Symptômes de mildiou (Peronospora destructor) sur feuilles d'échalote (1) et plants (2). 3. Symptômes de Botrytis squamosa sur feuilles d'échalote. 4. Symptômes de Botrytis allii sur bulbes d'échalote en conservation. Photos : C. Gouez
Fig. 1 : Les différentes étapes du dispositif d'aide à la décision développé dans le cadre du projet Vigispores Photos : tubes/Pixabay ; molécule ADN/Pixabay ; robot, courbes, parcelle échalote/Vegenov ; rapport/Pixabay
Le projet Vigispores (2017-2019) avait pour objectif de développer un outil d'aide à la décision (OAD) permettant aux producteurs d'échalotes de mieux positionner leurs traitements contre trois maladies fongiques : Peronospora destructor, Botrytis squamosa et Botrytis allii. Le dispositif met en oeuvre des capteurs de spores disposés sur les parcelles et des outils moléculaires en laboratoire pour identifier et quantifier le nombre de spores.
L'échalote, attaquée par plusieurs maladies fongiques
La Bretagne est la première région productrice d'échalote de l'Union européenne, avec 38 821 tonnes produites annuellement, soit 79 % de la production nationale (Agreste, août 2019).
Chez les Allium, trois principales maladies fongiques sont problématiques en phases de culture des plants et de conservation des bulbes en Bretagne.
Le mildiou causé par Peronospora destructor se développe au printemps (généralement à partir de fin avril) et entraîne un dessèchement des feuilles (photos 1 et 2).
La brûlure des feuilles due aux attaques de Botrytis squamosa affecte uniquement le feuillage (photo 3) et provoque son dessèchement prématuré. Elle est préjudiciable pour le rendement et la qualité des bulbes. Le rôle de la concentration aérienne de spores de B. squamosa dans le développement de la brûlure de la feuille de l'oignon a été mis en évidence (Lacy and Pontius, 1982 ; Sutton et al., 1983 ; Vincelli and Lorbeer, 1987, 1988). Certains auteurs (Sutton et al., 1983) ont démontré une bonne corrélation entre la concentration aérienne de spores et la sévérité de la maladie. Vincelli and Lorbeer (1987) ont démontré que les risques de développement de la maladie étaient élevés lorsque la concentration aérienne de spores était supérieure à dix spores par m3. Après une sporulation et lors de conditions favorables, le producteur dispose de 12 à 24 heures avant que les spores ne germent et que le champignon ne pénètre dans le feuillage. Un traitement fongicide a une meilleure efficacité s'il est appliqué dans cet intervalle de 12 à 24 heures suivant la sporulation de ce champignon.
La pourriture du collet est causée par Botrytis allii, agent de pourriture de conservation des bulbes (photo 4). La contamination a lieu en fin de culture au niveau des feuilles sénescentes. Les symptômes sont rarement visibles en culture mais s'expriment en cours de conservation des bulbes.
Limites des outils prédictifs et des moyens de lutte actuels
Actuellement, les moyens de lutte contre les trois agents pathogènes de l'échalote reposent essentiellement, en agriculture conventionnelle, sur l'utilisation de huit à dix traitements fongicides en cours de culture. Malgré ces applications, la maîtrise de ces maladies reste délicate du fait, bien souvent, d'un mauvais positionnement des traitements. En agriculture biologique, il existe des produits à base de cuivre utilisables contre le mildiou mais qui ne s'avèrent pas efficaces contre cette maladie dans nos conditions de production en Bretagne. Des modèles de prévision des risques (Miloni, Pulsowin...) existent pour ces maladies. Ils sont basés uniquement sur des données météorologiques et des algorithmes, et ils manquent donc de précision car ils ne prennent pas en compte les données réelles d'émission des spores fongiques sur le terrain.
Les capteurs de pollen et de spores d'agents phytopathogènes sont utilisés en agriculture depuis les années 1950. De nombreuses améliorations ont été apportées depuis le développement des premiers capteurs et leur utilisation est désormais possible dans le domaine agricole. Une synthèse de ces innovations a été récemment réalisée par West and Kimber (2015).
Une fois les spores de champignons captées dans l'air au champ, il est indispensable de disposer d'une méthode fiable et efficace pour les caractériser et les quantifier. Le plus simple est une lecture de lames sous microscope. Il faut cependant pouvoir distinguer les différentes espèces. Si certaines sont morphologiquement caractéristiques, d'autres de formes rondes ou ovoïdes sont difficilement identifiables. Par ailleurs, ces lectures sont longues et fastidieuses. Le piégeage peut être suivi d'une mise en culture sur des milieux plus ou moins spécifiques, de façon à réaliser les identifications sur des caractères morphologiques ou de couleur. Mais là encore, l'un des facteurs limitants est le temps nécessaire à ces opérations. Les techniques moléculaires de détection de champignons pathogènes qui se sont largement développées ces dernières années (Boonham et al., 2016) offrent un potentiel d'utilisation intéressant en couplage avec les capteurs de spores sur le terrain.
Coupler des capteurs de spores à des outils de laboratoire
Un projet collaboratif
Le Cerafel (association d'organisations de producteurs), les stations expérimentales du Caté et de Terre d'essais, le centre de R&D Vegenov et la chambre d'agriculture de Bretagne se sont associés en 2017 pour monter le projet collaboratif Vigispores. L'objectif était de développer un OAD basé sur le couplage de capteurs de spores sur le terrain et d'outils moléculaire au laboratoire (encadré ci-dessous) pour améliorer la lutte contre les trois maladies fongiques à dispersion aériennes en culture d'Allium, en utilisant l'échalote comme plante modèle (Figure 1). Le système d'alerte développé pourra être utilisé en agriculture conventionnelle pour mieux positionner ou réduire l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, et en agriculture conventionnelle et en agriculture biologique pour mieux piloter la date de récolte, voire le choix de conservation des lots d'échalotes.
Ce projet, qui a démarré en janvier 2017 pour une période de trois ans, a bénéficié d'un financement par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et la région Bretagne dans le cadre du partenariat européen d'innovation « Productivité et développement durable de l'agriculture » (PEI-Agri).
Mise au point des tests moléculaires et choix des capteurs
En 2017, Vegenov a mis au point et validé en conditions de laboratoire un test de détection et de quantification par PCRq pour chacun des trois champignons pathogènes (P. destructor, B. squamosa et B. allii). La spécificité de chaque test (l'amplification de l'agent pathogène ciblé uniquement en comparaison avec d'autres espèces du même genre ou de genres différents) et sa sensibilité (détection possible à partir d'une seule spore du champignon pathogène ciblé, Figure 3) ont été validées.
Parmi les différents systèmes de capteurs de spores disponibles sur le marché (West and Kimber, 2015), les capteurs d'air à carrousel de la société anglaise Burkard ont été choisis pour le projet Vigispores. Ils permettent l'aspiration d'un volume d'air connu (16,5 litres par minute), avec projection des particules (grains de pollen et spores) directement dans un tube de collecte. Le carrousel a une capacité de huit tubes, permettant des captages journaliers, sur une semaine complète, en totale autonomie grâce au panneau solaire et à la batterie de l'appareil (Figure 4 page suivante).
Vers un système d'alertes en temps réel
Résultat des captages de spores
Une première année d'expérimentation avec un capteur a été conduite en 2017 uniquement sur la station du Caté. Puis, pendant deux années consécutives, sept capteurs Burkard ont été déployés sur le terrain, sur différentes parcelles (un capteur par parcelle de 3 000 m² à 2 ha) dans les départements du Finistère et des Côtes-d'Armor. Pendant la durée de la culture d'échalote, des captages d'air journaliers ont été réalisés. Les plages d'échantillonnage ont été programmées entre 9 h et 14 h, période pendant laquelle les émissions de spores sont les plus susceptibles de se produire. En phase de développement de l'outil, les tubes contenant des échantillons ont été collectés une à deux fois par semaine pour grouper les analyses, et envoyés au laboratoire de marquage moléculaire de Vegenov pour la détection et la quantification des spores des trois pathogènes-cibles potentiellement présentes dans les échantillons collectés.
En 2018 et 2019, les analyses ont révélé la présence de spores de mildiou sur l'ensemble des sites équipés d'un capteur. Une bonne corrélation a été observée durant ces deux années entre les détections moléculaires des premières spores de mildiou captées et l'expression des symptômes au champ.
Concernant B. squamosa, nous avons observé un très faible niveau de contamination pendant les deux années d'évaluation et une forte variabilité entre les parcelles suivies, à la fois dans le captage des spores et dans l'infestation du feuillage, ce qui a rendu très difficile la corrélation entre les captages de spores et l'expression des symptômes au champ.
Pour B. allii, il n'y a pas eu de détections sur les sept sites avec capteurs en 2018 et 2019. Cette maladie a par ailleurs été peu observée sur les bulbes d'échalote en conservation lors de ces deux campagnes culturales.
Conclusions
L'association du captage de spores et du marquage moléculaire se révèle être un outil d'intérêt pour aider les conseillers agricoles et les producteurs à appréhender les risques du mildiou de l'échalote. Sur P. destructor, le risque est à considérer dès les premières spores captées. Aujourd'hui, à l'issue du projet Vigispores, ce travail de développement reste à finaliser pour rendre cet outil utilisable en routine afin d'alerter les producteurs en temps réel.
Sur B. squamosa et B. allii, les conditions culturales des années d'expérimentations ont été peu propices aux infestations généralisées et n'ont pas permis de mettre en évidence une corrélation entre le captage de spores et l'expression des symptômes. Des références restent à acquérir afin de valider cet OAD sur ces pathosystèmes.
Compte tenu de la variabilité du niveau de détection des pathogènes entre les parcelles, le projet met en évidence l'intérêt d'un réseau multisite afin d'appréhender les risques globaux à l'échelle d'un bassin de production. De plus, nous avons observé une variabilité de captage (en termes de quantité de spores) entre des capteurs placés à proximité les uns des autres. Cette variabilité limite l'approche quantitative et ne permet d'évaluer qu'un risque qualitatif (nul, faible, moyen ou fort).
Si le capteur Burkard à carrousel semble adapté à un captage automatisé sur une période de huit jours maximum, sa fragilité dans les conditions du terrain a toutefois été notée.
À l'échelle de la Bretagne, sur les légumes frais, Vigispores est le premier projet associant l'utilisation de capteurs de spores et le marquage moléculaire afin d'améliorer l'efficience du conseil agricole. Cette première expérience a suscité l'intérêt des partenaires qui souhaitent adapter l'OAD sur d'autres cultures légumières (par exemple, le projet MétalMilArt sur le mildiou de l'artichaut).
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Face à la nécessité de réduire les applications phytosanitaires, disposer d'outils innovants pour détecter précocement les maladies en culture et alerter des risques encourus peut s'avérer précieux.
Le projet collaboratif Vigispores (2017-2019) visait à développer un outil d'aide à la décision (OAD) pour la gestion de trois maladies fongiques de l'échalote (Peronospora destructor, Botrytis squamosa et Botrytis allii). Cet OAD associe le captage de spores sur le terrain à leur identification moléculaire au laboratoire.
ÉTUDE - À l'issue de trois années d'expérimentation, le dispositif a démontré son intérêt pour aider les conseillers agricoles et les producteurs à appréhender les risques du mildiou (Peronospora destructor) de l'échalote. Les conditions d'essai n'ont pas permis d'évaluer l'efficacité de l'outil sur les deux autres maladies fongiques.
MOTS-CLÉS - Outil d'aide à la décision (OAD), capteur, spores, champignons, PCR, échalote, Peronospora destructor.
Les outils moléculaires : un usage en augmentation en santé des plantes
Depuis quelques années, il est observé une augmentation de l'utilisation d'outils moléculaires dans le domaine de la santé des plantes, notamment pour la détection et la quantification d'agents pathogènes des végétaux. En effet, ces approches ont pour avantage d'être plus rapides et plus précises que les méthodes classiques de microbiologie. Les outils de détection et de quantification moléculaires sont basés sur des techniques de PCR (réaction de polymérisation en chaîne ou Polymerase Chain Reaction), permettant d'obtenir, à partir d'un échantillon d'ADN, un très grand nombre de copies d'une séquence d'ADN spécifique. La détection d'un agent pathogène se fait par l'amplification exponentielle d'une séquence spécifique de son génome. En PCR quantitative (PCRq), l'accumulation des séquences d'ADN cible (spécifique de l'agent pathogène ciblé) dans le milieu réactionnel se traduit par une augmentation d'une émission de fluorescence qui est détectée en temps réel (Figure 2). Cette approche permet en outre, à l'aide de témoins positifs et négatifs adaptés, d'opérer une quantification précise de la quantité d'ADN cible initialement présente dans l'échantillon analysé.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS :
hamon@vegenov.com
roby@vegenov.com
damien.penguilly@cate.bzh
jean-michel.collet@ctifl.fr
claire.gouez@bretagne.chambagri.fr
grostoll@ucpt-paimpol.com
a.juin@cerafel.com
LIENS UTILES : Vegenov - https://www.vegenov.com/
Caté - https://www.station-cate.fr/
BIBLIOGRAPHIE : - Lacy M. L. and Pontius G. A. (1982), Prediction of weather-mediated release of conidia of Botrytis squamosal from onion leaves in the field. Am. Phytopatological Soc. 73, 670-676.
- Sutton J. C., James T. D. W. and Rowell P. M. (1983), Relation of weather and host factors to an epidemic of botrytis leaf blight in onions. Can. J. Plant Pathol. 5, 256-265.
- Vincelli P. C. and Lorbeer J. W. (1987), Sequential sampling plan for timing initial fungicide application to control Botrytis leaf blight of onion. Am. Phytopatological Soc. 77, 1301-1303.
- Vincelli P. C. and Lorbeer J. W. (1988), Relationship of precipitation probability to infection potential of Bortytis squamosal on onion, Phytopathology 78, 1078-1082.
- West J. S. and Kimber R. B. E. (2015), Innovations in air sampling to detect plant pathogens: Innovations in air sampling to detect plant pathogens. Ann. Appl. Biol. 166, 4-17.