Retour

imprimer l'article Imprimer

Gestion des ravageurs

Lutte contre Drosophila suzukii lâchers inondatifs en fin d'hiver

PASCAL ROUSSE(1), BENJAMIN PIERRON(1), ILONA BOULY(1) (2), LAURA SERON-HABERLAND(1) (3), VALÉRIE SEVENIER(4), GILLES CAZIN(4) (5), ELENA GARCIA(6), FRANÇOIS WARLOP(6), MYRIAM SIEGWART(7) ET SANDRINE MAUGUIN(7) (1) Domaine expérimental de La Tapy - Carpent - Phytoma - n°733 - avril 2020 - page 39

Le parasitoïde Trichopria drosophilae permet une lutte biologique contre Drosophila suzukii en verger. Mais vouloir agir sur les gîtes hivernaux peut être improductif : avant l'heure, ce n'est pas l'heure.
Trichopria drosophilae (Hymenoptera : Diapriidae). Femelle parasitant une pupe de Drosophila suzukii. Photo : Bioplanet

Trichopria drosophilae (Hymenoptera : Diapriidae). Femelle parasitant une pupe de Drosophila suzukii. Photo : Bioplanet

Fig. 1 : Dispositif expérimental détaillé

Fig. 1 : Dispositif expérimental détaillé

2. Dispositif de lâcher de Trichopria drosophilae, comprenant le flacon Trichopria500, le piège delta modifié et la coupelle de miel gélifié.

2. Dispositif de lâcher de Trichopria drosophilae, comprenant le flacon Trichopria500, le piège delta modifié et la coupelle de miel gélifié.

3. Station de monitoring, comprenant un piège bouteille pour le suivi des drosophiles et trois pièges sentinelles (pièges delta modifiés) pour le suivi du parasitisme par T. drosophilae.

3. Station de monitoring, comprenant un piège bouteille pour le suivi des drosophiles et trois pièges sentinelles (pièges delta modifiés) pour le suivi du parasitisme par T. drosophilae.

4. Coupelle sentinelle prête à être placée dans le piège de monitoring. Photos : domaine de La Tapy

4. Coupelle sentinelle prête à être placée dans le piège de monitoring. Photos : domaine de La Tapy

Fig. 2 : Enregistrements des températures et pluviométrie par la station météorologique de La Tapy à proximité immédiate des parcelles expérimentales

Fig. 2 : Enregistrements des températures et pluviométrie par la station météorologique de La Tapy à proximité immédiate des parcelles expérimentales

Fig. 3 : Captures de Drosophilae suzukii adultes dans les haies de bordure tout au long de l'essai, avec ou sans lâchers de parasitoïdes dans un rayon minimal de 7,5 m       Les barres d'erreur correspondent aux écarts-types, les astérisques à une différence significative au seuil de 5 % (test t).

Fig. 3 : Captures de Drosophilae suzukii adultes dans les haies de bordure tout au long de l'essai, avec ou sans lâchers de parasitoïdes dans un rayon minimal de 7,5 m Les barres d'erreur correspondent aux écarts-types, les astérisques à une différence significative au seuil de 5 % (test t).

Fig. 4 : Moyennes des taux de survie par température et par durée d'exposition, en conditions contrôlées       Les barres d'erreur correspondent aux écarts-types. En cas de différence significative pour une température donnée, des lettres identiques regroupent les moyennes similaires (Anova et test de Tukey).

Fig. 4 : Moyennes des taux de survie par température et par durée d'exposition, en conditions contrôlées Les barres d'erreur correspondent aux écarts-types. En cas de différence significative pour une température donnée, des lettres identiques regroupent les moyennes similaires (Anova et test de Tukey).

L'année 2018 a été difficile pour les arboriculteurs en général, et pour les cerisiculteurs plus particulièrement. Dans le Vaucluse, la combinaison de très fortes précipitations printanières suivies d'une pullulation sans précédent de Drosophila suzukii (Matsumura, 1911) a entraîné des pertes très souvent supérieures à 50 %. Dans de nombreux cas, c'est l'intégralité de la récolte qui a été abandonnée par manque de rentabilité. Après un tel épisode et le retrait progressif des matières actives autorisées, les producteurs sont en attente de nouvelles techniques de protection. Si les filets semblent actuellement la solution la plus prometteuse à moyen terme, il reste de nombreuses interrogations technico-économiques à leur sujet, ce qui retarde leur transfert à grande échelle pour la filière. Le domaine expérimental de La Tapy, à Carpentras, fait partie des centres d'expérimentation développant de telles alternatives pour la profession. En 2019, avec nos partenaires du lycée agricole de Carpentras et du Grab, des essais préliminaires en lutte biologique ont été mis en place par des lâchers répétés d'un parasitoïde indigène nouvellement commercialisé : Trichopria drosophilae (Perkins, 1910).

Deux parasitoïdes indigènes de Drosophila suzukii

Trichopria drosophilae et Pachycrepoideus vindemmiae

Trichopria drosophilae (Perkins, 1910) (photo 1) est un parasitoïde considéré comme cosmopolite, donc naturellement présent en Europe. Il fait partie du cortège des parasitoïdes indigènes de Drosophila suzukii (Matsumura, 1911) en France, c'est-à-dire qu'il n'a pas été introduit par l'homme (Chabert et al., 2012). Seuls deux parasitoïdes indigènes sont capables de se développer sur les pupes de D. suzukii d'après des essais en laboratoire : Pachycrepoideus vindemmiae (Rondani, 1875) et T. drosophilae. De ces deux parasitoïdes, T. drosophilae est le plus efficace car plus spécialisé (Chabert et al., 2012, 2013 ; Hennig et al., 2017). Il semblerait même montrer une préférence pour D. suzukii par rapport à D. melanogaster (Wang et al., 2016). Ces deux parasitoïdes sont retrouvés en milieu naturel, principalement en automne dans les zones agricoles, mais leurs populations naturelles sont trop faibles pour réguler les pullulations de la drosophile invasive (Kremmer et al., 2017). La technique actuellement envisagée est donc d'augmenter artificiellement les populations de T. drosophilae par des lâchers massifs : c'est de la lutte biologique augmentative (ou inondative).

Positionnement des lâchers inondatifs

Pour renforcer l'effet de contrôle du parasitoïde, il est proposé de cibler dans le temps et dans l'espace des populations encore faibles de D. suzukii. Il semble en effet que la drosophile passe l'hiver dans des haies incluant des hôtes sauvages (sureau, cornouiller...) (Dalton et al., 2011 ; Kanzawa, 1939 ; Kimura, 2004 ; Rossi-Stacconi et al., 2016). Ces haies n'abritent qu'un faible inoculum de drosophiles à la fécondité réduite (Hennig et al., 2017 ; Leach et al., 2017) mais permettent la réinfestation des cultures au printemps. Il faut donc lâcher les parasitoïdes avant la réinfestation, et avant que les pullulations augmentent de façon exponentielle.

En France, ces lâchers sont désormais possibles grâce à la société Bioplanet qui commercialise son produit Trichopria500 depuis fin 2018. Le bon positionnement de l'auxiliaire est crucial pour l'efficacité de la lutte biologique. Or, selon des essais italiens, l'effet du parasitoïde est faible, voire nul lorsque les lâchers en verger sont réalisés durant la pullulation de D. suzukii, surtout s'il y a traitement phytosanitaire durant cette même période (Rossi-Stacconi et al., 2019). Par ailleurs, dans l'hypothèse d'une réinfestation printanière depuis les gîtes hivernaux, il est important de suivre les populations de drosophiles dans les haies.

Évaluer l'impact des lâchers

L'essai mené par le domaine expérimental de La Tapy a un double objectif : d'un point de vue expérimental, évaluer l'impact des lâchers inondatifs sur la croissance des populations de drosophiles dans les bordures, tout en établissant un itinéraire technique transférable aux producteurs ; d'un point de vue communication, limiter la déception massive que pourrait provoquer une utilisation non maîtrisée et donc inefficace de ces parasitoïdes.

L'essai mis en place en 2019 a consisté à effectuer des lâchers du parasitoïde dès la fin de la saison froide - à partir de 10 °C de moyenne quotidienne - afin de permettre la reproduction de T. drosophilae (Amiresmaeili et al., 2018, 2015), mais pas avant le mois de mars pour limiter les risques liés au gel. Ces lâchers ont eu lieu dans des haies pré-identifiées comme gîtes hivernaux de D. suzukii, en bordure de culture. Les principales variables mesurées ont été l'évolution des populations de D. suzukii dans ces bordures et les taux de parasitismes apparents.

Essai sur l'impact des lâchers inondatifs en sortie d'hiver

Dispositif

L'essai a été mené de mars à juillet, dans le Vaucluse, sur quatre parcelles distinctes :

- Aubignan nord (commune d'Aubignan) ;

- Pérussier sud et Rocan (communes de Carpentras) ;

- Cadenet (commune de Cadenet).

Les trois premières sont des parcelles expérimentales de la station La Tapy et du lycée agricole de Carpentras, la dernière est une parcelle-producteur menée en agriculture biologique (AB).

Chaque parcelle expérimentale est bordée par une haie de 90-180 m de long, d'orientation diverse, contenant au moins une plante hôte non cultivée. La composition botanique des haies est caractérisée avant et pendant les lâchers, par le prélèvement et l'identification de toute plante présentant des baies charnues. Ces haies sont considérées comme abritant les populations hivernantes de D. suzukii et servent de points de lâchers. Chaque haie est divisée en portions de 60 m, et chaque portion est elle-même subdivisée en deux moitiés : les lâchers s'effectuent dans la première moitié tandis que l'autre sert de contrôle. Afin de maximiser l'homogénéité des sites d'observations, on obtient donc une succession de segments de haie de 30 m, alternant lâchers et contrôles. La répartition des pièges de suivi et des points de lâcher est illustrée par la Figure 1.

Lâchers des parasitoïdes

Les parasitoïdes sont achetés auprès de la société Bioplanet France (82120 Mansonville). Le produit commercial se présente sous forme de flacon contenant environ 500 pupes de drosophiles parasitées par T. drosophilae. Les pupes sont conditionnées deux, trois jours avant l'émergence des parasitoïdes et stockées à température ambiante. Pour les besoins de l'essai, elles sont conditionnées puis expédiées moins de 48 heures avant les lâchers sur le terrain.

Les lâchers sont effectués au rythme d'un par semaine pendant dix semaines, de mars à mai, et à raison d'un flacon par point de lâcher. Le contenu des bouteilles est transféré dans une coupelle, elle-même placée dans un piège delta similaire aux pièges utilisés pour le suivi du parasitisme, c'est-à-dire que ses ouvertures sont obturées par une maille ne laissant passer que les parasitoïdes. Des essais préalables en laboratoire ont montré que la quasi-intégralité des parasitoïdes émergés pouvaient sortir du piège delta dans lequel est disposé le flacon ouvert. Les sources de nourriture « naturelles » étant rares dans l'environnement à cette période, une source artificielle est ajoutée dans chaque piège. Il s'agit d'une capsule contenant du miel gélifié (50 % miel/agar-agar à 2 %) (photo 2).

Données collectées

Les données collectées pour l'essai sont les suivantes.

Concernant le climat, la température (moyenne/min/max) et l'hygrométrie quotidiennes ont été enregistrées par les stations météo du centre d'information régional agrométéorologique Cirame - station de Villelaure pour la parcelle de Cadenet, et station La Tapy pour les trois autres.

Le suivi des populations de D. suzukii adultes dans les haies par des pièges « bouteille » vin/vinaigre (2/1) (photo 3) a été réalisé par la mise en place de deux pièges par placette élémentaire de 30 m de haie, les deux pièges étant éloignés l'un de l'autre de 15 m. Pour chaque placette, on place également un troisième piège près des cerisiers « témoins ». Les pièges sont relevés chaque semaine, les captures comptabilisées et sexées en station.

Le suivi du parasitisme par pièges delta « sentinelles », fermés par un filet d'une maille de 0,8 mm et appâtés par des framboises décongelées une heure avant d'être artificiellement infestées par des pupes de drosophiles formées le jour même, a été effectué selon un protocole issu de Géniaux (2016) et Rossi-Stacconi et al. (2018) (photo 4). Les drosophiles sont fournies par l'élevage de l'Inrae à Avignon. Les sentinelles sont disposées en groupes de trois pièges. Les pièges sentinelles sont placés toutes les deux semaines et exposés pendant une semaine avant d'être récupérés. Après récupération, les pupes qu'ils contiennent sont placées en émergence, en station, à 20-25 °C, pour comptabiliser :

- les pupes non émergées ;

- les émergences de D. suzukii ;

- les émergences de T. drosophilae ;

- les émergences d'autres parasitoïdes.

Survie des pupes de D. suzukii en conditions contrôlées

Un essai complémentaire visait à étudier la survie des pupes de drosophiles en fonction de la température, dans des chambres climatiques où la température est contrôlée en continu. Les essais ont eu lieu à l'insectarium de l'Inrae à Avignon. Six températures (4, 11, 15, 20, 25 et 30 °C) et quatre durées d'exposition (24, 48 et 72 h, ou une semaine complète) ont été sélectionnées. Trois réplicas de vingt pupes nouvellement formées ont été exposés dans les conditions de chacune des vingt-quatre modalités constituées. Après cette période d'exposition, les pupes ont été placées en salle d'élevage (température 23-25 °C) jusqu'à l'émergence.

Résultats : dynamique des populations de mouche et Trichopria

Données météo

Pour les quatre parcelles, les lâchers ont débuté alors que la température moyenne quotidienne oscillait entre 8 et 14 °C (Figure 2). Cette gamme de températures s'est maintenue jusqu'à mi-avril, avec des minima nocturnes inférieurs à 0 °C à 6 °C (Tapy) ou 14 °C (Villelaure). Les températures ont ensuite crû progressivement avec la disparition des épisodes de gel, puis à partir de début juin des maximas dépassant les 30 °C, dont un maximum à 44 °C le 28 juin. La pluviométrie est restée faible jusqu'à début juin, date à partir de laquelle elle est devenue insignifiante.

Suivi botanique des haies

Peu de fruits charnus ont été répertoriés dans les haies durant la période de l'essai. Le plus fréquent était le lierre Hedera helix, en fruit du milieu de l'hiver jusqu'au début du printemps. Les autres espèces relevées étaient l'aubépine Crataegus monogyna, le merisier Prunus avium et le chèvrefeuille des haies Lonicera xylosteum. Aucun des fruits mis en émergence n'a donné de drosophiles. Le faux sureau Sambucus ebulus était également fortement présent, mais ses fruits n'apparaissent qu'en été, après la dernière récolte.

Monitoring des populations de D. suzukii

Les populations de D. suzukii évoluent globalement de manière similaire sur les quatre sites (Figure 3). Les drosophiles sont présentes dès le début du suivi, malgré les faibles températures. Les pressions sont même relativement fortes sur les trois parcelles hors Cadenet, avec des captures hebdomadaires moyennes de 50 à 150 adultes, et un pic brutal à plus de 300 pour le Rocan au 25 avril et près de 400 sur le Pérussier au 23 avril. Cette pression diminue rapidement à partir du 29 avril, les moyennes de captures chutant en général autour de 20-50. Cette diminution est moins flagrante au Rocan, où l'on note une forte recrudescence en mai, lors de la véraison et la récolte de 'Burlat', variété précoce.

Ces captures sont aussi caractérisées par un fort écart-type, tout particulièrement à Aubignan, traduisant de fortes variations d'un piège à l'autre. Pour les quatre sites et la plupart des dates, l'analyse statistique ne révèle aucune différence significative entre les témoins et les placettes avec lâcher. Deux exceptions apparaissent au Rocan les 11 avril (t = -2,4, df = 6,2, p-value = 0,05*) et 9 mai (t = -2,4, df = 8,2, p-value = 0,04*), et une à Cadenet le 4 avril (t =2,8, df = 8, p-value = 0,02*)(1). Au Rocan, les captures sont alors plus importantes sur les placettes avec lâchers, et inversement pour Cadenet.

À noter que, pour le Rocan, la probabilité est très proche du seuil significatif de 5 % pour plusieurs autres dates, toujours dans le sens de captures plus importantes dans les zones avec lâcher. Cette différence n'apparaît sur aucune autre parcelle. Il est donc probable qu'elle soit due aux inévitables différences de micro-habitat entre les placettes, effet qui ne peut être pallié avec ce protocole. C'est l'effet inverse qui est noté à Cadenet. Cependant, là encore, le manque de répétitions ne permet pas d'éliminer un éventuel effet « placette » et il est difficile de se prononcer sur cette unique différence significative.

En ce qui concerne le détail par sexe des captures de drosophile (figure non montrée), dans les trois cas hors Cadenet, la proportion initiale des mâles est importante, entre un quart et un tiers des captures. Cette proportion diminue ensuite, pour réaugmenter au moment de la récolte : plus de la moitié au Pérussier, un peu moins sur les deux autres sites. À Cadenet, on retrouve une évolution qui semble similaire : fin juin, les mâles représentent plus de 50 % des captures alors qu'ils n'ont pas dépassé les 15 % tout au long du suivi. L'exception est la toute première date, avec 25 % de mâles, mais ce chiffre est à prendre avec précaution au vu du très faible nombre de drosophiles capturées à ce moment (en moyenne cinq adultes par piège et par semaine).

Monitoring du parasitisme

Pour les quatre sites, les taux de parasitisme sur les pupes sentinelles sont nuls : aucun parasitoïde n'a émergé des pupes mises en exposition sur le terrain durant toute la durée de l'essai. De même, les tests statistiques ne montrent aucune différence significative pour la survie des sentinelles sur des placettes témoin ou en lâcher (tests t sur pourcentages transformés par racine arc-sinus).

Dans un premier temps, jusqu'à la mi-avril, la survie des pupes exposées aux conditions extérieures est nulle ou presque, toujours inférieure à 3 %. Cet épisode de très forte mortalité correspond au moment où les températures extérieures sont les plus faibles (Figure 2), avec une moyenne de 10-15 °C et surtout des minima nocturnes qui peuvent descendre sous la barre des 0 °C : le dernier épisode de gel à la Tapy comme à Villelaure est enregistré le 15 avril. La survie augmente avec les températures après cette date, la faible survie notée le 9 mai sur les sites du Pérussier et d'Aubignan correspondant à une chute brutale du minimum nocturne le 7 mai. De la mi-mai à fin juin, les survies sont plus élevées quoique très variables d'un piège à l'autre. Enfin, elles deviennent nulles sur le seul site où le suivi a été réalisé jusqu'à début juillet (Aubignan), après les chaleurs caniculaires de fin juin. Néanmoins, aucune émergence de parasitoïde n'a été observée sur les pupes viables.

Essais complémentaires en conditions contrôlées

L'effet de la température sur la survie pupale est hautement significatif (df = 5 ; F = 28,66 ; p 0,01***) (Figure 4 page suivante). Dans l'ordre croissant, les taux de survie moyens sont de 3 % (à 4 °C), moins que 13-18 % (à 11, 15 et 30 °C) et moins que 51-53 % (à 20 et 25 °C). La suite de l'analyse, par température, fait ressortir des différences significatives pour les températures de 4 °C (df = 3 ; F = 17,05 ; p 0,01***), 20 °C (df = 3 F = 10,32 ; p moins que 0,01**) et 30 °C (df = 3 ; F = 21,69 ; p 0,01***).

Discussion : inutilité des lâchers trop précoces

Peu d'essais de T. drosophilae

Les essais de lutte biologique utilisant T. drosophilae en conditions réelles sont rares. En 2014, à l'Aprel (Ginez, 2014), des essais en tunnel de fraisier AB combinant plusieurs méthodologies ont montré l'efficacité de la prophylaxie et des barrières physiques mais n'ont pas permis de conclure quant à l'efficacité du parasitoïde.

Des premiers essais en plein champ ont été menés en Italie (Trento), en 2016 et 2017 (Rossi-Stacconi et al., 2018, 2017). Dans ces essais, les parasitoïdes sont relâchés en bordure de parcelles (cerises et autres cultures) une semaine avant la maturité des fruits. On retrouve le parasitoïde jusqu'à 40 m du point de lâcher, et il diminue significativement les émergences de D. suzukii dans un rayon de 10 m autour de ce point. Les conclusions de ces études ont servi de base à l'élaboration du présent protocole.

Les haies, abris hivernaux pour la drosophile

De nombreuses plantes sauvages ont été identifiées comme ressources potentielles pour les drosophiles (Kenis et al., 2016 ; Poyet et al., 2015). Les espèces végétales identifiées dans les haies sont connues pour être des hôtes potentiels, à l'exception du lierre (Kenis et al., 2016). Il semble donc que ces haies puissent effectivement servir de foyer à partir desquels les drosophiles recolonisent les vergers en sortie d'hiver. Cette hypothèse est étayée par les profils de capture similaires, malgré les différences dues aux différentes conditions agricoles et écologiques : une population initiale relativement forte culmine à la mi-avril, pour diminuer parfois très brusquement ensuite et connaître une recrudescence durant la récolte. L'évolution de la sex-ratio montre aussi des similitudes, avec une proportion de mâles en général faible, sauf en début et fin de l'essai où cette proportion peut atteindre la moitié des adultes.

Conditions : pas d'influence des lâchers

Cependant, il s'avère que les lâchers de parasitoïdes ne modifient en rien cette dynamique. Les trois seuls résultats significatifs obtenus sur les parcelles du Rocan et de Cadenet semblent tenir beaucoup plus de la topologie des haies. L'une des raisons de cette absence d'influence est suggérée par le suivi des sentinelles : aucun parasitoïde n'ayant jamais émergé des pupes, et la survie de ces pupes n'étant pas influencée par les lâchers, on peut imaginer que ce parasitisme ne s'est pas fait, au moins dans les sentinelles. Il est fort possible que ceci relève d'abord d'un défaut du protocole, même si celui-ci est fortement inspiré d'essais précédents (Rossi-Stacconi et al., 2019, 2018) où le dispositif des sentinelles a été utilisé avec succès. Il s'avère en particulier que le temps d'exposition d'une semaine est trop long en fin d'essai, les drosophiles commençant à émerger alors qu'elles sont encore sur le terrain, ce qui entraîne des pertes de données (les pupariums vides sont plus difficiles à récupérer sur les framboises desséchées, et les cadavres de drosophiles émergées parfois délicats à retrouver dans le piège).

Dans les conditions de l'expérience, ces lâchers semblent inefficaces. Rappelons cependant que ces essais préliminaires ont été menés avec un nombre limité de répétitions, à la comparabilité limitée. C'est une difficulté récurrente dans ce type d'essais en conditions réelles. Ils ne présument donc pas de l'efficacité potentielle du parasitoïde en lui-même qui pourrait être plus significative dans d'autres conditions comme démontré en Italie (Rossi-Stacconi et al., 2019). Ils montrent principalement que ces lâchers ne doivent pas être effectués de façon trop précoce.

Les pupes de drosophile sensibles au froid

Même en l'absence de parasitisme, nous avons eu la surprise de n'observer quasiment aucune survie des pupes de drosophiles exposées à des froids relatifs, et ce jusqu'à la troisième semaine d'avril. La température moyenne était à ce moment-là de 10 à 15 °C, avec des minima nocturnes inférieurs à 0 °C. Nous avons pu ensuite vérifier en laboratoire que des expositions à des températures inférieures à 5 °C sont rapidement fatales pour les pupes. Ces faits sont également confirmés par une étude (Enriquez and Colinet, 2017), qui montre que les pupes sont plus sensibles au froid que les adultes : après une heure d'exposition à 0 °C, près de 60 % des pupes meurent. À 7,5 °C de température constante, la moitié des pupes meurent après une journée d'exposition. On peut donc en conclure que les pupes de drosophiles ne peuvent pas survivre aux conditions hivernales. Elles ne survivent que lorsque les températures minimales remontent au-dessus d'un seuil proche dès 10 °C, seuil qui est franchi dans nos essais vers la mi-avril.

A contrario, les adultes de T. drosophilae survivent entre 5 et 33 °C, et à partir de 15 °C le parasitoïde est capable de parasiter son hôte. Aux températures les plus basses, le parasitoïde peut survivre quatre mois mais sans se reproduire (Amiresmaeili et al., 2018). Cependant, il s'agit d'un parasitoïde koïnobionte(2) : il lui est impossible de compléter son cycle biologique en l'absence de pupes hôtes viables. Cet essai a produit des résultats inattendus tout en répondant à la question initiale. Il s'avère en effet que les lâchers précoces du parasitoïdes sont inutiles, pour la simple raison qu'avant la fin du mois d'avril ils ne peuvent pas trouver d'hôtes dans l'environnement pour se multiplier.

Une survie hivernale des adultes

Ces résultats donnent également des informations cruciales sur la bioécologie de D. suzukii. En effet, ils conforteraient l'hypothèse actuelle selon laquelle la continuité des populations durant l'hiver ne serait assurée que par des adultes. Ces adultes survivraient au froid en migrant dans la litière ou les installations humaines, où les conditions microclimatiques leur permettent d'échapper au gel (Hennig et al., 2017 ; Rossi-Stacconi et al., 2016 ; Zerulla et al., 2015). La question de leur reproduction n'a pas été résolue : il est possible que ces adultes soient capables de pondre, mais la survie des stades pré-imaginaux, en particulier celle des pupes, est douteuse. Ceci est d'une importance fondamentale pour la modélisation de la dynamique des populations, et donc la prévision du risque phytosanitaire.

Positionnement des lâchers

Existe-t-il un moment plus favorable et une quantité optimale pour effectuer les lâchers d'augmentation ? En tout état de cause, ils devront être réalisés à partir de la fin avril, voire début mai. Il importe également de revoir le protocole sur la mise en place et la conception des pièges sentinelles, en particulier le temps d'exposition maximal, pour éviter les émergences d'adultes avant la récupération des pièges. Les précédents essais en Italie (Rossi-Stacconi et al., 2019) ont effectivement montré que les lâchers de ces auxiliaires peuvent significativement réduire les dégâts, au moins dans les zones réservoir non touchées par les traitements insecticides. Reste à savoir comment ces lâchers seraient compatibles avec les autres pratiques de protection des cultures, dont la lutte chimique, et dans quelle mesure ils seraient alors rentables pour l'agriculteur.

(1) Abréviations utilisées pour les résultats des tests statistiques : t ou F, valeur de la variable de test ; df, degré de liberté ; p, probabilité du risque, le seuil de significativité choisi pour cette étude étant de 5 %.(2) Un parasitoïde koïnobionte ne bloque pas le développement de son hôte. Ce dernier n'est tué qu'à l 'émergence du parasitoïde, une fois que celui-ci a terminé son propre développement pré-imaginal.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Après les très lourds dégâts causés en 2018 par les pullulations de Drosophila suzukii (Matsumara, 1911), et face à l'absence immédiate de solution alternative aux traitements phytopharmaceutiques, les producteurs de cerise sont en attente d'innovations pour les aider à protéger leurs cultures.

ÉTUDE - À la suite de la mise sur le marché du produit Trichopria500 de Bioplanet, le domaine de La Tapy et ses partenaires ont testé au sortir de l'hiver 2018-2019 des lâchers inondatifs du parasitoïde Trichopria drosophilae (Perkins, 1910) afin d'évaluer leur impact sur la dynamique de Drosophila suzukii (Matsumara, 1911). L'essai 2019 a ciblé les populations de drosophiles abritées dans les gîtes hivernaux en bordure de vergers de cerisiers.

RÉSULTATS - Comparés à des zones sans lâcher, dans les conditions de l'essai, les résultats ne montrent aucune évolution différentielle des populations de drosophile, et les taux de parasitisme sont nuls.

Étonnamment, la survie des pupes de drosophile est également quasi nulle avant la mi-mai. Ces résultats sont confirmés par des essais en laboratoire : les pupes de D. suzukii sont très sensibles aux températures relativement basses du début du printemps. Nous en concluons que tout lâcher effectué avant la fin des gelées nocturnes est inutile, faute d'hôte viable pour le parasitoïde.

Ces données de terrain confirmeraient l'hypothèse selon laquelle, sous nos latitudes, D. suzukii ne survivrait à l'hiver que sous forme adulte et donc sans génération intermédiaire.

MOTS-CLÉS - Drosophila suzukii, parasitoïde, Trichopria drosophilae, lutte biologique, lâchers inondatifs.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : Benjamin Pierron ; bpierron@domainelatapy.com

LIEN UTILE : https://rd.agriculture-paca.fr/qui-sommes-nous/la-tapy/

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (19 références) est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).

REMERCIEMENTS

Merci à Christian Disant pour la mise à disposition de sa parcelle. Merci également à Philippe Parageaud (Bioplanet), Christophe Roubal (Draaf), Anthony Ginez (Aprel), Blandine Polturat et Benjamin Gard (CTIFL), Clémence Maillo et Emmanuelle Filleron (Tapy), et enfin Gianfranco Anfora (University of Trento/Fondazione Edmund Mach) pour leur participation à l'élaboration du protocole. Le programme expérimental dans lequel s'inscrit cet essai est financé par la Région Sud et le Département du Vaucluse.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :