Comment l'année 2020 va-t-elle se passer pour la protection des cultures ? Sa proclamation comme « Année internationale de la santé des végétaux » par la Food and Agriculture Organization (FAO) laisse espérer un déroulement sous de bons auspices. Toutefois, le bilan de l'année 2019 met en lumière de nombreuses évolutions dont il faut tenir compte.
La tendance globale est à une remise en cause des produits phytopharmaceutiques. Les prémices ne datent pas d'hier et le décor était planté avec la directive européenne 2009/128/CE du 21 octobre 2009 instaurant un « cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable ». Cette tendance ne risque pas de s'infléchir à court terme. La commission de l'environnement (Envi) du Parlement européen a souligné le manque d'engagement des États à décliner cette directive(1). La feuille de route annoncée le 11 décembre par la Commission européenne dans le cadre de son « Green Deal » (projet de transition écologique) donne le ton pour les années à venir en plaçant dans ses priorités le réchauffement climatique et l'environnement. Conséquences pour le secteur agricole : la promotion de l'agroécologie, le soutien aux nouvelles technologies de protection des cultures, des aides renforcées en lien avec le stockage du carbone et la réduction des risques liés aux pesticides...
æLa définition des indicateurs de risques, liés à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques (PPP)(2),va permettre une meilleure prise en considération de la dangerosité des substances actives. Les États membres sont tenus de publier ces chiffres. En France, l'indicateur mis en place dans le cadre du plan Écophyto (2009), basé sur les quantités utilisées, n'a pas permis discerner une évolution significative dans la diminution des risques(3).
Concernant la surveillance phytosanitaire, elle évolue avec l'entrée en vigueur, le 14 décembre, de deux règlements européens qui se traduisent notamment par une nouvelle classification des organismes nuisibles (la liste de vingt organismes de quarantaine prioritaires est parue le 11 octobre(4)), l'obligation d'un certificat phytosanitaire pour l'importation de la quasi-totalité des végétaux(5), l'extension du passeport phytosanitaire à l'ensemble des végétaux destinés à la plantation et la mise en forme d'un format harmonisé, la responsabilisation des opérateurs professionnels.
Toujours au niveau européen, depuis le 15 juillet 2019 les biostimulants (définis dans le règlement EU n° 2019/1009) sont exclus du champ d'application des produits phytopharmaceutiques.
æEn France, le plan d'action pour une agriculture moins dépendante aux pesticides, lancé en avril 2018, vise une réduction de l'utilisation des substances les plus préoccupantes pour la santé et l'environnement. En application de la loi EGalim du 30 octobre 2018, plusieurs dispositions sont entrées en application, d'autres le seront dans les mois à venir. Parmi les mesures mises en place : l'interdiction des rabais sur la vente des PPP, la procédure simplifiée autorisant les substances naturelles à usage biostimulant, le renforcement de la publicité encadrant les PPP, l'expérimentation de la pulvérisation des produits par drone.
D'autres articles de la loi sont en attente d'application, comme l'interdiction de l'utilisation de PPP contenant une ou des substances actives présentant des modes d'action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits. Une consultation publique a eu lieu en septembre dernier mais le décret interdisant l'utilisation du sulfoxaflor et de la flupyradifurone n'était toujours pas paru en décembre(6). Les mesures de protection des riverains et promeneurs ont fait l'objet de nombreux débats ; les textes doivent paraître en 2020 : un arrêté devant fixer les distances minimales à respecter vis-à-vis des zones d'habitation et un décret encadrant les chartes d'engagement par les utilisateurs de PPP(7). Pour la séparation des activités de vente et de conseil, seule l'ordonnance (n° 2019-361) a été publiée ; elle prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2021 de l'indépendance des activités de conseil.
La loi EGalim prévoit également la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de déploiement du biocontrôle qui devait être publiée fin 2019(6). Rappelons aussi l'interdiction, à compter du 1er janvier 2022, de la production, du stockage et de la circulation de PPP contenant des substances actives non approuvées dans l'Union européenne. Une disposition avait été introduite dans la loi Pacte pour reporter cette interdiction au 1er janvier 2025 mais elle a été censurée par le Conseil constitutionnel.
æDepuis le 1er janvier 2019, seuls les produits phytopharmaceutiques de biocontrôle, les produits qualifiés à faible risque et les produits autorisés en agriculture biologique peuvent être utilisés par les non-professionnels. Un projet d'arrêté(6) vise à consolider et remplacer les deux arrêtés du 30 décembre 2010, qui encadrent l'autorisation des produits de la gamme d'usages « amateur », en complétant les critères d'éligibilité de ces produits et en précisant certaines exigences en matière d'étiquetage et d'emballage.
æParmi les autres mesures françaises prises au cours de l'année écoulée, il faut noter les dérogations à l'interdiction des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes entrée en vigueur au 1er septembre 2018. Un arrêté du 7 mai 2019 précise quelques usages dérogatoires pour les produits à base d'acétamipride(8). Selon une expertise parue en août, parmi les usages étudiés, six n'auraient pas d'alternatives connues efficaces et applicables(9).
Le plan d'actions « glyphosate » engagé en juin 2018 va entraîner l'interdiction des principaux usages d'ici fin 2020 et de l'ensemble des usages d'ici 2022(10). Le 29 novembre 2019, l'Anses a retiré l'autorisation de trente-six produits à base de glyphosate dans le cadre des réévaluations des AMM entamées en décembre 2018.
Concernant les SDHI (fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase), sujets à controverse, l'Anses a émis un avis en janvier 2019 à la suite de l'alerte lancée par un collectif de chercheurs. L'état des connaissances ne permettait pas de retirer les AMM en vigueur, mais l'agence recommandait d'approfondir les recherches sur leur toxicité. Elle s'est autosaisie de la question des expositions cumulées aux différents SDHI via l'alimentation et rendra son avis courant 2020.
Notons que, bien que son approbation ait été renouvelée en novembre 2018 pour sept ans (avec des quantités limitées à 28 kg sur sept ans), le cuivre fait l'objet de recherche de solutions alternatives(11).
æConformément au règlement (CE) n° 1107/2009, les substances actives identifiées comme perturbateur endocrinien(12) ne sont pas approuvées. D'ici 2025, les États membres devront évaluer les propriétés perturbatrices endocriniennes d'environ trois cents substances. En mai dernier, l'Anses a ainsi confirmé le caractère perturbateur endocrinien de l'époxiconazole et demandé le retrait sous un an de soixante-seize produits à base de cette substance. Parmi les autres substances actives en cours d'évaluation, notons : la flumioxazine, le fosétyl-Al, l'asulame-sodium, le trinexapac-éthyl, le spinosad, le phenmédiphame, le mépanipyrim et le dichlorprop-P.
æLes méthodes d'évaluation des substances actives devraient se renforcer dans les prochaines années afin de mieux prendre en compte les impacts sur les organismes non-cibles(13). L'Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) a par exemple émis des recommandations concernant l'évaluation sur les chauves-souris. Les mesures préconisées dans son document guide (datant de 2013) concernant les pollinisateurs ne sont toujours pas prises en compte. L'Anses a émis en fin d'année un avis allant dans le sens de ce document (voir en p. 7). Elle a également recommandé d'étendre l'interdiction de pulvérisation pendant la période de floraison à l'ensemble des PPP, et non pas seulement les insecticides et acaricides(14).
1) Voir éditorial, Phytoma n° 725.(2) Voir Phytoma n° 725, p. 4 et n° 729, p. 7.(3) Voir Phytoma n° 727, p. 39-41.(4) Voir Phytoma n° 728, p. 6.(5) Voir Phytoma n° 723, p. 11-14.(6) Le texte n'était pas paru au moment de l'écriture de ces lignes le 16 décembre 2019.(7) Voir Phytoma n° 727, p. 4-5.(8) Voir Phytoma n° 725, p. 6.(9) Voir Phytoma n° 726, p. 4-5.(10) Voir Phytoma n° 729, p. 8.(11) Voir Phytoma n° 727, p. 5.(12) Leur mode d'action altère les fonctions du système endocrinien. Elles produisent un effet indésirable chez un organisme intact ou ses descendants ; l'effet indésirable est une conséquence de ce mode d'action (règlement UE 2017/2100).(13) Voir Phytoma n° 729, p. 9.(14) Voir Phytoma n° 722, p. 4.