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Gestion des maladies

Enroulement chlorotique de l'abricotier : les moyens de lutte

BAPTISTE LABEYRIE(1), FLORENT DECUGIS(2) (3), CLAIRE GORAL(4), NATHALIE COURTHIEU(5), JOSIANE PEYRE(3), TONY COUANON(4), AMAURY GUILLET(4), FREDDY COMBE(2), NICOLAS SAUVION(3) ET LAURENT BRUN(2) (1) CTIFL - Étoile-sur-Rhône. (2) Inrae, UERI Gotheron - Sai - Phytoma - n°736 - septembre 2020 - page 11

Dans notre numéro précédent, un premier article faisait état de la situation préoccupante en France de l'ECA. De nouvelles études de terrain précisent les leviers à développer pour protéger les vergers.
Symptômes d'ECA observables l'été : jaunissement et enroulement des feuilles. Photos : N. Sauvion - Inrae

Symptômes d'ECA observables l'été : jaunissement et enroulement des feuilles. Photos : N. Sauvion - Inrae

Fig. 1 : Nombre d'arbres atteints par l'ECA dans les vergers expérimentaux de l'UERI Gotheron et de la Centrex en 2011

Fig. 1 : Nombre d'arbres atteints par l'ECA dans les vergers expérimentaux de l'UERI Gotheron et de la Centrex en 2011

Fig. 2 : Taux d'arbres symptomatiques par parcelle en fonction du nombre de traitements - Étude Fredon 2014-2018      Les chiffres indiquent le nombre de traitements appliqués les trois années précédant la prospection. Des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives au seuil de 5 %.

Fig. 2 : Taux d'arbres symptomatiques par parcelle en fonction du nombre de traitements - Étude Fredon 2014-2018 Les chiffres indiquent le nombre de traitements appliqués les trois années précédant la prospection. Des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives au seuil de 5 %.

Fig. 3 : Taux d'arbres symptomatiques en fonction de la période des traitements - Étude Fredon 2014-2018      Un ou plusieurs traitements ont pu être appliqués au cours de chaque période, le graphe ici ne dissocie pas les différents cas.      Des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives au seuil de 5 %.

Fig. 3 : Taux d'arbres symptomatiques en fonction de la période des traitements - Étude Fredon 2014-2018 Un ou plusieurs traitements ont pu être appliqués au cours de chaque période, le graphe ici ne dissocie pas les différents cas. Des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives au seuil de 5 %.

Fig. 4 : Taux d'arbres symptomatiques en fonction de la variété d'abricotier et de l'âge moyen des parcelles - Étude Fredon 2014-2018      Seules sont représentées les variétés pour lesquelles au moins 600 arbres ont été observés, afin de considérer plusieurs parcelles, sur plusieurs exploitations et des territoires différents. La taille des bulles est proportionnelle au nombre d'arbres observés. Zone rouge = variétés considérées comme les « plus sensibles ». Zone verte = variétés considérées comme les « moins sensibles ».

Fig. 4 : Taux d'arbres symptomatiques en fonction de la variété d'abricotier et de l'âge moyen des parcelles - Étude Fredon 2014-2018 Seules sont représentées les variétés pour lesquelles au moins 600 arbres ont été observés, afin de considérer plusieurs parcelles, sur plusieurs exploitations et des territoires différents. La taille des bulles est proportionnelle au nombre d'arbres observés. Zone rouge = variétés considérées comme les « plus sensibles ». Zone verte = variétés considérées comme les « moins sensibles ».

Les fruits des arbres atteints d'ECA mûrissent avec quelques jours d'avance et sont secs et pâteux.  Photo : Inrae - UERI

Les fruits des arbres atteints d'ECA mûrissent avec quelques jours d'avance et sont secs et pâteux. Photo : Inrae - UERI

Fig. 5 : Taux d'arbres symptomatiques en fonction du porte-greffe      Des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives au seuil de 5 %.

Fig. 5 : Taux d'arbres symptomatiques en fonction du porte-greffe Des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives au seuil de 5 %.

En 2012, dans un article paru dans Phytoma consacré à l'enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA), un point complet avait été fait sur le phytoplasme responsable de cette maladie, les psylles vecteurs et le cycle biologique de la maladie. La pertinence des stratégies de lutte possible (notamment la gestion des Prunus sauvages) avait été discutée. Dans un article paru dans Phytoma n° 735(1), nous avions évoqué la nouvelle réglementation associée à cet organisme et les stratégies actuelles de lutte. Cet article apporte des informations nouvelles pour la gestion de la maladie sur la base d'études conduites conjointement par le CTIFL, la Sefra, la Fredon-Rhône-Alpes, la Sica-Centrex et Inrae.

Deux sites expérimentaux suivis pendant trois ans

Une conduite sans protection phytosanitaire

En 2006, un dispositif multisite a été mis en place pour étudier le comportement de différentes variétés d'abricotiers vis-à-vis de l'ECA. Deux vergers expérimentaux ont été implantés, sur deux sites représentatifs de la variabilité des zones de production française de l'abricot : l'un à Inrae de Gotheron (Saint-Marcel-lès-Valence, Drôme) et l'autre à la Sica-Centrex à Torreilles (Pyrénées-Orientales). Ce dispositif comprenait seize variétés à Gotheron et douze variétés à Torreilles. Sur chaque parcelle, pour chaque variété, 19 à 20 arbres ont été plantés en randomisation totale. Neuf variétés communes ont été implantées sur les deux sites pour permettre des comparaisons inter-sites. À Gotheron, les arbres ont été greffés sur deux porte-greffes pêcher très proches d'un point de vue du comportement agronomique ('Montclar Chanturge' ou GF 305) alors qu'à Torreilles trois porte-greffes prunier ont été préférés (myrobalan, P1254, 'Torinel'). Cette différence d'espèces de porte-greffe pour les deux sites est expliquée par le besoin d'adaptation du porte-greffe à la pédologie des sites. En effet, à Torreilles, les sols sont relativement lourds et asphyxiants. À l'inverse, à Gotheron, les sols plus légers et plutôt filtrants sont très favorables au chancre bactérien, ce qui exclut le recours aux porte-greffes pruniers très sensibilisant à cette maladie.

Les deux parcelles ont été conduites de manière conventionnelle en ce qui concerne la fertilisation et le désherbage. En revanche, aucun traitement fongicide ni insecticide n'a été appliqué depuis la plantation. Les arbres, plantés à des distances de 4 × 4 m à l'UERI Gotheron et 4 × 3 m à la Centrex, ont été conduits en gobelet.

Observations des symptômes et caractérisation moléculaire des arbres

Les premiers symptômes d'ECA sont apparus en 2009. À partir de cette date, des notations dans les deux vergers ont été réalisées jusqu'en 2011. Les symptômes se manifestent essentiellement par des débourrements précoces des feuilles (feuillaison) avant les fleurs en fin d'hiver, et par des apparitions de chlorose foliaires ou de feuilles desséchées et/ou enroulées en forme en cuillère au printemps et en été (photos 1 et 2).

En 2009 et 2010, des échantillons ont été prélevés sur les arbres symptomatiques pour confirmer par analyse PCR qu'ils étaient bien atteints d'ECA. Au printemps 2011, des prélèvements ont été effectués sur l'ensemble des arbres des deux vergers pour estimer le pourcentage d'asymptomatiques. L'échantillonnage a consisté à prélever, pour chaque arbre, deux rameaux âgés de deux ans minimum sur deux charpentières différentes. La présence du phytoplasme responsable de l'ECA a été recherchée par analyse PCR à Inrae-Montpellier avec des amorces qui reconnaissent spécifiquement ce pathogène(2). Les pourcentages d'arbres symptomatiques ou positifs par PCR pour l'ECA ont été exprimés par rapport au nombre d'arbres par variété encore présents au printemps 2011. Ainsi, les arbres morts de chancre bactérien ou contaminés par la sharka ont été exclus de l'étude sur l'ECA. De fait, la variété 'Frisson' a été exclue de cette étude car trop d'arbres étaient morts de chancre bactérien dans le dispositif de Gotheron.

Plus de 1 300 ha de vergers prospectés et enquêtés

De 2014 à 2017, la Fredon Rhône-Alpes a mis en place des actions de prospections des vergers d'abricotier dans la Drôme et en Ardèche. 1 046 ha de vergers dans la Drôme et 485 ha de vergers en Ardèche ont été prospectés, dans les principaux secteurs de production d'abricot de la région (soit respectivement 12 et 30 % de la surface plantée en abricotiers dans chaque département). La prospection s'est déroulée aussi bien dans des zones contaminées que dans des zones où peu de signalements de la maladie étaient reportés. L'ensemble de la surface des parcelles a été prospecté, c'est-à-dire que chaque arbre sur chaque rang a été observé. Le nombre d'arbres symptomatiques pour l'ECA et le nombre dit « initial » d'arbres des parcelles (soit la totalité des arbres à la plantation) ont été notés. L'année de plantation, la surface, la densité, la variété des parcelles ainsi que la commune dans laquelle les parcelles sont localisées ont également été enregistrées. Les notations d'ECA ont été réalisées sur la base de l'observation de symptômes de feuillaisons précoces en sortie d'hiver. Il n'y a pas eu de confirmation visuelle plus tard en saison avec des observations de symptômes de jaunissement et flétrissement, ni de confirmation par tests moléculaires.

Dans un deuxième temps, en 2018, une enquête a été réalisée auprès de 76 arboriculteurs dont les parcelles avaient été prospectées les années précédentes pour recueillir les données relatives aux pratiques de l'arboriculteur et en particulier, l'application d'insecticides pour les trois années précédant la prospection (produit, période et date d'application, nombre et dose de chaque insecticide et cible). Au total, plus de 1 300 ha de vergers ont été prospectés et enquêtés dans les deux départements Drôme et Ardèche. Les arboriculteurs choisis avaient des taux d'arbres symptomatiques variés, et dans la mesure du possible, étaient équitablement répartis selon les différents bassins de production de Drôme-Ardèche. Par souci d'efficience, les arboriculteurs ayant de préférence plus de 4 ha de parcelles prospectées ont été privilégiés, de manière à pouvoir récolter un maximum d'informations sur un maximum de surfaces, en un temps raisonnable.

Observations des contaminations

Une incidence de 5 à 10 % dans les vergers expérimentaux non traités

En 2011, un grand nombre d'arbres atteints par l'ECA (avec ou sans symptômes) ont été observés sur les deux sites expérimentaux, seulement cinq ans après la plantation : 20 % à l'UERI Gotheron, et 40 % à la Sica-Centrex, avec un effet site très significatif (Figure 1). Nous émettons l'hypothèse que les valeurs d'ECA observées en 2011 ne correspondent qu'à quatre années de contamination (2006 à 2009). Ceci nous donne une estimation d'un taux moyen annuel de contamination en l'absence de protection insecticide contre le vecteur de 5 % sur le site de l'UERI Gotheron et de 10 % sur le site de la Sica-Centrex.

Une contamination des vergers en Drôme et Ardèche inégalement répartie

Les quatre années de prospection menées en Drôme et Ardèche ont révélé un taux d'arbres symptomatiques pour l'ECA de 0,43 % (2 831 arbres symptomatiques sur 652 743 arbres observés). Ce taux est certainement inférieur au taux de contamination réel. En effet, il est calculé par le rapport entre le nombre d'arbres symptomatiques et le nombre d'arbres initial de la parcelle, lequel comprend les arbres arrachés, dont un certain nombre certainement contaminés par l'ECA. De plus, les symptômes peuvent s'exprimer quelques jours après le passage du notateur. Le risque, difficilement quantifiable, existe aussi de manquer des arbres qui auraient exprimé des symptômes peu visibles de débourrement précoce. Enfin, cette prospection est surtout basée sur l'observation des feuillaisons précoces ; or, sur l'abricotier, l'ECA se déclare parfois par des chloroses puis des mortalités apoplectiques sans la symptomatologie classique de débourrement anticipé. Lorsqu'ils sont interrogés, les arboriculteurs ou les techniciens de terrain évoquent des chiffres de « contamination normale » de l'ordre de 1 à 3 %, au-delà (> 5 %) étant considéré comme une situation devenant « préoccupante », voire « catastrophique ».

La contamination est inégalement répartie dans l'ensemble du verger drômois et ardéchois. Au total, 81 % des parcelles prospectées ne présentent pas d'arbres symptomatiques et près de la moitié de la contamination totale observée (1 327 des 2 831 arbres symptomatiques) est regroupée sur seulement 3,6 % des parcelles. Les vergers de moins de quatre ans se distinguent du reste de la population : ils ont des taux d'arbres symptomatiques nuls à très faibles (inférieurs à 0,08 %). Nous l'expliquons par la durée de latence de la maladie (laps de temps entre la contamination et l'expression des premiers symptômes). Pour l'ECA, on suppose que cette durée de latence serait de plusieurs mois, voire plusieurs années, mais ce paramètre n'a jamais pu être estimé précisément car il est multifactoriel (effet variétal, effet environnemental, effet année, etc.) et nécessiterait des expérimentations lourdes à mettre en oeuvre.

Les traitements insecticides réduisent l'incidence de la maladie

Dans différentes parcelles de Gotheron ou de la Sica-Centrex, lorsqu'une protection insecticide est réalisée contre les psylles vecteurs, l'incidence de l'ECA se situe entre 1,5 et 2,5 % (Laurent Brun et Nathalie Courthieu, données non publiées). Par comparaison avec les incidences respectives de 5 et 10 % dans les vergers non traités, la protection insecticide réduirait d'un facteur 3 à 4 le nombre d'arbres contaminés chaque année.

L'enquête Fredon réalisée en 2018 a permis de recueillir les données de traitements phytosanitaires réalisés avant la prospection (Figure 2). Dans les parcelles n'ayant fait l'objet d'aucun traitement insecticide pendant les périodes de vol des psylles, 0,54 % des arbres présentaient des symptômes lors des prospections. On retrouve un taux quasi-similaire pour les parcelles traitées une à trois fois au cours des trois années précédentes (0,45 %, différence non statistiquement significative). En revanche, nous observons des valeurs moyennes, très significativement différentes, entre 0,12 et 0,20 % d'arbres symptomatiques, dans les parcelles traitées 4 fois ou plus dans les trois années précédant les prospections. Ces chiffres vont dans le sens de l'estimation évoquée ci-dessus : une protection insecticide réduirait d'un facteur 3 à 4 le nombre d'arbres contaminés chaque année. Une stratégie de protection insecticide semble donc efficace mais elle doit être « raisonnée » : trois traitements sur trois ans semblent insuffisants, et quatre à six traitements sur trois ans semblent aussi efficaces que sept, voire plus. Il y a donc un compromis subtil à trouver entre traiter suffisamment pour être efficace, mais pas trop, inutilement.

La question cruciale est de savoir précisément quand positionner ces traitements. Les données de l'enquête donnent des éléments de réponse sur l'intérêt des différentes stratégies possibles (Figure 3) : une stratégie qui consisterait à faire des traitements uniquement après fleurs réduirait significativement d'un facteur 2,5 le risque de contamination. Une stratégie qui consisterait à appliquer un ou des traitements avant et après fleurs pourrait apporter un gain supplémentaire, en réduisant d'un facteur 3,3 le risque de contamination. À noter que c'est précisément la stratégie la plus largement adoptée d'après l'enquête puisqu'elle concernait 63,2 % des arbres observés (soit presque 180 000 arbres). La stratégie qui consiste à ne faire des applications insecticides qu'avant la floraison ne concerne que 2,2 % des arbres observés (environ 6 000 arbres), ce qui incite à la prudence dans l'interprétation des résultats. Elle ne permet pas de protéger l'ensemble du vol de retour des psylles qui se prolonge après fleur.

Des variétés d'abricotiers qui semblent moins sensibles

Pas de différences significatives en stations

À notre connaissance, à ce jour, aucune source de résistance ou de moindre sensibilité à l'ECA n'a été caractérisée chez l'abricotier. A fortiori, aucune variété actuellement cultivée n'a été décrite présentant une telle propriété. L'inverse est vrai aussi : il n'existe pas d'études montrant formellement qu'une variété disposerait de caractères génétiques lui conférant une sensibilité à la maladie.

À l'UERI Gotheron, dans l'essai multivariétal, toutes les variétés ont présenté des arbres contaminés par l'ECA, sauf la variété 'Tardif de Tain'. Cependant, cette variété a été fortement contaminée (50 % d'arbres atteints) sur le site de la Sica-Centrex (Figure 1). Aucun arbre de la variété 'Bergarouge' n'a présenté de symptômes lors des trois ans d'observation à Gotheron, mais deux d'entre eux se sont révélés positifs aux tests PCR de 2011. De même à la Centrex, cinq arbres sur les sept contaminés de cette variété étaient asymptomatiques. Globalement, les analyses statistiques montrent qu'il n'y a aucune différence significative entre variétés testées dans les deux sites (analyse multisites ; p-value > 10 %).

Des sensibilités variables dans les parcelles prospectées

En revanche, les résultats des prospections en Rhône-Alpes réalisées de 2014 à 2017 montrent que les variétés cultivées ont des taux d'arbres symptomatiques pour l'ECA variables, de nuls à très élevés, ce qui laisse suspecter des différences de sensibilité du matériel végétal (Figure 4). Pour plusieurs variétés, aucun symptôme ou très peu ont été observés (variétés dans la partie verte de la Figure 4). Ainsi, aucun des arbres des variétés 'Latica' et 'Magic Cot' (2127 et 1 484 arbres observés respectivement) n'a exprimé de symptômes au moment des prospections alors que les parcelles visitées étaient en place depuis 7-8 ans en moyenne. Nous avons observé la même tendance (aucun symptôme) chez les variétés 'Incomparable de Malissard' et 'Tardif de Valence', dans des parcelles de 8-10 ans, mais la quantité d'arbres observés était moindre (moins de 800 arbres). Des variétés ressortent très faiblement contaminées, en particulier 'Goldrich' (ou 'Jumbo Cot') et 'Harostar' (respectivement 0,07 et 0,06 % des arbres symptomatiques) alors que les parcelles prospectées étaient déjà assez âgées (en moyenne 22,8 et 16,9 ans respectivement). Nous retrouvons aussi dans cette catégorie la variété 'Tardif de Tain'.

À l'inverse, sept variétés se distinguent de toutes les autres, par un taux moyen d'arbres symptomatiques supérieur à 0,8 % (variétés dans la partie rouge de la Figure 4). En particulier, 'Farhial', 'Farbaly', 'Vertige' et 'Faralia' dont les observations ont été faites dans des jeunes parcelles (moins que 7 ans). Ces variétés paraissent les plus suspectes de détenir une sensibilité accrue à l'ECA. Les variétés 'Tom Cot' ou 'Hargrand' apparaissent parmi les plus contaminées sur les deux sites expérimentaux et dans l'enquête. Néanmoins, il convient d'être prudent dans l'interprétation de ces données. Si celles-ci révèlent de forts contrastes entre variétés, elles ne permettent pas de conclure que celles-ci sont sensibles ou résistantes à l'ECA. Seuls des tests de caractérisation génétique et/ou phénotypique des variétés en conditions contrôlées (inoculation artificielle, environnement clos...) permettraient de le confirmer.

Une maladie difficile à appréhender uniquement par les symptômes

Différentes expressions des symptômes

L'ECA pourrait être considérée comme une maladie « facile » à diagnostiquer au vu des symptômes très typiques de feuillaison précoce. Mais ces symptômes apparaissent plus ou moins tardivement en fonction des régions, ils sont plus ou moins diffus, exprimés selon les variétés ou d'autres facteurs (stress hydrique ?). Les symptômes d'été (enroulement/dessèchement/jaunissement des feuilles) peuvent être facilement confondus avec d'autres causes (bactériose, pourridié). Autant de facteurs confondants qui rendent parfois cette maladie difficile à diagnostiquer sans une analyse PCR complémentaire.

Dans l'essai multivariétal, la variabilité de l'expression des symptômes observés de 2009 à 2011 a été très marquée entre les deux sites. À la Sica-Centrex, ce sont essentiellement des symptômes de feuillaison précoce qui ont été observés. Alors que sur l'UERI Gotheron, ce sont essentiellement les symptômes de chlorose des feuilles avec enroulement en cuillère au printemps (photos 1 et 2) qui ont été observés. Cette différence d'expression des symptômes n'est pas uniquement due à l'espèce de porte-greffe utilisé sur chaque site, prunier à la Sica-Centrex et pêcher à Gotheron. En effet, les abricotiers greffés sur pêcher sur le site de la Sica-Centrex présentent également des symptômes de feuillaison précoce (Courthieu, com. pers.).

Des taux de contamination variables géographiquement

La variabilité de l'expression des symptômes s'observe aussi à travers les prospections conduites en Drôme et Ardèche de 2014 à 2017. Le niveau de contamination de l'ECA a été examiné dans six secteurs des deux départements correspondant à des sous-bassins de production de l'abricot : les Baronnies, l'Ardèche méridionale, la vallée du Rhône d'Étoile-sur-Rhône à Montélimar, le nord de la plaine de Valence, le nord Drôme et le plateau nord Ardèche. Le nombre d'arbres symptomatiques varie selon les zones :

- 1,27 % en Ardèche méridionale ;

- 0,73 % dans la vallée du Rhône d'Étoile-sur-Rhône à Montélimar ;

- 0,49 % dans les Baronnies ;

- 0,47 % dans le nord Drôme.

Les zones du nord de la plaine de Valence et du plateau ardéchois dans le nord du département sont moins touchées avec des niveaux respectifs de 0,23 et 0,11 %. Ici aussi, la différence d'expression des symptômes ne peut être uniquement imputée aux porte-greffes. Les résultats de la prospection ont montré que les symptômes de feuillaison précoce pouvaient être observés sur des abricotiers greffés sur pêcher comme sur prunier. Cependant, il existe des différences de niveau d'arbres symptomatiques selon les porte-greffes (Figure 5), une différence qui s'observe en particulier sur la variété 'Orangered'.

L'analyse de tous les arbres des dispositifs de Gotheron et Torreilles a permis de mettre en évidence la présence d'arbres contaminés par l'ECA mais asymptomatiques. Ainsi, 3 % des arbres de la parcelle étaient dans ce cas de figure sur Gotheron. Cette valeur atteint 12 % sur Torreilles. Cette différence entre les deux sites pourrait s'expliquer par une particularité du porte-greffe prunier.

Effets températures et typicité des vergers

Une autre hypothèse pour expliquer cette variabilité de l'expression des symptômes serait un « effet des températures hivernales ». Sur le site de l'UERI Gotheron, l'absence de symptômes de feuillaison précoce coïncide avec des températures hivernales froides les trois années d'observation (2009 à 2011). Mais sur ce même site, un hiver doux comme celui de 2019/2020 a permis l'expression de ces symptômes (Laurent Brun, données non publiées). En Drôme-Ardèche, les résultats de la prospection montrent que les trois régions les plus méridionales sont celles où on observe les parcelles avec le plus grand nombre d'arbres symptomatiques. Il pourrait donc y avoir un lien entre l'expression des symptômes et les températures hivernales : des températures froides bloqueraient l'expression des symptômes de feuillaison précoce ou/et, à l'inverse, des températures plus douces auraient pour conséquence une levée de dormance plus précoce sur les organes contaminés. Ainsi, il existerait un gradient nord-sud de l'expression des symptômes de feuillaison précoce dû à l'ECA.

Une autre hypothèse, non exclusive de la précédente, serait la « typicité des vergers » liée à leur zone géographique d'implantation. En effet, chaque secteur de production à ses propres caractéristiques en termes, par exemple, de conditions pédoclimatiques, de dominances de variétés et/ou de porte-greffes, de l'âge moyen des parcelles, etc. Par exemple en Drôme-Ardèche, les parcelles des Baronnies avaient en moyenne 17 ans, alors que les parcelles des autres secteurs avaient en moyenne entre 10 et 13 ans.

Perspectives

L'enjeu de la filière fruits à noyau est plus que jamais de trouver des réponses adaptées pour se prémunir au mieux de l'enroulement chlorotique de l'abricotier. Les résultats présentés ici montrent l'intérêt pour les arboriculteurs d'adopter une stratégie de protection insecticide raisonnée contre les psylles en sortie d'hiver-début du printemps pour limiter les contaminations. À ce jour l'adoption de cette méthode de lutte semble incontournable au verger tant que d'autres stratégies n'auront pas démontré leur efficacité. Des produits de biocontrôle (répulsifs ou masquants) des psylles font l'objet de recherches mais ne devraient pas être proposés aux professionnels avant plusieurs années. Nos travaux ont montré que des variétés semblent présenter une moindre sensibilité à l'ECA. Ces pistes mériteraient d'être explorées plus en détails, dans un premier temps au travers d'études multisites dans plusieurs bassins de production (pourquoi pas en collaboration avec des arboriculteurs) et dans un second temps, par des analyses pour caractériser les facteurs physiologiques/génétiques mis en jeu.

Positionner au bon moment les barrières contre les psylles à leur retour d'hivernage est un facteur clé de la réussite de la lutte contre l'ECA. Le réseau d'épidémiosurveillance mis en place depuis 2012 et les informations diffusées notamment par les BSV oeuvrent en ce sens. Dans un futur proche, nous espérons que les arboriculteurs pourront disposer d'outils d'aide à la décision connectés (type application smartphone) pour obtenir des informations en temps réel et à des échelles spatiales très fines tenant compte de la météorologie, de la zone géographique et de la dynamique des vols des psylles.

(1) Sauvion N., Labeyrie B., Brun L. (2020), Enroulement chlorotique de l'abricotier : situation en France - L'ECA demeure une maladie préoccupante pour les vergers d'abricotiers et de pruniers en France, Phytoma n° 735, p. 9-12.(2) Yvon M., Thébaud G., Alary R., & Labonne, G. (2009), Specific detection and quantification of the phytopathogenic agent 'Candidatus Phytoplasma prunorum', Molecular and Cellular Probes, 23, 227-234. doi:10.1016/j.mcp.2009.04.005.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Provoqué par le phytoplasme 'Candidatus Phytoplasma prunorum', l'enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA) continue de poser des problèmes dans les vergers français.

ÉTUDES - Cet article synthétise les résultats de plusieurs études réalisées depuis 2012 afin de répondre à quatre questions : quel est le taux moyen de contamination par l'ECA dans les vergers français ? Les traitements insecticides sont-ils efficaces pour lutter contre l'ECA ? Des variétés d'abricotier cultivées présentent-elles des résistances totales ou des moindres sensibilités vis-à-vis de l'ECA en plein champ ? L'expression des symptômes est-elle variable en fonction de zones géographiques ?

RÉSULTATS - Le taux moyen de contamination par l'ECA dans les vergers atteint 0,43 % dans les conditions de la prospection, avec une variabilité observée selon les zones géographiques.

De forts contrastes existent entre variétés, supposant des sensibilités différentes qu'il conviendrait de caractériser génétiquement. Une protection phytosanitaire raisonnée vis-à-vis du psylle vecteur du phytoplasme réduit l'incidence de la maladie.

MOTS-CLÉS - Enroulement chlorotique de l'abricotier (ECA), European stone fruit yellows (ESFY), phytoplasme, 'Candidatus Phytoplasma prunorum', épidémiologie, maladie réémergente.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : baptiste.labeyrie@ctifl.fr ; laurent.brun@inrae.fr

BIBLIOGRAPHIE : voir notes.

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