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DOSSIER - Couverts végétaux

Couverts complexes : gage de sécurité, pas de performance

STÉPHANE CORDEAU*, NICHOLAS D. WARREN** ET RICHARD G. SMITH** *Agroécologie, AgroSup Dijon, Inrae, Université Bourgogne Franche-Comté - Dijon. **Department of Natural Resources and the Environment - University of New Hampshire - États-Unis. - Phytoma - n°734 - mai 2020 - page 16

La gestion des adventices par les couverts végétaux apparaît comme une solution agroécologique avantageuse. La question du choix des espèces se pose, mais aussi de l'intérêt des mélanges.
1. Mélange de couverts estivaux (sarrasin, millet, teff, gesse, sorgho fourrager, avoine) en juillet 2015, New Hampshire (États-Unis). Photo : N. Warren 2015

1. Mélange de couverts estivaux (sarrasin, millet, teff, gesse, sorgho fourrager, avoine) en juillet 2015, New Hampshire (États-Unis). Photo : N. Warren 2015

Dispositif de l'essai couvert en septembre 2015, dans le New Hampshire (États-Unis). Photo : N. Warren 2015

Dispositif de l'essai couvert en septembre 2015, dans le New Hampshire (États-Unis). Photo : N. Warren 2015

Fig. 1 : Durée des couverts testés selon trois périodes de semis (S) et de destruction (D)Pour chaque période, diverses modalités de couverts sont testées, et répliquées sur trois années différentes. Essais 2014-2017 de l'université du New Hampshire (États-Unis).

Fig. 1 : Durée des couverts testés selon trois périodes de semis (S) et de destruction (D)Pour chaque période, diverses modalités de couverts sont testées, et répliquées sur trois années différentes. Essais 2014-2017 de l'université du New Hampshire (États-Unis).

Fig. 2 : Biomasse adventice (en kg/ha, moyennée sur les quatre répétitions et les trois années) en fonction des modalités de couverts en comparaison au témoin sol nu (barre bleue)

Fig. 2 : Biomasse adventice (en kg/ha, moyennée sur les quatre répétitions et les trois années) en fonction des modalités de couverts en comparaison au témoin sol nu (barre bleue)

Fig. 3 : Effet répressif du couvert sur les adventices (pourcentage de réduction de la biomasse adventice dans les modalités couvert par rapport aux modalités témoin sol nu)

Fig. 3 : Effet répressif du couvert sur les adventices (pourcentage de réduction de la biomasse adventice dans les modalités couvert par rapport aux modalités témoin sol nu)

Fig. 4 : Effet répressif du couvert sur les adventices (%) en fonction de la biomasse du couvert (kg/ha) et du couvert semé (une espèce en noir, mélange d'espèces en rouge)Chaque point représente la moyenne de quatre répétitions × trois années d'essais. Les barres verticales et horizontales représentent l'écart-type sur les variables Y et X.

Fig. 4 : Effet répressif du couvert sur les adventices (%) en fonction de la biomasse du couvert (kg/ha) et du couvert semé (une espèce en noir, mélange d'espèces en rouge)Chaque point représente la moyenne de quatre répétitions × trois années d'essais. Les barres verticales et horizontales représentent l'écart-type sur les variables Y et X.

Les couverts d'interculture fournissent une diversité de services écosystémiques dont la rétention ou la fourniture des nutriments (leur ayant valu l'appellation de Cipan, pour « couvert intermédiaire piège à nitrates », ou plus anciennement d'engrais vert), la réduction de l'érosion et l'amélioration de la structure des sols, la promotion de la diversité microbienne, etc. Ainsi les couverts sont identifiés comme un outil majeur dans les systèmes de culture agroécologiques. En outre, ils sont de plus en plus promus pour la gestion des adventices. Ils réduisent l'abondance et la biomasse des adventices qui lèvent dans le couvert. Ils prennent une place majeure dans les systèmes de culture sans travail du sol (semis direct) où concurrencer les adventices s'avère crucial pour limiter le salissement.

Pourquoi cette étude ?

Différentes espèces pour différents usages

Ainsi, l'agriculteur qui souhaite semer des couverts se questionne sur le choix des espèces à semer. Ce choix dépend de la région (situation pédoclimatique), des cultures précédente et suivante (déterminant la longueur de l'interculture) et des objectifs recherchés. Les légumineuses (pois fourrager, féverole, trèfle d'Alexandrie, trèfle blanc, gesse, etc.) sont privilégiées pour la fixation d'azote atmosphérique et donc leur effet engrais vert. Les crucifères (colza fourrager, moutarde brune, moutarde blanche, etc.) sont privilégiées pour leur capacité à préempter l'azote du sol (effet Cipan). Les espèces à système racinaire particulier, pivotant, fasciculé (féverole, tournesol, radis fourrager, etc.) sont choisies pour leur effet restructurant du sol. Les graminées (sorgho, avoine, seigle, etc.) procurent une forte biomasse pour concurrencer les adventices, une faible teneur en azote (rapport C/N moins élevé que les légumineuses) et visent à améliorer le stockage du carbone. Enfin, en France, des espèces sont typiques des couverts (sarrasin, phacélie, niger, etc.) quand d'autres le sont dans d'autres régions du globe (crotalaire Crotalaria juncea, teff Eragrostis tef, niébé aussi appelé cowpea Vigna unguiculata) (photo 1).

Des mélanges en vue d'associer les services

Il est parfois difficile pour un agriculteur ou un conseiller agricole de hiérarchiser les objectifs qu'il recherche en semant des couverts. De fait, cette recherche du « multiservice » amène le premier à semer ou le second à préconiser de semer un mélange d'une diversité d'espèces. Selon une enquête des pratiques agricoles du Service de la statistique et de la prospective SSP, les mélanges représentaient 12 % des parcelles en France en 2010(1). En moyenne des campagnes 2010 à 2014, les mélanges ont représenté 46 % en poids des ventes de semences certifiées de cultures intermédiaires(2). Chaque année aux États-Unis, le Sare (Sustainable Agriculture Research and Education) et le CTIC (Conservation Technology Information Center) lancent une enquête nationale sur les pratiques de gestion des couverts. En 2017, la majorité des 2 102 répondants a indiqué avoir utilisé des mélanges de couverts contenant de trois à huit espèces ou plus. La même enquête a indiqué que les agriculteurs considéraient les mélanges d'espèces comme plus efficace pour lutter contre les adventices que des couverts monospécifiques.

Vérifier l'intérêt des mélanges pour les couverts

Il est possible de trouver des fondements scientifiques à cette affirmation dans les théories d'écologie testées sur les prairies. En effet, des études ont démontré le lien positif entre la diversité végétale et la productivité (production de biomasse), et négatif entre la diversité végétale et la capacité d'autres espèces de s'installer (limitant l'invasion). Il a également été démontré que la diversité végétale influence la stabilité des fonctions de l'écosystème, avec des communautés plus diversifiées ayant tendance à être plus stables dans le temps par rapport aux communautés moins diversifiées. Étendre ce raisonnement aux couverts nous amènerait à émettre l'hypothèse qu'un couvert d'interculture multispécifique (c'est-à-dire diversifié) serait à même de produire plus de biomasse, réprimer plus les adventices et être plus stable en termes de performance que les couverts monospécifiques.

Dans cette contradiction de points de vue, notre étude publiée dans la revue américaine Weed Science(3) a donc souhaité répondre aux questions suivantes : un mélange de plusieurs espèces de couvert est-il plus efficace pour réprimer les adventices qu'un couvert monospécifique ? La performance des couverts en mélange varie-t-elle selon la saison des semis/destruction (été, printemps, automne) ? La performance des couverts en mélange est-elle plus stable entre années que celle des couverts monospécifiques ?

Étude de différents couverts à différentes périodes de semis

Trois périodes de semis

Une expérimentation reconduite sur trois années a été mise en place sur la ferme expérimentale de l'université du New Hampshire aux États-Unis sur sol sablo-limoneux (photo 2). Chaque année, trois périodes de semis/destruction ont été testées (Figure 1). Ainsi, les espèces de couverts et les adventices se sont développées entre six semaines (couvert d'été), neuf semaines (couvert d'automne) et 7,5 mois (couvert de printemps).

Modalités de couverts testées

Au total, quatorze espèces de couvert ont été testées dont les densités de semis dépendaient du nombre d'espèces dans le mélange (Tableau 1). On distingue six espèces adaptées à des croissances d'été, semées fin mai et détruites début août (couvert d'été), six avec des croissances d'automne, semées début août et détruites fin octobre (couvert d'automne), et cinq avec des croissances de printemps, semées fin octobre et détruites mi-mai (couvert de printemps).

Les modalités de couvert testées sur les trois périodes sont : le mélange des cinq ou six espèces adapté à la période de semis (densité de semis égale à 1/5 ou 1/6 de la densité de semis de l'espèce en pur), ces espèces de couvert adaptées à la période de semis cultivées en pur (monoculture), le mélange des quatorze espèces (densité de semis égale à 1/14 de la densité de semis de l'espèce en pur), et un témoin sol nu sans semis de couvert. Les modalités de couverts sont répliquées quatre fois selon un design expérimental en blocs randomisés. Avant le semis des couverts au semoir expérimental de précision, l'ensemble des parcelles a été labouré puis hersé et roulé pour assurer une bonne qualité du lit de semence. Aucun fertilisant ni désherbant n'a été appliqué durant l'essai.

Analyses statistiques

La biomasse aérienne sèche (65 °C, 72 h) du couvert et des adventices ont été quantifiées avant destruction par deux quadrats (0,25 m² chacun) par micro-parcelle (N = 272 micro-parcelles). L'effet répressif du couvert est calculé comme le pourcentage de réduction de la biomasse sèche des adventices entre la modalité avec couvert et le témoin sans couvert. Des analyses de variance (Anova) ont permis de tester l'effet des modalités de couvert, de l'année et de l'interaction des deux facteurs sur la biomasse adventice (kg/ha) et l'effet répressif (%), l'effet bloc étant considéré en variable aléatoire. Pour déterminer si les mélanges sont plus stables que les couverts purs, le coefficient de variation (CV) de l'effet répressif (%) est calculé sur la base des quatre répétitions et des trois années d'essais (N = 12) pour chaque modalité. Ainsi, ce coefficient de variation reflète la robustesse spatiale (intraparcellaire) et temporelle (interannuelle) de l'effet répressif. Plus il est faible, moins la performance du couvert varie entre bloc et année.

Effet des couverts d'été

Des biomasses d'adventices plus faibles avec des couverts purs

Les adventices présentes étaient dominées par des dicotylédones annuelles (73 à 90 % de la biomasse totale selon les années) parmi lesquelles la vergerette du Canada, l'amarante réfléchie, le chénopode blanc et la digitaire sanguine. La biomasse des adventices varie sous l'effet des modalités de couverts (p-value moins que 0,0001), des années (p-value moins que 0,0001) et l'interaction des deux facteurs (p-value moins que 0,0001). Les biomasses adventices sont plus faibles dans les couverts purs de millet et sarrasin (Figure 2) que dans le mélange à quatorze espèces (les trois années testées) ou dans le mélange à six espèces adapté à la période (deux années sur trois). Le sarrasin est souvent évoqué pour ses effets allélopathiques suspectés. Les spécialistes suisses de la question (Judith Wirth, Agroscope) parlent d' « allélopathie » (avec des guillemets) car il est très difficile de savoir si c'est l'allélopathie ou la compétition pour les ressources du sol (eau, nutriment) qui est à l'oeuvre. Néanmoins, cette espèce s'avère ici dans un couvert d'été l'espèce la plus répressive due à sa croissance rapide et au développement de sa canopée. Ce qui indique que les sarrasins dérobés peuvent aussi être un moyen de réguler la flore adventice, tout en envisageant une deuxième récolte dans l'année à moindre frais.

Un effet répressif constant entre les années

Comme attendu, l'ensemble des modalités conduisent à réduire la biomasse adventice en comparaison du témoin sans couvert (Figure 3), variant de 8,5 % (gesse) à 98,4 % (sarrasin) de réduction de biomasse adventice. L'effet répressif dépend du couvert (p-value moins que 0,0001), ne varie pas entre années (p-value plus que 0,05), mais ce ne sont pas les mêmes couverts qui performent le mieux tous les ans (p-value moins que 0,01). L'effet répressif est le meilleur pour le sarrasin sur les trois années (97-98 %, Figure 3). L'effet répressif du mélange de six espèces d'été ne varie pas de celui du mélange de quatorze espèces sur les trois années (de 66,4 à 96,8 %). L'effet répressif est le plus faible pour la gesse sur les trois années (de 8,5 à 26 %, Figure 3). D'une manière générale, les légumineuses ont un faible effet répressif, car elles ont une vitesse de croissance et d'installation plus lente, notamment liée au fait qu'elles utilisent une partie de leur énergie à mettre en place une symbiose et des nodosités. Cependant, comme on le verra après, des vesces, grâce à des fortes biomasses, peuvent être très concurrentielles. Enfin, en mélange, les légumineuses peuvent améliorer le pouvoir couvrant en comblant des étages inférieurs de la végétation, occupant ainsi mieux la niche écologique que des couverts purs. C'est notamment le cas des mélanges céréales-légumineuses ou crucifères-légumineuses.

Un effet répressif corrélé à la biomasse

Dans l'étude, l'effet répressif du couvert est positivement corrélé à la biomasse produite (Figure 4, R² variant de 0,53 à 0,67 selon les années). En effet, il est souvent évoqué que, pour réprimer les adventices, il suffit de faire beaucoup de biomasse ; ce résultat va dans ce sens, pour ces couverts d'été. Néanmoins (Figure 4), selon les espèces pures ou les mélanges, on peut atteindre le même pouvoir concurrentiel avec des biomasses plus faibles. Ce qui indique qu'il n'y a pas que la biomasse qui compte, mais aussi les traits des feuilles et la répartition de cette biomasse foliaire sur la hauteur de la plante, de manière à prendre le dessus sur la flore adventice et la concurrencer pour la lumière.

Effet des couverts d'automne

Préférez des crucifères ou des graminées

Les adventices présentes étaient essentiellement des dicotylédones annuelles (99 % de la biomasse) incluant les mêmes espèces que dans les couverts d'été. Tout comme pour les couverts d'été, la biomasse des adventices varie sous l'effet des couverts (p-value moins que 0,0001), des années (p-value moins que 0,0001) et l'interaction des deux facteurs (p-value moins que 0,001). Les couverts ayant produit la plus faible biomasse adventice sont le radis fourrager (deux années sur trois), le colza (une année sur trois), le blé (une année sur trois) et le mélange à six espèces d'automne (une année sur trois). Tous les couverts, dont les mélanges, conduisent à avoir moins d'adventices que dans le témoin sol nu (Figure 2), même si la différence est moins marquée que dans les couverts d'été. L'effet répressif variait entre couverts (p-value moins que 0,0001) mais pas entre années (p-value > 0,05). Les couverts les plus répressifs sont les crucifères (Figure 3) comme le radis (97,5 %), le colza (91,5 %), mais les graminées offrent aussi une très bonne performance (85,2 % pour l'avoine, 81 % pour le triticale), ainsi que les mélanges à six espèces d'automne (88,9 %) et à quatorze espèces (70 %). La crotalaire, légumineuse tropicale pourtant très utilisée dans ces régions américaines, a conduit au plus faible effet répressif (Figure 3).

Il n'y a pas que la biomasse qui compte

Contrairement aux couverts d'été, il n'y a pas de relation claire entre la capacité à réprimer les adventices et la biomasse du couvert (R² = 0,05, Figure 4). Les graminées et les crucifères ont des capacités compétitrices équivalentes mais en agissant sur diverses ressources.

Les crucifères sont connues pour être des plantes nitrophiles, d'ailleurs utilisées comme Cipan pour piéger l'azote. Delphine Moreau et ses collègues (Inrae Dijon) ont démontré(4) qu'une espèce nitrophile comme le colza est plus efficiente à prélever l'azote que les espèces adventices, et ce avec moins de racines, ce qui se traduit par une augmentation de sa biomasse aérienne et donc une compétition pour la lumière qui s'ajoute à la compétition pour l'azote. En revanche, le blé, espèce à caractère nitrophile intermédiaire, tient son effet concurrentiel de sa densité de semis (Tableau 1), de son pouvoir de tallage et de concurrence pour la lumière.

Effet des couverts de printemps

Les adventices présentes dans les trois d'années d'essais de couverts de printemps étaient dominées par la capselle bourse à pasteur (98-100 % de la biomasse). La biomasse des adventices a varié sous l'effet des couverts (p-value moins que 0,0001) uniquement en année 1. En effet, on observe une faible variabilité des biomasses adventices entre modalités (Figure 2), même si les couverts permettent de réprimer les adventices en comparaison du témoin. Malgré cela, la biomasse adventice a été plus faible dans le triticale que dans l'orge ou le seigle. Le triticale est connu en culture pour son pouvoir couvrant et est d'ailleurs utilisé par les agriculteurs biologiques à cet effet. Aucune différence n'est observée entre le mélange à cinq espèces de couvert de printemps et les modalités pures au cours des trois années. Il n'y a pas de relation significative entre le pouvoir répressif des couverts et leur biomasse (Figure 4, p-value = 0,57).

Robustesse à travers les années de l'effet répressif

Même si les mélanges d'espèces ne sont pas plus répressifs que la meilleure des modalités de couverts purs, ils peuvent être intéressants dans leur capacité à tamponner les aléas climatiques ou les variations de sols dans une parcelle, assurant ainsi une couverture moyenne. Afin de tester cette hypothèse, l'étude présente le coefficient de variation de l'effet répressif à travers les quatre répétitions par année et les trois années d'essais. Plus ce coefficient est faible, plus la modalité de couvert est stable dans sa performance. Dans cet essai, les couverts ayant le coefficient de variation le plus faible étaient toujours composés d'une espèce seule et jamais des mélanges (Tableau 2).

Le sarrasin est la modalité la plus stable dans les couverts d'été, le radis fourrager dans les couverts d'automne et le triticale dans les couverts de printemps. Néanmoins, on remarque que lorsque le mélange est composé des espèces adaptées à la période (mélange de six espèces d'été, six espèces d'automne, cinq espèces de printemps), l'effet répressif est relativement stable (16,4 %, 10,2 %, 35,8 %). En revanche, le couvert très complexe composé des quatorze espèces est rarement (sauf en été) un gage de sécurité (53,1 % et 47,9 % de variation). Vouloir mélanger beaucoup d'espèces c'est aussi choisir des espèces non adaptées à la période de semis et de destruction du couvert, dont la croissance n'est pas optimale par rapport aux conditions climatiques. En résulte une biomasse pénalisée et très variables selon les années. De plus, le mélange d'espèces avec des phénologies différentes augmente le risque que certaines soient en graine quand d'autres seront encore au stade végétatif à la période de destruction souhaitée. Ces différences de stade peuvent compliquer la destruction, obliger à l'avancer sous peine de laisser grainer certains couverts, rouvrir le milieu trop précocement avant le semis de la culture suivante et voir les adventices s'installer avant le semis de la culture suivante.

De l'intérêt réel des mélanges complexes

Cette étude démontre que les couverts complexes très diversifiés ne sont pas ceux qui produisent le plus de biomasse, ni ceux qui réduisent le plus la biomasse des adventices ou qui sont les plus stables dans le temps. Néanmoins, si le choix des espèces est judicieux, des mélanges de cinq-six espèces adaptées aux périodes de semis et de destruction peuvent s'avérer presque aussi performants que des couverts purs dans la concurrence des adventices, et en tout cas aussi stables que la meilleure des modalités pures et plus stables que la majeure partie des couverts purs.

Cette étude conforte plusieurs autres études scientifiques qui questionnent l'intérêt d'une grande diversité spécifique dans le couvert. Elle soutient néanmoins l'idée de raisonner le nombre d'espèces en se restreignant à celles adaptées aux conditions de croissance de la période de semis. Elle ne teste qu'une variété par espèce. Avec les activités des sélectionneurs pour améliorer les plantes de services, l'évaluation en réseau des variétés par le CTPS/Geves (Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées et l'inscription au catalogue officiel/Groupe d'études et de contrôle des variétés et semences), on peut imaginer que la diversité intraspécifique sera mieux connue dans les années à venir et pourra aider à affiner le choix des couverts. Il reste néanmoins à démontrer l'intérêt de mélanger des variétés en plus de mélanger des espèces pour maximiser la concurrence contre les adventices ou améliorer la stabilité de cette performance.

Effet des couverts à l'échelle de la rotation

L'étude se contente ici de regarder l'effet des couverts sur la flore adventice qui se développe dans le couvert. À quoi servirait de réprimer la flore adventice dans le couvert si aucun effet n'est perceptible dans les cultures suivantes de la rotation ? Or peu d'études ont vérifié cet effet sur le long terme. Il est difficile à quantifier car les couverts et les adventices sont parfois détruits mécaniquement par un travail du sol ou chimiquement (par exemple, le glyphosate). De plus, le désherbage dans les cultures suivantes, même s'il est nécessaire pour limiter la concurrence avec la culture, vient masquer l'effet des couverts. Il s'agit donc maintenant d'aller plus loin, de ne pas considérer uniquement l'effet répressif en comparant les couverts à un témoin sol nu dans l'interculture, mais de vérifier que les couverts sont un réel levier de gestion agroécologique des adventices, permettant de baisser les pressions adventices dans les cultures suivantes, et ainsi le recours au désherbage, qu'il soit chimique ou mécanique.

Penser multiservice, oui, mais à quelle échelle ?

La gestion des adventices n'est pas le service écosystémique prioritaire ciblé par les agriculteurs quand ils implantent des couverts. Ils cherchent à piéger l'azote, nourrir la diversité tellurique, restructurer le sol, etc. Voilà une des raisons pour laquelle ils sèment des mélanges diversifiés. Reste à démontrer que les couverts multispécifiques, bien que moins performants pour la gestion des adventices, offrent au global plus de services écosystémiques. Dans le cas contraire, plutôt que de chercher le multiservice dans chaque interculture de la rotation, il est aussi envisageable de raisonner à l'échelle du système de culture : envisager des couverts composés de deux-quatre espèces visant quelques services ciblés pour la culture suivante, alterner les services ciblés à l'échelle de la rotation, alterner les intercultures courtes et longues.

(1) Cavan N., Labreuche J., Wissocq A., 2016, Cultures intermédiaires : des sols de plus en plus couverts, Perspectives agricoles n° 433, p. 10-14.(2) Huet S., 2015, Un nouveau regard sur les couverts végétaux, Semences et progrès n° 171, p. 8-11.(3) Smith R.G., Warren N.D., Cordeau S., 2020, Are cover crop mixtures better at suppressing weeds than cover crop monocultures ? Weed Science n° 68, p. 186-194. https://doi.org/10.1017/wsc.2020.12(4) Cordeau S., Moreau D. 2017, Gestion des adventices au moyen des cultures intermédiaires multiservices : potentiels et limites, Innovations agronomiques n° 62, p. 87-100.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - L'utilisation de couverts d'interculture est identifiée comme un levier agroécologique pour concurrencer les adventices et diminuer les pressions dans les cultures de la rotation, même si ce dernier point n'est pas démontré. Or la compétition du couvert vis-à-vis des adventices dépend du contexte floristique et du choix des espèces de couverts fait par l'agriculteur. Il est souvent revendiqué qu'une plus grande diversité d'espèces dans le mélange serait plus efficace.

ÉTUDE - Une étude mise en oeuvre aux Etats-Unis (New Hampshire) en collaboration avec Inrae Dijon de 2014 à 2017 a comparé la performance annuelle et interannuelle de l'effet répressif (sur les adventices) de couverts variant selon le nombre d'espèces dans le mélange (une, cinq, six, quatorze espèces) semés à trois périodes de l'année (été, automne, printemps).

RÉSULTATS - Les couverts en mélange ne sont jamais plus concurrentiels que le meilleur couvert semé en pur (une espèce), et ce pour les trois périodes de semis.

De plus, en termes de stabilité interannuelle, un couvert à une espèce s'avère toujours plus stable que les mélanges, même si ces derniers se situent dans le top 3.

MOTS-CLÉS - Régulation biologique, compétition, couverts végétaux, couverts en mélange, adventices, diversité d'espèces.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : stephane.cordeau@inrae.fr

LIEN UTILE : https://twitter.com/scordeau_inra

BIBLIOGRAPHIE : voir notes.

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