Fig. 1 : Caractérisation des paysages autour des couples de parcelles suivies En jaune, parcelle de tournesol, en vert la prairie. Les cercles bleu clair délimitent une zone de 250 m de rayon autour de chaque couple et les cercles jaunes délimitent une zone de 1 000 m. Les haies sont représentées par les lignes en pointillés rouge et jaune. La figure relate quatre exemples de paysages contrastés pour le linéaire de haies : A à 250 m = 0,24 km, à 1 000 m = 4,46 km ; B à 250 m = 0,79 km, à 1 000 m = 6,27 km ; C à 250 m = 0 km, à 1 000 m = 11,20 km ; D à 250 m = 1,31 km, à 1 000 m = 17,13 km.
Fig. 2 : Relation entre la prédation des graines de Viola arvensis et la quantité de haies dans le paysage à 1 000 m Relation moyenne et erreurs du modèle statistique.
Fig. 3 : Relation entre la prédation des pucerons et la quantité de haies dans le paysage à 250 m quand la diversité végétale de la prairie est faible (cinq espèces), et relation entre la prédation des pucerons et la diversité végétale de la prairie adjacente quand la quantité de haies à 250 m est faible (0,1 km) (relation moyenne et erreurs du modèle statistique)
Les haies et les prairies, bien qu'occupant peu de surface dans les paysages agricoles céréaliers, y représentent la majorité des milieux semi-naturels et remplissent des fonctions utiles à l'agriculture, comme la régulation naturelle des insectes ravageurs ou la pollinisation. L'analyse des relations entre les cultures et ces habitats semi-naturels à différentes échelles permet d'identifier des leviers sur lesquels agir pour limiter le recours aux intrants phytosanitaires.
Une biodiversité ordinaire dans les espaces semi-naturels
Les éléments semi-naturels des paysages agricoles européens dominés par les grandes cultures, comme les haies, les prairies ou les forêts, représentent des habitats clés pour la biodiversité ordinaire, car leurs couverts végétaux ne sont pas détruits tous les ans et ils subissent peu de traitements phytosanitaires. De nombreux organismes dépendent de ces milieux pour leur alimentation et leur reproduction. C'est par exemple le cas de la majorité des quelque 200 espèces d'abeilles sauvages observées en France qui contribuent à la pollinisation des plantes sauvages et cultivées, ou encore de nombreuses espèces de carabes qui, en s'alimentant de graines ou d'insectes à différents stades, jouent un rôle important dans la régulation biologique des adventices ou des ravageurs des cultures. Ces organismes ne se cantonnent pas aux milieux semi-naturels mais se dispersent plus ou moins loin en fonction de leurs capacités et des caractéristiques paysagères, contribuant ainsi au fonctionnement écologique de tous les milieux. Restaurer des milieux semi-naturels dans les paysages, les maintenir et les rendre plus fonctionnels en augmentant par exemple leur diversité végétale, contribuent à la mise en oeuvre de l'agroécologie, notamment pour limiter le recours aux produits phytopharmaceutiques, en promouvant les organismes qui participent à la régulation biologique. Cependant, de nombreuses questions se posent : quelles sont la nature et la quantité de milieux semi-naturels susceptibles de répondre au mieux à cet objectif, comment doivent-ils être répartis dans le paysage, pour assurer quelles fonctions... ?
L'étude et son dispositif
Milieux semi-naturels et cultures de tournesol
L'étude a été réalisée durant le printemps et l'été 2015 dans la plaine sud de Niort, zone agricole traditionnelle de polyculture élevage ayant évolué vers les grandes cultures. Cette zone, dénommée « Zone atelier Plaine et Val de Sèvre(1) », est intégrée à un réseau de sites pour la recherche sur le long terme en sociologie et en écologie (LTSER, Long Term Socio-Ecological Research network). Les milieux semi-naturels y sont représentés principalement par les prairies (surtout des prairies temporaires et artificielles qui couvrent environ 10 % des surfaces de la zone d'étude) et les haies. Ces milieux, notamment les haies, sont mentionnés comme hébergeant de nombreux ennemis naturels (insectes carabiques, fourmis, staphylins, araignées, oiseaux, micromammifères) des bioagresseurs des cultures. L'objectif de l'étude était d'examiner les rôles respectifs de la quantité de haies dans le paysage à différentes échelles spatiales et de la proximité immédiate d'une prairie plus ou moins riche en espèces végétales sur la régulation biologique des adventices et des ravageurs dans le tournesol.
Des linéaires de haies et une diversité des prairies variables
Le dispositif d'étude a consisté en vingt-trois couples de parcelles, chaque couple étant constitué d'une parcelle de tournesol adjacente à une prairie (photo page précédente). Les couples de parcelles se situaient dans des paysages contrastés en termes de quantité de haies mais proches pour d'autres caractéristiques importantes du paysage comme la quantité de prairies et de bois dans un rayon de 1 000 m, cette échelle correspondant aux capacités de déplacement de nombreux invertébrés. Ces informations ont été extraites d'une base de données spatialisées des modes d'occupation des sols de la zone d'étude. Un autre critère de sélection des couples de parcelles a été le nombre d'espèces végétales dans la prairie, considéré comme un indicateur de qualité. En effet, des études montrent que la diversité végétale des prairies a un effet positif sur la biodiversité hébergée, biodiversité qui peut potentiellement se répercuter sur les habitats adjacents(2). On s'attend donc à ce qu'une prairie hébergeant une communauté de plantes très diversifiée soit bénéfique à une parcelle de tournesol adjacente. Cette dernière serait colonisée par des cortèges d'ennemis naturels, comme des araignées ou des carabes, entrainant une meilleure régulation biologique de ses adventices et de ses ravageurs.
Le total des linéaires de haies autour des couples de parcelles sélectionnées a été calculé (Figure 1) à 250 m (c'est le voisinage immédiat) et à 1 000 m (sur la base d'orthophotographies). À 250 m, les couples comptaient de 0 à 1,5 km de haies et, à 1 000 m, le plus petit linéaire totalisait 4,4 km tandis qu'il atteignait 17,5 km dans le paysage le plus bocager. La Figure 1 illustre quatre paysages contrastés. La diversité en espèces végétales des prairies estimée par les relevés botaniques variait de trois à vingt-huit espèces. Dans cette étude, le linéaire de haies à 250 m n'est pas corrélé au linéaire de haies à 1 000 m (R = 0,31). Il est à noter que la diversité végétale des prairies n'est pas corrélée au linéaire de haies à 250 m (R250 m = 0,20) ou à 1 000 m (R1 000 m = 0,41), ce qui permet de tester indépendamment leurs effets.
Évaluation de la biodiversité et de la régulation biologique
La régulation biologique et les communautés d'ennemis naturels ont été évaluées durant la dernière semaine de juillet 2015. La régulation a été estimée dans les vingt-trois parcelles de tournesol en utilisant une méthode couramment utilisée : les cartes sentinelles. Cette approche permet de mesurer le potentiel de régulation exercé par les communautés de prédateurs généralistes. Ce potentiel a été mesuré sur deux types de proies : des graines adventices (dix graines adventices par carte) et des pucerons (trois pucerons adultes par carte). Les espèces de pucerons (Acyrthosiphon pisum) et adventice (Viola arvensis) collées sur les cartes sentinelles ont été choisies pour leur fréquence élevée dans la zone d'étude. Dans chaque parcelle, dix cartes de chaque type ont été déposées le long d'un transect de 50 m de la bordure vers le centre de la parcelle. Les cartes avec pucerons étaient laissées en place durant 24 h tandis que les cartes avec les graines adventices l'étaient durant quatre jours. Au retrait des cartes, le nombre de graines et celui de pucerons consommés étaient notés. Pour chaque parcelle, les taux de prédation des graines de Viola arvensis et des pucerons étaient estimés par le nombre de cartes présentant un évènement de prédation.
Pour mettre en relation la régulation biologique estimée et l'abondance ou la diversité des ennemis naturels, nous avons échantillonné entre le 17 et le 27 juillet 2015 les carabes et les araignées dans les parcelles de tournesol et les prairies. Ces groupes sont mentionnés comme étant des ennemis naturels majeurs. L'échantillonnage a été réalisé avec des pots pièges : il s'agit de fonds de bouteille plastique de 10 cm de hauteur et de 9 cm de diamètre remplis d'eau additionnée de mouillant (0,2 ml/l) et de sel (10 g/l). Les pots sont déposés dans un trou creusé dans le sol de sorte qu'ils ne dépassent pas et que les invertébrés qui se déplacent sur le sol y tombent. À 10 m, 20 m, 30 m et 40 m le long d'un transect de la bordure vers le centre de la parcelle, quatre pots par prairie et quatre pots par parcelle de tournesol ont été disposés. Au bout de quatre jours, les pièges ont été relevés. Les carabes et les araignées piégés ont été identifiés et dénombrés.
Résultats : des interactions complexes
Une régulation des adventices par les petits vertébrés
Le taux de prédation des graines variait selon les parcelles de 0 à 60 % (en moyenne : 23 ± 3 %). L'analyse a révélé que la prédation des graines augmentait avec la quantité de haies dans le paysage à 1 000 m autour des parcelles étudiées (Figure 2). Ni la quantité de haies dans le voisinage immédiat (à 250 m), ni la diversité végétale de la prairie adjacente, ni l'abondance ou le nombre d'espèces de carabes granivores n'ont eu d'effet sur la prédation des graines. Ces résultats suggèrent que ce sont plutôt des micromammifères ou des oiseaux qui auraient mangé les graines comme certaines études l'observent.
Pucerons : une prédation à double tranchant
Les résultats sont plus complexes pour la prédation des pucerons. Celle-ci variait selon les parcelles de 0 à 90 % (en moyenne : 43 ± 5 %). Les analyses montrent que les échelles spatiales en jeu sont plus locales que pour la régulation des adventices, les effets principaux provenant de la quantité de haies dans le voisinage immédiat (à 250 m) et de la diversité végétale de la prairie adjacente. La prédation des pucerons était la plus faible quand il y avait peu de haies dans le voisinage immédiat (rayon de 250 m) des parcelles et quand simultanément la diversité végétale de la prairie adjacente était faible. Inversement, la prédation des pucerons était élevée (plus de 80 %) quand les parcelles avaient beaucoup de haies dans leur voisinage immédiat (Figure 3A) ou quand la prairie adjacente avait une forte diversité végétale (Figure 3B). Toutefois, la prédation ne dépassait pas 50 % quand simultanément la diversité végétale de la prairie et la quantité de haies étaient élevées. Une interprétation possible est que, dans ces conditions, une diversité et une abondance élevées en ennemis naturels ont pour conséquence davantage de prédation entre les ennemis naturels eux-mêmes (prédation intraguilde), ce qui diminue le potentiel de prédation des proies et donc la régulation des bioagresseurs.
Rôle des araignées dans la régulation
L'étude met en évidence le rôle des araignées dans la régulation des insectes ravageurs. Au total, 288 araignées appartenant à 21 espèces ont été piégées dans les tournesols tandis que 577 araignées appartenant à 32 espèces l'ont été dans les prairies. Plus il y avait d'araignées dans le tournesol, plus la prédation des pucerons était élevée. De manière intéressante, l'abondance des araignées dans le tournesol était positivement corrélée avec l'abondance des araignées dans la prairie adjacente. Cette dernière était élevée quand la prairie était située dans un paysage riche en haies dans un périmètre de 1 000 m.
Les communautés de carabes observées étaient pauvres en espèces carnivores, ce qui peut expliquer leur absence d'effet sur la prédation des pucerons. La diversité végétale de la prairie adjacente n'a eu aucun effet sur les araignées du tournesol ou de la prairie, ce qui suggère que son effet positif sur la prédation des pucerons passe par des ennemis naturels non pris en compte, comme par exemple les fourmis.
De l'importance d'agir à l'échelle du paysage
La quantité de haies dans le paysage et la diversité végétale des prairies ont des effets bénéfiques sur les communautés d'ennemis naturels et la régulation biologique des adventices et de ravageurs des cultures. L'étude confirme l'importance de ces milieux qui agissent comme des réservoirs de biodiversité pour les cultures qui leur sont voisines. Les échelles spatiales d'influence du paysage sur la régulation biologique diffèrent selon le type de bioagresseurs. Ce résultat souligne l'importance de maintenir des réseaux de milieux semi-naturels à différentes échelles dans le paysage. Mettre en oeuvre des pratiques qui permettent d'augmenter la diversité végétale des prairies peut atténuer jusqu'à un certain point les effets négatifs de la rareté des haies dans le paysage tout en n'entrainant pas de diminution des surfaces cultivées. Réciproquement, dans les paysages de grandes cultures où les prairies sont rares, augmenter la quantité de haies représente un autre levier d'action.
(1) Bretagnolle V., Berthet E., Gross N., Gauffre B., Plumejeaud C., Houte S., Badenhausser I., Monceau K., Allier F., Monestiez P. & Gaba S., 2018, Towards sustainable and multifunctional agriculture in farmland landscapes: Lessons from the integrative approach of a French LTSER platform. Sci. Total Environ. n° 627, p. 822-834.(2) Rusch A., Bommarco R., Jonsson M., Smith H.G., Ekbom B., 2013, Flow and stability of natural pest control services depend on complexity and crop rotation at the landscape scale. J. Appl. Ecol. n° 50, p. 345-354.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - La simplification des paysages peut avoir des effets négatifs sur le fonctionnement des écosystèmes agricoles. La présence de milieux semi-naturels influe sur les populations d'ennemis naturels des bioagresseurs et par conséquent sur la régulation biologique dans les cultures.
Le programme de recherche européen Ecodeal (2015-2018) a étudié le rôle des milieux semi-naturels dans la fourniture de services écosystémiques rendus par la biodiversité à l'agriculture. Une étude menée durant le printemps et l'été 2015 dans une plaine céréalière de l'ouest de la France visait à comprendre les interactions entre la diversité végétale et la quantité de ces milieux sur la régulation biologique en grande culture.
ÉTUDE - L'expérimentation était basée sur un dispositif de vingt-trois couples de parcelles adjacentes (une prairie plus ou moins riche en espèces végétales et une culture de tournesol) situées dans des paysages plus ou moins riches en haies à 250 m et 1 000 m.
RÉSULTATS - Augmenter la quantité de haies à ces deux échelles améliore la régulation biologique des adventices et des pucerons du tournesol, soulignant l'importance de maintenir un réseau de haies à plusieurs échelles. La régulation des pucerons augmente aussi quand la diversité végétale de la prairie adjacente est élevée mais uniquement dans les paysages pauvres en haies, suggérant ce levier d'action dans ce type de paysage.
Programme Ecodeal : étudier les services écosystémiques des milieux semi-naturels
L'étude mentionnée dans cet article a fait partie d'un programme de recherche européen BiodivERsA sur quatre ans (2015-2018) regroupant des chercheurs de six pays européens : Allemagne, Autriche, Espagne, France (Inrae à Chizé et Bordeaux ; CNRS à Chizé), Pays-Bas, Suède. L'objectif de ce programme intitulé Ecodeal(1) était de quantifier les services écosystémiques des milieux semi-naturels des paysages agricoles européens sur la production agricole via leurs effets sur la pollinisation et la régulation naturelle des bioagresseurs. Il s'agissait également de mettre en évidence les échelles spatiales maximisant ces services rendus par la biodiversité. Ce programme a débouché sur l'établissement de préconisations à l'échelle des paysages agricoles permettant d'optimiser ces services écosystémiques.
(1) https://www.cec.lu.se/ecodeal
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : isabelle.badenhausser@inrae.fr