æLa réglementation européenne sur les organismes génétiquement modifiés (OGM)(1) fixe des exigences pour les OGM : procédures d'évaluation des risques et d'autorisation préalables à toute mise sur le marché ou dissémination dans l'environnement, obligations d'information du public, d'étiquetage et de traçabilité, etc. La transposition en droit français dans le code de l'environnement(2) exclut du champ de la réglementation OGM les organismes obtenus par mutagenèse (au contraire de ceux obtenus par transgenèse). Le Conseil d'État, qui avait saisi en septembre 2016 la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour une demande d'interprétation des modalités d'application de la directive 2001/18, a pris acte de la réponse apportée dans l'arrêt du 25 juillet 2018(3), à savoir que les plantes issues des nouvelles techniques de mutagenèse sont des OGM devant être réglementés.
æLa directive 2001/18 sur les OGM exclut de son champ d'application les « organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Son annexe 1B listant les méthodes exemptées inclut la mutagenèse et la fusion cellulaire (technique utilisée pour créer des plantes à stérilité mâle cytoplasmique). Or la mutagenèse désigne un ensemble de techniques (voir encadré). Selon la CJUE, les nouvelles techniques de mutagenèse, devant être réglementées, sont celles qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l'adoption de la directive de 2001. Sont notamment concernées la mutagenèse dirigée et la mutagenèse aléatoire in vitro, deux méthodes utilisées par exemple pour rendre tolérant à deux substances actives des variétés de tournesol et de colza. Les variétés obtenues au moyen de techniques plus anciennes ne sont pas soumises aux obligations de la directive.
æLe Conseil d'État demande au gouvernement(4) :
la modification, dans les six mois, du code de l'environnement (a. du 2° de l'article D. 531-2), en fixant par décret pris après avis du Haut Conseil des biotechnologies la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ;
l'identification, dans un délai de neuf mois, des variétés de plantes agricoles obtenues par les nouvelles techniques de mutagenèse et qui ont été inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, sans avoir fait l'objet de la procédure d'évaluation des risques applicable aux OGM ; les autorités compétentes doivent apprécier si les variétés ainsi identifiées doivent faire l'objet de pratiques culturales spécifiques, de retrait ou encore de destruction... (dispositions du 2 de l'article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 et des articles L. 535-6 et L. 535-7 du code de l'environnement). En pratique, les variétés concernées pourraient être retirées du catalogue et leur culture suspendue.
Par ailleurs, en vertu du principe de précaution, le Conseil d'État demande que, dans un délai de six mois, les recommandations formulées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) le 26 novembre 2019 en matière d'évaluation des risques liés aux variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides VRTH(5) soient mises en oeuvre (traçabilité, surveillance des résidus, etc.). Rappelons que, selon les conclusions de l'agence, les lacunes actuelles des données disponibles ne permettent pas de statuer sur les effets indésirables potentiels des VRTH et de conduire une évaluation a posteriori des risques sanitaires, environnementaux et agronomiques en cause. Et ce, même si des facteurs de risque ont été identifiés par ailleurs (développement d'espèces adventices résistantes, hausse de l'usage d'herbicides).
Enfin, le Conseil d'État enjoint au gouvernement de demander l'autorisation à la Commission européenne de prescrire des conditions appropriées de culture (pratiques culturales destinées à limiter l'apparition de résistances notamment) et d'utilisation des produits issus de la culture de VRTH obtenues par la mutagenèse et utilisées en France(6).
æUn travail sur le long terme de consultation et d'étude pourrait aboutir à une éventuelle proposition d'évolution de la réglementation européenne sur les OGM. En effet, la Commission européenne doit soumettre, pour le 30 avril 2021 au plus tard, une étude concernant le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l'Union(7). Le Conseil européen a également demandé à la Commission de lui remettre pour la fin d'année une étude sur les moyens dont dispose l'Union pour actualiser la législation existante relative à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction des végétaux(8). Cette évolution de la réglementation européenne est d'autant plus probable que, dans le cadre de son « pacte vert pour l'Europe » (Green Deal), l'Union européenne prévoit d'examiner le rôle des nouvelles techniques innovantes pour améliorer la durabilité du système alimentaire, tout en garantissant leur sécurité. Dans un communiqué publié à la suite de la décision du Conseil d'État, 27 organisations signataires représentatives de la filière agricole rappellent qu'elles « attendent beaucoup de la sélection variétale pour répondre à différents enjeux comme l'adaptation des cultures au changement climatique, la réduction des traitements grâce à la résistance aux ravageurs et maladies, l'amélioration des qualités organoleptiques et nutritionnelles... ».
(1) Directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.(2) Article D. 531-2 du code de l'environnement. (3) Arrêt du 25 juillet 2018 (C-528/16) de la CJUE. http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid= 204387&doclang=FR(4) www.conseil-etat.fr/Media/actualites/documents/2020/02-fevrier/decision-388649(5) « Utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides cultivées en France », rapport d'expertise collective https://www.anses.fr/fr/system/files/UPO2015SA0063Ra.pdf(6) Procédure prévue par le 2 de l'article 16 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles.(7) Décision (UE) 2019/1904 du Conseil du 8 novembre 2019 invitant la Commission à soumettre une étude à la lumière de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire C-528/16 concernant le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l'Union, et une proposition, le cas échéant pour tenir compte des résultats de l'étude. http://data.europa.eu/eli/dec/2019/1904/oj(8) Décision (UE) 2019/1905 du Conseil du 8 novembre 2019 invitant la Commission à soumettre une étude sur les moyens dont dispose l'Union pour actualiser la législation existante relative à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction des végétaux, et une proposition, le cas échéant pour tenir compte des résultats de l'étude. http://data.europa.eu/eli/dec/2019/1905/ojAutres référencesDes outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale :http://www.fondapol.org/etude/des-outils-de-modification-du-genome-au-service-de-la-sante-humaine-et-animale/Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l'environnement :http://www.fondapol.org/etude/des-plantes-biotech-au-service-de-la-sante-du-vegetal-et-de-lenvironnement/OGM et produits d'édition du génome, enjeux réglementaires et géopolitiques :http://www.fondapol.org/etude/ogm-et-produits-dedition-du-genome-enjeux-reglementaires-et-geopolitiques/
GLOSSAIRE
AMM = autorisation de mise sur le marché
De biocontrôle L. 253-5 = figurant sur la liste des produits de biocontrôle « établie au titre des articles L. 253-5 et L. 253-7, IV du code rural (...) »
JORF = Journal officiel de la République française
JOUE = Journal officiel de l'Union européenne
MAA = ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation
Phyto = phytopharmaceutique (qualifie un produit, une substance, un pesticide, un marché...)
UAB = utilisable en agriculture biologique
MUTAGENÈSE, TRANSGENÈSE : QUELQUES REPÈRES
La mutagenèse spontanée est un phénomène naturel qui a permis l'évolution des espèces.
Des techniques de laboratoire imitent ce phénomène et ont our objectif de provoquer chez un organisme vivant des mutations utiles pour l'homme :
la mutagenèse aléatoire, développée dans les années 1940-50, vise à obtenir des mutations génétiques à l'aide d'agents physiques ou chimiques.
Ces agents mutagènes (solution chimique, rayonnements) peuvent être employés sur la plante entière ou des parties de plantes - c'est la mutagenèse in vivo - ou sur des cellules (régénérées ensuite en plante entière) - c'est la mutagenèse in vitro.
la mutagenèse dirigée, qui résulte des nouvelles techniques d'édition du génome comme le CRISPR, correspond à l'utilisation de molécules biologiques (des nucléotides, des enzymes) modifiant le génome en des endroits précis afin d'obtenir la mutation recherchée. Certaines de ces modifications ne peuvent pas être distinguées d'une mutation spontanée.
La transgenèse insère dans le génome d'un organisme un gène d'une autre espèce (ex. : maïs Mon810) par électroporation ou à l'aide d'un « canon à particules » (billes d'or), ou de la bactérie Agrobacterium.