À 59 ans, Philippe Stoop est en charge de la veille technologique, de l'analyse du marché des services à l'agriculture, et de la recherche de nouveaux partenaires et clients pour ITK, concepteur d'OAD. Une mission qui semble bien loin de l'évaluation des produits phytosanitaires, sujet qui lui tient à coeur sur lequel il a publié un certain nombre d'articles et est intervenu à l'Académie d'agriculture(1). « En tant que responsable du pool technique phytosanitaire chez InVivo jusqu'en 2001, j'ai participé aux travaux de la Commission d'évaluation de la toxicité des produits phytosanitaires au sein de la DGAL, précise Philippe Stoop. Je me suis familiarisé avec les méthodologies d'évaluation des risques sanitaires. »
Polémiques très techniques
« Ces questions retentissent sur mon métier actuel car, pour aider les agriculteurs à prendre la bonne décision (quand et avec quel produit traiter), nous avons besoin d'un cadre réglementaire stable et basé sur des critères scientifiques. Or ce n'est pas toujours le cas. » La décision gouvernementale d'interdire le glyphosate par exemple a, une fois de plus, mis en lumière les divergences entre scientifiques et agences d'évaluation sanitaire, divergences qui alimentent régulièrement des controverses sur les produits utilisés en agriculture. « Ce sont des polémiques extrêmement techniques dont le grand public a du mal à comprendre tous les enjeux, ce qui nourrit un certain discrédit des agences sanitaires. Elles sont également amplifiées par les médias et réseaux sociaux, et même par des décisions gouvernementales qui remettent clairement en cause leurs avis. »
Logique différente
« La recherche et les agences d'évaluation ne répondent pas à la même logique. » Les données utilisées par les agences pour l'homologation sont privées et obtenues via des expérimentations sur animaux ou in vitro selon des protocoles précisés par les agences et très encadrés par des directives de l'OCDE. Les données de suivi post-homologation issues de recherches scientifiques sont beaucoup moins formalisées : études toxicologiques (différentes de celles réalisées pour l'homologation) et études épidémiologiques sur les personnes exposées. « Les travaux sont publiés dans des revues scientifiques après évaluation par les pairs, seuls juges de paix concernant leur validité. » Chercheurs et agences sanitaires ont donc souvent des objectifs différents, voire opposés, qui vont influencer la construction du protocole expérimental. Les données qui font débat sont celles fournies par la recherche quand elles semblent identifier des risques non relevés par le dossier d'homologation.
Risque et danger
Autre élément qui favorise la polémique : les imprécisions de la loi. Le législateur ne pèse pas toujours l'importance de la différence entre le danger et le risque inhérent à l'utilisation d'une molécule. Pour évaluer une substance, on regarde d'abord si elle peut avoir un effet néfaste sur la santé à une dose quelconque. C'est le danger. « Ce qui important, c'est le risque, c'est-à-dire s'il peut y avoir des troubles pour la santé de celui qui y est exposé aux doses habituellement utilisées. » Une substance active sera alors approuvée si les doses d'usage sont très inférieures à celles provoquant des troubles de santé (absence de risque). Mais le règlement européen (CE) n° 1107/ 2009 a introduit une exception à cette règle : les dangers de cancérogenèse et de perturbation endocrinienne sont suffisants pour ne pas approuver une substance active.
Preuve de cancérogénicité
« Les conséquences réglementaires de cette décision, notamment sur l'application du règlement (CE) n° 1272/2008, n'ont pas été pesées. » D'après ce dernier, pour apporter les preuves suffisantes de cancérogénicité d'un produit, il suffit d'avoir au moins deux résultats significatifs. « Ce critère très souple, sans conséquence dans une réglementation basée sur le risque, devient aberrant si elle est basée sur le danger. En effet, pour démontrer un danger, il suffit d'un résultat isolé, alors que l'établissement d'un risque nécessite de nombreuses expériences, dont on peut vérifier la cohérence. La probabilité de trouver, par erreur, un effet cancérigène significatif dans une étude est de 5 %. De ce fait, avec quarante études, il devient très probable d'obtenir deux études (5 % de 40) montrant un lien de causalité. Cela conduit inévitablement à trouver un danger pour tout produit très étudié. »
Relancer l'Opecst
« Et comme il est normal que les revues scientifiques acceptent des publications qui restent à confirmer, il est tout aussi normal que les agences sanitaires rejettent certaines publications isolées montrant un effet de causalité. Mais aucun texte ne précise ces conditions d'élimination. Le législateur doit donc exprimer clairement ses attentes en matière de niveau de preuve scientifique. » L'Académie d'agriculture a prévu une session en janvier 2021 pour faire réagir l'Inrae et l'Anses sur ces divergences de point de vue. « Nous espérons aussi avoir des représentants de l'Opecst(2) qui m'avait auditionné dans le cadre de son rapport sur le fonctionnement des agences d'évaluation des risques sanitaires en 2019. L'objectif est de les convaincre de relancer une réflexion pour mieux prendre en compte la complexité de cette évaluation. »
(1) https://www.academie-agriculture.fr/system/files_force/seances-colloques/20200513presentation1.pdf?download=1(2) Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
BIO EXPRESS PHILIPPE STOOP
1983. Ingénieur agronome de Montpellier Sup Agro spécialisé en protection des cultures (Hérault).
1985. Docteur d'AgroParisTech spécialisé en entomologie agricole (Paris).
1987. Responsable du pool technique phytosanitaire (évaluation technique de nouveaux produits et développement d'OAD pour le conseil agricole) chez Invivo (Paris).
2001. Expert métier (conception de solutions informatiques pour l'agriculture) chez Quantix Agro (Paris).
2007. Responsable Innovation chez ITK à Montpellier (Hérault).
2018. Membre de l'Académie d'agriculture section Agrofournitures.