Punaise prédatrice Deraeocoris ruber, famille des Miridae. Vignette haut de page : concombre - Photos : F. Marque
Les spinosynes sont à la base de divers produits utilisés pour lutter contre différents insectes ravageurs (thrips, mouches, chenilles phytophages, ravageurs du sol...) sur cultures légumières et fruitières, arbres et arbustes, vigne, cultures florales, maïs... Ces substances actives présentent des effets non intentionnels sur les auxiliaires qu'il est primordial de connaître afin de les utiliser de manière optimale dans les stratégies de protection biologique intégrée (PBI).
Étude de l'impact des spinosynes en lutte intégrée
Mélanges de toxines de bactérie
Le spinosad et le spinétorame appartiennent tous deux au groupe 5 de la classification de l'Insecticide Resistance Action Committee IRAC (modulateurs allostériques du récepteur nicotinique de l'acétylcholine (nAChR)). Ils sont produits par fermentation de la bactérie Saccharopolyspora spinosa, naturellement présente dans le sol.
Le spinosad est un mélange de deux toxines secrétées par la bactérie : les spinosynes A et D. Les produits à base de spinosad sont homologués pour une utilisation en agriculture biologique et agriculture conventionnelle, et existent sur le marché depuis plusieurs années.
Le spinétorame contient un mélange de spinosynes J et L. Cette substance a été récemment introduite en Europe. Elle est à la base de produits utilisés pour lutter contre de nombreux ravageurs économiquement importants en arboriculture, comme le psylle du poirier, différentes espèces de thrips, le carpocapse de la pomme, les mineuses des feuilles et d'autres espèces de chenilles, sur vigne, comme les tordeuses de la grappe, pyrale et Cryptoblabes, et en cultures légumières (plein champ et sous abri).
Dans les nombreuses cultures où le spinosad ou le spinétorame sont utilisés, les agents de lutte biologique sont utilisés, ou les populations auxiliaires indigènes sont favorisées pour compléter le contrôle des ravageurs dans les programmes de lutte intégrée. Par conséquent, il est très important de connaître la toxicité de ces spinosynes sur les organismes utiles.
Évaluer les toxicités en conditions contrôlées et dans la pratique
Les effets des pesticides peuvent être directs ou indirects (effets sublétaux) et les arthropodes utiles peuvent y être exposés par différentes voies (contact ou ingestion, sur résidus de pulvérisation frais ou vieillis). La sélectivité d'un pesticide dépend non seulement de sa toxicité physiologique ou intrinsèque, mais aussi de ce qu'on appelle sa « toxicité écologique d'exposition » qui, dépend de nombreux facteurs tels que la dose, le type d'exposition et la durée ou la fréquence de l'exposition. La sélectivité physiologique est généralement vérifiée par des tests en laboratoire, tandis que des essais « semi-field » (au champ en conditions contrôlées) peuvent aider à évaluer la « toxicité écologique de l'exposition ». De cette manière, l'utilisation du spinosad, du spinétorame ou de tout autre pesticide peut être adaptée, si nécessaire, pour s'insérer dans les programmes de lutte intégrée contre les ravageurs et dans le cadre des bonnes pratiques agricoles.
Cet article synthétise les résultats de plusieurs études « semi-field » destinées à évaluer les effets non intentionnels du spinosad et du spinétorame sur une gamme d'arthropodes utiles. L'objectif est double : dresser un profil des deux substances concernant leurs effets sur les organismes auxiliaires ; faciliter et mieux appréhender leur utilisation dans les programmes de lutte intégrée, en choisissant le moment et le type d'application permettant de minimiser tout impact potentiel sur les arthropodes utiles, tout en contrôlant le ou les ravageurs clés.
Méthodes et résultats
Des tests sur des populations d'auxiliaires en place
IPM Impact (Belgique) a mené des études « semi-field » sous serre pour évaluer la compatibilité du spinosad et du spinétorame. Plusieurs espèces d'arthropodes utiles appartenant à différentes familles ont été testées, notamment les Phytoseiidae, les Macrochelidae, les Anthocoridae, les Coccinellidae, les Staphylinidae, les Aphelinidae, les Eulophidae, les Braconidae, les Syrphidae, les Forficulidae et les Miridae. En général, la majorité des études sur les effets non intentionnels sont effectuées à l'échelle du laboratoire selon des méthodes d'essai développées par le groupe de travail de l'Organisation internationale de lutte biologique et intégrée (OILB) « Pesticides et organismes utiles ». Dans le cadre de ces méthodes d'essai, les auxiliaires sont libérés sur des résidus frais du produit testé (Sterk et al., 1999). Cependant, dans la pratique, cela a parfois conduit à de faux négatifs. Par exemple, alors que les résultats d'essais réalisés selon le protocole OILB suggéraient un effet faible voire nul, certains produits se sont révélés en pratique assez toxiques, voire très toxiques. L'inverse s'est aussi parfois produit : des produits qui s'étaient avérés toxiques en laboratoire n'avaient pratiquement aucun effet sur le terrain. C'est pourquoi IPM Impact a développé de nouvelles méthodes de test, appliquant le produit directement sur des populations établies, et donc dans des conditions beaucoup plus proches de celles du terrain. Les populations ont des effectifs suffisamment élevés, ce qui assure une bonne distribution au sein de la culture et, selon la biologie de l'auxiliaire, les différents stades, voire différentes formes et/ou différentes générations, sont présents (par exemple : adultes mais aussi momies parasitées abritant la larve en développement). Dans le cas des études de la persistance de l'effet résiduel, des auxiliaires ont été libérés sur des résidus de pesticides d'âges différents, selon les protocoles de OILB (Sterk et Kolokytha, 2015 ; Kolokytha et Sterk, 2017a, b).
Différentes méthodes d'expérimentation
Les études sur les populations établies ont utilisé différentes méthodes « semi-field » selon les espèces testées (Tableau 1 page suivante). Pour les essais spinosad, c'est le produit commercial Tracer 480 SC, contenant 48 % de matière active qui a été testé (= Success 4). Dans la plupart des tests spinétorame, c'est la formulation liquide SC d'Exalt contenant 2,5 % d'ingrédient actif qui a été expérimentée, ainsi que la formulation à 25 % de granulés dispersables (WG) Delegate dans certains essais comparatifs. Le volume d'eau par application équivalait à 1 000 l/ha. La méthode suivie dans la plupart des études « spinosad » est comparable à la méthode OILB sur les résidus secs, et les applications ont été réalisées sur des populations d'auxiliaires déjà établies. Pour le spinétorame, les études sont basées sur les pratiques agricoles et horticoles courantes, les traitements pesticides étant généralement appliqués sur la population existante d'auxiliaires. Le pourcentage estimé de mortalité des prédateurs et la réduction des éclosions ou du parasitisme ont été classés selon les classes OILB pour les essais « semi-field » : 1 = neutre (moins 25 %), 2 = faiblement toxique (26-50 %), 3 = modérément toxique (51-75 %), 4 = toxique (> 75 %).
Des conditions pour limiter les effets secondaires
Impact des spinosynes sur les acariens prédateurs
Le spinosad s'avère toxique pour les acariens prédateurs phytoséiides Neoseiulus (Amblyseius) californicus, A. montdorensis, A. swirskii et Phytoseiulus persimilis lorsqu'il est pulvérisé sur la population en place, selon le protocole de l'OILB, mais la persistance de la toxicité est courte, comme le montrent les essais résiduels. Par ailleurs, les effets toxiques à 3-13 jours varient selon les doses testées sur la population établie. Enfin, l'effet du spinosad diminue lorsque le mode d'apport d'A. swirskii se fait via un système d'élevage (Tableau 1).
Lorsque le spinétorame est appliqué sur une population établie, aux doses testées, il en résulte une mortalité élevée, mais là encore une courte persistance des effets indésirables est enregistrée. Le spinétorame s'avère modérément toxique (classe 2) sur l'acarien prédateur Macrocheles robustulus, avec une courte persistance des deux produits testés. Si on applique directement sur une population établie hors un système d'élevage(1) ou qu'on réalise un lâcher, juste avant ou juste après une application, il devrait effectivement être déconseillé d'appliquer dans ces conditions. Ce qui amène à faire des préconisations en termes de délais après application avant un lâcher.
Lorsqu'un système d'élevage est utilisé, ce qui est une pratique répandue pour les acariens prédateurs généralistes tels que Amblyseius spp. dans les serres, la population peut se rétablir peu de temps après le traitement, avec moins d'impact du spinosad par rapport au spinétorame. Il est recommandé d'attendre un jour pour le spinosad ou sept jours pour le spinétorame afin que le résidu de pulvérisation sèche avant de lâcher les acariens prédateurs sur les feuilles. L'application de spinosad ou de spinétorame minimise le nombre de thrips ravageurs, au bénéfice du rapport prédateur/proie (nombre d'acariens prédateurs par rapport au nombre d'insectes ravageurs), permettant aux auxiliaires survivants tels que A. swirskii ou A. montdorensis de lutter contre les ravageurs restants.
Impact des spinosynes sur les punaises prédatrices
Les effets des deux substances sur les insectes prédateurs varient de neutres à toxiques, les effets sur la plupart des espèces étant évalués de faiblement à modérément toxiques. Ces effets sont de courte durée, comme observé dans tous les essais résiduels. Concernant Orius laevigatus, le spinosad est modérément toxique à toxique (classes OILB 3 à 4) pour les stades mobiles lorsqu'il est appliqué sur une population établie, mais la toxicité diminue après un court laps de temps. Le spinétorame présente la même tendance sur O. laevigatus. Ces résultats conduisent à déconseiller d'appliquer le spinosad ou le spinétorame au moment des lâchers d'O. laevigatus ou directement sur une population établie. La recommandation est d'attendre un jour pour spinosad ou sept jours pour spinétorame afin que le résidu de pulvérisation sèche avant de réaliser un lâcher de ce prédateur. Le spinétorame est caractérisé comme faiblement toxique pour Nesidiocoris tenuis et Macrolophus caliginosus lorsqu'il est appliqué sur des populations établies. Il est donc possible d'appliquer un traitement à base de spinosad ou de spinétorame sur des populations établies de ces auxiliaires.
Autres prédateurs, diptères et guêpes parasites
Concernant les autres insectes prédateurs testés, le spinétorame s'avère moyennement toxique sur les larves de Delphastus catalinae et Feltiella acarisuga. Un intervalle « de sécurité » de deux semaines entre l'application de spinétorame et la libération de ces deux auxiliaires doit être respecté. Exalt est qualifié de faiblement toxique, tandis que Delegate est neutre pour les larves d'Episyrphus balteatus après trois applications consécutives : le spinétorame est donc compatible avec ces syrphidés. Exalt est faiblement toxique pour les stades mobiles du perce-oreille Forficula auricularia, lorsqu'il est appliqué sur population existante. Lorsque le produit est appliqué sur les adultes du parasitoïde de l'aleurode Eretmocerus eremicus, la toxicité disparaît en deux semaines. Aucun effet n'a été observé lors de l'application d'Exalt sur les larves d'E. eremicus, car elles sont bien protégées à l'intérieur des larves (en forme d'écaille) des aleurodes. De même, lorsque le produit est appliqué sur les larves d'Encarsia formosa, également protégées à l'intérieur des larves (en forme d'écaille) des aleurodes, il n'y a pratiquement pas de réduction des émergences des adultes, et la persistance de la toxicité est plutôt courte.
Le spinosad provoque une diminution modérée du parasitisme d'E. formosa même lorsque les adultes sont relâchés sur résidus secs. Le spinétorame n'a aucun effet sur les momies d'Aphidius colemani. Seule une légère réduction du taux de parasitisme des adultes est observée ; la persistance du spinétorame est faible deux semaines après l'application. Le spinosad a également une courte persistance et provoque une légère diminution du taux de parasitisme d'A. colemani, même lorsque les adultes sont relâchés sur résidus secs. Exalt est toxique sur les adultes du parasitoïde Diglyphus isaea de la mouche mineuse. Aucune diminution n'est observée sur le taux de parasitisme de Trichogramma evanescens libéré sur des résidus de spinétorame âgés de 14 jours.
Les guêpes parasitoïdes adultes se révèlent donc très sensibles au spinosad et au spinétorame. Toutefois, les essais sur résidus vieillis indiquent une courte persistance des effets. Par ailleurs, aucun effet du spinétorame n'est observé sur les stades de vie protégés des parasitoïdes, tels que les larves d'aleurodes parasitées (stades écailles jaunes ou noires) ou les momies de pucerons. Par conséquent, le spinosad et le spinétorame sont considérés comme neutres pour les larves de parasitoïdes, cachées et se nourrissant sur leurs hôtes. De manière générale, le délai d'attente entre l'application et des lâchers de parasitoïdes doit être de deux semaines. Le Tableau 2 est destiné à aider à une gestion des spinosynes compatible avec les auxiliaires.
Dans l'ensemble, ces résultats indiquent la compatibilité du spinosad et du spinétorame avec les programmes de protection intégrée dans les serres, en respectant un délai de quelques jours entre l'introduction de certaines espèces d'auxiliaires et l'application par pulvérisation. Les auxiliaires sont susceptibles de récupérer rapidement après l'application de produits phytopharmaceutiques à base de ces substances. Dans les essais, les réponses des organismes utiles n'ont présenté aucune différence significative entre la formulation WG et la formulation SC du spinétorame.
RÉSUMÉ
ÉTUDE - Des études dans des serres ont été menées pour évaluer la compatibilité et les effets non intentionnels de produits à base de spinosad (Success 4 ou Tracer 480 SC) et à base de spinétorame (Exalt ou Delegate) dans les programmes de lutte intégrée utilisant des arthropodes utiles.
RÉSULTATS - Le spinosad et le spinétorame présentent des effets variables sur une gamme d'insectes et d'acariens auxiliaires, de neutres à faiblement toxiques, voire toxiques. Les deux substances ont un impact négatif sur certaines espèces d'acariens prédateurs et s'avèrent généralement toxiques pour les parasitoïdes adultes. Toutefois, la persistance de ces effets est courte.
Par ailleurs, les deux substances n'ont présenté aucun ou peu d'effet sur les larves de parasitoïdes, bien cachées et protégées au sein de leur hôte. L'utilisation de produits à base de ces substances actives est possible dans les programmes de lutte intégrée, à condition de respecter certaines précautions (délai d'introduction des auxiliaires après application, etc.).
MOTS-CLÉS - Spinosynes, spinosad, spinétorame, auxiliaires, effets non intentionnels, lutte intégrée, acariens prédateurs, parasitoïdes.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : severine.jeanneau@corteva.com
BIBLIOGRAPHIE : - Fernández M. M., Medina P., Fereres A., Smagghe G., 2015, Are Mummies and Adults of Eretmocerus mundus (Hymenoptera:Aphelinidae) Compatible with Modern Insecticides? Journal of Economic Entomology 1-10 (2015); DOI: 10.1093/jee/tov181.
- Kolokytha P. and Sterk G. 2017a, Side effects of orange oil extract Prev-Am on beneficial agents, Pesticides and Beneficial Organisms IOBC-WPRS Bulletin Vol. 125, 2017, p. 10-14.
- Kolokytha P. and Sterk G. 2017b, Side effects of Flipper/Relevant (carboxyl acid potassium salts) on beneficial agents, Pesticides and Beneficial Organisms IOBC-WPRS Bulletin Vol. 125, 2017, p. 36-40.
- Sterk G., Hassan S.A., Baillod M., Bakker F., Bigler F., Blümel S., Bogenschütz H., Boller E., Bromand B., Brun J., Calis J.N.M., Coremans-Pelseneer J., Duso C., Garrido A., Grove A., Heimbach U., Hokkanen H., Jacas J., Lewis G., Moreth L., Polgar L. Rovesti L., Samsoe-Petersen L., Sauphanor B., Schaub L., Stäubli A., Tuset J.J., Vainiao A., Van de Veire M., Viggiani G., Vinuela E. and Vogt H. (1999), Results of the seventh joint pesticide testing programme of the IOBC/WPRS working group « Pesticides and Beneficial Organisms », Biocontrol 44, 99-117.
- Sterk G. and Kolokytha P. (2015), New insights of side-effects of tau-fluvalinate on biological agents and pollinators, Communications in Agricultural and Applied Biological Sciences Ghent University Vol: 80 (2) p. 65-70.
Wanumen A. C., Carvalho G. A., Medina P., Viñuela E., Adan A. (2016), Residual Acute Toxicity of Some Modern InsecticidesToward Two Mirid Predators of Tomato Pests, Journal of Economic Entomology, 2016, 1-7. doi: 10.1093/jee/tow059.