, instituts, Végéphyl), et fort de 14 années d'expérience, ce service dispose de multiples données en agronomie, herbicides et environnement collectées sur plus de 20 750 parcelles réparties sur le territoire (Figure 1 page suivante). En plus du suivi des pratiques agricoles et des évolutions de flores, il permet de fournir un conseil adapté aux agriculteurs en gestion des adventices afin de mieux positionner les stratégies herbicides (encadré page suivante). Les informations remontées par Vigie Flore permettent de dresser une fréquence d'observation et un indice de nuisibilité (calculé à partir de la longueur de la tige principale et de la densité de plantes retrouvées). Un indice de nuisibilité supérieur à 1 amène un risque moyen à élevé pour la culture. Si cet indice est au-dessus de 10, l'adventice n'a probablement pas été touchée par la stratégie choisie.

Flores : état des lieux sur maïs et tournesol

Une diversité d'espèces

Les enquêtes Vigie Flore réalisées entre 2014 et 2018 en maïs et tournesol mettent en lumière la présence de flores variées après désherbage. La diversité d'espèces retrouvées avec une forte nuisibilité est importante en tournesol (Figure 2 p. 35). Les eudicotylédones occupent une place prépondérante, notamment avec les renouées sp. Une forte présence des liserons des haies (Calystegia sepium), liserons des champs (Convolvulus arvensis) et de panics pied-de-coq (Echinochloa crus-galli) suivent ensuite. Pour le maïs (Figure 3 p. 35), les eudicotylédones sont très présentes mais moins nuisibles qu'en tournesol. Les liserons sp. représentent, quant à eux, la famille vivace en plein développement. Quant aux graminées annuelles estivales (panics, sétaires et digitaires, appelées PSD dans le reste du document), leur présence est très régulière dans toutes les régions maïs. L'évolution des vivaces et PSD présentent une nette tendance à la hausse entre 2005 et 2018 (Figure 4 p. 36). Les cas du datura stramoine et de l'ambroisie seront détaillés au paragraphe suivant.

Progression du datura et de l'ambroisie

Il faut noter l'augmentation des observations de datura stramoine et d'ambroisie à feuilles d'armoise, très remarquées dans les enquêtes maïs (Figure 4), et donc des difficultés rencontrées dans leur gestion. Ces adventices en progression régulière possèdent un impact non seulement sur la qualité des récoltes, mais surtout sur la santé humaine et animale (Gautier-Grall et al., 2019). En effet, à titre d'exemple, la toxicité intégrale du datura liée à sa production d'alcaloïdes (atropine, scopolamine, hyosciamine) peut entraîner une non-consommation de fourrage en vert (forte odeur) pour l'élevage (en ensilage, 500 g peuvent tuer une vache) ou entraîner chez l'homme des troubles hépatiques, nerveux et sanguins. Les conséquences peuvent engendrer des destructions régulières de récoltes, voire des rappels de lots de haricots verts ou de farine de sarrasin en grande distribution.

D'après Vigie Flore, ces adventices sont nationalement peu abondantes mais, localement, elles peuvent être retrouvées de façon dommageable en maïs et tournesol entre 2014 et 2018 (Figures 2 et 3). La prolifération du datura, notamment dans le Sud-Ouest (Figure 5), est réelle (Gautier-Grall et al., 2019). Son évolution géographique le long de la côte atlantique engendre une extension significative de son aire de répartition.

L'ambroisie à feuilles d'armoise est, pour sa part, une plante particulièrement allergisante pouvant provoquer de graves désagréments d'un point de vue de la santé (asthme, rhinite, conjonctivite, urticaire, etc.). Implantée initialement en vallée du Rhône (Figure 5 p. 36), son observation progresse dans le Sud-Ouest et le long de la Loire (Gautier-Grall et al., 2019). Elle fait l'objet d'une lutte obligatoire et ses observations doivent être remontées aux instances sanitaires(1).

Identifier les leviers agronomiques

Via une analyse multidimensionnelle

Afin de déterminer les différents leviers agronomiques pour le contrôle des PSD, liserons, datura stramoine et ambroisie à feuilles d'armoise, des analyses en composantes multiples (ACM) ont été utilisées de 2014 à 2018. Une même parcelle présente deux années de suite est considérée dans l'analyse comme deux parcelles distinctes. 5 629 parcelles ont été prises en compte. Les parcelles où les adventices présentent un indice de nuisibilité calculé par Vigie Flore compris entre 0,02 et 1 ont été comparées à celles avec un indice de nuisibilité supérieur. Pour les liserons et PSD, la somme des indices de nuisibilité à la parcelle a été considérée pour prendre en compte toutes les espèces relevées. La méthodologie suivie a été réalisée en trois temps :

- 1. La présence des différentes adventices a été établie en fonction des paramètres agronomiques ;

- 2. Les parcelles avec présence de flores analysées ont été extraites pour une seconde ACM. Pour le datura et l'ambroisie, seuls les départements avec plus de 10 % de parcelles touchées ont été analysés pour considérer les implantations locales de ces flores et les pratiques associées à ces secteurs ;

- 3. Les parcelles disposant d'un historique sur deux années consécutives pour les adventices observées ont été analysées (seules les parcelles en maïs ont pu être analysées par cette méthode). Trois classes ont été construites selon la nuisibilité entre les deux années : « baisse », « stabilité » ou « augmentation ». Celles-ci ont été analysées en fonction des pratiques agronomiques de la deuxième année. Cela a permis de faire ressortir les leviers propices à une bonne gestion des populations de ces flores installées. Les cas « d'apparition » des adventices ont été considérés comme des augmentations de nuisibilité si l'indice est supérieur à 1. Dans le cas contraire, le statut est « sans évolution » car la situation est restée tolérable. Une augmentation de nuisibilité inférieure à 1 a également été admise comme « stable ».

Dans ces analyses, les précédents ont été définis selon les classes suivantes : maïs, tournesol, colza, cultures arboricoles, céréales d'hiver, céréales de printemps, cultures fourragères (prairies, ray-grass, etc.), autres cultures de printemps. Les labours ont été séparés en deux catégories : « avant février » (inclus le mois de février) et « après février ». Le délai entre le labour et le semis a été considéré par groupes de dix jours jusqu'à soixante jours, ou supérieur à soixante jours.

Liserons : raisonner avec parcimonie les stratégies herbicides et le binage

En maïs, de 2014 à 2018, les liserons sp. sont retrouvés dans 79 % des parcelles en monoculture, contre 49 % d'observations en parcelles en rotations avec des céréales, voire du colza. Le plus faible taux d'observation revient aux rotations avec cultures fourragères où 39 % des parcelles sont concernées. Dans une moindre mesure, les parcelles avec labour pratiqué à partir de mars ou en semis-direct disposent d'observations moins fréquentes que celles en non-labour ou labour réalisé avant mars. Les parcelles semées en mai présentent moins de détections que celles semées en avril.

Les liserons sont retrouvés dans 60 % des parcelles de maïs et généralement maîtrisés. En effet, seules 27 % de parcelles présentent une nuisibilité supérieure à 1 (Figure 6). Les stratégies « 1 passage herbicide » et les rotations avec fourrages laissent apparaître des populations plus importantes de liserons (Figure 6). Au regard des observations réalisées, la stratégie « deux passages herbicides combinés à du binage » présente un résultat satisfaisant pour 78 % des parcelles. Par ailleurs, la « rotation » est un facteur non négligeable : un développement des liserons est plus important en monoculture que dans les autres types de rotations, notamment céréalière (Figure 7).

En tournesol, entre 2014 et 2018, des liserons ont été observés dans 50 % des parcelles avec « un passage herbicide » et 50 % des parcelles en rotations courtes. A contrario, les parcelles présentant le moins de détections de liserons sont les rotations impliquant un colza (64 % sans liseron) et les parcelles avec « deux passages herbicides » durant la culture (58 % sans liseron). La pratique du déchaumage combinée à un désherbage en interculture permet également une meilleure efficacité.

L'utilisation du labour n'apporte, a priori, pas un meilleur contrôle des liserons sp. par rapport à celle du non-labour (Figure 8). De plus, comme en maïs, la stratégie « deux passages herbicides combinés à du binage » est un facteur gagnant dans la lutte contre les liserons (Figure 8).

Panics, sétaires et digitaires

Les « invitées » des monocultures

En maïs, les détections de graminées annuelles estivales (panics, sétaires et digitaires) se font principalement en monoculture (78 % de parcelles concernées) et parcelles non labourées (66 % de parcelles). On les retrouve essentiellement dans le sud de la France.

En monoculture, les adventices exercent davantage de concurrence. 71 % des parcelles avec des céréales à paille dans la rotation ont une présence avec faible nuisibilité des PSD, contre 54 % des parcelles en monoculture. Les situations les plus défavorables impliquent différentes combinaisons de situations (Figure 9). Ainsi, en absence de labour en monoculture avec un semis en avril, seulement 43 % des parcelles présentent une faible nuisibilité de PSD, contre 74 % en cas de rotation.

En présence de labour, les parcelles avec un labour réalisé après février et plus de dix jours avant le semis ont une faible nuisibilité dans 58 % des cas observés, contre 67 % si le labour est réalisé moins de onze jours avant le semis. Un gain de 10 % supplémentaire par rapport à cette dernière situation est constaté pour des parcelles avec un labour avant mars, semées avant mai et basées sur une stratégie herbicide à deux passages avec un post-levée précoce. La combinaison de cette stratégie herbicide et d'un semis à partir de mai, pour un précédent maïs, permet de passer de 55 % à 64 % de parcelles avec une faible nuisibilité (Figure 9).

Les parcelles avec l'historique disponible sont en monoculture et principalement situées dans le Sud-Ouest. Dans ces parcelles, une baisse de nuisibilité est observée pour des semis à partir de mai combinés à des stratégies herbicides orientées sur prélevée + post-levée(s) (62 % des parcelles) (Figure 10).

Pour le tournesol, les observations de PSD au champ concernent 66 % des parcelles avec une stratégie orientée vers une ou deux applications de post-levée, contre 40 % des parcelles avec prélevée + une ou deux post-levées. Les PSD sont très liées à des situations de désherbages en échec. Les stratégies avec « un passage herbicide » présentent moins de parcelles avec faible nuisibilité (37 %) par rapport aux stratégies à plusieurs passages. 52 % des parcelles avec « un passage herbicide combiné à du binage » présentent de bons résultats. 54 % des parcelles avec une stratégie impliquant deux passages herbicides laissent aussi apparaître une bonne gestion des PSD, avec ou sans désherbage mécanique en complément.

Datura stramoine

Privilégier l'application post-levée et le binage

En maïs, 35 % des parcelles du Sud-Ouest présentent du datura. Les parcelles avec un précédent céréales, colza ou culture fourragère sont moins touchées (28 % de parcelles avec datura) que les parcelles avec un précédent de type « culture de printemps » (36 % de parcelles avec datura).

La gestion du datura semble plus difficile en monoculture avec pratique du non-labour : en effet, 68 % des parcelles présentent du datura avec une faible nuisibilité. Ce chiffre passe à 88 % avec un labour et des rotations diversifiées. Les stratégies avec deux passages (avec au moins un herbicide en post-levée avant 4 feuilles du maïs) et au moins un passage de binage présentent un des meilleurs résultats, puisque 84 % des parcelles sont jugées avec une bonne maîtrise du datura. A contrario, la stratégie en « un passage herbicide » (pré- ou post-levée) apparaît comme une des moins bonnes solutions en raison de l'absence et/ou l'insuffisance d'antidicotylédones spécifiques pour contrôler le datura et/ou les levées échelonnées. Le constat est pire sur un suivi pluriannuel de parcelles en monoculture de maïs sur deux ans. En effet, on assiste à un fort développement du datura, certainement lié à un mauvais ciblage des herbicides employés (stratégie, dose, etc.) ou des efficacités moindres de ceux-ci. En culture de tournesol, 14 % des parcelles du Sud-Ouest présentent du datura. Il se retrouve dans 27 % des parcelles avec un précédent de printemps (céréale de printemps ou maïs), alors qu'il n'y en a que dans 12 % des parcelles avec un précédent d'automne (céréale d'hiver, colza ou fourrager). Outre les stratégies herbicides mises en place par chaque agriculteur, l'apport d'au moins un binage en post-levée de la culture permet de mieux contrôler le datura sur la campagne.

Ambroisie à feuilles d'armoise

Recourir à des applications raisonnées

En maïs, la vallée du Rhône et la Dordogne sont les secteurs les plus concernés par l'ambroisie à feuilles d'armoise, ils ont été analysés. De l'ambroisie a été observée sur 73 % des parcelles. Là encore, l'effet rotation joue un rôle important puisque l'adventice est observée dans 35 % des parcelles avec un précédent « céréale d'hiver », contre 20 % pour des précédents « culture de printemps » ou légumes. Les parcelles en non-labour, elles, apparaissent peu affectées (7 % des parcelles). La date de semis semble également influencer le développement de l'adventice, puisque le nombre de parcelles avec ambroisie est de 28 % pour un semis avant le 1er mai, contre 20 % des parcelles semées après cette date. De plus, l'application raisonnée de deux passages herbicides en post-levée présente un bon contrôle (9 % des parcelles avec détection d'ambroisie) de cette adventice particulièrement allergisante.

À chaque adventice, sa stratégie de désherbage

Grâce au service Vigie Flore, réalisé sur 8 540 parcelles entre 2014 et 2018 (sur plus de 20 750 parcelles depuis 2005), aussi bien en maïs qu'en tournesol, différents éléments sont clairement mis en avant. Tout d'abord, la flore adventice sur ces cultures apparaît comme de plus en plus diversifiée. Elle se répartit principalement entre les graminées estivales, les vivaces et deux nouvelles espèces envahissantes (datura stramoine et ambroisie à feuilles d'armoise) inexorablement en recrudescence au regard des moyens de lutte de plus en plus limités. Ces deux dernières espèces envahissantes représentent des risques potentiels importants pour la santé humaine et animale, et leur observation tend à augmenter chaque année au travers du développement de leur zone géographique, notamment le datura.

Par ailleurs, la combinaison de pratiques agronomiques différentes et de stratégies de désherbage raisonnées et adaptées apporte, pour chaque territoire, des solutions concrètes aux agriculteurs. Le choix des cultures dans la rotation joue un rôle dans le développement des adventices étudiées ici, notamment au travers de précédents culturaux de printemps ou d'automne. Le travail du sol a également montré son importance pour la gestion des PSD, du datura et de l'ambroisie. La combinaison de ces leviers agronomiques à une stratégie herbicide adaptée améliore sensiblement le contrôle de ces adventices et de leur nuisibilité potentielle et permet encore, à ce jour, de les maîtriser.

(1) www.ambroisie.info