Fraîchement diplômé de l'Esa Purpan, Jean-Paul Bordes débute sa carrière à la chambre d'agriculture du Tarn où il participe à la mise au point d'un banc de mesure et d'un protocole de diagnostic des pulvérisateurs. « À l'époque, rien n'existait pour tester les pulvérisateurs », se souvient-il. En 1990, il devient ingénieur régional à Arvalis. « C'était la grande époque de l'étude des interactions entre la plante et le climat. Nous avons cherché à comprendre l'importance du stade des adventices et des conditions climatiques, ainsi que le fonctionnement des adjuvants pour ensuite optimiser les traitements et réduire les doses. »
Outils de diagnostic
Devenu responsable du service agronomique d'Arvalis en 2000, Jean-Paul Bordes étudie avec son équipe les transferts de produits phytosanitaires dans l'environnement et leur impact. Le rôle des bandes enherbées pour capter le ruissellement des substances actives phytosanitaires est démontré, de même que les pratiques permettant de réduire ce transfert. Il montre également que le lien entre la quantité de produits appliqués et le risque environnemental n'existe pas forcément, et que le risque est surtout lié aux modalités d'application. « Nous avons alors pu développer des outils de diagnostic des risques environnementaux. » Un travail est engagé sur le terrain pour faire évoluer les pratiques.
De 2005 à 2012, lorsqu'il est responsable de la Direction des actions régionales, Jean-Paul Bordes voit la problématique de la résistance des adventices et des maladies se développer fortement. « Nous avions conscience que le phénomène allait s'accroître et qu'il fallait sensibiliser les agriculteurs aux bonnes pratiques. Pour cela, nous leur avons mis à disposition des outils comme R-Sim élaboré avec Terres Inovia, ITB et Acta. Mais la résistance étant un mal invisible, il était très difficile de faire appliquer des méthodes de prévention. »
Réduire les phytos
De 2012 à 2018, Jean-Paul Bordes est responsable du département R&D, et c'est l'apparition du concept d'agroécologie basé sur le fait que la nature est capable de régulation naturelle et qu'en la favorisant, l'usage des produits phytosanitaires pouvait être réduit. Il fait écho à un autre terme : la lutte intégrée. « Nous avons essayé de développer les deux avec notamment la mise au point du DiagAgroEco pour diagnostiquer les pratiques agroécologiques des agriculteurs car ils ne voyaient pas trop à quoi elles correspondaient. » C'est aussi la période d'Écophyto et des CEPP. Dans le cadre de ces derniers, Jean-Paul Bordes et ses équipes ont estimé qu'en grandes cultures, 17 % de produits phytosanitaires pouvaient être économisés en optimisant les pratiques. « Sur le terrain, les fermes Dephy ont atteint une économie de 14 % en trois ans en grandes cultures. Ce n'est pas très loin de nos prévisions mais ça montre aussi qu'il est difficile de réduire drastiquement l'usage des phytos. Si on veut vraiment être ambitieux, il faut absolument de l'innovation de rupture comme le biocontrôle, les agroéquipements intelligents, la robotique, la génétique... »
Informer la société
Jean-Paul Bordes a d'ailleurs poussé les premières publications sur le biocontrôle en 2015 avec Claude Maumené. « Nous y avons cru, alors nous avons poussé cette innovation. En agroéquipement, nous sommes en train de changer d'ère, avec du matériel disposant de capteurs, de caméras... qui offrent tout un tas de possibilités. En grandes cultures, l'évolution dans ce domaine va certainement aller beaucoup plus vite que celle du biocontrôle. » Des innovations sont également attendues en robotique, notamment pour le désherbage mécanique. Enfin la génétique et les biotechnologies pourraient à nouveau apporter leur pierre à l'édifice en matière de résistance aux maladies et aux insectes. « Mais l'innovation ne peut pas se dérouler sans tenir compte de son acceptation sociale, estime Jean-Paul Bordes. Les OGM(1) et les NBT(2) n'ont pas été acceptés parce que nous n'avons pas démontré aux consommateurs ce que ces nouvelles technologies pouvaient apporter en termes de réduction de l'usage des produits phytosanitaires. »
Anticiper les problématiques
« Or quand on communique sur les sujets problématiques, c'est très souvent en réaction aux critiques de nos concitoyens. Il faut anticiper les problématiques, leur parler de nos innovations très en amont, et ne pas attendre que ça devienne un sujet chaud. » L'ouverture des instituts techniques à la société fait d'ailleurs partie de la feuille de route de Jean-Paul Bordes à l'Acta. Pour cela, l'Acta va se doter d'une charte éthique commune à tous les instituts, créer un centre commun de référence technique pour donner une meilleure visibilité aux productions scientifiques et techniques et renforcer le dialogue avec les ONG et les politiques (pour leur donner un éclairage technique et les pistes travaillées).
Faut-il aller au-devant du citoyen ? « Oui, mais je ne pense pas que ce soit à l'Acta de le faire. Nous pouvons apporter du contenu et intervenir auprès de la presse spécialisée et des politiques. Parler au grand public est un autre métier ; d'autres structures de communication, liées aux interprofessions, comme Passion Céréales, sont plus à même de le faire », conclut le nouveau directeur de l'Acta.
(1) Organismes génétiquement modifiés.(2) New Brending Techniques.
JEAN-PAUL BORDES BIO EXPRESS
1983. Ingénieur agricole de ESA Purpan (Haute-Garonne).
1985. Conseiller en machinisme agricole à la chambre d'agriculture à Albi (Tarn).
1988 : Enseignant machinisme agricole à l'ESA Purpan.
1990. Ingénieur régional Île-de-France à l'ITCF (devenu Arvalis en 2002) au Mée-sur-Seine (Seine-et-Marne).
2000. Responsable du service agronomie de l'ITCF à Boigneville (Essonne).
2005. Responsable de la Direction des actions régionales d'Arvalis (dix-sept équipes régionales et vingt-sept stations) à Paris.
2012. Responsable du Département R&D d'Arvalis (génétique, protection des cultures, agronomie, qualité des productions) à Paris.
Décembre 2018. Directeur général de l'Acta (Paris).