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DOSSIER - Bonnes pratiques Gérer les résistances

État des lieux de la résistance aux herbicides dans le monde

GAËL LE GOUPIL*, D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 24E CONFÉRENCE DU COLUMA SUR LA LUTTE CONTRE LES MAUVAISES HERBES, ORGANISÉE PAR VÉGÉPHYL, À ORLÉANS, DU 3 AU 5 DÉCEMBRE 2019 *Syngenta Crop Protection AG - Bâle (Suisse). - Phytoma - n°733 - avril 2020 - page 32

Dans certains pays, il devient difficile de combattre des adventices devenues résistantes aux herbicides. Des outils complémentaires au désherbage chimique pourraient permettre de préserver l'efficacité des solutions restantes.
Vulpin dans une culture d'orge en France. Photo : G. Le Goupil

Vulpin dans une culture d'orge en France. Photo : G. Le Goupil

 Amaranthe dans une culture de soja aux États-Unis. Photo : G. Le Goupil

Amaranthe dans une culture de soja aux États-Unis. Photo : G. Le Goupil

 3. Vergerette au Brésil. 4. Amaranthe au Brésil. 5. Femmes portant du phalaris en Inde.

3. Vergerette au Brésil. 4. Amaranthe au Brésil. 5. Femmes portant du phalaris en Inde.

 Photos : 3 et 4. Syngenta. 5. G. Le Goupil

Photos : 3 et 4. Syngenta. 5. G. Le Goupil

 6 et 7. Riz sauvage dans une culture de riz en Asie. Photos : Syngenta

6 et 7. Riz sauvage dans une culture de riz en Asie. Photos : Syngenta

 Champ de blé en Australie. Photo : G. Le Goupil

Champ de blé en Australie. Photo : G. Le Goupil

En l'absence de méthode de contrôle, de nombreuses cultures subissent une baisse de rendement d'environ 30 %. Cette diminution est notamment observée pour les céréales, les pommes de terre et le riz. Les mauvaises herbes y contribuent en moyenne pour plus de 14 %, devançant les dégâts causés par les maladies et les ravageurs. Largement adoptés pour les nombreux bénéfices qu'ils apportent aux agriculteurs et leur contribution à la sécurité alimentaire, les produits herbicides sont devenus l'outil de prédilection pour lutter contre les adventices. Mais la résistance aux herbicides a été observée dès les premières années d'utilisation, dans les années 1950. Ainsi, au fil du temps, la pression de sélection exercée sur les populations de mauvaises herbes est venue à bout des substances actives les plus puissantes et le nombre de cas de résistance ne cesse d'augmenter.

Un panorama qualitatif mondial

Recueil des données et bibliographie

Le recueil des informations a été effectué lors d'entretiens au sein de la société Syngenta dans divers départements de l'entreprise. Les données régionales ont été fournies par les correspondants locaux de Syngenta, le plus souvent collectées auprès de leurs partenaires techniques, de la distribution et des universitaires. Enfin, de nombreuses références d'articles et sites internet ont été consultés pour compléter ces informations (bibliographie disponible auprès de l'auteur). Cette collection d'informations est uniquement qualitative car basée sur les déclarations volontaires de la communauté scientifique de cas « nouveaux » de résistance (c'est-à-dire des nouvelles combinaisons espèces/mode(s) d'action/pays). Une fois publiés, la recherche se détourne souvent de ces cas et il est extrêmement difficile de quantifier la propagation de ces populations. Des monitorings sont organisés au niveau local, mais la consolidation des informations quantitatives est fastidieuse et très coûteuse. On peut donc craindre que le portrait dressé ci-dessous ne soit sous-estimé.

Des résistances à 23 des 26 modes d'action commercialisés

Comme le rapporte the International Survey of Herbicide Resistant Weeds en 2019, au niveau mondial, on décompte 502 combinaisons d'espèces résistantes à un mode d'action herbicide. Il a été ainsi identifié des populations résistantes à 23 des 26 modes d'action commercialisés, ce qui représente 167 herbicides différents. Déjà, 258 espèces adventices résistantes ont été référencées : 150 eudicotylédones et 108 monocotylédones. Même si l'on note des disparités régionales et locales, la résistance aux herbicides a été confirmée dans 70 pays, affectant 93 cultures. Les cultures les plus touchées sont sans surprise : le blé, le maïs, le riz et le soja pour lesquelles l'usage généralisé d'herbicides dans les plus grands pays agricoles n'est plus à démontrer. C'est pour l'atrazine, utilisé depuis longtemps, que l'on a recensé le plus de mauvaises herbes résistantes au fil du temps (66 espèces jusqu'en 2019), mais le glyphosate a fait récemment son entrée dans le top trois (43 espèces jusqu'en 2019), suivi de près par une multitude d'inhibiteurs de l'acétolactate synthase (ALS) avec 43 espèces jusqu'en 2019 pour l'imazéthapyr ou le tribénuron.

Les graminées, championnes de l'adaptation

Les graminées restent les championnes de l'adaptation aux pratiques de désherbage chimique. Lolium rigidum résiste désormais à quatorze modes d'action différents. Une population pouvant résister à sept modes d'action à la fois a même été identifiée en Australie. Dans la grande famille des eudicotylédones, Amaranthus palmeri et A. tuberculatus ont démontré leur capacité à s'adapter à sept modes d'action également.

État des lieux de la progression de la résistance

Amérique du Nord (exemple des États-Unis)

L'Amérique du Nord et Centrale (incluant Canada et Mexique) produit 8 % du blé, 34 % du soja et 36 % du maïs à l'échelle mondiale. En 1968, on rapportait le premier cas de résistance à l'atrazine aux États-Unis. Quelques années après l'introduction des inhibiteurs de l'acétyl-CoA carboxylase (ACCase) et de l'ALS, la résistance aux herbicides était devenue une préoccupation grandissante. Avec l'adoption rapide des cultures tolérantes au glyphosate, sur près de 90 % des surfaces de maïs, soja et coton, le pays a connu un répit pendant une bonne vingtaine d'années. Dans les années 2000, le nombre de cas de résistance au glyphosate a augmenté considérablement, à commencer par la vergerette du Canada Conyza canadensis. Aujourd'hui, l'ennemi agricole numéro un sont les espèces du genre Amaranthus (A. palmeri et A. tuberculatus). Avec leur capacité d'adaptation et leur production grainière hors normes (plus de 100 000 graines par plante), ces espèces ont littéralement envahi les plaines américaines maïsicoles. Pratiquement aucun mode d'action n'est épargné. Une autre espèce d'adventice, Kochia scoparia résistante au glyphosate, aux inhibiteurs de l'ALS et aux auxines, grâce à son légendaire et infaillible mode de dissémination par le vent, est très répandu dans les plaines du nord et le Canada.

Les agriculteurs américains ont finalement fait évoluer leurs pratiques. Aujourd'hui, la majorité des surfaces reçoivent deux modes d'action ou plus, dont une application d'herbicides résiduaires, à modes d'action différents de celui du glyphosate, pour leur bonne performance contre les adventices à longue période germinative, comme le sont justement Amaranthus sp. et Conyza sp. Mais l'absence de diversité dans les systèmes de culture et l'absence de méthodes alternatives de désherbage ne permettent pas encore d'enrayer la situation et ne font que reporter le problème sur chaque nouveau mode d'action utilisé.

Amérique du Sud (exemple du Brésil)

L'Amérique du Sud représente environ 25 % de la surface cultivée mondiale et compte plus de 20 millions d'hectares de maïs et environ 58 millions d'hectares de soja, ce qui représente respectivement 13 % et 48 % de la production mondiale. La taille des fermes est impressionnante, presque la moitié des surfaces sont gérées par des exploitationes de plus de 1 000 hectares. 90 % des surfaces sont conduites en technique culturale simplifiée ; le glyphosate est un élément clé du système de culture et s'utilise entre trois et cinq fois par saison. Les terres sont le plus souvent louées et les exploitants n'adoptent pas d'approche durable de désherbage, comme par exemple au Brésil. Deux espèces emblématiques illustrent la situation au Brésil : Digitaria insularis (graminée pérenne) et Conyza sp. (eudicotylédone annuelle). Les experts s'accordent à penser que la résistance au glyphosate affectera 80 % des populations de Digitaria insularis et 60 % des Conyza sp. d'ici 2027. Les amaranthes multirésistantes sont aussi une problématique en Amérique du Sud : Amaranthus hybridus, espèce endémique et très compétitive, mais aussi Amaranthus palmeri qui vient des États-Unis via l'Argentine, vraisemblablement arrivée sous forme de semences avec le matériel agricole.

Même si les solutions de prélevée (exemple : S-métolachlore, pyroxasulfone, saflufénacile, etc.) se développent en réaction à la vague de résistance qui s'amplifie au Brésil, les agriculteurs sont toujours attirés par les solutions de post-levée en interculture (glyphosate, cléthodime, etc.), mais aussi dans la culture du soja grâce au large panel de cultures tolérantes aux herbicides. Les compagnies semencières proposent désormais, en plus des variétés tolérantes à un herbicide (exemple : glyphosate ou glufosinate), des hybrides tolérants à deux (exemple : glyphosate + dicamba), voire trois modes d'action (exemple : glyphosate + glufosinate + 2,4D) qui permettent l'usage d'herbicides à modes d'action multiples pour retarder l'apparition de résistance.

Asie

L'agriculture en Asie offre une diversité de cultures et de zones climatiques. On dénombre près de 500 millions d'agriculteurs traditionnels et la taille des exploitations est en moyenne de 1,5 hectare. À l'opposé, on trouve d'immenses exploitations agricoles, comme les palmeraies (Malaisie, Indonésie) ou les fermes d'État en Chine très avancées techniquement.

En Asie, la résistance aux herbicides est moins problématique que la résistance aux insecticides et fongicides. Jusqu'à très récemment, le désherbage manuel était la pratique la plus courante. Avec la migration de la population rurale vers les villes qui a fortement réduit la main-d'oeuvre agricole, les agriculteurs se tournent de plus en plus vers les solutions chimiques.

Le riz est la culture arable la plus répandue avec près de 140 millions d'hectares produisant 87 % du volume mondial. Dans les pays développés grands consommateurs de pesticides comme le Japon ou la Corée, la résistance aux inhibiteurs de l'ALS en particulier mais aussi celle aux inhibiteurs de l'ACCase sont très répandues chez les espèces graminées (exemples : panic pied-de-coq Echinochloa crus-galli, Monochoria sp. et Sagittaria sp.) et les espèces du groupe des carex (exemple : Scirpus sp.). Ceci étant, les pays où le désherbage manuel est toujours majoritaire ne sont pas à l'abri de la résistance. Le riz sauvage (Oryza sp.) est arraché des rizières à la main depuis des décennies. Ainsi au fil du temps, ayant souvent échappées à l'oeil humain, les plantes ressemblant le plus au riz cultivé ont été sélectionnées. Il est désormais très difficile de les différencier, réduisant ainsi le niveau d'efficacité du désherbage manuel.

L'Inde est le deuxième plus grand producteur de blé (derrière la Chine). Après le riz, il s'agit de la culture la plus importante pour l'alimentation humaine dans le pays. Cela représente plus de 8 % de la production mondiale de blé et cette céréale occupe 13 % de la surface agricole indienne. Phalaris minor se dissémine très facilement via les canaux d'irrigation mais surtout via les semences de blé contaminées. Il serait arrivé en Inde de la même façon dans le passé, cette espèce de mauvaise herbe n'étant pas endémique de cette partie du monde. Quatre millions d'hectares (13 % de la surface totale) dans le nord du pays présenteraient une résistance aux inhibiteurs de l'ACCase et de l'ALS mais aussi du photosystème II (isoproturon).

À ce jour, la résistance n'est pas dramatique dans le maïs. Ici encore le désherbage s'effectue le plus souvent manuellement ou mécaniquement (exemple : Vietnam, Thaïlande). La Chine, avec ses 38 millions d'hectares de maïs, n'a pas encore adopté les cultures génétiquement modifiées tolérantes aux herbicides. Il existe très peu de données quant à l'étendue du phénomène en Chine, mais on estime à 15-20 % la surface concernée par des adventices résistantes aux herbicides inhibiteurs de l'ALS ou du photosystème II.

Dans les plantations de palmiers à huile et d'arbres à caoutchouc, l'usage répété des herbicides explique la multitude de modes d'action affectés par la résistance (glyphosate, paraquat, glufosinate, auxines et inhibiteurs de l'ALS ou de l'ACCase). Dans le cas d'une population d'Eleusine indica identifiée en Malaisie montrant une forte résistance au glufosinate, l'agriculteur a expliqué avoir utilisé cet herbicide jusqu'à 24 fois par année.

Australie

Dans les années 1850, 185 millions de moutons pâturaient paisiblement dans les larges plaines australiennes. Pour les nourrir, les agriculteurs semèrent environ 60 millions d'hectares de ray-grass (Lolium rigidum) à une densité de 1 000 grains/m2. Quand, dans les années 1970-1980, le prix de la laine chuta, ils se reconvertirent vers la monoculture de céréales sans aucun travail du sol qui risquait d'endommager leurs solssableux et très superficiels. Sans surprise, dès 2006, 12 millions d'hectares présentaient de la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase et de l'ALS en particulier chez Lolium rigidum.

Au vu de leur situation, les Australiens ont été les premiers à prendre des mesures de gestion de résistance. Aujourd'hui le stock semencier de Lolium rigidum est sous contrôle mais reste la priorité numéro un. Aucun échec de désherbage n'est toléré et les plantes survivantes doivent être élimnées, par quelque méthode que ce soit, pour éviter à tout prix la recontamination du sol par les graines. Les céréales sont implantées sur une parcelle préalablement nettoyée avec des herbicides non sélectifs tels que le glyphosate et le paraquat. La quasi-totalité des herbicides de post-levée n'étant plus efficace, les agriculteurs se sont tournés vers des solutions qu'ils utilisent en présemis incorporé (exemples trifluraline, prosulfocarbe + S-métolachlore, pyroxasulfone). Tous ces herbicides ont la particularité d'appartenir à des familles de modes d'action à faible risque de résistance et procurent une efficacité résiduaire permettant de contrôler plusieurs cohortes de levée d'adventices. Pour inclure de la diversité dans le désherbage chimique, les agriculteurs ont introduit des cultures dicotylédones (exemples colza, lupins) dans la rotation afin de pouvoir utiliser d'autres modes d'action alternatifs (propyzamide, cléthodime, atrazine, glyphosate sur les cultures tolérantes). Enfin, développés à l'origine par un agriculteur innovant et adaptés par des firmes de machinisme agricole, les outils de capture de semences de mauvaises herbes à la récolte ont fait leur entrée dans le panel d'outils pour la gestion du stock semencier. 70 % des céréaliers australiens les auraient adoptés.

Europe

L'Europe, avec ses 10,8 millions d'exploitations agricoles de taille moyenne (16 hectares), possède une agriculture très diversifiée, dominée par les céréales à pailles, le colza et le maïs. La diversité des pratiques agricoles et de la flore adventice explique en grande partie, malgré une adoption très précoce des herbicides dans l'histoire, le fait que l'Europe ne soit pas aussi touchée que les autres pays cités auparavant.

C'est au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Pologne, en République tchèque, en Espagne et en Italie qu'on dénombre le plus de cas de résistance. La résistance au glyphosate est très peu présente, même si des cas de Conyza spp. résistants ont été enregistrés dans des cultures pérennes (exemples plantations d'agrumes, vignes), où le glyphosate est utilisé en interrang. On trouve désormais quelques cas de Lolium spp. résistant au glyphosate dans le blé, sur des parcelles où cet herbicide est très utilisé en interculture, en particulier dans les zones à travail du sol simplifié. Dans le maïs, des populations d'adventices ont développé dans le passé de la résistance à l'atrazine (interdite depuis bientôt vingt ans). Plus récemment, des cas de graminées (Echinochloa crus-galli, Sorghum halepense) et d'eudicotylédones (Amaranthus spp.) résistantes aux inhibiteurs de l'ACCase ou de l'ALS ont été détectés. Mais c'est surtout en Europe de l'Ouest que les infestations de graminées résistantes aux inhibiteurs de l'ALS et de l'ACCase inquiètent dans les céréales à paille, en particulier le vulpin des champs Alopecurus myosuroides, l'ivraie Lolium spp., Avena spp. et l'agrostide Apera spica-venti. Pour ne citer qu'une seule eudicotylédone, Papaver rhoeas est de plus en plus présent dans le sud de l'Europe et présente un fort taux de résistance aux inhibiteurs de l'ALS ainsi qu'aux auxines.

Pour contrôler les populations difficiles de graminées résistantes, nous observons un retour à l'usage des herbicides de prélevée (exemples : prosulfocarbe, flufénacet, S-métolachlore), utilisés en programme avec les herbicides de post-levée, et un retour aux pratiques agronomiques visant à réduire l'émergence des adventices et à épuiser le stock semencier.

Une innovation qui se fait attendre

Pas de nouveaux modes d'action

Le dernier mode d'action lancé dans les années 1990 fut l'inhibition de l'HPPD (exemple : la mésotrione) et depuis, l'ensemble de la profession agricole espère un nouveau mode d'action. Les efforts de recherche continuent. Pour preuve, plus de 50 modes d'action ont été découverts et validés à ce jour. Il ne s'agit pas d'un manque d'aptitude à identifier ou créer des molécules présentant un nouveau mode d'action, mais seulement la moitié de ces modes d'action a pu être exploitée pour développer des molécules commercialisables jusqu'à présent. Il est relativement facile d'identifier et de tester des molécules efficaces sur les cibles à inhiber, in vitro. Cependant, réussir à amener la molécule jusqu'à sa cible, in planta, tout en conservant ses propriétés et sans impact négatif sur les organismes non-cibles, relève assez souvent de l'exploit.

À ce jour, certains « vieux » modes d'action demeurent, en particulier ceux pour lesquels les populations d'adventices ont des difficultés à sélectionner des mécanismes de résistance efficaces (exemples : les auxines ou les VLCFA). La recherche au niveau des interactions entre les herbicides et leur cible, comme par exemple au sein de la famille des inhibiteurs de l'ACCase, a permis de découvrir des molécules qui, bien qu'appartenant au même groupe de mode d'action, sont capables de contrôler des populations adventices résistances aux précédentes molécules (dans le cas de résistance par mutation de la cible). Cependant, il est désormais démontré que la résistance non liée à la cible peut toucher de nombreux herbicides appartenant à des modes d'action différents. Ainsi, toute nouvelle molécule, même appartenant à un nouveau mode d'action, sera tôt ou tard menacée par l'apparition de résistance, en particulier si son utilisation n'est pas raisonnée.

Dans les pays où elles sont autorisées, l'introduction des cultures tolérantes aux herbicides (génétiquement modifiées) a également conduit à un transfert de la valeur du désherbage de la chimie vers les semences. Qui peut aujourd'hui rivaliser avec le glyphosate contrôlant plus de 120 espèces de mauvaises herbes pour un peu moins de 7 ou 8 dollars par hectare aux États-Unis ? De plus, les bénéfices liés à la commercialisation de nouvelles molécules diminuent tandis que les coûts associés ne cessent d'augmenter atteignant les 286 millions de dollars pour une seule molécule. Dans un contexte où une grande majorité des molécules est tombée dans le domaine public, les firmes génériques, avec peu ou pas d'investissement dans les activités de recherche et développement, ont un avantage économique certain.

Des contraintes réglementaires et sociétales en Europe

Au niveau mondial, les systèmes réglementaires sont divers et deux grands principes se distinguent. Le système européen qui donne plus d'importance aux propriétés intrinsèques de danger de la substance, par exemple certains classements toxicologiques sont des critères dits guillotines. Alors que dans d'autres pays comme les États-Unis ou l'Australie les décisions sont basées sur l'analyse des risques liés à l'utilisation du produit phytosanitaire. En d'autres termes, l'impact de sa toxicité est évalué lors de l'exposition. D'autres pays, comme le Brésil, l'Inde ou la Chine ont adopté un système intermédiaire se rapprochant du système d'évaluation des risques des États-Unis. Dans ces pays, de nouvelles molécules ont été mis sur le marché récemment (exemples : bicyclopyrone, saflufénacile, pyroxasulfone).

Au cours des dernières décennies, en lien avec l'identification des dangers et l'application du principe de précaution, les pays européens ont connu un plus grand nombre de restrictions et de non-renouvellements d'homologation de produits phytosanitaires que les autres pays du monde. Le cadre réglementaire européen évolue et des changements de règles interviennent alors que les procédures d'évaluation sont en cours, ce qui nécessite a posteriori de compléter le dossier d'études nouvelles et parfois pluriannuelles, ce qui en retarde l'évaluation. De plus, une montée en puissance de la pression sociétale influence aussi les orientations politiques au niveau européen visibles dans le Green Deal. Au-delà du cadre réglementaire s'appliquent aussi d'autres standards comme les cahiers des charges de certains acteurs de la filière.

La gestion du stock semencier au coeur des préoccupations

Il existe deux approches pour définir la présence de mauvaises herbes : soit en tant que plantes émergeant dans une culture une année donnée, soit en tant que stock semencier, qui se détermine par la quantité de semences d'adventices présentes (en surface ou dans le sol) qui pourraient potentiellement germer. Dans la culture, nous utilisons des herbicides pour atteindre les plantes à leur émergence au stade plantule ou au stade adulte (prélevée versus post-levée). Cette stratégie annuelle est définie par le type de culture, le type de flore adventice et les solutions herbicides disponibles. Ces solutions permettent d'obtenir des efficacités de haut niveau (95-99 %). Mais chaque plante restante a le potentiel de produire un grand nombre de graines et réensemencer la parcelle en venant s'ajouter au stock semencier existant. En fonction des espèces, une mauvaise herbe peut produire jusqu'à des dizaines de milliers de graines (voire plus pour certaines comme les orobanches ou Amaranthus palmeri). Ces graines peuvent survivre dans le sol et entrer en dormance pendant de nombreuses années. Ainsi, les semences s'accumulent au cours du temps attendant les conditions idéales pour germer. Cibler le stock semencier adventice est une stratégie sur le long terme car on s'attaque à la partie immergée de l'iceberg.

Afin de le réduire, il convient d'opter pour une gestion raisonnée du désherbage en y intégrant une multitude d'outils. Quelque peu délaissée depuis l'introduction des herbicides, l'agronomie reprend peu à peu sa place dans la lutte contre les adventices. Méthode ancestrale, le travail du sol est un des meilleurs outils pour gérer le stock semencier. Enterrer les graines tombées au sol permet de réduire la population de façon très efficace. La profondeur idéale et le taux de décroissance annuel dépendent de l'espèce. Cependant, ces méthodes doivent être utilisées à bon escient car ils peuvent avoir un impact négatif sur la qualité des sols. La technique du faux-semis, accompagné d'un désherbage chimique ou mécanique en interculture, permet de diminuer le stock semencier sans avoir à se soucier de la sélectivité des solutions vis-à-vis de la culture. Le désherbage mécanique à l'aide d'outils tels que la herse et la houe, mais aussi les bineuses, peut prendre le relais dans la culture. Le paillage (plastique biodégradable ou non, matériaux naturels...) peut être une solution dans certains cas (cultures légumières, plantations ligneuses...). Très consommateur de main-d'oeuvre, le désherbage manuel est encore très courant dans beaucoup de pays en voie de développement. La diversité en agronomie est essentielle, comme pour les herbicides, et varier les cultures à cycle végétatif différent perturbe le cycle des adventices.

En adaptant les dates et les densités de semis, ainsi qu'en choisissant des variétés plus compétitives, la culture peut prendre le dessus sur les mauvaises herbes. De nombreuses méthodes ont pour objectif de capturer les semences adventices pour éviter leur retour au champ. Le nettoyage soigneux des outils agricoles est une mesure prophylactique impérative avant tout déplacement vers d'autres parcelles voir d'autres fermes.

La problématique de la résistance aux herbicides semble inspirer de nombreuses firmes qui mettent au point des nouveaux outils et des technologies plus innovantes les unes que les autres.

Un monde agricole à l'ère des nouvelles technologies et du digital

Pour réduire les quantités d'herbicides utilisés et optimiser leur efficacité, les technologies d'application de précision sont en plein essor. Grâce à l'imagerie hyperspectrale ou encore la technologie GPS, potentiellement capables d'identifier les mauvaises herbes et les différencier des cultures, couplées à des buses ultra sophistiquées, l'agriculteur devrait être en mesure d'apporter précisément la bonne dose d'herbicide au bon endroit. Ces technologies de détection et de cartographie peuvent aussi bénéficier au désherbage mécanique sur l'interrang. Les herses et houes téléguidées sont déjà utilisées, surtout dans les cultures à forte valeur ajoutée comme les cultures maraîchères car l'investissement matériel n'est pas négligeable. Encore au stade expérimental ou commercialisées à petite échelle, certaines innovations utilisent les propriétés du froid, du feu, de l'électricité, de la vapeur d'eau ou encore du laser pour tenter d'affecter la croissance des mauvaises herbes et les détruire.

Au-delà du désherbage, un agriculteur prend environ cinquante décisions stratégiques par saison (étude Syngenta). La révolution digitale en cours dans le monde agricole, considérée comme le plus important changement économique après la révolution industrielle, va permettre de mettre à la disposition des agriculteurs des outils d'aide à la décision puissants. L'analyse et la corrélation de la multitude d'informations utiles vont les aider à prendre les bonnes décisions, optimiser leurs opérations et ainsi améliorer la profitabilité de leur exploitation.

Limiter la progression de la résistance

Partout dans le monde, la résistance continue de progresser et d'avoir un impact sur la productivité des exploitations agricoles, avec des disparités en fonction de leur géographie et de leurs pratiques culturales. En parallèle, la pression réglementaire et sociétale tend à réduire le nombre de solutions chimiques plus vite que la recherche ne peut en apporter de nouvelles sur le marché. Cependant, n'importe quel nouvel herbicide sera tôt ou tard touché par la résistance, a fortiori s'il est mal utilisé. La résistance se dissémine plus vite que la conversion aux bonnes pratiques, dont l'adoption est limitée par le contexte climatique et socio-économique. À l'ère du numérique, les nouvelles technologies et les outils d'aide à la décision devraient permettre de lever le frein au changement de comportement. Partager les connaissances et les solutions efficaces acquises dans d'autres parties du monde est aussi un moyen d'inspirer les agriculteurs et les acteurs de la filière agricole pour tenter d'enrayer ce phénomène. La résistance n'a pas de frontières.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Partout dans le monde, la résistance aux herbicides continue de progresser et de toucher la productivité des exploitations agricoles. Malgré des efforts conséquents de communication et d'éducation pour un usage raisonné des herbicides depuis plusieurs décennies, il semble difficile de stopper ce phénomène.

SOLUTIONS - La pression réglementaire et sociétale tend à avoir un impact négatif sur le nombre de solutions chimiques plus rapidement que la recherche ne peut en apporter sur le marché.

La résistance semble se disséminer plus vite que la conversion aux bonnes pratiques dont l'adoption est limitée par le contexte climatique et socio-économique. Face à cette problématique, de nombreuses firmes mettent au point des outils et technologies innovantes.

MOTS-CLÉS - Herbicides, résistance, stock semencier, innovation, cadre réglementaire, agronomie, nouvelles technologies.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : gael.le_goupil@syngenta.com

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (50 références) est disponible auprès de son auteur (contact ci-dessus).

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