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DOSSIER - Pomme de terre Des enjeux à relever

Adaptation du nématode à kyste aux variétés résistantes

Phytoma - n°731 - février 2020 - page 14

L'étude au laboratoire de l'adaptation de Globodera pallida aux variétés résistantes de pomme de terre permet de proposer des stratégies de gestion potentiellement durables.
 Photo : S. Fournet - Inrae

Photo : S. Fournet - Inrae

Fig. 1 : Cycle de Globodera pallida       Illustration réalisée par Pauline Casters-Picard.

Fig. 1 : Cycle de Globodera pallida Illustration réalisée par Pauline Casters-Picard.

Fig. 2 : Résultats d'adaptation après cinq et huit générations      Pourcentage de femelles de nématode à kyste produites sur quatre génotypes de pomme de terre résistants ('Iledher', 360, 94T et 96F) et un génotype sensible ('Désirée'), avant évolution et après cinq et huit générations d'évolution expérimentale. Les lignées de Globodera pallida sont issues de populations originaires de Saint-Malo (en haut) et de Noirmoutier (en bas).

Fig. 2 : Résultats d'adaptation après cinq et huit générations Pourcentage de femelles de nématode à kyste produites sur quatre génotypes de pomme de terre résistants ('Iledher', 360, 94T et 96F) et un génotype sensible ('Désirée'), avant évolution et après cinq et huit générations d'évolution expérimentale. Les lignées de Globodera pallida sont issues de populations originaires de Saint-Malo (en haut) et de Noirmoutier (en bas).

Fig. 3 : Adaptation locale et virulence croisée      A : pourcentage de femelles produites par les lignées adaptées à 'Iledher' (SM-'Iledher') et 94T (SM-94T) sur ces deux génotypes.       B : pourcentage de femelles produites par les lignées adaptée (SM-'Iledher') et non adaptée (SM-'Désirée') à la résistance de Solanum vernei sur des génotypes issus de S. spegazzinii et de S. sparsipilum.

Fig. 3 : Adaptation locale et virulence croisée A : pourcentage de femelles produites par les lignées adaptées à 'Iledher' (SM-'Iledher') et 94T (SM-94T) sur ces deux génotypes. B : pourcentage de femelles produites par les lignées adaptée (SM-'Iledher') et non adaptée (SM-'Désirée') à la résistance de Solanum vernei sur des génotypes issus de S. spegazzinii et de S. sparsipilum.

Dans le contexte actuel de réduction de l'emploi des pesticides chimiques, l'alternative privilégiée pour lutter contre le nématode à kyste de la pomme de terre Globodera pallida est l'utilisation de variétés résistantes, comme 'Innovator', 'Seresta', 'Stronga' ou 'Iledher'. Néanmoins, comme dans toute stratégie de lutte basée sur la résistance de la plante-hôte, une attention particulière doit être portée au risque de contournement ou, en d'autres termes, au potentiel d'adaptation du pathogène au(x) gène(s) de résistance.

Étudier le risque de contournement de la résistance

Une précaution indispensable

Étudier le potentiel d'adaptation du pathogène au(x) gène(s) de résistance est d'autant plus indispensable dans le cas de Globodera pallida que toutes les variétés de pomme de terre résistantes européennes sont issues de Solanum vernei et possèdent le QTL (Quantitative Trait Locus = locus de caractères quantitatifs)(1) majeur de résistance GpaVvrn (Rouppe van der Voort et al., 2000 ; Bryan et al., 2002) qui masculinise les populations de nématodes. L'enjeu actuel est donc de gérer de manière durable cette résistance, en attendant de disposer d'autres sources de résistance. Cela nécessite d'évaluer les capacités adaptatives des populations de G. pallida à la résistance issue de S. vernei. L'Inra (aujourd'hui Inrae) a étudié ces capacités à partir d'une expérience d'évolution expérimentale menée entre 2004 et 2012.

Étude d'évolution expérimentale

L'expérience d'évolution expérimentale consiste à confronter, en laboratoire, de manière récurrente le pathogène à un même hôte. Le temps nécessaire pour mener une telle approche est très dépendant de la biologie de l'organisme étudié. G. pallida n'effectue qu'une génération par an (Encadré 1 p. 16). Lors de cette étude, deux populations indépendantes de G. pallida, originaires de Saint-Malo (SM) et de Noirmoutier (N), ont été confrontées pendant huit générations successives à quatre génotypes de pomme de terre issus de la source de résistance S. vernei (dont la variété 'Iledher' qui est la première variété de consommation résistante à G. pallida inscrite au catalogue français). Ces quatre génotypes présentent le même QTL de résistance, GpaVvrn, introduit dans des fonds génétiques différents.

Adaptation après cinq à huit générations

Niveau de virulence

Des mesures du niveau de virulence (pourcentage de femelles produites par rapport au nombre de larves inoculées sur racines en boîte de Pétri) après cinq et huit générations ont été réalisées pour les deux populations de nématodes confrontées aux quatre génotypes résistants. Ces mesures montrent que les deux populations parviennent à s'adapter et qu'il existe une durabilité contrastée. En effet, si tous les génotypes sont très efficaces au début de l'expérience, une augmentation significative du nombre de femelles est observée pour les deux populations et sur tous les génotypes au bout de huit générations. En revanche, la comparaison entre les différents génotypes montre que le fond génétique de la plante influence fortement la durabilité de la résistance conférée par GpaVvrn (Figure 2, Fournet et al., 2013). Au bout de huit générations et pour les deux populations, le contournement de la résistance de la variété 'Iledher' est complet : les lignées ayant évolué sur cette variété (lignées virulentes = adaptées) produisent autant de femelles que ce qui est observé sur la variété sensible 'Désirée' (lignées avirulentes = non adaptées). L'impact du fond génétique de la plante sur la durabilité de gènes majeurs de résistance a également été mis en évidence chez un virus, le Potato virus Y PVY (Palloix et al., 2009 ; Quenouille et al., 2013), un champignon, Leptosphaeria maculans (Brun et al. 2010 ; Delourme et al. 2014) et chez un nématode à galles, Meloidogyne incognita (Barbary et al., 2014, 2016). La sélection de telles constructions génétiques, c'est-à-dire l'introgression de gènes majeurs dans des fonds génétiques partiellement résistants, semble donc être une voie prometteuse pour accroître la durabilité des résistances (Pilet-Nayel et al., 2017).

Adaptation locale et virulence croisée

Cette expérience a également permis d'explorer les conséquences indirectes de l'adaptation à cette résistance (GpaVvrn) en termes d'adaptation locale (adaptation au génotype-hôte utilisé pour la sélection) et de virulence croisée (niveau de virulence mesuré sur des génotypes résistants issus d'autres sources de résistance).

Les lignées virulentes, adaptées à 'Iledher' et 94T ont été testées de façon croisée sur chacun de ces deux génotypes : sur 'Iledher', la lignée ayant évolué sur ce génotype est plus performante que la lignée ayant évolué sur 94T, alors que l'inverse est observé sur 94T (Figure 3A, Fournet et al., 2013). Ce patron d'adaptation différentielle indique qu'un processus de sélection divergente a opéré au cours de l'évolution expérimentale et qu'il y a un compromis évolutif entre l'adaptation à un génotype de pomme de terre et l'adaptation à un autre. Ce résultat suggère que l'alternance de variétés résistantes, avec le même QTL de résistance dans des fond génétiques différents, peut ralentir le contournement, par rapport à l'utilisation répétée d'une seule variété.

Pour la virulence croisée, l'intérêt était de vérifier l'efficacité à contrôler les lignées sélectionnées sur le QTL GpaVvrn de génotypes de pomme de terre issus d'autres sources de résistance, et en particulier de génotypes issus de Solanum sparsipilum et S. spegazzinii qui présentent aussi le QTL GpaV (GpaVspl et GpaVspg) en position colinéaire, c'est-à-dire cartographié dans la même région sur le chromosome V (Rouppe van der Voort et al., 2000 ; Caromel et al., 2003, 2005). Nos résultats montrent que l'adaptation à GpaVvrn ne permet pas nécessairement l'adaptation aux QTLs colinéaires. Si la lignée adaptée à 'Iledher' (SM-Iledher) est directement (c'est-à-dire sans confrontation préalable) plus performante que la lignée non adaptée (SM-Désirée) sur le génotype issu de S. spegazzinii, ce n'est pas le cas sur le génotype issu de S. sparsipilum (Figure 3B, Fournet et al., 2013). Cette observation est cohérente avec la phylogénie des solanacées puisque S. spegazzinii est plus proche de S. vernei que ne l'est S. sparsipilum (Spooner et al., 2005). Ce résultat suggère que des alternances entre des génotypes résistants issus de S. sparsipilum et de S. vernei sont envisageables, mais qu'il faudra éviter d'alterner des génotypes issus de S. spegazzinii et de S. vernei.

Coûts associés à l'adaptation à la résistance

Des bénéfices associés à la virulence

L'étape suivante a consisté à utiliser ces lignées pour rechercher d'éventuels coûts associés à l'adaptation à la résistance de la variété 'Iledher'. Il est en effet admis qu'au cours d'un processus de sélection, la sélection d'un trait bénéfique (ici la virulence) est généralement associé à des coûts sur d'autres traits essentiels (la fécondité, la taille, l'espérance de vie par exemple). Dans notre cas, la comparaison de différents traits de vie (nombre de kystes, nombre de larves par kyste, taille des kystes et des larves, capacité d'éclosion des kystes) entre lignées virulentes et avirulentes semble montrer qu'il existe non pas un coût mais un bénéfice associé à la virulence : en se développant sur une variété sensible ('Désirée'), les lignées virulentes produisent de plus gros kystes, contenant plus de larves qui éclosent ensuite plus rapidement (Fournet et al., 2016) que les lignées avirulentes.

Ce résultat suggère que les individus virulents ont la capacité à envahir les populations, même lorsque les résistances ne sont pas utilisées, à moins :

- que le coût ait été rapidement compensé dans notre dispositif d'évolution expérimentale ;

- qu'il existe un fort coût de compétitivité, c'est-à-dire que les individus virulents sont moins compétitifs que les individus avirulents (hypothèse qui nécessite de disposer d'un outil moléculaire permettant de suivre les fréquences des allèles de virulence et d'avirulence dans les populations).

Modifications génomiques associées à l'adaptation

En ce qui concerne les modifications génomiques associées à l'adaptation de G. pallida à la résistance de la pomme de terre, nous avons mené une approche de genome scan (Encadré 2) sur ces lignées afin d'identifier les bases génétiques de cette adaptation.

La stratégie choisie est de comparer le génome des lignées adaptées avec celui des lignées non adaptées. Cette comparaison nécessite de réaliser un balayage génomique (ou genom scan), réalisé à partir du séquençage complet des génomes de 300 larves provenant de 300 kystes distincts pour chaque lignée et pour les deux populations utilisées, Noirmoutier et Saint-Malo (on parle alors de pool d'individus). Le séquençage de ces pools a été réalisé sur quatre pistes Illumina Hi-seq2500, aboutissant à une couverture de 300 x par lignée (G. pallida ayant un génome de 100 Mb). Les lectures, « reads », obtenues ont été alignées sur le génome de référence de G. pallida (constitué de 6 873 scaffolds, Cotton et al., 2014) afin d'identifier les substitutions nucléotidiques (ou SNPs) par rapport à ce génome de référence. Au total, ce sont 1,6 million de SNPs, soit 1 SNP toutes les 61 pb, qui ont été utilisés pour réaliser le balayage génomique en utilisant le programme BayPass (Gautier et al., 2015) qui permet de comparer les lignées adaptées (virulentes) et non adaptées (avirulentes). Il a permis d'identifier 275 SNPs qui présentent une forte différenciation génétique entre les lignées (Eoche-Bosy et al., 2017). Et parmi cette liste de 275 SNPs, 31 présentent également une baisse de diversité génétique chez les lignées virulentes. L'analyse des 31 régions génomiques candidates montre qu'elles sont enrichies en gènes codant des protéines sécrétées dont douze sont localisés directement dans des gènes (Eoche-Bosy et al., 2017).

Quand la fiction devient réalité

L'évolution expérimentale peut-être un moyen d'anticiper les futurs contournements de résistances, mais dans le cas de G. pallida, l'évolution naturelle a rattrapé l'évolution expérimentale, puisque des populations virulentes de G. pallida ont été détectées en Allemagne en 2014 (Niere et al., 2014).

Les perspectives de ce travail seront d'utiliser des populations virulentes européennes pour valider les SNPs identifiés sur des lignées issues d'évolution expérimentale et de développer un outil moléculaire qui permettra de suivre la fréquence des allèles de virulence dans les populations de G. pallida. Cet outil sera utilisé sur des populations naturelles, mais aussi sur des populations artificielles (avec un pourcentage initial d'allèles de virulence connu) que nous soumettrons à différentes stratégies de gestion des résistances.

SYLVAIN FOURNET*, DELPHINE EOCHE-BOSY*, MARIE-CLAIRE KERLAN**, ÉRIC GRENIER* ET JOSSELIN MONTARRY* *Inrae, UMR 1349 Igepp - Le Rheu. **Inrae, UMR 1349 Igepp - Ploudaniel.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - L'utilisation de variétés résistantes pour lutter contre le nématode à kyste de la pomme de terre Globodera pallida implique d'étudier le potentiel d'adaptation du pathogène au(x) gène(s) de résistance, en particulier au QTL majeur de résistance GpaVvrn issu de Solanum vernei.

L'enjeu actuel est de disposer des éléments nécessaires à la construction de stratégies de gestion durable des résistances.

ÉTUDE - Une expérience d'évolution expérimentale a permis d'explorer les modifications phénotypiques et génomiques associées à l'adaptation de G. pallida à la résistance de la pomme de terre.

RÉSULTATS - Les résultats ont permis de proposer des pistes pour accroître la durabilité des résistances : réaliser l'introgression de gènes majeurs dans des fonds génétiques partiellement résistants ; éviter l'utilisation répétée d'une seule variété résistante ; éventuellement, alterner les génotypes résistants issus de Solanum sparsipilum et de S. vernei (plutôt que de S. spegazzinii et de S. vernei)...

MOTS-CLÉS - Nématode à kyste Globodera pallida, pomme de terre, résistance variétale.

1 - Cycle biologique des nématodes à kyste

Les kystes de Globodera pallida renferment plusieurs centaines d'oeufs qui éclosent à la suite de la perception des exsudats racinaires de la plante-hôte. Les larves migrent jusqu'à la racine et y pénètrent grâce à leur stylet, véritable aiguille buccale (Figure 1).

Le nématode modifie le fonctionnement de cellules végétales du cylindre central pour former une structure particulière, le syncytium, qui lui permet de se nourrir des nutriments circulant dans les vaisseaux vasculaires de la plante.

Il y a ensuite différenciation en mâle ou femelle. Les mâles redeviennent libres et sortent de la racine, alors que les femelles grossissent jusqu'à faire éclater la racine (elles sont alors visibles à l'oeil nu sous la forme de petits points blancs à l'extérieur de la racine).

Les mâles fécondent les femelles ; le corps de la femelle va constituer le kyste qui se détache de la racine et peut survivre dans le sol une dizaine d'années.

2 - Le principe du genome scan

Le genome scan repose sur deux grands principes. D'une part, les trois forces évolutives que sont la mutation, la migration et la dérive génétique affectent le génome dans son ensemble, alors que la sélection n'affecte qu'une partie des loci, qui présentent alors des patrons de variations différents du reste du génome. D'autre part, la sélection d'un locus avantageux affecte également les loci avoisinants par un effet d'autostop moléculaire (Maynard-Smith & Haigh, 1974), ce qui crée un îlot de différenciation génétique autour du locus sélectionné, véritable signature de la sélection dans le génome. Cet effet entraîne aussi une baisse de la diversité dans ces régions génomiques.

Afin d'identifier les régions génomiques présentant des traces de sélection, le principe consiste à génotyper des populations avec des marqueurs moléculaires répartis sur tout le génome et de calculer pour chaque marqueur des indices de différenciation génétique (FST ou indices proches) entre populations. La différenciation génétique étant plus forte dans les régions sous sélection (figure), l'étape finale est de confronter les FST à une enveloppe de neutralité simulée et ainsi identifier les régions génomiques proches des marqueurs présentant des FST outliers (c'est-à-dire sortant de l'enveloppe). Comme la diversité génétique est plus faible dans les régions génomiques sous sélection (figure), les indices de diversité génétique peuvent également constituer un second critère pour l'identification de ces régions.

Critères permettant d'identifier des traces de sélection dans un génome (d'après Storz, 2005). Les marqueurs liés à la mutation sélectionnée (rond blanc) au niveau du locus 3 sont caractérisés par une augmentation de la différenciation génétique entre les deux populations (FST) et une réduction de la diversité génétique (<03C0>S) par rapport aux marqueurs non liés à cette mutation au niveau des loci 1, 2 et 4.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : sylvain.fournet@inrae.fr

josselin.montarry@inrae.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (20 références) est disponible auprès de leurs auteurs (contacts ci-dessus).

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