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Bioagresseurs

Xylella fastidiosa : insectes vecteurs, plantes et climat

PAULINE FARIGOULE* **, MARGUERITE CHARTOIS*, XAVIER MESMIN* ***, ILEANA QUIQUEREZ****, GUÉNAËLLE GENSON*, MARTIN GODEFROID*, SABINE NIDELET*, ÉRIC PIERRE*, JEAN-MARC THUILLIER*, SABRINA BORGOMANO****, FRANÇOIS CASABIANCA*****, LAETITIA HUGOT****, JEAN-CLA - Phytoma - n°732 - mars 2020 - page 39

L'étude des liens trophiques existants entre les vecteurs et les végétaux ainsi que la modélisation d'aires de répartition permet de déterminer la distribution potentielle de Xylella et les moyens de limiter sa propagation.
Xylella fastidiosa représente une menace pour les plantes ligneuses en Corse et en Paca. Photo : Inrae

Xylella fastidiosa représente une menace pour les plantes ligneuses en Corse et en Paca. Photo : Inrae

Fig. 1 : Réseau d'interactions hypothétiques entre une communauté d'insectes vecteurs, la communauté de plantes dont ils se nourrissent et Xylella fastidiosa Les préférences alimentaires potentielles des vecteurs sont matérialisées par des flèches d'épaisseur différentes. Afin de reconstruire les réseaux d'interactions entre insectes et plantes, les chercheurs doivent répondre à trois questions : quels sont les vecteurs ? Quels insectes se nourrissent de quelle(s) plante(s) ? Les insectes/plantes portent-ils/elles la bactérie et de quelle(s) sous-espèce(s)/souches s'agit-il ? À terme, il s'agit d'identifier s'il est possible, connaissant la composition des communautés d'insectes et de plantes, d'anticiper les routes de colonisation de la bactérie et de briser les interactions clés afin de limiter sa propagation. Note : ce schéma ne décrit aucun réseau réel, chaque interaction doit être étudiée pour être confirmée ou infirmée, ce qui constitue le travail de terrain mené par les équipes de recherche.

Fig. 1 : Réseau d'interactions hypothétiques entre une communauté d'insectes vecteurs, la communauté de plantes dont ils se nourrissent et Xylella fastidiosa Les préférences alimentaires potentielles des vecteurs sont matérialisées par des flèches d'épaisseur différentes. Afin de reconstruire les réseaux d'interactions entre insectes et plantes, les chercheurs doivent répondre à trois questions : quels sont les vecteurs ? Quels insectes se nourrissent de quelle(s) plante(s) ? Les insectes/plantes portent-ils/elles la bactérie et de quelle(s) sous-espèce(s)/souches s'agit-il ? À terme, il s'agit d'identifier s'il est possible, connaissant la composition des communautés d'insectes et de plantes, d'anticiper les routes de colonisation de la bactérie et de briser les interactions clés afin de limiter sa propagation. Note : ce schéma ne décrit aucun réseau réel, chaque interaction doit être étudiée pour être confirmée ou infirmée, ce qui constitue le travail de terrain mené par les équipes de recherche.

Un polygale à feuilles de myrte contaminé par Xylella fastidiosa. Photo : Inrae

Un polygale à feuilles de myrte contaminé par Xylella fastidiosa. Photo : Inrae

Fig. 2 : Comprendre l'influence de l'interaction entre Philaenus spumarius et Cistus monspeliensis dans la dynamique de l'épidémie en Corse A. « Crachat de coucou » dans lequel se cache la larve de P. spumarius sur C. monspeliensis. B. Émergence de P. spumarius adulte. C. P. spumarius adulte sur C. monspeliensis. D. Évaluation de l'abondance des larves de P. spumarius : dénombrement à vue des « crachats de coucou ». E. Évaluation de l'abondance des P. spumarius adultes : fauchage de la végétation à l'aide d'un filet et dénombrement des adultes collectés. F. Matériel de chasse des P. spumarius adultes : aspirateur à bouche et filet fauchoir. G. Propagation schématique de Xylella fastidiosa dans l'environnement et questions de recherche associées. H. Symptômes de X. fastidiosa sur chêne vert. I. Symptômes de X. fastidiosa sur myrte en mars 2018. J. Disparition des symptômes de X. fastidiosa sur le même pied de myrte en juin 2018. Photos : Inrae

Fig. 2 : Comprendre l'influence de l'interaction entre Philaenus spumarius et Cistus monspeliensis dans la dynamique de l'épidémie en Corse A. « Crachat de coucou » dans lequel se cache la larve de P. spumarius sur C. monspeliensis. B. Émergence de P. spumarius adulte. C. P. spumarius adulte sur C. monspeliensis. D. Évaluation de l'abondance des larves de P. spumarius : dénombrement à vue des « crachats de coucou ». E. Évaluation de l'abondance des P. spumarius adultes : fauchage de la végétation à l'aide d'un filet et dénombrement des adultes collectés. F. Matériel de chasse des P. spumarius adultes : aspirateur à bouche et filet fauchoir. G. Propagation schématique de Xylella fastidiosa dans l'environnement et questions de recherche associées. H. Symptômes de X. fastidiosa sur chêne vert. I. Symptômes de X. fastidiosa sur myrte en mars 2018. J. Disparition des symptômes de X. fastidiosa sur le même pied de myrte en juin 2018. Photos : Inrae

Fig. 3 : Aire de distribution potentielle des trois sous-espèces de Xylella fastidiosa présentes en Europe A-C : dans les conditions climatiques actuelles (figure modifiée de Godefroid et al., 2019). D. Aire de distribution potentielle de X. fastidiosa spp. multiplex en 2070 selon le scénario RCP (Representative Concentration Pathway) 8,5 et un ensemble de modèles de circulation globale.

Fig. 3 : Aire de distribution potentielle des trois sous-espèces de Xylella fastidiosa présentes en Europe A-C : dans les conditions climatiques actuelles (figure modifiée de Godefroid et al., 2019). D. Aire de distribution potentielle de X. fastidiosa spp. multiplex en 2070 selon le scénario RCP (Representative Concentration Pathway) 8,5 et un ensemble de modèles de circulation globale.

Avec l'augmentation des échanges de végétaux, les risques d'introduction d'organismes phytopathogènes sont accrus, mettant en danger agroécosystèmes et écosystèmes semi-naturels (forêts, maquis, etc.). La capacité de ces organismes exogènes à s'implanter et à se disperser dans leur nouvel environnement est difficile à anticiper. Dans le cas d'agents phytopathogènes transmis par des insectes piqueurs-suceurs, comme Xylella fastidiosa, leur propagation dépend des échanges de plants contaminés mais également des communautés locales de vecteurs et de plantes-hôtes potentielles, ainsi que des conditions environnementales.

Une distribution dépendante des vecteurs et plantes-hôtes

Des spectres d'hôtes plus ou moins recouvrants

Xylella fastidiosa a été détectée pour la première fois en Italie en 2013 puis en France à l'été 2015 (Corse et région Paca, Chauvel et al., 2015). Cette bactérie est originaire du continent américain où elle a notamment causé, dans les années 1990, de sévères pertes aux filières agrumes au Brésil et vitivinicole en Californie (maladie de Pierce). Actuellement, les coûts imputés à cette bactérie sur l'industrie du vin en Californie sont estimés à plus de 100 millions de dollars par an. En Italie, plusieurs milliers d'hectares d'oliviers parfois centenaires sont morts ou ont dû être arrachés car ils étaient infectés par la bactérie ou se trouvaient à proximité d'un foyer d'infection. La bactérie, qui a depuis été détectée en Espagne et au Portugal, menace aujourd'hui le continent européen. En effet, son spectre d'hôtes est vaste, avec plus de 560 plantes ligneuses ou herbacées référencées appartenant à 82 familles botaniques.

Trois des six sous-espèces de la bactérie sont présentes en Europe : X. fastidiosa ssp. fastidiosa, X. fastidiosa ssp. multiplex et X. fastidiosa ssp. pauca. Elles ont des spectres d'hôtes plus ou moins recouvrants. Certaines plantes n'abritent qu'une seule sous-espèce de la bactérie mais d'autres peuvent en héberger plusieurs, ce qui faciliterait les échanges génétiques entre les souches bactériennes.

Les bactéries, en se multipliant, forment un biofilm qui obstrue les vaisseaux du xylème et bloque la circulation de sève brute, provoquant des symptômes de stress hydrique chez la plante infectée. Certaines plantes peuvent survivre à l'infection, d'autres succombent. X. fastidiosa représente donc une menace pour l'agriculture et les milieux semi-naturels, même s'il est important de souligner que la plupart des plantes restent asymptomatiques tant que la charge bactérienne n'est pas trop importante (Sicard et al., 2018) et que certaines espèces de plantes semblent plus tolérantes que d'autres.

Une transmission par insectes piqueurs-suceurs

La transmission de X. fastidiosa est due à l'action d'insectes hémiptères qui se nourrissent de la sève brute des plantes. Ils acquièrent la bactérie en suçant la sève d'une plante contaminée. La bactérie prolifère alors dans leur cavité buccale et pourra être transmise aux plantes sur lesquelles ils s'alimenteront. Au cours de leur développement larvaire, les vecteurs perdent la bactérie à chaque mue. Il n'y a donc pas de transmission de la bactérie de la larve à l'adulte ni de l'oeuf à la génération suivante. Si l'échange de plants contaminés représente évidemment un facteur majeur de contamination, la bactérie ne peut sortir de la plante où elle se trouve que par l'action d'un insecte vecteur. Il est donc important de prendre conscience qu'à l'image du paludisme et des moustiques, l'épidémiologie de Xylella ne sera comprise qu'en prenant en compte les insectes vecteurs de la maladie. Ainsi, la crise sanitaire des années 1990 dans les vignobles californiens résulte plus de l'introduction d'un vecteur particulièrement efficace (Homalodisca vitripennis) que de la présence de la bactérie en tant que telle.

En Europe, les espèces d'insectes capables de s'alimenter directement dans le xylème constituent des vecteurs potentiels. Elles appartiennent aux familles d'hémiptères Aphrophoridae, Cercopidae, Cicadellidae et Cicadidae et on estime leur nombre à une cinquantaine en France et une centaine en Europe (Chauvel et al., 2015). Ces insectes sont généralement mal connus et les données sur leur capacité de transmission de la bactérie sont quasi inexistantes. Les recherches menées dans le cadre du programme européen XF-Actors qui a débuté fin 2016 ont montré que Philaenus spumarius (le cercope des prés), P. italosignus et Neophilaenus campestris (Aphrophoridae) pouvaient transmettre X. fastidiosa. Il faut souligner ici qu'un insecte porteur de la bactérie n'est pas nécessairement un vecteur efficace.

Des réseaux d'interactions plantes-vecteurs complexes

La dynamique de la bactérie X. fastidiosa s'inscrit dans des réseaux d'interactions plantes/insectes vecteurs complexes (Figure 1). L'épidémiologie de la maladie dépend de la densité d'insectes vecteurs, de leur mobilité, de leur distribution spatiale et temporelle (hibernation/estivation), de leurs habitats, de leurs préférences alimentaires (espèces généralistes ou spécialistes) ainsi que de leur capacité à transmettre la bactérie. Ceci rend la propagation de la maladie particulièrement difficile à modéliser et à anticiper.

Pourquoi et comment étudier les réseaux d'interactions ?

Reconstruire les liens trophiques pour déstabiliser les réseaux

S'il est admis que l'acquisition de connaissances sur les réseaux d'interactions est nécessaire dans le cadre de la sauvegarde d'espèces menacées, l'étude des réseaux d'interactions est encore marginale dans le domaine de la lutte contre des espèces envahissantes ou des agents phytopathogènes. Ce type d'étude consiste à reconstruire et à quantifier les liens trophiques existants entre plantes et vecteurs dans différents habitats. L'étude des réseaux d'interactions permet de mieux comprendre la transmission de la bactérie aux différentes espèces végétales par la communauté d'insectes vecteurs et comment la variation de structure des communautés de vecteurs affecte la dynamique du système. Elle permettra d'identifier les espèces végétales et les vecteurs clés dans la dissémination de la bactérie dans les milieux semi-naturels et/ou dans les agrosystèmes adjacents. Comprendre la structure des réseaux, leur stabilité et leur niveau de connexion est un prérequis indispensable pour mettre en place des leviers agissant sur un ou plusieurs des acteurs clés afin de déstabiliser les réseaux.

Mise au point d'outils d'identification moléculaire des vecteurs

Comprendre les réseaux d'interactions implique des travaux de terrain couplés à des expérimentations de biologie moléculaire menées au laboratoire. L'objectif des chercheurs est de développer un outil moléculaire qui permettrait sur des dizaines, voire des centaines de vecteurs potentiels collectés dans un habitat donné, d'identifier moléculairement le vecteur, de savoir s'il est porteur de la bactérie (et de quelle(s) sous-espèce(s) ou souche(s)) et, si possible, d'identifier la dernière plante consommée afin de reconstruire les interactions trophiques.

Pour réaliser cet objectif, les chercheurs mettent en place une base de données moléculaires interfacée sur le web (Arthemis DB@se) qui permet une identification moléculaire des vecteurs potentiels de X. fastidiosa en Europe. Après avoir collecté et identifié les spécimens sur la base de caractères morphologiques, les chercheurs séquencent un fragment de leur ADN qui permet de les assigner à une espèce donnée (approche dite du code-barre ADN). Les séquences (code-barres) sont stockées dans une base de données et il devient alors possible d'identifier le vecteur, quel que soit son stade de développement par comparaison de sa séquence ADN avec celles contenues dans la base de code-barres de référence (les oeufs et les larves sont impossibles à identifier ou difficilement identifiables par la morphologie seule). Plus cette base sera complète et plus l'identification sera fiable. Il est maintenant techniquement possible d'obtenir des millions de séquences ADN à moindre coût, et donc de caractériser des grandes communautés d'insectes pour déterminer s'il y a de potentiels insectes vecteurs de la bactérie dans l'environnement et anticiper les risques. Néanmoins, des précautions sont nécessaires dans l'analyse des résultats et des traitements bio-informatiques complexes sont mis en place afin de détecter les potentiels biais.

Mise au point d'outils de détection de la bactérie et des plantes dans les vecteurs

En parallèle de ces outils d'identification moléculaire des vecteurs, les chercheurs travaillent sur la mise au point d'outils de détection (présence/absence) et de caractérisation à haut-débit (de quelle(s) sous-espèce(s)/souche(s) s'agit-t-il ?) de X. fastidiosa dans les vecteurs. Si des progrès ont été accomplis (Cruaud et al., 2018), il reste difficile de détecter X. fastidiosa lorsqu'il y a peu de bactéries, bien qu'une détection précoce soit primordiale dans le cadre de la surveillance du territoire. Les chercheurs tentent donc de s'appuyer sur des méthodes de plus en plus sensibles. Actuellement, ils optimisent des méthodes de capture de fragments d'ADN par hybridation de sondes ARN complémentaires dont le principe est le suivant : l'ADN total des vecteurs est extrait et des sondes complémentaires de l'ADN de X. fastidiosa sont introduites dans le mélange. Si la bactérie est présente, les fragments de son ADN s'hybrident aux sondes montées sur des billes magnétiques et ils sont extraits du mélange par aimantation. L'ADN du vecteur est ensuite éliminé par des lavages successifs, et les fragments d'ADN bactériens capturés sont séquencés afin d'identifier la souche de X. fastidiosa portée par l'insecte. Cette méthode de capture est également utilisée pour tenter de détecter les plantes consommées par le vecteur. Des sondes complémentaires de l'ADN des plantes européennes ont ainsi été construites et les expériences sont en cours afin de valider cette approche. Le nombre de cellules de plantes restant accrochées au rostre de l'insecte piqueur étant très faible, l'expérience est complexe mais les premiers résultats sont encourageants.

Observations de terrain

Ces expériences sont complétées par des observations de terrain, notamment en Corse et prochainement dans les vignobles du Bordelais et du Cognaçais. En Corse, au cours de suivis de terrain, en utilisant P. spumarius comme insecte sentinelle, les chercheurs ont montré que X. fastidiosa était présente sur toute l'île, y compris dans des zones supposées non contaminées (Cruaud et al., 2018). Les observations ont aussi révélé que cet insecte est le vecteur le plus abondant et que les adultes s'alimentent majoritairement sur les cistes de Montpellier (Cistus monspeliensis L.). Des études sont donc en cours pour comprendre l'influence de l'interaction entre P. spumarius et C. monspeliensis dans la dynamique de l'épidémie (Figure 2).

Les effectifs des populations de vecteurs (larves et adultes) sont mesurés trois fois par an depuis deux ans sur un réseau de 64 placettes distribuées à travers le maquis corse selon un gradient de recouvrement en C. monspeliensis qui semble être un réservoir plus ou moins asymptomatique de la maladie. Des descripteurs de l'environnement tels que la température et l'humidité sont mesurés et la composition de la communauté végétale est évaluée. L'intensité des symptômes est estimée sur quatre plantes témoins (Olea europaea L. - olivier, Quercus ilex L. - chêne vert, Myrtus communis L. - myrte et Arbutus unedo L. - arbousier). Une trentaine de spécimens de P. spumarius sont prélevés à proximité de chaque placette afin de tester moléculairement la présence de la bactérie et d'en caractériser la sous-espèce. Les études sont en cours mais les premiers résultats suggèrent que l'abondance de P. spumarius est positivement corrélée à la densité et à la turgescence de C. monspeliensis, que les symptômes ne sont pas exprimés avec la même intensité chez toutes les plantes témoins (O. europaea et A. unedo expriment moins de symptômes que M. communis et Q. ilex) et enfin que les symptômes ont diminué courant 2018, avec une plus forte résilience des plantes, probablement grâce aux précipitations élevées du printemps et de l'hiver.

Ces expérimentations de terrain ont aussi permis de commencer l'étude des antagonistes potentiels des vecteurs de Xylella (insectes parasitoïdes et prédateurs). Les chercheurs ont ainsi récemment mis en évidence un petit hyménoptère parasitoïde (Ooctonus vulgatus) qui pourrait être utilisé pour le contrôle des populations de P. spumarius (Mesmin et al., 2019) même s'il est nécessaire de mener des expériences supplémentaires afin de confirmer cette hypothèse.

Les conditions environnementales influencent la distribution

Aire de distribution potentielle actuelle

Les vecteurs de X. fastidiosa sont abondants et le principal vecteur européen, Philaenus spumarius, est présent sur l'ensemble du continent (Cruaud et al., 2018). Par ailleurs, les plantes-hôtes sont diversifiées et abondantes, ce qui signifie que ni les vecteurs ni les plantes-hôtes ne constituent un réel facteur limitant à la progression de la bactérie en Europe. En revanche, les conditions climatiques favorables à X. fastidiosa ne se rencontrent pas nécessairement sur l'ensemble du continent et pourraient varier selon les sous-espèces considérées. La modélisation de niche écologique permet d'estimer quelles sont les caractéristiques environnementales nécessaires aux espèces et de cartographier les aires de distribution potentielles, c'est-à-dire les zones où les organismes rencontrent des conditions favorables à leur développement. Ces zones ne sont pas nécessairement colonisées aujourd'hui mais pourraient abriter des populations si la bactérie était introduite. Cette information est utile pour évaluer le risque associé aux agents phytopathogènes (Rossi et al., 2019). Les chercheurs ont estimé la distribution potentielle de la bactérie à l'échelle de l'Europe à partir de sa distribution connue dans les différents continents pour les trois sous-espèces détectées en Europe (Godefroid et al., 2019). Plusieurs modèles ont été construits et la proportion de modèles indiquant des conditions climatiques favorables à la bactérie a été cartographiée (Figure 3). Les zones les plus favorables apparaissent en rouge sur les cartes. Tous les modèles utilisés indiquent que les zones climatiques favorables à la bactérie sont plus étendues que les zones où la bactérie est actuellement considérée comme étant présente. Les régions les plus favorables sont les côtes méditerranéennes de l'Espagne, de la Grèce, de l'Italie et de la France, les côtes atlantiques françaises, portugaises et espagnoles ainsi que les régions du sud-ouest de l'Espagne et les plaines du sud de l'Italie. Les conditions climatiques favorables à la sous-espèce pauca, qui infeste les oliviers dans le sud de l'Italie, se rencontrent sur le pourtour méditerranéen. Les sous-espèces fastidiosa et multiplex sont moins sensibles aux basses températures et leur distribution potentielle remonte vers des latitudes plus septentrionales (correspondant donc à des régions plus fraîches).

Distribution de la bactérie et changement climatique

Différentes études indiquent que les populations de X. fastidiosa diminuent lorsque les températures baissent en hiver. Au-delà des bactéries elles-mêmes, les conditions climatiques agissent également sur les vecteurs et donc sur la dynamique épidémiologique du système pathogène/vecteurs. Les vecteurs européens passent l'hiver sous forme d'oeufs et les nouveaux individus doivent acquérir la bactérie en début de saison sur des plantes contaminées la saison précédente. Ainsi, les changements climatiques actuels pourraient avoir un impact sur l'aire de distribution de la bactérie et sur les dégâts causés en agissant sur la bactérie elle-même, sur ses vecteurs (qui pourraient passer l'hiver à l'état d'adulte et donc être déjà porteurs de la bactérie) ou sur l'état de stress hydrique des plantes. Les modèles de niche écologique ont été utilisés pour estimer la distribution de Xylella selon différents modèles de changements climatiques. À titre d'exemple, la Figure 3D présente l'aire de distribution potentielle de X. fastidiosa ssp. multiplex en 2070 selon le scénario RCP (Representative Concentration Pathway) 8,5 correspondant à un forçage radiatif de +8,5 W/m2 (soit une augmentation des températures de 2,6 °C à 4,8 °C) pour l'année 2100 et différents modèles de circulation générale (GCM). La valeur associée à chaque pixel de la carte correspond à la proportion de modèles prédisant des conditions favorables à la bactérie. Selon ces modèles, la bactérie trouverait des conditions favorables sur une large partie de la zone d'étude.

Anticiper les routes de colonisation de la bactérie

L'étude des réseaux d'interactions impliquant la bactérie X. fastidiosa combinée à des modélisations statistiques sont primordiales pour mettre en place des stratégies d'épidémiosurveillance pertinentes, et pour développer des méthodes de prophylaxie et de lutte efficaces contre son expansion en contrôlant les acteurs clés de ces réseaux. En acquérant une meilleure connaissance des réseaux trophiques plantes/vecteurs dans lesquels la bactérie se propage dans les différents habitats potentiels en France continentale et en utilisant des approches de modélisation, il est envisageable d'utiliser la composition des communautés végétales et vectorielles et les paramètres climatiques comme des indices pour anticiper les routes de colonisation de la bactérie. Ainsi, il sera possible de prévoir les zones à risques avant qu'elles ne soient contaminées et d'accroître la diffusion des méthodes de prophylaxie auprès des exploitants agricoles et autres professionnels concernés.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La bactérie Xylella fastidiosa, détectée en France en 2015, menace à la fois les milieux semi-naturels français du fait de son large spectre de plantes-hôtes et des pans entiers de notre agriculture (vignes, arbres fruitiers et ornementaux).

ÉTUDES - Face à ce danger, les chercheurs de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et du Conservatoire botanique national de Corse tentent de mieux comprendre quels sont les facteurs biotiques et abiotiques qui influencent la dynamique de la bactérie. Ils étudient les réseaux constitués des insectes vecteurs et des plantes sur lesquelles ceux-ci s'alimentent et qui gouvernent la transmission de la bactérie entre habitats contaminés et sains. Cette recherche a pour but d'anticiper et limiter la progression de l'épidémie et de développer des méthodes de prophylaxie et de lutte respectueuses de l'environnement.

MOTS-CLÉS - Xylella fastidiosa, bactérie, insectes vecteurs, plantes-hôtes, risque phytopathogène, réseau trophique.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : jean-yves.rasplus@inrae.fr

astrid.cruaud@inrae.fr

LIENS UTILES : Arthemis DB@se - http://arthemisdb.supagro.inra.fr/DefaultInfo.aspx?Page=Home

infos climat 2100 - http://www.climat-en-questions.fr/reponse/evolution-future/projections-climatiques-par-pascale-braconnot

BIBLIOGRAPHIE : - Chauvel G., Cruaud A., Legendre B., Germain J.-F. and Rasplus J.-Y., 2015, Rapport de mission d'expertise sur Xylella fastidiosa en Corse. http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/20150908_rapport_mission_corse_xylella_31082015b.pdf.

- Cruaud A., Gonzalez A.-A., Godefroid M., Nidelet S., Streito J.-C., Thuillier J.-M., Rossi J.-P., Santoni S. and Rasplus J.-Y., 2018, Using insects to detect, monitor and predict the distribution of Xylella fastidiosa: a case study in Corsica, Scientific reports 8:15628.10.1038/s41598-018-33957-z.

- Godefroid M., Cruaud A., Streito J.-C., Rasplus J.-Y. and Rossi J.-P., 2019, Xylella fastidiosa: climate suitability of European continent, Scientific reports 9:8844.10.1038/s41598-019-45365-y.

- Mesmin X., Chartois M., Genson G., Rossi J.-P., Cruaud A. and Rasplus J.-Y., 2019, Ooctonus vulgatus (Hymenoptera, Mymaridae), a potential biocontrol agent to reduce the populations of Philaenus spumarius (Hemiptera, Aphrophoridae) in Europe. Peerj. https://peerj.com/preprints/27941/

- Rossi, J.-P., M. Godefroid, C. Burban, M. Chartois, X. Mesmin, P. Farigoule, J.-C. Streito, A. Cruaud and J.-Y. Rasplus, 2019, Évaluer le risque associé à des agents phytopathogènes émergents transmis par des insectes : le cas de Xylella fastidiosa, Innovations Agronomiques 77:87-97. https://www6.inrae.fr/ciag/content/download/6768/49394/file/Vol77-10-Rossi%20et%20al.pdf

- Sicard A., Zeilinger A. R., Vanhove M., Schartel T. E., Beal D. J., Daugherty M. P. and Almeida R. P. P., 2018, Xylella fastidiosa: insights into an emerging plant pathogen, Annual Review of Phytopathology 56:1-22.

FINANCEMENTS

Cet article a été rédigé dans le cadre de la thèse de P. Farigoule financée par le ministère chargé de l'agriculture. Les recherches des auteurs sont financées par l'Inrae, la collectivité de Corse ainsi que le programme européen XF-Actors (H2020).

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