Le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) organisait, le 7 novembre dernier, pour la première fois une rencontre technique nationale consacrée aux aubergines, courgettes et poivrons. La journée s'est tenue dans les locaux du centre opérationnel de Balandran (Bellegarde, Gard). Différents thèmes ont été abordés : l'économie desfilières, l'actualité phytosanitaire, la protection des cultures, les conduites culturales aussi bien en agriculture conventionnelle qu'en agriculture biologique et la pollinisation sur courgette. Une table ronde sur la thématique des marchés a permis le débat.
Une production modeste en France
La journée technique a commencé par un aperçu économique. L'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas se positionnent comme les principaux producteurs d'aubergines, courgettes et poivrons au sein de l'Union européenne. La France, bien qu'en progression, conserve une place modeste. Parmi ces trois cultures, la courgette est le leader en France, suivie du poivron et de l'aubergine dont la production augmente depuis cinq ans. Le panier moyen des ménages français est passé, pour les trois espèces confondues, de 8,4 % en 2000 à 10,4 % en 2018, par le biais notamment de circuits de distribution diversifiés.
De nouvelles problématiques phytosanitaires
Des populations en recrudescence
Le changement des pratiques et la disparition de produits phytopharmaceutiques génèrent l'apparition de nouvelles problématiques phytosanitaires et la recrudescence de certains bioagresseurs. Ainsi, les populations de punaise verte Nezara viridula et de Lygus (punaises mirides) sont en hausse, avec parfois des pressions très importantes. Le doryphore est lui aussi en recrudescence à la suite de la disparition de solutions de lutte. Par ailleurs, l'augmentation des températures permet à certains bioagresseurs de s'installer, telle la noctuelle Spodoptera littoralis spp. Pour les nouveaux venus ou ceux sous haute surveillance, citons la mouche orientale Bactrocera dorsalis interceptée en 2019(1), qui figure sur la liste A1 de l'OEPP, et Spodoptera frugiperda qui est à nos portes. L'altise Epitrix hirtipennis, présente dans le sud-est de la France, représente une menace car elle occasionne des marquages sur fruits et « broutages de pétales de fleurs », générant une perte de production.
L'histoire se répète pour les maladies. Pour exemple, le manque de solutions de lutte (avec uniquement le recours accru au greffage) favorise l'installation et la persistance des champignons Pyrenochaeta lycopersici ou Colletotrichum coccodes. L'arrivée de nouveaux bioagresseurs - Athelia rolfsii, pourriture à Sclerotium très polyphage (500 espèces) difficile à maîtriser, qui se conserve dans le sol, ainsi que Monosporascus cannonballus (sur courgette), champignon du sol également difficile à maîtriser qui occasionne des flétrissements - est de plus en plus fréquente et complexifie la protection sanitaire.
Les punaises sur le banc des accusées
Les punaises(2) représentent une réelle atteinte pour les productions et mettent en péril la protection biologique intégrée. Il est nécessaire de trouver des solutions fiables et de proposer des stratégies de lutte vis-à-vis de ces bioagresseurs.
Le projet ImPulse dont les travaux de recherche et d'expérimentation portent sur les couples tomate/Nesidiocoris tenuis, aubergine/Nezara viridula, et chou/Eurydema sp. a été présenté à Balandran, dévoilant les trois axes conduits en culture d'aubergine :
- mieux connaître la biologie des punaises phytophages ;
- développer de nouvelles méthodes de protection ;
- améliorer des stratégies globales de protection.
Les Lygus sont difficilement identifiables sur le terrain, aussi, afin de connaître l'espèce présente en culture, une première étape de ce projet a été de réaliser des supports pour la reconnaissance morphologique des punaises rencontrées en cultures légumières. Par ailleurs, des méthodes d'analyse par la caractérisation moléculaire sur le séquençage de cinq gènes des espèces de Lygus révèlent deux espèces en France : Lygus rugulipennis et une punaise polymorphe(2). Dans un deuxième temps, des essais de lutte biologique ont été menés vis-à-vis de Nezara viridula. Le parasitoïde oophage Trissolcus basalis a ainsi été évalué et les résultats encourageants montrent jusqu'à 70 % de parasitisme, avec une corrélation significative de la baisse de dégâts. Notons que la recherche de solutions biologiques pour lutter contre cette punaise ne date pas d'aujourd'hui. En effet, T. basalis avait été étudié par une société privée il y a vingt ans sur culture d'aubergine, donnant des résultats prometteurs également (comm. perso. ; voir bibliographie en fin d'article).
Parallèlement, l'évaluation de la mise en place de filets insect-proof aux ouvrants des serres comme barrières physiques montre une réduction des entrées de punaises dans les serres comparé à une serre sans filet et, de fait, il est observé une diminution des dégâts sur boutons floraux générant un meilleur rendement pouvant aller jusqu'à + de 9 kg/m². Mais tous les essais ne répondent pas aux objectifs attendus, les tests comparatifs de piégeage à l'aide des panneaux chromo-attractifs englués jaunes, bleus et blancs n'ont pas permis de conclure favorablement sur le nombre d'individus piégés par rapport à une couleur qui serait particulièrement attractive pour les punaises.
Rien n'est laissé au hasard, il faut tout essayer, en effet, des essais conduits avec l'introduction des plantes-pièges dans les serres - telles la luzerne, la phacélie et la vesce - à l'intérieur des abris pour attirer et maintenir les agresseurs hors de la culture ont montré une forte attractivité pour les Lygus. La tanaisie, elle, attirerait davantage Nezara que Lygus. La méthode est séduisante, cependant la difficulté de cette pratique réside dans la gestion de ces plantes-pièges en milieu fermé sans nuire aux auxiliaires présents dans les cultures.
Pour conclure ce bref descriptif du projet ImPulse, des résultats d'essais sont en cours d'analyse pour mesurer l'efficacité des nématodes entomopathogènes vis-à-vis des Lygus.
Nous comprenons, au travers de ce projet, qu'une fois de plus c'est la combinaison des différentes méthodes existantes qui permettra de réguler les populations de ces bioagresseurs. De nouvelles solutions alternatives sont très attendues.
Essais PBI
Nourrissage d'acarien prédateur, piégeage
La protection biologique intégrée sur aubergine et poivron a été abordée par la présentation d'essais de nouvelles stratégies de lâchers d'auxiliaires. En effet, différentes solutions sont étudiées pour favoriser le maintien de l'acarien prédateur d'aleurodes et de thrips, Amblyseius swirskii, qui « décroche » durant l'été sous les abris en raison de conditions climatiques extrêmes, en particulier face à Bemisia tabaci sur aubergine. Ce bioagresseur est favorisé par les conditions estivales et sa gestion devient de plus en plus problématique. Plusieurs pistes d'amélioration ont été étudiées :
- le nourrissage des acariens prédateurs à partir de pollen (mais les résultats obtenus ne répondent pas aux attentes) ou par l'apport de proies (en cours de test) ;
- le lâcher de la punaise prédatrice d'aleurodes Macrolophus pygmaeus pour prendre le relais des acariens prédateurs (résultats aléatoires) ;
- le positionnement de produit de biocontrôle à base de champignons entomopathogènes.
Un ravageur qui commence à prendre de l'ampleur, Epitrix hirtipennis, quant à lui, subit le piégeage de masse, par une comparaison de panneaux chromo-attractifs, bleus, rouges, jaune vif et jaune d'or (Figure 1). Les premiers tests éliminent les panneaux bleus et rouges. Les panneaux jaunes sont retenus et évalués, couverts de glu humide ou de glu sèche. Les résultats montrent une différence significative du piégeage avec les panneaux jaune d'or et glu sèche (près de 1,8 fois plus d'individus piégés) comparés aux panneaux jaune vif à glu humide (CEPP Fiches action parue au JO le 23 janvier 2020 - action 56 modifiée). Les essais PBI seront poursuivis et renouvelés en 2020.
Plantes de service et greffage
Quelques résultats du projet Reguleg (contrôle des ravageurs des cultures légumières à l'aide de plantes de service ; 2018-2020), lequel est mené par le CTIFL et l'Aprel (Association provençale de recherche et d'expérimentation légumière, Bouches-du-Rhône), montrent que la lutte biologique par conservation des habitats - au travers de plantes-ressources, qui apportent du pollen ou du nectar pour les prédateurs (coccinelles, chrysopes, syrphes), et des plantes-banques ou plantes-relais qui accueillent les pucerons, par exemple, et leurs auxiliaires - permet de réguler les populations de pucerons sur aubergine sous abri froid. La mise en place de ces plantes dans les cultures se réalise avant la plantation. Elle se déroule en plusieurs étapes, l'important étant d'inoculer les plantes-banques de pucerons au moins 1 mois avant la plantation :
1)janvier-février, mise en place, en semant des plantes ressources (coriandre, sarrasin, achillée millefeuille, tanaisie) et des plantes-banques (ortie, tanaisie, achillée millefeuille), en réalisant des semis qui seront sous voile de forçage au centre ou sur le long des bordures de la serre en alternance de bandes de plusieurs mètres ;
2) février-mars, inoculation de pucerons ;
3) mars, lâchers de prédateurs de pucerons (syrphes, cécidomyies...) ;
4) avril, plantation des aubergines.
Au cours de cet essai, les teneurs en nitrates dans le feuillage des aubergines ont été mesurées (analyse des jus pétiolaires). Il semblerait que la nutrition azotée joue un rôle non négligeable sur les processus de régulation naturelle des pucerons en favorisant ces derniers et en affectant le type de réponse fonctionnelle des auxiliaires.
D'après les études en laboratoire d'Aqueel et al., 2014, le nombre de pucerons consommés par les chrysopes diminue significativement quand la teneur en nitrates du feuillage des plantes augmente. En effet, les pucerons sont plus gros et les chrysopes atteignent plus rapidement la quantité de nourriture dont elles ont besoin (voir bibliographie).
Avec l'arrêt des désinfections de sol, l'intensification des cultures et le contournement des résistances, on rencontre de plus en plus fréquemment des dépérissements. Ainsi la technique du greffage s'est développée ces dernières années sur aubergine pour atteindre, d'après une estimation du réseau sous abri Paca, 75 % de plantations en plants greffés, pour lutter contre certains bioagresseurs telluriques ; elle présente toutefois quelques limites. Aussi, des essais ont été conduits par l'Aprel pour évaluer différents porte-greffes vis-à-vis de leur tolérance à des pathogènes dans des conditions d'infestations contrôlées ou naturelles. Les conclusions révèlent que le greffage reste une solution intéressante sur aubergine, avec quelques inconvénients, comme une perte de précocité. Il se raisonne au cas par cas et n'est pas suffisant à lui seul, il faut y associer d'autres solutions. En poivron, cette technique utilisée en sol « fatigué » (pauvre en matière organique et ayant supporté de nombreuses cultures) permet de maintenir la production, la tolérance au Phytophthora et aux nématodes. Elle n'est toutefois pas très pratiquée. Il est nécessaire d'alterner les différents porte-greffes et d'évaluer l'intérêt de la technique étant donné le surcoût, notamment en courgette (+ 8 400 €/ha).
Compte tenu du succès de cette journée, le CTIFL prévoit de renouveler l'événement. De nombreux sujets restent à étudier pour proposer des stratégies de protection fiables vis-à-vis des bioagresseurs de l'aubergine, de la courgette et du poivron. Le manque de solutions alternatives et innovantes face aux enjeux est réel, les filières attendent des réponses à leurs difficultés.
(1) https://gd.eppo.int/reporting/article-6657(2) Voir « Oh punaise ! Vous avez dit punaises ? », Phytoma n° 722, p. 49-52, et « Solutions de lutte biologique pour maîtriser les punaises », Phytoma n° 723, p. 22-27.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - La rencontre technique nationale consacrée aux aubergines, courgettes et poivrons le 7 novembre 2019 au centre CTIFL (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes) de Balandran (Bellegarde, Gard) a attiré 170 participants.
FOCUS - La journée s'est intéressée à différentes thématiques (marché, fertilisation, greffage...). Cet article synthétise les points abordés dans le domaine de la protection des plantes. Il relate notamment les difficultés liées au manque de solutions de lutte : recrudescence de bioagresseurs comme les punaises, nouveaux ravageurs à surveiller (Spodoptera littoralis, Epitrix hirtipennis...). Les solutions en cours d'étude - nourrissage, piégeage, greffage... - offrent des résultats encourageants dans certaines situations mais ne se suffisent pas à elles-mêmes.
MOTS-CLÉS - Aubergine, courgette, poivron, punaises, Spodoptera, nourrissage, piégeage, greffage.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : lacordaire.formation@outlook.fr
LIENS UTILES : https://www.researchgate.net/publication/255976630_Effect_of_plant_nutrition_on_aphid_size_prey_consumption_and_life_history_characteristics_of_green_lacewing
- http://agris.fao.org/agris-search/search.do?recordID=FR2003000064
https://www.cabdirect.org/cabdirect/abstract/20013072087