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Bioagresseurs

Enroulement chlorotique de l'abricotier : situation en France

NICOLAS SAUVION*, BAPTISTE LABEYRIE** ET LAURENT BRUN*** *Inrae, BGPI, Univ Montpellier, Cirad, Montpellier SupAgro - Montpellier. **CTIFL - Étoile-Sur-Rhône. ***Inrae, UERI Gotheron - Saint-Marcel-lès-Valence. - Phytoma - n°735 - juin 2020 - page 9

L'ECA demeure une maladie préoccupante pour les vergers d'abricotiers et de pruniers en France.
 Photos : N. Sauvion, Inrae - D. Bodnárominika

Photos : N. Sauvion, Inrae - D. Bodnárominika

La feuillaison précoce, un symptôme typique de l'enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA), et un adulte du psylle vecteur Cacopsylla pruni en position d'alimentation.

La feuillaison précoce, un symptôme typique de l'enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA), et un adulte du psylle vecteur Cacopsylla pruni en position d'alimentation.

Fig. 1 : Six scenarii épidémiologiques non exclusifs illustrant les voies possibles de dissémination du phytoplasme responsable de l'ECA entre les vergers et l'habitat sauvageEn juin, au moment de l'émergence de la nouvelle génération : contamination d'un Prunus cultivé par un psylle porteur (en rouge) provenant d'un arbre voisin malade (scénario S1) ou d'un massif de Prunus sauvages voisins hébergeant le pathogène (S2). De janvier à avril, au moment des vols retours des immigrants (psylles matures) : contamination par un psylle ayant acquis le phytoplasme sur un arbre cultivé (S3) ou un massif sauvage (S4) l'année précédente ; contaminations multiples d'arbres d'un même verger par le même psylle (S5), ou contamination d'un massif puis d'un ou des arbres cultivés d'un verger proche (S6). Des travaux de recherche récemment publiés(5) soutiennent comme le plus probable le scénario épidémiologique S4 (flèches rouges) avec des vols entre sites (vergers ou massifs de Prunus sauvages) distants de moins de 50 km (Nicolas Sauvion, Inrae).

Fig. 1 : Six scenarii épidémiologiques non exclusifs illustrant les voies possibles de dissémination du phytoplasme responsable de l'ECA entre les vergers et l'habitat sauvageEn juin, au moment de l'émergence de la nouvelle génération : contamination d'un Prunus cultivé par un psylle porteur (en rouge) provenant d'un arbre voisin malade (scénario S1) ou d'un massif de Prunus sauvages voisins hébergeant le pathogène (S2). De janvier à avril, au moment des vols retours des immigrants (psylles matures) : contamination par un psylle ayant acquis le phytoplasme sur un arbre cultivé (S3) ou un massif sauvage (S4) l'année précédente ; contaminations multiples d'arbres d'un même verger par le même psylle (S5), ou contamination d'un massif puis d'un ou des arbres cultivés d'un verger proche (S6). Des travaux de recherche récemment publiés(5) soutiennent comme le plus probable le scénario épidémiologique S4 (flèches rouges) avec des vols entre sites (vergers ou massifs de Prunus sauvages) distants de moins de 50 km (Nicolas Sauvion, Inrae).

Les abricotiers et les pruniers, deux espèces majeures pour l'arboriculture française, ainsi que plusieurs de leurs porte-greffes sont en situation préoccupante pour leur multiplication et leur production du fait d'une maladie, l'enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA ou ESFY pour European stone fruit yellows), causée par le phytoplasme 'Candidatus Phytoplasma prunorum'.

Une maladie connue, récurrente et qui pose encore question

Un organisme réglementé en Europe

Le phytoplasme responsable de l'ECA est régulé à l'échelle de l'Union européenne dans le cadre du règlement (UE) 2016/2031 et du règlement d'exécution (UE) 2019/829 entrés en vigueur le 14 décembre 2019. De « organisme de quarantaine » (OQ), ce pathogène est devenu « organisme réglementé non de quarantaine » (ORNQ). Toutefois, le système d'autorisation de quarantaine est toujours en vigueur pour cet organisme en France, car il est susceptible d'être réglementé de façon complémentaire au niveau national (discussions en cours).

L'ECA a fait l'objet de deux expertises en 2010-12 (Anses(1), Efsa(2)) et d'un projet européen COST de 2010 à 2014(3) qui a permis notamment d'établir des cartes de distribution des vecteurs et du phytoplasme, à l'échelle de l'UE, et d'estimer l'impact de la maladie dans les dix-sept pays recensés comme concernés(4). À dires d'experts, cet impact est variable selon les zones de production et les plantes-hôtes, et il apparaît globalement comme modéré.

De fortes contaminations en France

En France, il n'existait pas jusqu'à récemment de chiffres précis sur l'incidence de la maladie (nombre de nouveaux cas d'arbres atteints chaque année), faute d'une étude permettant de la quantifier précisément. Néanmoins, ces dernières années, des taux de contamination (nombre d'arbres malades observés à un instant T) de 10 %, voire 25 % et plus ont été signalés par des arboriculteurs dans les différents bassins de production d'abricots ou de prunes en France. Ces observations ont justifié plusieurs arrêtés préfectoraux rendant obligatoire la mise en oeuvre de mesures de surveillance, de détection et de lutte (dont l'arrachage des arbres contaminés) contre l'ECA dans toutes les régions et les départements particulièrement concernés par cette maladie : Corse (Haute-Corse), Occitanie (Gard, Lot, Pyrénées-Orientales, Tarn-et-Garonne) et Rhône-Alpes (Ardèche, Drôme, Isère). Ainsi, dans l'Hexagone, force est de constater que l'ECA continue de poser des problèmes à la filière fruits, malgré le contrôle sanitaire rigoureux des plants fruitiers, dans le cadre du processus de certification, et les mesures mises en oeuvre pour limiter les impacts de la maladie.

Origine des contaminations

La question de l'origine des contaminations (voies humaines ? Voies naturelles via une dissémination par les insectes vecteurs ?) et des points d'entrées possibles de la maladie (des pépinières aux vergers) a fait l'objet de plusieurs travaux de recherche et notamment une analyse multisite dans plusieurs bassins de productions d'abricots (plaine de Valence, La Crau, Pyrénées-Orientales)(5). Le milieu naturel (prunelliers, myrobalans) est en partie à l'origine des contaminations des vergers (Figure 1), mais il existe aussi un risque de contamination pendant la production de plants. La réflexion engagée avec des pépiniéristes sur cette question a conduit à la mise en oeuvre de nouvelles mesures visant à renforcer la sécurisation de la production de plants vis-à-vis de l'ECA.

Stratégies de lutte actuelles

En 2012, dans un article paru dans Phytoma(6), nous avions fait un point complet sur la pertinence des stratégies de lutte possible contre l'ECA et notamment la gestion des Prunus sauvages avait été discutée. Les informations apportées restent d'actualité. Aujourd'hui, les arboriculteurs tentent de limiter les contaminations naturelles en verger par des traitements insecticides ou par des traitements à l'argile au début du printemps au moment des vols retours des psylles vecteurs du phytoplasme. Un réseau d'épidémiosurveillance a été mis en place, depuis 2012, pour renseigner chaque semaine les niveaux de population de psylles et ainsi préciser les périodes les plus pertinentes de traitements(7). Des travaux en laboratoire et en plein champ ont montré que les applications d'argile (kaolin) auraient un effet répulsif ou sur la ponte vis-à-vis de certaines espèces de psylles(8) (9). Mais des observations réalisées pendant plusieurs années sur des parcelles d'abricotiers du réseau de fermes Dephy Écophyto Drôme-Ardèche montrent que les applications d'argile uniquement ne semblent pas protéger suffisamment les arbres des contaminations (Buléon, com. pers.). Quant aux insecticides, les politiques publiques actuelles (plan Écophyto 2+) incitent à une diminution de leur usage. Qui plus est, aucune étude publiée n'a formellement démontré de lien direct entre traitements phytosanitaires et moindre incidence de la maladie, même si pour beaucoup le constat semble une évidence.

Dans ce contexte, l'utilisation de variétés résistantes ou peu sensibles au phytoplasme responsable de l'ECA ou/et aux psylles vecteurs serait une solution séduisante au problème posé de la lutte contre cette maladie. À dires d'experts, aucune source de résistance au phytoplasme et/ou au vecteur n'a été caractérisée à ce jour chez l'abricotier ou la prune japonaise. Par contre, il n'est pas impossible que des variétés d'abricotier ou de prune actuellement cultivées présentent des résistances totales ou des moindres sensibilités en plein champ. Cette question sera abordée dans un second article sur l'ECA dans le prochain numéro de Phytoma.

(1) Brand R., Danet J.-L., Dosba F., Gentit P., Sauvion N., Robuchon A., Le Fay-Souloy C., Loiseau M, Mouttet R., Reynaud P. (2012), Analyse de risque phytosanitaire 'Candidatus Phytoplasma prunorum' - Rapport d'expertise collective - Saisine Anses 2011-SA-0137. 95 p. https://www.anses.fr/sites/default/files/documents/SVEG2011sa0137Ra.pdf(2) MacLeod A. (...), Sauvion N. et al. (2012), Pest risk assessment for the European Community plant health: a comparative approach with case studies, Supporting Publications 2012:EN-319. 1053 p. Available online: https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.2903/sp.efsa.2012.EN-319(3) Jarausch B., Weintraub P., Sauvion N., Maixner M., Foissac X. (2014), Diseases and insect vectors in Phytoplasmas and phytoplasma disease management: how to reduce their economic impact. Bertaccini A. (Ed). COST Action FA0807, International Phytoplasmologist Working Group, Bologna. p. 111-121.(4) Steffek R., Follak S., Sauvion N., Labonne G., MacLeod A. (2012), Distribution of 'Candidatus Phytoplasma prunorum' and its vector Cacopsylla pruni in European fruit growing areas: a review, EPPO Bulletin, 42 : 191-202. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/epp.2567(5) Marie-Jeanne V., Bonnot F., Thébaud G., Peccoud J., Labonne G., & Sauvion N. (2020), Multi-scale spatial genetic structure of the vector-borne pathogen 'Candidatus phytoplasma prunorum' in orchards and in wild habitats, Scientific Reports, 10 : 5002. https://doi.org/10.1038/s41598-020-61908-0(6) Sauvion N., Thébaud G., Marie-Jeanne V., Peyre J., Brun L., Labonne G. (2012), Enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA) : Les points clés pour gérer cette maladie à phytoplasme en vergers de fruits à noyau, Phytoma n° 654, p. 28-32.(7) https://cpruni.blogspot.com(8) Peng L., Trumble J. T., Munyaneza J. E., Liu T. X. (2011), Repellency of a kaolin particle film to potato psyllid, Bactericera cockerelli (Hemiptera: Psyllidae), on tomato under laboratory and field conditions, Pest Management Science, 67: 815-824.(9) Erler F. & Cetin H. (2007), Effect of kaolin particle film treatment on winterform oviposition of the pear psylla Cacopsylla pyri. Phytoparasitica, 35: 466-473.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Provoqué par l'organisme non réglementé de quarantaine 'Candidatus Phytoplasma prunorum', l'enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA) continue de poser des problèmes dans les vergers, avec parfois de forts taux de contamination.

LUTTE - Les stratégies actuelles, qui visent le psylle vecteur du phytoplasme, nécessiteraient d'être optimisées, voire complétées, dans un contexte de diminution des solutions chimiques.

MOTS-CLÉS - Enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA), European stone fruit yellows (ESFY), phytoplasme, 'Candidatus Phytoplasma prunorum', épidémiologie, maladie réémergente.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : nicolas.sauvion@inrae.fr

BIBLIOGRAPHIE : voir notes.

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