La découverte, en juin 2019, de figuiers dépérissants en Paca a abouti à l'identification d'un nouveau ravageur : Aclees foveatus. Au fur et à mesure de l'étude du charançon, divers produits ont été testés afin d'aboutir à la construction d'une stratégie de lutte.
Utilisation des données de terrain pour construire une stratégie de lutte
Résultats obtenus avec la poudre de lave et le badigeon
Au fur et à mesure de l'étude de l'insecte, et en vue de limiter l'expansion des foyers de charançons, divers produits ont été testés en laboratoire et sur le terrain lorsque cela était possible (Tableau 1, photos 1 à 3).
Les screening au laboratoire ont été réalisés sur adultes (seul stade en dehors du tronc).
Pour la poudre de lithothamne et le badigeon, les adultes (cinq par modalité, deux répétitions) sont libérés dans des boîtes en Plexiglas après application d'un produit à une dose de 1,5 kg de produit mélangée à 0,5 l d'eau pour obtenir une pâte homogène appliquée au pinceau (selon les recommandations du fabricant). Pour les deux modalités (poudre de lave basaltique et lithothamne), 100 % des adultes sont tués dans l'heure. En effet, au contact de la poudre, comme du badigeon, les adultes se mettent à transpirer en raison d'une gêne respiratoire. Au fil du temps, une sorte de gangue se forme sur le corps des adultes qui meurent d'asphyxie et d'épuisement.
Les tests en plein champ ont été réalisés sur quatre rangs de seize figuiers avec une modalité par rang (témoin non traité, poudre de lave basaltique, lithothamne et terpènes, lithothamne et terpènes avec ajout d'un agent mouillant : Heliosol). Le pied des arbres a été au préalable débroussaillé. Le traitement s'effectue sur un rayon de 30 cm au sol (pour traiter les rejets), autour du tronc jusqu'à la base des charpentières. Les observations et notations réalisées de juillet à novembre 2019 ont permis de définir les avantages et inconvénients de chaque méthode de traitement (Tableau 2 page suivante, photos 4 et 5). L'utilisation d'un badigeon semble présenter un intérêt pour limiter le pouvoir d'infestation du charançon en période de présence d'adultes en limitant les nouvelles pontes. Sa période d'utilisation optimale couvre essentiellement les périodes sèches de mai à octobre (les pluies automnales, souvent abondantes, rendent son utilisation aléatoire et en période de récolte la réalisation d'une nouvelle application est difficile). Le badigeon ne pourrait donc être considéré comme un moyen de lutte à part entière, il permet d'éviter une surinfestation des figuiers atteints et la contamination des sujets sains lors de la période estivale. Le contrôle du second pic de vol de l'insecte à l'automne est rendu plus aléatoire par le risque de lessivage du produit.
Résultats obtenus avec le pyrèthre
Le produit à base de pyrèthre n'ayant pas d'autorisation d'emploi sur l'usage considéré (charançon sur figuier), son efficacité a été évaluée lors de la réalisation d'un traitement contre la mouche des fruits.
Afin de cadrer avec le comportement de l'insecte, l'application sur une parcelle de cinq arbres a été réalisée de nuit (période d'activité maximale de l'insecte dans le feuillage), de la périphérie de la parcelle vers l'intérieur pour éviter l'envol des adultes vers l'extérieur.
Après le traitement effectué dans la nuit du 2 au 3 août 2019, soit environ 8 h plus tard, les individus ont été comptés par inspection des pieds d'arbres et récolte de matériel pour observation et mise en élevage au laboratoire :
- `35 adultes ont été récupérés, dont 18 morts ;
- les insectes vivants (17 individus) ont été mis en élevage au laboratoire ;
le lendemain, sept individus sont morts ;
les dix survivants ont vécu jusqu'au 7 octobre 2019 (soit environ deux mois) ;
- à partir du 6 août 2019, les nouvelles inspections réalisées sur la parcelle ont montré la présence d'adultes vivants sur les figuiers, avec des dégâts récents sur feuilles et sur fruits.
L'utilisation du pyrèthre semble avoir une incidence sur la population de charançons présente au moment du traitement, limitée aux adultes directement en contact avec le produit. Toutefois, bon nombre d'insectes ont pu s'échapper et ne pas être comptabilisés dans les mortalités, du fait de leur capacité à se laisser tomber au sol dès perception d'un danger. Les charançons situés au collet ou dans le système racinaire n'ont pas été atteints. À partir du troisième jour suivant le traitement, les arbres ont été recolonisés par des adultes et les dégâts ont repris, le pyrèthre étant dégradé par les ultraviolets.
S'il apparaît que cette substance touche légèrement les populations d'insectes adultes, elle ne peut être envisagée comme un moyen de lutte unique, sauf à répéter très régulièrement les interventions, ce qui est difficilement envisageable en terme de coût pour le producteur.
Résultats obtenus avec les souches 147 et NPP111B005 de Beauveria bassiana
Deux souches de Beauveria bassiana ont été testées en laboratoire : la 147 et la NPP111B005, approuvées au niveau européen et composant des produits en formulation microgranulée autorisés en France pour un usage respectivement sur papillon palmivore, Paysandisia archon, et charançons rouge du palmier et noir du bananier, Rhynchophorus ferrugineus et Cosmopolites sordidus.
Deux études ont été réalisées sur un tout petit nombre d'insectes disponibles : une première le 27 juillet 2019 (une répétition) sur deux larves (une grosse et une petite) et deux adultes par souche, et une le 3 août 2019 (deux répétitions) sur deux larves, deux adultes et une nymphe par souche. Les insectes ont été mis au contact des produits de chacune des souches de Beauveria bassiana, puis placés en boîte de Petri avec un morceau de milieu nutritif et un humidificateur (photos 6 et 7 page suivante). Selon ces deux études, seule la souche NPP111B005 (pathogène de la majorité des stades - pas de données sur les oeufs) peut être considérée comme un candidat pour la lutte contre Aclees foveatus.
De nouveaux individus de tous les stades ont été mis au contact des insectes tués par la souche NPP111B005, sans ajout de produit. Tous sont morts et ont été mycosés, ce qui démontre la transmission horizontale de cette souche de Beauveria bassiana. Le produit peut ainsi créer une épizootie. La contamination de la population d'insectes vivant en petites colonies à l'interface sol/tronc peut donc s'effectuer à partir de quelques adultes contaminés, dispersant les spores et entraînant la mort de larves et nymphes, cachées dans les galeries et hors d'atteinte au moment de l'application. La formulation microgranulée utilisée dans le traitement des parties aériennes du palmier ne permet pas d'envisager une application sur tronc de figuier : la formulation granulée se positionne très en profondeur entre les palmes des palmiers (structurellement organisée en forme d'entonnoir) par effet du mouvement des palmes. Sur figuier, le granulé ne trouve pas de point d'ancrage, glisse sur l'écorce lisse et tombe au sol. L'application au sol permet difficilement d'atteindre les charançons au milieu du couvert au pied des arbres, à moins d'appliquer des quantités très importantes de produit. Un dispositif opérationnel a donc été développé, permettant de capturer des insectes adultes, de les contaminer avec la souche NPP111B005 de Beauveria bassiana et de les relâcher afin qu'ils puissent aller contaminer de nouveaux hôtes au sein de la population (méthode « attract and disseminate »).
Mise au point d'un dispositif de « piégeage »
Au laboratoire comme sur le terrain, il n'a pas été observé de comportement agrégatif (ce qui n'exclut pas l'existence d'une phéromone d'agrégation). L'orientation prise a donc été celle d'un piège alimentaire dont l'insecte peut ressortir.
Deux modèles positionnables au sol ont été envisagés (photos 8 et 9) :
- un modèle plastique (piège à chrysomèle du maïs) avec nécessité pour l'insecte de grimper (mode de déplacement préférentiel entre le collet et le feuillage) ;
- un modèle fabriqué à l'aide de morceaux de canne de Provence (monotube ou tritube), obturé d'un côté. Ce modèle assure humidité et obscurité recherchées par les adultes (conditions favorables au maintien du Beauveria bassiana).
Au laboratoire, des tests de préférence alimentaire ont conduit à choisir la figue sèche qui demande moins de maintenance. Le test in situ a été réalisé sur deux parcelles contaminées séparées par une route départementale :
- une parcelle régulièrement entretenue (fauchage, récolte des fruits) et ayant reçu un traitement pyrèthre et du badigeon ;
- une parcelle non fauchée, non traitée et partiellement récoltée.
Sur une même rangée, tous les trois figuiers, des pièges de chaque type contenant une figue sèche ont été positionnés, dans les zones préférentielles de positionnement des adultes, à savoir les zones humides. Les notations visuelles ont été effectuées avant le lever du jour, à un à deux jours d'intervalle sur la période du 23 septembre au 27 octobre 2019. Une fréquentation des pièges par les charançons (observation directe d'adultes ou traces de grignotage caractéristiques) a été observée, ainsi que par d'autres organismes tels que forficules, cloportes, araignées et fourmis. Retrouvés en opportunistes dans les galeries d'Aclees et non sensibles à Beauveria bassiana NPP111B005 (observations lors de travaux réalisés avec la souche sur le charançon rouge du palmier), ces organismes peuvent être de bons candidats au transport passif des spores de Beauveria dans les galeries d'Aclees et amplifier la contamination de la colonie.
Les pièges les plus fréquentés se sont révélés être les tritubes (obscurité, humidité et une odeur amplifiée du fait de la présence de trois figues sèches). Les captures ont été supérieures dans la parcelle entretenue du fait du fauchage - et donc de la raréfaction des cachettes - et de la rareté des fruits matures. Les piégeages de printemps pourraient être encore plus efficaces du fait de l'absence de fruits au sol.
Les essais de piégeage associé à la contamination par la formulation microgranulée de Beauveria bassiana NPP111B005 en plein champ démarreront début 2020. Cette technique « attract and disseminate » présente un réel intérêt et mérite d'être approfondie afin d'envisager une régulation rapide des populations d'Aclees foveatus.
Conclusion
Les actions entreprises ont permis de réelles avancées pour évaluer des techniques de lutte et pour limiter sans doute l'expansion rapide du ravageur (à ce jour neuf parcelles sont référencées touchées et neuf douteuses, toutes en Vallée de Sauvebonne).
Sur la parcelle test, la mise en oeuvre de mesures prophylactiques (fauchage, coupe des rejets, abattage des arbres trop atteints), de badigeons et de piégeages alimentaires, de manière combinée, ajoutées à l'impact des traitements au pyrèthre effectués contre la mouche dans le cadre de la gestion habituelle de la parcelle a permis de réduire les populations d'insectes (en fin de saison, les notations montrent six fois moins d'insectes adultes que sur la parcelle voisine non traitée).
Les études en laboratoire ont montré le potentiel intéressant du Beauveria bassiana souche NPP111B005 dans la mise en place d'une lutte biologique efficace. Si des études sont encore nécessaires avant son autorisation pour cet usage, son association avec d'autres méthodes devrait permettre d'envisager une lutte intégrée plus efficace. Les connaissances à venir permettront d'affiner les stratégies. La filière reste mobilisée autour du sujet, ceci d'autant plus que le ravageur vient d'être découvert en Corse en novembre 2019 et à Six-Fours-les-Plages (à 28 km de la Vallée de Sauvebonne) en janvier 2020, et semble donc en pleine phase de conquête de nouveaux territoires.
REMERCIEMENTS aux Pépinière Figoli pour la fourniture de figuiers expérimentaux.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - La découverte, au printemps 2019 dans le Var, d'un nouveau ravageur sur figuier, le charançon Aclees foveatus, a incité les acteurs locaux (chambre d'agriculture, laboratoire, coopérative, syndicat) à se concerter pour déterminer une stratégie de lutte.
ÉTUDE (1RE PARTIE, NUMÉRO PRÉCÉDENT) - Les observations et études bibliographiques ont permis la réalisation de fiches descriptives des symptômes, ainsi que l'établissement de premiers éléments de biologie. L'organisation d'un chantier-école autour de l'assainissement de la parcelle contaminée a favorisé la diffusion de ces connaissances auprès des professionnels (et du grand public par voie de presse).
PERSPECTIVES (2E PARTIE) - Différents produits ont été expérimentés afin d'évaluer leur efficacité sur le ravageur.
La mise en oeuvre combinée de mesures prophylactiques (fauchage, coupe des rejets, abattage des arbres trop atteints), associées à des badigeons et des piégeages à base de figue sèche, permet de réduire les populations. Les études en laboratoire ont montré le potentiel intéressant du Beauveria bassiana souche NPP111B005.
MOTS-CLÉS - Figuier, charançon, Aclees foveatus.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : karine.panchaud@vegetech-jardins.com
BIBLIOGRAPHIE : - K. Panchaud et al., Aclees foveatus, un ravageur émergent sur figuier, Phytoma n° 731, février 2019, p. 37-40.