De parents agriculteurs dans l'Aube, après un bac littéraire Ludovic Renaudin s'oriente vers un BTSA « pour assurer un diplôme permettant de travailler », puis vers le domaine qui lui plaît vraiment : la compréhension de l'homme. Il obtient une licence de philosophie, matière, avec celle de la communication, qu'il enseignera trois ans. En 1994, son père prenant sa retraite, Ludovic Renaudin décide de reprendre l'exploitation de grandes cultures. « Me sentant très idéaliste, je craignais de m'éloigner trop loin de la réalité, se souvient-il. Je voulais revenir à un métier plus concret. » Fin 2018, sa fibre littéraire vient au secours d'une agriculture malmenée depuis des mois par l'agribashing avec la publication d'Une face cachée des agriculteurs.
Des informations tronquées
Depuis 2016, il répond aux a priori et critiques de proches, ou sur les réseaux sociaux, envers l'agriculture dite intensive. « J'ai bâti des questions-réponses, puis répondu à des questions qui n'étaient pas posées mais qui auraient dû l'être. 80 % des gens ne cherchent pas à comprendre ce que je pratique techniquement, mais savent mieux que moi ce que je devrais faire en tant qu'agriculteur. » L'homme de terrain apporte son éclairage sur les engrais, les OGM, la qualité de l'eau, l'irrigation, les subventions agricoles... et « les fameux produits de santé végétale, ce que d'autres appellent les pesticides. C'est là que l'agriculteur est le plus attaqué. » Au fil des pages, il souligne les erreurs véhiculées sur le sujet. Ainsi en février 2016, l'émission « Cash Investigation » dénature des données de l'Efsa(1) pour ne retenir que « 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides », information reprise en masse par les médias grand public et les réseaux sociaux. « Très peu sont ceux qui vont voir les résultats de l'Efsa pour se rendre compte que l'agriculture travaille bien. En revanche, beaucoup retiendront ce chiffre tronqué. »
Des contradictions
Il pointe aussi les contradictions des consommateurs. « La société nous demande de ne plus utiliser de produits chimiques mais elle continue à prendre des médicaments (99 % sont chimiques) et l'homéopathie est déremboursée. Quarante-huit boîtes de "pesticaments"/an/habitant sont vendues en pharmacie chaque année en France ! Je peux prendre un antibiotique, un somnifère, un anti-inflammatoire... Mais si je traite ma plante, je suis un pollueur. Comment une personne utilisant ces "pesticaments" peut-elle critiquer le moindre apport de produits de synthèse sur mes cultures ? » Au top des critiques : le Roundup. « Il faut mesurer les conséquences d'une interdiction totale, voire totalitaire. Il me permet de produire plus de matières vertes dans mes cultures intermédiaires, donc de capter plus de CO2. Si je veux me passer de la chimie, je vais devoir la remplacer par plusieurs désherbages mécaniques qui vont casser la structure et la vie de mon sol, et le rendre plus fragile face à l'érosion. Cela signifie aussi plus de pétrole consommé et donc plus d'émissions de CO2. »
Le bio, oui mais...
Se définissant plutôt comme étant en agriculture raisonnée, Ludovic Renaudin n'est pas contre l'agriculture biologique. « Il ne faut pas opposer les deux mais plutôt se nourrir de leurs différences. La chimie d'après-guerre a permis de se nourrir pour mieux vivre. On ne meurt plus de faim en raison de récoltes détruites par la maladie. Doit-on se passer de cette sécurité alimentaire ? La force du bio aujourd'hui est d'être un des fers de lance dans la réflexion écologique. Sa faiblesse est d'ériger le principe que tout doit être naturel. Une plus grande finalité serait d'atteindre un équilibre entre la santé de l'homme et le respect de la nature. Si le produit naturel marche, c'est très bien. Mais si un produit de synthèse est mieux tout en préservant cet équilibre, alors il faut le prendre. Un produit non issu de la chimie de synthèse (et donc utilisable en bio) ne signifie pas absence d'impact sur la santé et l'environnement. »
Des espoirs malgré tout
Mais des perspectives existent. « Les outils d'aide à la décision se développent pour raisonner, voire réduire l'usage des phytos. L'innovation côté matériel est également en plein boom, avec par exemple des robots désherbeurs. Seul un choix de société permettra de faire cette mutation écologique, mais elle ne peut se faire sans les agriculteurs. Et pour y parvenir, ils doivent être soutenus par la recherche et l'innovation pour faire évoluer chaque type d'agriculture, et donc par la société. Il ne peut y avoir d'écologie sans ou contre les agriculteurs. »
Toujours informer
Fin février, Ludovic Renaudin avait déjà vendu plus de 900 exemplaires. Qu'est-ce que cette publication a changé pour lui ? « Le jour où j'ai su qu'il allait paraître, cela m'a redonné vraiment la pêche. J'ai alors pris conscience à quel point moralement j'étais tombé très bas car je n'arrivais pas à me blinder face aux critiques incessantes sur mon métier. Certains agriculteurs vont utiliser mes arguments. D'autres m'en commandent pour les donner à ceux qui se posent des questions sur l'agriculture. Mais le travail d'information de nos concitoyens qui reste à faire est encore énorme. »
(1) Autorité européenne de sécurité des aliments.
BIO EXPRESS
LUDOVIC RENAUDIN
1986. BTSA à l'Efsa d'Angers (Maine-et-Loire).
1991. Licence de philosophie à l'IPC (Facultés libres de philosophie et de psychologie) et à la Sorbonne (Paris).
Professeur de philosophie et de communication (1re et terminale) au lycée Robert Schuman à Chauny (Aisne).
1994. Reprise de l'exploitation familiale à Montsuzain (Aube).
2010. Président du Ceta de Romilly pendant cinq années (Aube).
2018. Publie Une face cachée des agriculteurs - quelques réponses aux questions non posées aux éditions L'Harmattan.