Symptômes de mildiou (Peronospora belbahrii) sur basilic (Ocimum basilicum). Un mycélium blanc virant rapidement au brun violacé se développe sous la feuille, entraînant un jaunissement transcutané de la feuille évoluant rapidement en une nécrose sectorielle et un jaunissement du reste de la feuille, voire une abscission. Photo : Iteipmai
Basilic en fleur pour la production de semences de la variété en cours de création. Photo : Iteipmai
Fig. 1 : Rendements cumulés pour chacune des variétés évaluées Validation de la sélection. Témoin = variétés dénommées ; variété issue du programme de création variétale = Candidat ; variétés commerciales = Var Comm# ; 'Genovese' apron = traitement Apron XL sur semences. Les lettres sur les histogrammes précisent les groupes statistiques.
En France, le basilic (Ocimum basilicum) est une plante aromatique très appréciée par le consommateur (Encadré 1). De ce fait, cette espèce occupe une place stratégique dans la production industrielle de plantes aromatiques, mais aussi dans la production maraîchère périurbaine et horticole d'aromates en pots. Depuis le début des années 2000, les cultures de basilic en Europe sont attaquées par une maladie d'origine fongique : le mildiou (Peronospora belbahrii).
Des moyens de lutte limités contre le pathogène
Le pathogène responsable du mildiou du basilic, Peronospora belbahrii, provoque des symptômes foliaires qui rendent la plante impropre à la consommation en frais mais aussi à la transformation (surgélation, déshydratation) (photo 1). Cette maladie touche les principales régions de production en France, en Europe et dans le reste du monde et provoque des pertes économiques très importantes.
Le cycle du pathogène est fulgurant : il peut, en l'espace de trois à quatre jours, détruire une culture quand les conditions climatiques sont réunies. Par ailleurs, l'inoculum primaire provient de la semence et les lots sont contaminés à hauteur d'une graine pour 10 000 en moyenne (Garibaldi et al., 2004). Sachant qu'il faut jusqu'à 10 millions de graines pour semer 1 hectare, la pression sanitaire de départ est très forte. Il n'existe, à ce jour, aucun moyen efficace de faire diminuer cette pression sanitaire initiale. Enfin, les traitements phytosanitaires applicables en foliaire sont très limités et ne sont pas suffisamment efficaces pour garantir une protection tout au long de la culture. Pour les productions en agriculture biologique, il n'existe à ce jour aucun produit efficace contre cette maladie.
Objectif : créer un basilic résistant au mildiou
Compte tenu de la biologie du champignon, l'Iteipmai (Institut technique des plantes médicinales, aromatiques et à parfum) a mis en place un programme de création variétale visant à créer une variété réunissant résistance intermédiaire et caractéristiques de marché(1). Plus de 85 % du marché est dominé par le type variétal de basilic Génois-Grand Vert et même 99 % pour le surgelé. À ce jour, aucune variété de type Génois-Grand Vert ne présente de résistance intermédiaire ou de résistance au mildiou du basilic. L'objectif est donc de créer une variété synthétique de basilic de type Génois-Grand Vert résistant intermédiaire au mildiou (photo 2).
Ce programme d'amélioration génétique a été séquencé en plusieurs étapes et a nécessité la mise au point d'outils spécifiques pour être mené à bien (voir encadrés) avant d'aboutir à la production des semences de la variété candidate.
Un programme d'amélioration en plusieurs étapes
Géniteurs intéressants pour leur résistance intermédiaire au mildiou
De manière à identifier des individus intéressants pour leur résistance intermédiaire au mildiou, une sélection d'individus d'intérêt a été réalisée sur les 250 individus de la collection d'Ocimum du CNPMAI(2). Pour rester proche de l'objectif variétal, grâce aux descriptions disponibles de chacune des accessions, un premier filtre a permis de ne garder que les accessions de l'espèce Ocimum basilicum. Ensuite, un semis suivi d'un repiquage au champ dans une zone favorable au développement du mildiou du basilic (plaine de Montélimar - Drôme)a permis de repérer les individus les plus tolérants au mildiou. Ce processus a permis de choisir, en une saison, douze accessions tolérantes au mildiou du basilic. Un polycross de ces présélections, permettant un premier brassage génétique, a été réalisée. Les douze lignées maternelles obtenues ont ensuite été évaluées en plein champ sur la base de leur comportement vis-à-vis du mildiou sous condition de pression naturelle. Durant toute la suite du programme de création, ces douze lignées seront nommées « familles » et conservées le plus longtemps possible afin de garder le maximum de diversité génétique du point de vue des résistances intermédiaires au mildiou. Les cinquante individus les plus tolérants répartis sur toutes les familles ont été retenus. Ces cinquante individus sont les premiers géniteurs mâles du programme. À ce stade, les individus sélectionnés sont très éloignés du type Génois-Grand Vert. En effet, certains présentent des feuilles de petite taille, d'autres sont riches en anthocyanes (type basilic pourpre) ou encore d'un port différent de l'objectif de sélection.
L'objectif étant d'intégrer ces résistances intermédiaires dans une variété de type Génois-Grand Vert, un génotype commercial élite présentant toutes les caractéristiques du profil recherché sans la résistance intermédiaire mildiou a été choisi avec l'aide des professionnels de la filière : la variété 'Marian'. Cette variété a été utilisée comme parent femelle à la fois pour les croisements et les rétrocroisements.
Croisements successifs sur trois ans
De manière à incorporer les résistances intermédiaires identifiées, un croisement (Encadré 3) entre les plantes sélectionnées au champ (mâles) puis rempotées et des plantes en pot de la variété 'Marian' (femelles) uniquement cultivées sous serre et visuellement indemnes de mildiou a été réalisé sous serre, en automne. Les descendants obtenus ont été semés en pépinière, étiquetés individuellement et regroupés par famille avant d'être repiqués en plein champ au mois de mai. En parallèle, des témoins ('Marian') ont été cultivés et repiqués de la même façon. Aucun traitement phytosanitaire n'a été réalisé et les plants sensibles (descendants et témoins) ont rapidement été éliminés pour cause de manque de tolérance. Sur les 1 200 plantes évaluées, 54 % du matériel présentait une résistance élevée au mildiou et 22 % une résistance intermédiaire avec de fortes variations entre les familles. En parallèle, les individus les plus différents morphologiquement ont été éliminés également (anthocyanes en particulier). Finalement, cinquante individus répartis sur les douze familles initiales ont été sélectionnés et transplantés pour un nouveau croisement contrôlé.
Ce premier rétrocroisement a permis de croiser des plants de la variété 'Marian' (femelle) avec les nouveaux géniteurs mâles sélectionnés. Les graines obtenues ont ensuite été semées en plaque et identifiées par croisement et par famille. Les descendants obtenus ont été inoculés artificiellement (Encadré 4) permettant d'éliminer 77 % des individus observés morts ou trop sensibles. Là encore, une forte hétérogénéité a été observée en fonction des familles. Les 804 individus jugés tolérants ont ensuite été repiqués en plein champ en mai et cultivés sans protection fongicide. Les observations morphologiques estivales ont permis de supprimer les deux tiers des individus. Si la pression naturelle de contamination mildiou a détruit tous les plants de 'Marian', la sélection du plan sélectionné s'est principalement faite sur des critères morphologiques (principalement sur les anthocyanes et la taille des feuilles). Cinquante individus répartis sur toutes les familles ont ensuite été sélectionnés pour un nouveau rétrocroisement.
Le second rétrocroisement entre des plantes de la variété 'Marian' (femelle) et les géniteurs mâles sélectionnés ont permis d'obtenir des graines qui ont été testées de la même façon que lors du premier rétrocroisement, permettant l'élimination de 75 % des individus avant repiquage au champ. À ce stade, les individus sont statistiquement similaires à 'Marian' à 87,5 % et tolérants au mildiou. Des apex des 796 individus repiqués ont été prélevés et génotypés. Cette sélection assistée par marqueurs (Encadré 5) a permis de ne conserver que 36 % des effectifs qui ont montré un profil génétique 100 % similaire à 'Marian' pour les marqueurs moléculaires testés. Des observations complémentaires (taille de feuilles, gaufrures de feuilles, éventuelles anthocyanes, éventuelles traces de mildiou...) ont également permis de réduire encore ce nombre, mais ce sont les évaluations gustatives qui ont permis de sélectionner fortement les individus les plus intéressants. En effet, si en fin d'évaluation des descendants issus du second rétrocroisement, la plupart des plantes semblaient morphologiquement de type Génois-Grand Vert, il n'en était pas de même avec leurs qualités organoleptiques. De nombreux individus présentaient des goûts non conformes de type anisé, piquant, cannelle ou chewing-gum. Finalement, ce sont huit individus sur huit familles différentes qui ont été sélectionnés.
Fixation et sélection participative des parents sur deux ans
Les huit individus sélectionnées ont des génotypes, des phénotypes et des goûts très proches de 'Marian', tout en étant beaucoup plus tolérants au mildiou. Malgré tout, compte tenu du croisement qui a permis de les créer ('Marian' sensible x Sélection résistante intermédiaire), ces individus hétérozygotes sont susceptibles de conserver une part de sensibilité issue du patrimoine génétique du parent femelle qui pourrait s'exprimer à la faveur de nouveaux croisements. Afin de stabiliser cette résistance intermédiaire, les huit individus sélectionnés ont été autofécondés. Les descendants de ces autofécondations ont été inoculés artificiellement pour éliminer les plus sensibles puis repiqués au champ. Des observations morphologiques et une sélection gustative participative avec des professionnels de l'industrie du basilic impliqués dans le programme ont permis d'éliminer une famille et de sélectionner 51 plants répartis sur toutes les familles restantes. Ces sélections ont été bouturées pour être multipliées in vitro d'une part et autofécondées d'autre part. Cette seconde autofécondation avait pour but d'évaluer la capacité de chaque plant sélectionné à transmettre sa résistance intermédiaire au mildiou à sa descendance. Chaque descendance en autofécondation a été semée puis évaluée pour sa résistance intermédiaire au mildiou après inoculation afin d'identifier les meilleurs parents potentiels conservés in vitro. Puis, une nouvelle session de dégustation participative a permis de sélectionner les huit individus élites qui ont ensuite été multipliés à partir des boutures in vitro puis repiqués sous serre insectproof et interfécondés à l'aide de bourdons pour produire les semences de base de la variété candidate. Ces semences de base ont ensuite été multipliées pour produire des semences en volume plus important de la variété candidate. Ces semences seront récoltées en automne 2020 et seront envoyées chez les partenaires privés du projet pour une validation en conditions de production.
Évaluation et validation des travaux de sélection
En 2007, l'Iteipmai a réalisé des travaux visant à comparer, sur leur sensibilité au mildiou, dix-sept variétés de basilic disponibles sur le marché et proches du standard de production le plus cultivé : le type Grand Vert. Toutes les variétés du type Grand Vert testées ont montré une grande sensibilité à ce pathogène. Une étude américaine menée en 2010 confirme ces observations. Les cultivars américains ainsi que les cultivars plébiscités en Europe comme 'Genovese' ou 'Italian Large Leaf' figurent parmi les plus sensibles au mildiou. En résumé, aucune variété commerciale de basilic de type Grand Vert résistante au mildiou n'était disponible sur le marché au moment du lancement du programme. De nouvelles variétés sont récemment apparues sur le marché, certaines présentant une plus ou moins forte résistance intermédiaire au mildiou du basilic.
De manière à valider ses travaux de sélection, l'Iteipmai a mis en culture en 2019 certaines de ces nouvelles variétés, une population intermédiaire issue du programme de création (produite par interfécondation des premiers autofécondats non épurés non sélectionnés et, en conséquence, très proches des semences de base de la variété candidate) et des témoins sensibles. Cette comparaison variétale a été menée en bloc de Fisher en trois répétitions sans aucun traitement fongicide en culture. Des observations et des notations ont été réalisées tout au long de la saison tant sur l'aspect résistance intermédiaire variétale au mildiou du basilic que sur la similitude au type Génois-Grand Vert (morphologie et goût). La productivité a également été analysée. L'ensemble de ces données a été traité statistiquement et couplé à une sélection participative. Les résultats valident l'intérêt de la variété candidate (Figure 1) (tableau sur www.phytoma-ldv.com). Ils confirment sa forte résistance intermédiaire au mildiou, sa conformité au type Génois-Grand Vert tant du point de vue morphologique que du point de vue organoleptique. Ils confirment également sa productivité.
La variété candidate semble donc répondre aux exigences de départ. Les essais producteurs qui seront menés à partir de 2021 permettront de valider son intérêt et d'envisager un développement commercial. Ces travaux s'inscrivent dans des travaux collaboratifs plus larges(1) qui visent à appréhender la lutte contre le mildiou du basilic par des approches multifactorielles mêlant génétique, interactions plantes/pathogènes, aspects phytosanitaires et systémiques.
(1) Les travaux Milarom, Basimil et Selarom sont à la base de ce programme de création variétale. Ces travaux sont des projets collaboratifs visant à trouver des solutions multifactorielles de la lutte contre le mildiou du basilic. Pilotés par l'Iteipmai, ils regroupent plusieurs acteurs techniques : Végénov, Geves, Astredhor, Arvalis, BHR, Fredon Centre et plusieurs partenaires privés : Ardo, Bioplants, Daregal, Herbes de Meaux, Méchinaud, Plantes aromatiques du Diois. Ils ont reçu le concours financier des régions Pays de la Loire, Auvergne-Rhône-Alpes et du ministère de l'Agriculture. Ces travaux ont été lauréat au concours ITA'Innov 2019. (2) Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Les professionnels de la filière basilic font face à un problème majeur : le mildiou du basilic.
Pour apporter une solution génétique à cette maladie, l'Iteipmai, institut technique des plantes médicinales, aromatiques et à parfum, a mis en place un programme de création variétale (Milarom 2014-2017 ; Basimil 2017-2020 ; Selarom 2019-2021) visant à concevoir une variété de type Génois-Grand Vert tolérante au mildiou.
ÉTUDE - Grâce à la mise au point de méthodes spécifiques d'inoculation artificielle, de croisements contrôlés et de génotypage, et à la suite d'un criblage d'accessions sauvages, de croisements suivis de rétrocroisements puis d'autofécondations, une variété candidate a pu être évaluée et a confirmé son intérêt.
Produite en plus gros volume, elle sera expérimentée chez les producteurs afin de confirmer ses atouts à partir de 2021.
MOTS-CLÉS - Ocimum basilicum, Peronospora belbahrii, création variétale.
1 - La culture du basilic en France
La culture du basilic de plein champ ou sous abri (photos), à destination de l'industrie agroalimentaire représente près de 250 ha en France (600 ha en Europe). Les chiffres d'affaires estimés à la production sont de 10 à 20 millions d'euros pour le basilic à destination de la surgélation et de 7 à 9 millions pour le marché du frais. Les cultures de plein champ représentent donc un chiffre d'affaires total d'au moins 20 millions d'euros. Un autre secteur est actuellement en plein essor : le secteur horticole des plantes aromatiques en pots à destination du grand public. Cette espèce représente à elle seule plus de 15 % des ventes de la jardinerie d'amateurs, ce qui équivaut à un chiffre d'affaires estimé autour de 8 à 10 millions d'euros.
2 - Basilic : botanique et biologie
Le basilic est une plante herbacée originaire d'Asie méridionale appartenant à la famille des lamiacées (Lamiaceae). Cette plante annuelle nécessite des températures supérieures à 10 °C pour être cultivée. La plante fleurit de juin à juillet et peut être récoltée jusqu'en octobre. La floraison donne de longs épis de fleurs odorantes, blanches, rosées ou violacées, regroupées en verticilles par quatre, cinq ou six. L'appareil reproducteur comporte quatre étamines séparées par leurs tailles (deux grandes et deux petites) et un style situé au bas de l'ovaire. Les parties mâle et femelle étant au sein d'une même inflorescence, le basilic est sujet à l'autofécondation dès l'ouverture des anthères qui a lieu juste avant l'ouverture des pétales. Le fruit est tétrakène donnant des graines noires, dures, luisantes et finement réticulées.
Les variétés de basilic de type Génois-Grand Vert sont principalement cultivées pour leurs feuilles aromatiques. Ces variétés sont bien ramifiées et peuvent atteindre 70 à 80 cm de haut et sont pourvues de nombreuses feuilles opposées et pétiolées de 3 à 4 cm de long sur 2 cm de large.
3 - Bien connaître la biologie florale
Afin d'assurer l'interfécondation entre les individus pour leur critère d'intérêt, il a été nécessaire de mettre au point une méthode de croisement contrôlé. Une étude de la biologie florale du basilic a permis de déterminer les stades optimaux de castration et de pollinisation (maturité des anthères et du pollen, réceptivité du pistil, maturation des graines...) afin de garantir ce croisement.
4 - Méthode d'inoculation artificielle du mildiou sur basilic
La méthode d'inoculation artificielle du mildiou sur basilic a été mise au point par le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (Geves), elle permet à la fois de conserver in vivo les différentes souches de mildiou, et de tester les variétés et descendants pour leur résistance intermédiaire au mildiou. Pour cela, une dizaine de feuilles de basilic présentant des sporanges de Peronospora belbahrii sont prélevées. Les feuilles contaminées sont ensuite plongées dans une solution aqueuse permettant de récuprer un inoculum. La solution d'inoculum est ensuite récupérée et sa concentration est ajustée à 4,104 sporanges/ml. Cette opération est répétée sur trois souches différentes (sélectionnées sur leur pathogénicité à la suite d'une prospection sur des parcelles de production françaises) qui sont ensuite mélangées afin de constituer un cocktail. L'inoculation se fait par aspersion de l'inoculum sur la surface des feuilles de basilic au stade 2e étage foliaire. Les basilics sont ensuite placés à l'obscurité pendant 24 heures, avant d'être mis sous conditions semi contrôlées : T °C <2248_18> 20 °C, HR <2248_19> 80 %. Les symptômes sont lus 21 jours après inoculation.