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DOSSIER - Couverts végétaux

Une bonne cohabitation entre couvert permanent et culture AB

RÉGIS HELIAS, Arvalis-Institut du végétal. - Phytoma - n°734 - mai 2020 - page 27

En agriculture biologique, comment maîtriser la croissance d'un couvert permanent en présence d'une culture de rente sans recourir aux produits de synthèse ? Arvalis-Institut du végétal teste une innovation.
Dans les essais, le couvert et les cultures sont semés à un écartement de 30 cm, ce qui revient à avoir des lignes alternes entre les deux espèces à un écartement de 15 cm. Photo : Arvalis

Dans les essais, le couvert et les cultures sont semés à un écartement de 30 cm, ce qui revient à avoir des lignes alternes entre les deux espèces à un écartement de 15 cm. Photo : Arvalis

La faucheuse interligne développée par Eco-Mulch était exposée sur Innov-Agri 2019 à Ondes. Photo : V. Vidril

La faucheuse interligne développée par Eco-Mulch était exposée sur Innov-Agri 2019 à Ondes. Photo : V. Vidril

Le semis en lignes du couvert permanent est géoréférencé pour connaître précisément l'emplacement des rangs. Les années suivantes, la trace GPS-RTK est utilisée pour le semis des cultures entre les rangs du couvert puis son entretien. Photo : Arvalis

Le semis en lignes du couvert permanent est géoréférencé pour connaître précisément l'emplacement des rangs. Les années suivantes, la trace GPS-RTK est utilisée pour le semis des cultures entre les rangs du couvert puis son entretien. Photo : Arvalis

En agriculture biologique, il est possible maîtriser mécaniquement la croissance d'un couvert permanent grâce à différents équipements durant l'interculture. En revanche, ce contrôle en présence de la culture de rente n'est pas possible sans recourir à des produits de synthèse, à moins de développer une technologie adaptée.

Gestion du couvert permanent en agriculture biologique

Le semis direct sous couvert végétal

De nombreuses études montrent l'intérêt d'associer des espèces pour actionner des complémentarités qui n'existent pas lorsque ces mêmes espèces sont cultivées séparément. Ces pratiques sont déjà mises en oeuvre à grande échelle comme les plantes compagnes associées avec du colza ou encore les cultures associant une céréale avec un protéagineux en agriculture biologique. Dans ces deux exemples, les espèces associées sont des plantes annuelles, semées simultanément. Pour peu que les espèces se complètent et que les densités sont optimisées, le bilan de ces associations est souvent positif pour la production globale, la qualité ou encore la lutte contre les bioagresseurs. Lorsque l'association des cultures est composée d'une espèce annuelle et d'une espèce pérenne, on parle alors de culture implantée dans un couvert vivant (SCV ou semis direct sous couvert végétal).

En agriculture conventionnelle, la régulation des couverts est réalisée avec des herbicides lorsque la culture est présente, elle est mécanique ou chimique en interculture.

En agriculture biologique, la réussite du SCV est incertaine, car la régulation du couvert ne peut s'effectuer que mécaniquement dans l'interculture. Sans moyen de contrôle du couvert végétal dans la culture, il n'est pas envisageable de vulgariser cette technique. Une piste explorée par Arvalis pourrait s'avérer prometteuse.

Le positionnement centimétrique au service de l'agroécologie

L'idée générale du concept étudié est de contrôler mécaniquement le développement du couvert au milieu des rangs de la culture et, pour ce faire, d'utiliser les technologies de guidage les plus récentes comme le positionnement GPS avec une correction RTK du signal (Real Time Kinematic ou cinématique temps réel). La précision de plus ou moins 3 cm apportée par cette technologie permet d'envisager la séparation des espèces dans un espace réduit. Par exemple, dans nos essais, le couvert et les cultures sont chacune semées à un écartement de 30 cm ce qui revient à avoir des lignes alternes entre les deux espèces à un écartement de 15 cm. Le semis en lignes du couvert permanent est géoréférencé pour connaître précisément l'emplacement des rangs. Les années suivantes, la trace GPS-RTK est à nouveau utilisée pour le semis des cultures entre les rangs du couvert permanent. La séparation des espèces, dans l'espace, rendue possible par le guidage satellitaire permet d'envisager une action sur une espèce sans perturber l'autre espèce.

Développement d'un prototype

Les agroéquipements permettant de contrôler le développement du couvert au sein de la culture n'existant pas, en décembre 2018 Arvalis-Institut du végétal a sollicité les constructeurs pour travailler conjointement à la mise au point d'un outil capable de réaliser cette opération. La société Eco-Mulch a relevé le défi en mobilisant ses compétences pour proposer en trois mois un premier prototype.

Mise en pratique du concept

Luzerne, tournesol, blé

Un premier essai a débuté au printemps 2016 par le semis en ligne d'une luzerne fourragère (variété 'Galaxie', indice de dormance(1) de 4,2) à un écartement de 30 cm. La parcelle d'une surface d'un demi-hectare, située à Lisle-sur-Tarn (Tarn), comporte un sol d'alluvion battant superficiel de la vallée du Tarn. Le semis a été réalisé avec un tracteur équipé d'un système de guidage GPS RTK pour garder en mémoire le positionnement des lignes de la luzerne. La luzerne a été implantée sous un tournesol ; cette technique est largement répandue en Occitanie pour les luzernes porte-graines. Le rendement sans fertilisation et sans irrigation du tournesol, récolté en septembre 2016, a été de 12 q/ha. Dès la récolte du tournesol, la luzerne de nouveau exposée à la lumière a produit de la biomasse jusqu'au début du mois de novembre, date à laquelle elle est passée en repos hivernal. Le semis de blé a été réalisé en utilisant le tracteur GPS RTK pour positionner les rangs de blé entre les rangs de luzerne. Pour éviter la concurrence de la luzerne sur le blé, un broyage a été réalisé sur l'ensemble de la parcelle quelques jours après le semis du blé. En effet, si, pendant la période du tallage, le blé n'est pas concurrencé par la luzerne qui n'a pas encore repris sa croissance, au début du printemps en revanche, les deux espèces entrent en compétition pour la lumière, l'eau, les nutriments. Sans aucune intervention, du fait de sa croissance plus rapide, la luzerne « étoufferait » le blé.

Contrôle de la luzerne en 2017 (première année d'implantation)

Au printemps 2017, la luzerne a été contrôlée à deux reprises à l'aide d'un coupe-bordure électrique. Le premier objectif de ce contrôle était de permettre au blé de supplanter la luzerne. Un premier constat a pu être réalisé sur la culture de blé. On observe une dégradation du statut azoté du blé après chaque coupe de luzerne. Il semble que le couvert absorbe l'azote du sol pour repousser. Le rendement du blé a été de 13,7 q/ha, ce qui est économiquement insuffisant. En première année du couvert, une culture exigeante en azote n'est probablement pas le meilleur choix. Pour les prochaines expérimentations, ce point important devra être pris en compte, avec le recours à des cultures moins exigeantes (avoine, orge, sorgho, légumineuse, sarrasin...) en première année d'implantation du couvert.

Après la récolte du blé début juillet, la luzerne ayant retrouvé un accès à la lumière a couvert rapidement le sol. Elle a ainsi limité le développement de la plupart des adventices pendant l'interculture, mais pas toutes (les helminthies étaient la principale adventice présente). Un binage a donc été réalisé fin juillet 2017 pour favoriser la luzerne (un broyage complet de cette dernière aurait certainement eu un effet similaire). L'azote atmosphérique et le carbone captés par le couvert durant l'été jusqu'au semis du blé suivant sont stockés en grande majorité dans les parties aériennes et seront intégralement restitués au sol juste après le semis du blé. Le stock d'azote constitué l'année N par la luzerne servira à fertiliser la culture suivante (N+1). Pendant cette période d'interculture, la luzerne a pu faire une production grainière mais elle n'a pas été récoltée (manque de matériel).

Modalités de fauche en 2018 (deuxième année d'implantation)

Le 10 novembre 2017, toujours à l'aide du tracteur équipé du GPS-RTK, une nouvelle culture de blé a été semée dans la luzerne. Cette fois-ci, un gel matinal au début du mois de novembre a défolié les plantes et plongé la luzerne en dormance hivernale. La biomasse produite (4 t/ha de matière sèche) a donc été laissée sur pieds.

Au printemps 2018, quatre modalités de fauche des interlignes ont été évaluées (Tableau 1) :

1) témoin sans broyage ;

2) deux coupes précoces (une au stade épi 1 cm puis une le second au stade 2 noeuds) ;

3) deux coupes tardives (une au stade 2 noeuds et une au stade dernière feuille étalée DFE) ;

4) trois coupes (une au stade épi 1 cm, une seconde au stade 2 noeuds et la dernière au stade DFE).

Essai du prototype en troisième année

À l'automne 2018, une partie de la parcelle a été semée au GPS-RTK avec du blé tendre (40 ares) et le reste de la parcelle (10 ares) avec du blé dur, directement entre les rangs de la luzerne très couvrante (il n'y a pas eu de gel avant les semis). Quelques jours après, un broyage de la luzerne sur l'ensemble de la parcelle permettra au blé de lever sans difficulté au travers du mulch de la légumineuse.

Les résultats encourageants des deux premières années d'essai ont incité le dirigeant de Eco-Mulch à s'engager fin 2018 au côté d'Arvalis. En deux mois, l'entreprise a construit un premier prototype de broyeur interligne qui a été mis à l'épreuve dans la parcelle du Tarn au printemps 2019. Les premiers tests ont permis de proposer des améliorations pour un second prototype testé pour la seconde coupe. Pour la troisième année (2019), les rendements du blé tendre et du blé dur ont été très honorables (Tableau 2), ainsi que les teneurs en protéines (40 q/ha et 12,2 % de protéines en blé tendre et 31 q/ha et 13,3 % de protéines pour le blé dur).

Premiers enseignements

Organisation et anticipation

Le dispositif au champ expérimenté implique différentes contraintes pour sa mise en oeuvre :

- s'assurer que les différents agroéquipements (semoirs, faucheuse interligne ou « hélicoupe ») ont des largeurs de travail identiques ;

- prévoir la voie du tracteur pour le passage des roues sur les lignes du couvert pour la fauche de la luzerne ;

- bien maîtriser la console de guidage RTK, en assurant un paramétrage rigoureux du guidage GPS-RTK afin d'en tirer un maximum de précision (le paramétrage d'usine de l'autoguidage n'est pas une garantie de précision) ;

- l'attelage des outils au tracteur doit être très précisément centré par rapport à l'axe longitudinal, les jeux latéraux devant être réduits au maximum. Réussir à centrer les lignes de semis ou l'axe de l'outil de fauche à moins de 1 cm par rapport à l'axe du tracteur est plus complexe qu'il n'y paraît !

Des ajustements dans l'alternance des cultures

Du côté agronomique, les quantités d'azote captées par la luzerne augmentent au fil des années. Cela implique de revoir l'ordre des cultures de la rotation dans le couvert permanent. La biomasse produite en interculture qui contient l'azote fixé sert à fertiliser la culture présente l'année suivante. La première année de mise en place de la luzerne, les quantités d'azote fixées sont faibles. Cela implique de semer en deuxième année une culture faiblement exigeante en azote (orge avoine, sorgho, sarrasin, légumineuses). Une fois que le système est mis en place, les cultures plus exigeantes en azote (blé de force, blé dur, maïs, colza...) peuvent parfaitement trouver leur place dans les couverts.

Cette possibilité de séparer les espèces dans un espace réduit permettra de proposer des itinéraires nouveaux qu'il conviendra d'adapter au contexte pédoclimatique, aux cultures et aux marchés des agriculteurs.

Premiers retours des acteurs de terrain

Ce concept agronomique incluant le SCV par guidage RTK en agriculture biologique reçoit un bon accueil des agriculteurs, des techniciens et des chercheurs. Beaucoup imaginent de quelle manière ils pourraient intégrer cette démarche dans leur exploitation. Quelques-uns ont décidé de se lancer dans cette voie sans attendre les résultats des essais.

Des contacts ont été pris avec des équipes de chercheurs (Inrae Dijon, Inrae Lusignan, Isara Lyon) s'intéressant à cette démarche et ses différents aspects (gestion des adventices, sélection de variétés adaptées, nutrition des plantes, agroécologie, etc.).

Les réseaux sociaux permettent de toucher un public sensible à ces sujets au-delà de nos frontières. Une page FaceBook dédiée (Arvalis - Couverts permanents bio) a touché 45 000 contacts en deux semaines et la vidéo explicative liée à cette page a été vue plus de 25 000 fois sur quatre continents. Les commentaires laissés sont majoritairement positifs.

De nombreuses interrogations

Le guidage satellitaire associé à un nouvel outil de gestion d'un couvert en interligne d'une culture répond au moins partiellement à différents enjeux : gestion des adventices, nutrition azotée, biodiversité, réduction du travail du sol, couverture des sols... Plus largement, ce concept agronomique soulève encore beaucoup de questions en agriculture biologique, auxquelles tenteront de répondre de nouvelles expérimentations. Quelles sont les meilleures espèces pour remplir le rôle de plante de service ? Y a-t-il des couples culture/couvert permanent plus appropriés que d'autres ? Quelles contributions du couvert dans la lutte contre les adventices et la fourniture en azote pour la culture ? Quels sont les risques agronomiques liés à ce concept (ravageurs aériens, maladies...) ? Est-ce qu'une sélection de variétés adaptées à ce concept agronomique permettrait de gagner en performance ? Quelle est la durée de vie du couvert ? Y a-t-il un délai de retour du couvert ? Quelle rentabilité économique peut-on en attendre ? Quels effets sur la fertilité des sols, sur la biodiversité et les services rendus par cette biodiversité ? Autant de questions aujourd'hui sans réponse ou avec des réponses partielles. Des partenariats multi-acteurs (chercheurs, techniciens, agriculteurs) sont à créer pour optimiser des systèmes de cultures nouveaux.

Poursuites de l'expérimentation

Un nouvel essai a été mis en place au printemps, comportant six modalités avec quatre espèces de légumineuse qui ont toutes la particularité de rester sur leur ligne de semis. Le trèfle blanc n'a pas été retenu car cette espèce traçante aurait échappé aux lignes géoréférencées. Les quatre espèces retenues sont : la luzerne, le lotier corniculé, le sainfoin et le trèfle violet. Malheureusement, l'outil de fauche interligne d'une largeur de 6 mètres n'a pas pu être livré à temps à cause de la crise du Covid-19. Par ailleurs, Arvalis-Institut du végétal a décidé de mettre en place plusieurs autres dispositifs d'expérimentation de couverts permanents pour tester différentes thématiques : la complémentarité avec un élevage, quid en agriculture conventionnelle... ?

(1) La dormance hivernale, qui est une adaptation de la plante à supporter le froid de l'hiver, est estimée par un indice, de 1 (très dormant) à 12 (non dormant). Une note faible correspond à une dormance élevée (repos végétatif précoce à l'automne , redémarrage tardif au printemps), une note élevée à une dormance faible.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les couverts offrent différents services, dont l'un peut être de limiter la présence d'adventices sur la parcelle. Dans le cas d'un semis direct sous couvert végétal (SCV), la couverture est pérenne. Elle doit occuper suffisamment l'espace à chaque interculture pour concurrencer les adventices. En revanche, il peut être nécessaire de contrôler son développement dans la culture afin qu'elle n'ait pas d'impact négatif sur le rendement.

ÉTUDE - Arvalis-Institut du végétal a entamé une expérimentation dès 2016 sur une parcelle de Lisle-sur-Tarn (Tarn) visant à faciliter la cohabitation entre un couvert permanent de luzerne et des cultures de blé en agriculture biologique. L'utilisation d'une technologie de positionnement centimétrique par satellite (GPS-RTK) permet de semer chaque année entre les lignes de couvert, mais aussi de contrôler la luzerne dans la culture à l'aide d'un équipement prototype développé par Eco-Mulch.

MOTS-CLÉS - Couvert permanent, agriculture biologique, positionnement GPS, RTK (Real Time Kinematic ou cinématique temps réel).

Tester les différents leviers agroécologiques en agriculture biologique : une nécessité

En agriculture, et plus particulièrement en mode de production biologique, le système de culture est la clé de voûte pour maintenir l'équilibre fragile entre les performances agronomiques et les performances économiques. La fertilisation des cultures et la gestion des adventices sont les deux principales priorités que les producteurs « bio » cherchent à gérer au quotidien. Les engrais organiques, riches en azote, utilisables en agriculture biologique (AB), deviennent difficiles à rentabiliser.

En raison d'un changement de réglementation et d'une demande soutenue par les nombreuses conversions qu'enregistre notre pays depuis quelques années, les volumes disponibles diminuent et les prix augmentent. Les filières sont également de plus en plus exigeantes sur la qualité sanitaire, la qualité technologique (teneur en protéines...) ou encore la pureté spécifique (gestion des risques vis-à-vis des allergènes et des substances toxiques contenues dans des plantes adventices ou leurs graines).

L'agriculteur doit ainsi réussir à combiner plusieurs leviers agroécologiques pour s'approcher du meilleur compromis : diminuer la concurrence des adventices, apporter de l'azote dans un système souvent déficitaire, réduire la fréquence du travail du sol et donc réduire l'érosion, maintenir la biodiversité, le tout en produisant des récoltes en quantité et de qualité sous le regard de consommateurs de plus en plus attentifs et exigeants sur les méthodes de production employées. Arvalis-Institut du végétal expérimente ces différents leviers.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : r.helias@arvalis.fr

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