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Gestion du désherbage

Deux études sur l'emploi du glyphosate en grandes cultures

PROPOS RECUEILLIS PAR Valérie Vidril, Phytoma. - Phytoma - n°735 - juin 2020 - page 11

Alors que l'interdiction de la substance active se profile, les professionnels cherchent à mieux spécifier les pratiques sur le terrain et les conséquences du recours aux leviers alternatifs.
Céline Denieul et Ludovic Bonin,respectivement d'Agrosolutions et Arvalis. Photos : DR

Céline Denieul et Ludovic Bonin,respectivement d'Agrosolutions et Arvalis. Photos : DR

« Ce sont deux études complémentaires, qui montrent différentes facettes d'une même problématique. »Céline Denieul Photo : N. Cornec

« Ce sont deux études complémentaires, qui montrent différentes facettes d'une même problématique. »Céline Denieul Photo : N. Cornec

En mai dernier, les instituts techniques (Acta, Arvalis, Fnams, ITB et Terres Inovia) ont présenté les résultats d'un sondage réalisé auprès d'agriculteurs sur les impacts de la sortie du glyphosate(1). L'article en p. 46 présente les résultats d'une étude d'Agrosolutions et du réseau InVivo sur la même thématique. Questions à Ludovic Bonin (spécialiste désherbage au sein d'Arvalis) et Céline Denieul (responsable protection des cultures, Agrosolutions).

Quels sont le contexte et la motivation de l'enquête Arvalis/de l'étude Agrosolutions ?

Ludovic Bonin : L'enquête des instituts est intervenue dans un contexte difficile pour le glyphosate, avec toutes les discussions sur son retrait, les alternatives, etc. En dépit de ce contexte, il existe peu de données sur les pratiques des agriculteurs car, contrairement à un herbicide en culture, le glyphosate peut être utilisé sur de multiples usages (intercultures, cultures pérennes, etc.). C'est un peu un « couteau suisse » en matière de désherbage. Nous avions donc à coeur de connaître précisément comment il était utilisé (usages pratiques), à quelles doses, quelles fréquences, etc. Le contexte étant « difficile » pour la substance, nous avons eu beaucoup de réponses (environ 10 000 au total avec un peu plus de 7 500 réponses exploitables), et notamment d'agriculteurs utilisateurs (ce qui était l'objectif car nous voulions connaître les pratiques). Cette enquête nous a également permis de poser la question aux agriculteurs sur les alternatives envisageables, les freins, etc.

Céline Denieul : Dans le cas de l'étude menée par Agrosolutions et le réseau des coopératives InVivo, l'objectif était plutôt de réaliser un travail prospectif, sur les alternatives qui pourront être déployées. Du fait de son intégration dans les systèmes de culture, le glyphosate sera le plus souvent remplacé non pas par une pratique, mais par un ensemble de pratiques à l'échelle de la rotation (travail du sol, modification du désherbage en culture, modification de l'assolement...). Nous souhaitions donc étudier l'impact de l'ensemble des alternatives qui peuvent être mises en place à l'échelle du système de culture, dans différents contextes. Et nous souhaitions étudier non pas les conséquences techniques de ces systèmes alternatifs, mais plutôt leurs conséquences économiques, environnementales et sociales. L'objectif était de prendre du recul sur cette problématique.

Les alternatives au glyphosate ont été évaluées et ont fait l'objet d'une synthèse de l'Inra en 2017. Un rapport de l'Inrae pour les grandes cultures a été publié le 9 juin(2). Qu'apportent en plus vos résultats ?

L. B. : Notre enquête montre que les agriculteurs en grande majorité (80 % environ) ne savent pas comment aborder le remplacement du glyphosate. La simple substitution du glyphosate par une ou des méthodes alternatives (le labour par exemple) est loin d'être une évidence. Contrairement à certaines idées reçues, le glyphosate est utilisé de manière très variable, y compris dans des systèmes labourés, avec des rotations longues. Il y aura donc des adaptations à trouver dans chaque exploitation, avec des conséquences économiques, organisationnelles, etc. Ces éléments ressortent fortement des commentaires des agriculteurs, car ils savent que la période de « transition » sera compliquée avec des conséquences incertaines. L'enquête du service statistique public (SSP) à la base du rapport d'expertise ne couvre qu'une année, 2017 : un non-utilisateur en 2017 est-il un non-utilisateur permanent ? Dans l'enquête des instituts, sur les principaux usages, environ 60 % des répondants ne sont que des applicateurs ponctuels. Par ailleurs, cette enquête SSP, très précise sur les pratiques, décrit des systèmes stables (avec ou sans glyphosate) d'un point de vue malherbologique et non en transition (du moins pour la plupart des enquêtés). Il est donc délicat de dégager des alternatives par comparaison de systèmes.

C. D. : Notre étude porte sur une approche « système » et a permis d'évaluer les impacts de différentes combinaisons de leviers, dans différents contextes agricoles. Elle permet aussi d'étudier l'impact de ces alternatives sur des composantes du système agricole, autres que techniques, pour lesquelles il y a aussi des attentes sociétales ou agricoles : les émissions de GES, le risque de transfert vers les eaux souterraines, le temps de travail par exemple.

Vos résultats concordent en termes d'usages du glyphosate et des contraintes liées aux alternatives identifiées. Des nuances à apporter ?

L. B. : Nous retrouvons les mêmes éléments sur les contraintes et conséquences de l'arrêt du glyphosate, avec la dimension large de l'enquête (diversité des terroirs, des systèmes en place, etc.), c'est le côté « qualitatif » de l'enquête. En revanche, nous n'avons pas la précision d'un suivi des pratiques d'un agriculteur, dans un contexte pédoclimatique donné.

C. D. : Ce sont effectivement deux études complémentaires, qui montrent différentes facettes d'une même problématique.

Dans les deux cas, les leviers mis en avant sont ceux pouvant être mis en oeuvre à court terme... d'ici fin 2020 ?

L. B. : Oui, il n'y en a pas d'autres à court terme. En revanche, leurs mises en oeuvre pourraient être très différentes d'une exploitation à une autre. Comme évoqué plus haut, vous remplacez un couteau suisse par un « objet spécifique », une cuillère par exemple. Il faudra donc multiplier les « objets » à disposition pour espérer compenser les fonctions du glyphosate. Cela signifie un rééquipement dans certains cas (77 % des agriculteurs en non-labour estiment devoir se rééquiper), des pics de travaux (interventions mécaniques au printemps, par exemple). Les leviers sont donc probablement connus pour la plupart mais pas forcément déployables immédiatement.

C. D. : Effectivement, ce sont les pratiques qui, pour le moment, sont les plus opérationnelles et déployables dans les exploitations. Ce sont aussi celles que les agriculteurs maîtrisent, au moins partiellement. Dans un premier temps, nous avions envisagé d'étudier des alternatives plus disruptives, le désherbage électrique ou l'utilisation d'un bioherbicide, par exemple. Mais ces pratiques, pour des raisons techniques ou économiques, ne sont pas déployables sur le terrain à court, voire à moyen terme. Cela ne répond donc pas au besoin actuel des agriculteurs et des coopératives. Cependant, il ne faut pas exclure qu'à long terme certaines de ces pratiques puissent être déployées, ainsi que d'autres que nous n'envisageons pas pour le moment.

Quelles sont les suites concrètes au niveau d'Arvalis/au niveau d'InVivo ?

L. B. : Le sujet du glyphosate et de ses alternatives est travaillé depuis plusieurs années dans les instituts, aussi bien par les collègues en charge du « travail du sol » (quelles alternatives en non-labour, par exemple) qu'à notre niveau pour ce qui concerne les substitutions de substances actives. Des projets existent également (Casdar Agate par exemple, travaux au sein du RMT Florad) afin de continuer à étudier les alternatives (efficacités, conséquences économiques, agronomiques, etc.). En parallèle, il y a aussi les articles et notes à destination des agriculteurs et techniciens afin de communiquer sur le sujet (dossiers d'essais, alimentation du Centre de ressources glyphosate, rédaction d'une note inter-instituts, etc.).

C. D. : Les résultats de cette étude vont d'abord être partagés avec l'ensemble des coopératives du réseau. Ils doivent permettre d'ouvrir des pistes de réflexion. Les coopératives parties prenantes de l'étude vont également les utiliser comme support de communication et de réflexion avec leurs agriculteurs adhérents, en particulier celles qui animent des groupes d'agriculteurs sur des sujets en lien avec le glyphosate.

(1) Voir Phytoma n° 734, p. 4.(2) https://www.inrae.fr/actualites/alternatives-au-glyphosate-grandes-cultures-evaluation-economique

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : l. bonin@arvalis.fr

cdenieul@agrosolutions.com

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