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Gestion du désherbage

Mieux connaître la diversité des semences adventices

CAROLE REIBEL, BRUNO CHAUVEL, ÉMELINE FELTEN, RÉMI GOUNON, ÉMILIEN LAURENT, ANNICK MATEJICEK, ÉRIC PIMET, ÉRIC VIEREN ET DELPHINE MOREAU, Agroécologie, AgroSup Dijon, Inrae, Univ. Bourgogne, Université Bourgogne Franche-Comté - Dijon. - Phytoma - n°737 - octobre 2020 - page 10

Une connaissance approfondie de la diversité des semences adventices doit permettre de mieux évaluer les possibilités de régulation biologique ou de gestion durable du stock semencier.
Illustration de la diversité des semences adventices. Photo : A. Matejicek

Illustration de la diversité des semences adventices. Photo : A. Matejicek

Fig. 1 : Diversité de taille, de forme et de couleur pour une gamme d'espèces adventices       Les espèces sont désignées par leur code Eppo (voir Tableau 1). Les photos ont été prises avec un objectif macro 100 mm f2.8 L IS USM (échelle de 1 cm sur chaque photo), excepté pour ORARA (microscope électronique à balayage, échelle de 50 µm). Photos : A. Matejicek, sauf ORARA : S. Gibot-Leclerc

Fig. 1 : Diversité de taille, de forme et de couleur pour une gamme d'espèces adventices Les espèces sont désignées par leur code Eppo (voir Tableau 1). Les photos ont été prises avec un objectif macro 100 mm f2.8 L IS USM (échelle de 1 cm sur chaque photo), excepté pour ORARA (microscope électronique à balayage, échelle de 50 µm). Photos : A. Matejicek, sauf ORARA : S. Gibot-Leclerc

Du fait de leur faible teneur en eau, les semences des adventices sont non seulement l'unique forme de survie des espèces annuelles (ou thérophytes) au cours des périodes climatiquement défavorables, mais elles constituent aussi l'unité de dispersion de ces espèces. Dans le cas des communautés de mauvaises herbes des parcelles cultivées, la gestion de la réserve des semences constitue donc un enjeu à la fois dans un objectif de gestion durable et dans un objectif de conservation de la diversité végétale de l'agrosystème.

Une connaissance incomplète des semences adventices

Si l'on considère que près de 1 200 espèces végétales sont décrites dans les milieux cultivés (Jauzein, 1995), il est facile d'imaginer la grande diversité qui existe dans les semences adventices (Guyot et al., 1962). Cette diversité se situe tant au niveau de la taille, de la forme et des caractéristiques biologiques (dormance, dureté des enveloppes), qu'au niveau physiologique (teneur en lipides, température de base de germination par exemple). Les botanistes ont décrit avec précision les semences pour la reconnaissance fine de certaines familles botaniques (poacées, euphorbiacées et astéracées par exemple). Dans les services chargés de veiller à la pureté des semences cultivées, la reconnaissance des semences adventices était aussi restée forte. Malgré tout, la connaissance de leur biologie était devenue moins primordiale avec le développement des herbicides dont l'utilisation a permis de gérer avec efficacité les populations adventices. C'est avec la conception de systèmes de culture ayant un objectif de réduction de l'usage des herbicides de synthèse qu'une bonne connaissance de la diversité de la biologie et de l'écologie des semences adventices est redevenue nécessaire.

Toutefois l'acquisition de ces données reste complexe. Si les caractéristiques de biologie et d'écologie des espèces majeures sont relativement bien connues, la diversité interspécifique n'est souvent que faiblement décrite.

Pourquoi étudier la diversité des semences ?

Mieux savoir comment gérer les adventices

Dans un contexte d'agroécologie (qui vise notamment à favoriser la régulation biologique des bioagresseurs et ainsi à réduire le recours aux pesticides de synthèse), une meilleure connaissance de la biologie des semences adventices est nécessaire. D'une part, elle peut contribuer à mieux comprendre la dynamique des stocks semenciers : quels sont les effets des facteurs abiotiques (gel, stress hydrique) ? Quels sont les effets des facteurs biotiques (prédation, compétition à la levée) ? D'autre part, une meilleure connaissance de la biologie des semences peut permettre d'augmenter l'efficience des pratiques de gestion des adventices. En effet, la gestion dite 'prophylactique' des espèces adventices repose en très grande partie sur le 'stade semence' et peut être réalisée sans herbicide. Le labour qui vise une limitation des levées dans les cultures en positionnant les semences en profondeur, le faux semis qui vise une limitation des levées dans les cultures en faisant germer les semences avant le semis de la culture afin de pouvoir les éliminer facilement ou encore le retard de date de semis lié aux mécanismes de dormance, sont autant de techniques qui nécessitent de connaître la diversité des semences des espèces visées. C'est le cas aussi pour les pratiques 'curatives' d'écimage, développées pour limiter la dynamique de constitution du stock semencier, dont l'efficacité dépend de la précocité de maturité des semences qui varie selon les espèces.

Mieux comprendre le rôle des adventices dans les chaînes trophiques

Les adventices des parcelles cultivées sont le plus souvent uniquement vues sous l'angle de la nuisibilité en raison de la compétition pour les ressources (lumière, eau, minéraux) qu'elles exercent vis-à-vis des cultures, à l'origine de pertes de rendement pour les agriculteurs. Néanmoins, les adventices jouent aussi des rôles bénéfiques et contribuent au fonctionnement des agrosystèmes. En fournissant des ressources, elles favorisent par exemple la diversité d'autres organismes dans les parcelles agricoles. C'est le cas d'insectes granivores comme les carabes qui consomment des semences adventices (Waligora, 2016). Ce processus de prédation des semences par les carabes pourrait contribuer à réguler les adventices, même si son rôle reste à quantifier à l'échelle de la parcelle agricole. Des travaux récents ont montré que la consommation des semences adventices par les carabes dépendait des caractéristiques des semences. Par exemple, les carabes ont une préférence pour les semences riches en lipides des adventices (pensée des champs, mouron des champs) mais aussi des cultures (tournesol). Par ailleurs, il est établi qu'une bonne adéquation entre la taille des semences et celle des pièces buccales des carabes est nécessaire.

Mettre au point de nouvelles méthodes d'estimation du stock semencier

Les semences des espèces adventices constituent la face cachée du cycle dans les parcelles cultivées. Par le nombre de semences (plusieurs millions par hectare) et leur durée de vie (de quelques semaines à plusieurs dizaines d'années) qui peuvent faire qu'une opération culturale une année donnée peut avoir des répercussions sur de nombreuses années, le stock semencier joue un rôle crucial. Cependant, sa caractérisation comporte des faiblesses méthodologiques, malgré de nombreux travaux sur le sujet (Mahé et al., 2020). Déterminer ce stock nécessite des dispositifs coûteux, du temps et une expertise botanique forte pour identifier les espèces (soit par observation des semences sous loupe binoculaire, soit par mise en germination d'échantillons de terre). Le développement récent de méthodes performantes d'analyse d'images laisse entrevoir des possibilités d'applications pour la reconnaissance automatisée des semences adventices. Même si ces technologies restent encore aujourd'hui à mettre au point, il est certain que les caractéristiques observables des semences (taille, forme, couleur, ornementation) seront des critères clefs de reconnaissance.

Illustration de la diversité des semences adventices

Caractères botaniques

Nous avons choisi d'illustrer cette diversité en synthétisant les connaissances acquises sur seize espèces adventices, communément trouvées en parcelles de grande culture et couvrant une grande diversité de familles botaniques (Tableau 1), présentant des caractères botaniques, biologiques et écologiques différents.

La morphologie des semences des plantes adventices (Tableau 2) varie fortement d'une espèce à l'autre (Figure 1). À titre d'exemple, le gradient de couleur caractérisant les semences adventices citées dans cet article s'étend du blanc jaunâtre au brun noirâtre. Différentes formes et ornementations les distinguent les unes des autres et facilitent leur reconnaissance. De même, les dimensions des semences (de moins d'un millimètre à plusieurs centimètres) et le poids de mille grains (facteur multiplicatif d'environ 4 500) varient d'une espèce à l'autre. Ainsi, les variations s'étendent de 0,2 × 0,3 mm (taille de grains de sable) et 2,62 × 10-3 g pour Phelipanche ramosa à 20 × 5 mm et 12 g pour Avena fatua. À noter que, suivant l'origine des échantillons de semences, le poids de mille grains peut être très variable pour une même espèce (voir l'exemple de Veronica hederifolia ; Tableau 3). Ces différences peuvent s'expliquer par des années de récolte et des conditions environnementales différentes qui sont susceptibles d'affecter le remplissage des graines.

Il existe enfin une grande diversité de types de fruits au sein des espèces adventices. Rappelons que le fruit est un organe végétal qui se développe à la suite de la fécondation de la plante et qui, à maturité, contient les graines. Le fruit sert de protection pour les graines et favorise leur dissémination. Chaque fruit possède ses propres caractéristiques. Par exemple, l'akène des astéracées est un fruit sec avec une seule graine, indéhiscent et dont la paroi (péricarpe) n'est pas soudée à la graine. Le caryopse des graminées possède de grandes similitudes avec l'akène mais son péricarpe est soudé à la graine.

Caractères écologiques : du rôle du vent à celui des fourmis

Les espèces adventices mettent en oeuvre différents modes de dispersion de leurs semences (Tableau 2). Par exemple, les semences dotées de pappus (pour les astéracées comme Taraxacum officinale) sont susceptibles de se déplacer grâce au vent sur des distances de l'ordre de la centaine de mètres (anémochorie). Ce mode de dispersion permet d'occuper de nouvelles parcelles, de favoriser le brassage génétique entre populations et de diminuer la compétition entre individus. Les semences hydrochores peuvent parcourir de grandes distances soit en tombant dans un cours d'eau, soit par le ruissellement sur les bords de routes ou de chemins (cas d'Ambrosia artemisiifolia). Les semences ou les fruits à crochets ou épines (Calendula arvensis, Ranunculus arvensis) sont disséminés par transport sur le pelage ou le plumage des animaux (épizoochorie). Pour les semences plus lourdes ou n'ayant pas de structure particulière de dispersion, on parle de barochorie, quand les semences tombent au pied de la plante sous l'effet de la pesanteur. Un dernier mode de dispersion (myrméchorie) par les fourmis est observé pour le bleuet. Attirées par des substances riches en éléments nutritifs situées sur une extension de la graine appelée élaïosome, les fourmis les transportent à l'aide de leurs mandibules, puis après avoir consommé ces substances, elles expulsent les semences hors de la fourmilière, ce qui leur permettra de germer loin du lieu où elles ont été produites.

Chacun de ces mécanismes de dispersion est rarement unique pour une espèce donnée. Dans les parcelles cultivées, le rôle de l'homme (dispersion anthropochore) serait dominant. Les semences de culture, les machines de récolte, le travail du sol, l'irrigation ou les semences collées aux outils du travail du sol contribueraient de façon importante au déplacement à courte et à longue distances.

Caractères biologiques

La température de base de germination (également appelée « zéro de végétation ») est une caractéristique propre à chaque espèce (Tableau 4). Elle correspond à la température seuil du sol en dessous de laquelle la germination ne peut avoir lieu. Même si cette caractéristique n'a à ce jour pas été évaluée sur l'ensemble des espèces adventices, on peut remarquer qu'elle varie entre espèces (de 0 °C pour Alopecurus myosuroides à 10,4 °C pour Datura stramonium) mais aussi entre populations. On peut distinguer les espèces estivales des espèces automnales. Alopecurus myosuroides, Avena fatua, Cyanus segetum, Galium aparine, Papaver rhoeas ainsi que Veronica hederifolia ont une température de base inférieure à 3 °C, leur permettant d'assurer une germination durant les jours frais d'automne et d'hiver. Les espèces estivales ont quant à elles des températures de base nettement supérieures (par exemple, 10,4 °C pour Datura stramonium), leur évitant une germination en période froide. Entre ces deux groupes, on retrouve les adventices printanières (Ambrosia artemisiifolia, Phelipanche ramosa, Fallopia convolvulus). La température de base des adventices, mise au regard des températures de base des cultures (0 °C pour le blé, 6 °C pour le maïs, 7 °C pour le tournesol...) et du temps thermique nécessaire aux différentes espèces pour atteindre les différents stades phénologiques, peut être utilisée pour comprendre, au sein des parcelles cultivées, les dynamiques de population et de concurrence entre plantes adventices et cultivées.

Le taux annuel de décroissance (Tableau 4) qui correspond au temps de survie des semences dans le sol est probablement le caractère qui intéresse le plus les agriculteurs. En effet, ce caractère permet à la fois d'estimer le risque lié à une grenaison d'une espèce donnée (combien de temps les semences produites vont-elles rester dans le sol de la parcelle avec un risque de germination dans les cultures suivantes ?) et l'efficacité d'une pratique de travail du sol (faut-il labourer la parcelle, ou privilégier un travail du sol superficiel ?). Le taux annuel de décroissance reste cependant un indicateur difficile à estimer. Il dépend non seulement de caractères de l'espèce (nature des réserves, dureté des enveloppes, nature des dormances), mais aussi des conditions du sol (anaérobie, tassement). Il est donc peu réaliste d'afficher une valeur précise pour une espèce donnée, même s'il est reconnu que les poacées ont généralement une faible survie dans les sols (taux annuel de décroissance fort) alors que les eudicotylédones à graines 'dures' (amaranthe, renouées) peuvent avoir une forte survie (taux annuel de décroissance faible).

Les lipides sont l'un des constituants majeurs de réserve stockés dans les graines, pouvant influer sur la survie des graines dans la banque de semences. Il existe une très grande variabilité de la teneur en lipides des espèces adventices. Le facteur de variation au sein des espèces présentées dans le Tableau 4 est de l'ordre de 27, avec des taux de lipides allant de 1,5 % pour Fallopia convolvulus à 40,5 % pour Papaver rhoeas. Des hypothèses ont été formulées sur les conséquences de la variation des constituants lipidiques sur les paramètres de viabilité des graines, d'attractivité et de pouvoir germinatif.

Une collection de semences pour approfondir les connaissances

Une « collection de semences adventices » a été développée au sein l'UMR Agroécologie d'Inrae à Dijon, en grande partie pour soutenir les activités de recherche autour de la gestion des adventices en grandes cultures. Elle est composée d'une carpothèque, c'est-à-dire une collection de semences pour l'aide à l'identification des espèces adventices à partir de la semence. Elle comporte également un ensemble de lots de semences d'environ 520 espèces adventices qui sont utilisées essentiellement à des fins expérimentales. Grâce à ces lots de semences, des travaux peuvent être menés pour étudier différents processus biologiques liés au cycle de vie des adventices.

Dans un même temps, les activités liées au maintien et au renouvellement de cette collection de semences permettent de préserver une expertise botanique et biologique sur les mauvaises herbes des champs. Même si de nouvelles techniques pourraient être amenées à se développer pour mieux connaître la diversité des semences adventices et faciliter l'estimation des quantités de semences dans les sols (par exemple, techniques basées sur l'analyse de l'ADN contenu dans les sols), le maintien d'un savoir botanique au niveau des semences (et aussi des plantules et des plantes adultes) restera indispensable pour alimenter la connaissance des adventices et, ainsi, contribuer à une gestion intégrée et durable des populations adventices.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La dynamique des communautés adventices annuelles est fortement liée à la réserve de semences contenues dans le sol des parcelles cultivées. Le devenir de ces semences dans le sol dépend non seulement du milieu, des pratiques culturales réalisées mais aussi des caractéristiques biologiques de chaque espèce. Mieux connaître cette diversité des semences adventices reste indispensable dans une évaluation des services positifs et négatifs que peut rendre une communauté de mauvaises herbes.

OBJECTIFS - La diversité des semences adventices est importante à connaître pour :

- savoir comment mieux gérer les adventices en limitant le recours aux herbicides de synthèse ;

- mieux comprendre leur rôle dans les chaînes trophiques et ainsi favoriser leur régulation biologique (exemple de la prédation par les carabes) ;

- d'un point de vue méthodologique, faciliter la mise au point de nouvelles méthodes d'estimation du stock semencier dans les sols des parcelles cultivées.

DIVERSITÉ - Cet article illustre la diversité des semences adventices en synthétisant les connaissances acquises sur seize espèces communément trouvées en parcelles de grande culture. Cette diversité s'exprime sur les plans botaniques, écologiques et biologiques, non seulement au niveau interspécifique (variabilité entre espèces) mais aussi au niveau intraspécifique (variabilité entre échantillons d'une même espèce). Cette variabilité intraspécifique, qui reste à ce jour peu explorée, indique qu'il est préférable de caractériser une espèce non pas par une valeur unique pour un caractère donné (par exemple, le poids de mille grains) mais plutôt par une plage de valeurs.

MOTS-CLÉS - Semences adventices, diversité, botanique, biologie, écologie, anémochorie, barochorie, épizoochorie, germination, taux de décroissance.

Des graines dans le secret de la terre

« ...Et en effet, sur la planète du petit prince, il y avait comme sur toutes les planètes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par conséquent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusqu'à ce qu'il prenne fantaisie à l'une d'elles de se réveiller... »

Le Petit Prince - Antoine de Saint-Exupéry (1943)

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : delphine.moreau@inrae.fr

LIEN UTILE : https://www6.dijon.inrae.fr/umragroecologie/Poles-de-Recherches/Gestion-Durable-des-Adventices

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