Retour

imprimer l'article Imprimer

Gestion des ravageurs

Mouche du brou : piégeage dans les noyeraies

KEVIN DE COZAR*, AUDREY MIRASSOU** ET JOHANN FOURNIL*** *Responsable R&D Biocontrôle M2i. **Synthèse & formulation phéromones M2i. ***Directeur Partenariats M2i. - Phytoma - n°739 - décembre 2020 - page 11

L'identification d'une phéromone spécifique de Rhagoletis completa permet d'envisager une amélioration du monitoring du ravageur et de la lutte biologique par piégeage de masse.
La mouche du brou est un diptère observé en France dès 2007. Photo : SENuRA

La mouche du brou est un diptère observé en France dès 2007. Photo : SENuRA

Fig. 1 : Cycle de développement de la mouche du brou Rhagoletis completa      En France, il y a une seule génération.       Source : UC Davis, adaptation : A. Quincieux et A. Fons - CTIFL. Photos : SENuRA Source : UC Davis, adaptation : A. Quincieux et A. Fons - CTIFL. Photos : SENuRA

Fig. 1 : Cycle de développement de la mouche du brou Rhagoletis completa En France, il y a une seule génération. Source : UC Davis, adaptation : A. Quincieux et A. Fons - CTIFL. Photos : SENuRA Source : UC Davis, adaptation : A. Quincieux et A. Fons - CTIFL. Photos : SENuRA

Exemples de dispositifs de piégeage.       2. Diffuseur de phéromone (petite coupelle) fixé sur un piège chromatique (plaque jaune engluée).       3. DrosoTrap.       4. Piège McPhail. Photos : M2i

Exemples de dispositifs de piégeage. 2. Diffuseur de phéromone (petite coupelle) fixé sur un piège chromatique (plaque jaune engluée). 3. DrosoTrap. 4. Piège McPhail. Photos : M2i

Fig. 2 : Moyennes des piégeages de Rhagoletis completa au cours de la saison 2019 (plaques engluées avec phéromone vs plaque engluée sans attractant M6)

Fig. 2 : Moyennes des piégeages de Rhagoletis completa au cours de la saison 2019 (plaques engluées avec phéromone vs plaque engluée sans attractant M6)

Fig. 3 : Moyennes des piégeages de Rhagoletis completa au cours de la saison 2019 (DrosoTrap et pièges McPhail avec phéromone vs plaque engluée sans attractant)

Fig. 3 : Moyennes des piégeages de Rhagoletis completa au cours de la saison 2019 (DrosoTrap et pièges McPhail avec phéromone vs plaque engluée sans attractant)

Les larves de Rhagoletis completa (Diptera : Tephritidae) se développent dans le brou de la noix et peuvent occasionner des dégâts très importants dans les vergers en l'absence de mesures de contrôle. La diminution des solutions chimiques disponibles rend nécessaire la mise au point de méthodes alternatives de lutte.

Un ravageur dommageable pour le rendement des noyeraies

Une identification en France en 2007

La mouche du brou, Rhagoletis completa (photo 1), est un diptère originaire du continent nord-américain. En Europe, sa présence a été signalée en Suisse dès 1988 et Italie en 1991 (François V. et al., 2016) avant de s'étendre vers d'autres pays d'Europe centrale et du Sud. En France, la mouche du brou a été observée dès 2007. Ce ravageur des noyers se retrouve dans les bassins de production du quart Sud-Est (ex-région Rhône-Alpes) et dans les noyeraies du Sud-Ouest (ex-régions Aquitaine et Midi-Pyrénées), ces bassins de production représentant environ 22 000 ha de surfaces cultivées en 2019.

Si les dégâts du ravageur ne sont pas préjudiciables pour l'arbre, ils ont un impact sur le rendement (chute des noix en cas d'attaques précoces) ainsi que la qualité des fruits (taches noires sur les coques). La baisse de rendement peut atteindre 80 % (F. Verheggen et al., 2016). Selon C. Duso et al. (2006), 74 à 91 % de la noyeraie peut être touchée et un lien existe entre le pourcentage d'arbres concernés, le poids de la noix et la présence de moisissure sur les coques. Cette perte de poids et l'apparition de moisissure entraînent une dépréciation du prix au moment de la commercialisation.

Un ravageur inféodé au noyer

La plante-hôte est le noyer (Juglans spp.). Les différentes espèces (américaines J. nigra, J. californica et J. hindsii ; européenne J. regia...), cultivées et sauvages (Foote, 1981), sont les seuls végétaux touchés par la mouche du brou. Le ravageur pourrait toutefois, dans certaines conditions, attaquer le pêcher (Prunus persica) (Bush, 1966).

En France, la mouche du brou n'a qu'une seule génération (Figure 1). Elle émerge dès fin juin et jusqu'à la fin du mois d'août. Ces mouches ont une durée de vie de 40 jours et s'accouplent à partir du sixième ou du huitième jour. Les femelles pondent environ une semaine après l'accouplement et produisent entre 300 et 400 oeufs durant leur vie. Elles déposent une poche d'oeufs (ooplaque) par fruit, celle-ci comportant environ quinze oeufs. La femelle marque la noix sur laquelle elle pond via une phéromone. Ce marquage indiquerait la présence d'oeufs à ses congénères. Quatre à sept jours plus tard, les larves éclosent dans les fruits et produisent leurs dégâts. Leur développement dure trois à cinq semaines et s'étale d'août à septembre. Dès fin août (zones les plus précoces), les larves se transforment en pupe et tombent au sol pour hiverner.

Mieux positionner les traitements existants

Les produits de protection contre cette mouche sont limités (phosmet, kaolin, pièges à base de deltaméthrine) en raison de l'interdiction de substances (néonicotinoïdes ; chlorantraniliprole interdit pour l'usage depuis août 2020 avec fin d'utilisation en février 2022). Par ailleurs, le monitoring réalisé avec des pièges « chromatiques » (plaques jaunes engluées suspendues dans le haut des arbres) est couramment utilisé pour connaître la dynamique du ravageur sur les parcelles et tenter de bien positionner les traitements. Cependant, l'absence d'attractant spécifique et efficace rend ce suivi de vol parfois peu précis.

M2i, spécialiste de la lutte biologique par médiateurs chimiques, a travaillé en collaboration avec le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), la Station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes (SENuRA) et l'université de Gembloux (Belgique) dans le cadre d'un projet axé sur les ravageurs de fruits à coque (projet Licorne financé par FranceAgriMer) depuis 2017. À la suite de l'identification de deux lactones par Sarles et al. (2018) comme étant des phéromones émises exclusivement par les mâles et attirant les femelles de R. completa, des essais ont pu mettre en évidence quels actifs et quelles formulations permettaient de capturer le plus de mouches en conditions réelles. Après ce premier screening, M2i a mis au point en 2019 de nouveaux prototypes de diffuseurs contenant la phéromone de la mouche du brou (delta-heptalactone racémique à 90 % de pureté) pour une application en piégeage.

Matériels et méthodes : les dispositifs attractifs à l'essai

L'essai a été mis en place en 2019 sur une parcelle de noyers (Juglans regia) d'environ 3 hectares gracieusement mise à disposition par la station expérimentale de Creysse (Lot). L'expérience a consisté à positionner dès le début du vol de Rhagoletis completa (fin juin) plusieurs pièges espacés au minimum de 15 mètres. Les 15 mètres d'espacement sont recommandés pour éviter les interactions entre chaque piège (en tenant compte de la volatilité des phéromones). Le suivi de l'essai, réalisé en collaboration avec le Comité du noyer du Lot, a consisté en un relevé hebdomadaire du nombre de mouches du brou capturées.

Au total, dix modalités ont été étudiées en 2019 (tableau ci-dessous). Le nombre de répétitions fluctue en cours d'essais selon les modalités car trois modalités (M8, M9, M10) ont été ajoutées à partir du 7 août, or le nombre de pièges total étant limité certains ont été réaffectés à ces nouvelles modalités. L'objectif de ces dernières était de tester de nouvelles doses de substance active par campagne.

Deux formats de diffuseurs contenant la phéromone de la mouche du brou ont été testés : un gel emprisonnant et diffusant progressivement la substance active, et une bouteille à mèche contenant un liquide s'évaporant par élution (capillarité). Plusieurs doses d'heptalactone par diffuseur ont été employées (entre 5 mg et 200 mg pour la saison). À noter que la modalité M7 ne contient pas de phéromone de R. completa mais un attractant supposé « universel » pour les mouches, le NH4 formulé sous la forme d'un gel qui dégage donc de l'ammonium.

De même, plusieurs types de pièges ont été utilisés (photos 2 à 4) : la plaque jaune engluée (40 cm × 25 cm) ; le DrosoTrap jaune, initialement conçu pour piéger Drosophila suzukii, rempli avec de l'eau et dont les petites barres verticales ont été coupées pour agrandir les trous et laisser entrer la mouche du brou (qui est plus grosse que la drosophile asiatique) ; et enfin le piège à mouche dit piège McPhail également rempli avec de l'eau. Parmi l'ensemble des combinaisons possibles « type de piège/type de diffuseur/dose », neuf ont été choisies. Chaque combinaison constitue un prototype testé en comparaison avec le témoin, c'est-à-dire un piège standard classiquement utilisé pour effectuer la surveillance de R. completa (plaque jaune engluée de 40 cm × 25 cm) sans attractant (modalité M6).

Résultats et conditions d'emploi pour le monitoring

Efficacité des panneaux jaunes englués et attractant

Les suivis hebdomadaires de piégeages ont été réalisés jusqu'à la fin du vol de la mouche (début octobre). La Figure 2 montre les tendances observées uniquement pour les modalités avec les plaques jaunes engluées (M1, M2, M6, M8, M9, M10). La Figure 3 présente les captures obtenues avec les autres types de piège (M3, M4, M5, M7, en comparaison avec M6).

Les niveaux de captures du témoin (M6) permettent de confirmer la présence du ravageur sur la parcelle d'étude. Ceci est en phase avec l'historique de la parcelle où des mouches du brou avaient été capturées en 2018 (d'après la station de Creysse qui nous a donné accès à la parcelle).

Les pièges correspondant à l'association plaques engluées et heptalactone (M1, M2, M9, M10) présentent des niveaux de captures supérieurs à ceux du témoin. Cela vaut quelle que soit la dose de phéromone contenue dans le diffuseur. L'heptalactone augmente donc les piégeages de mouche du brou et ce de manière plus efficace avec les doses testées dans les modalités M1 (100 mg) et M9 (deux applications de 100 mg entre le 7 et le 21 août).

L'utilisation de phéromone révèle une dynamique du ravageur sur la parcelle différente de celle révélée par les pièges témoin. Au regard de ces pièges, la pression peut sembler faible ; en revanche, selon les pièges avec phéromone, la pression observée s'avère jusqu'à six fois plus importante (jusqu'à plus de soixante mouches capturées avec M1 contre moins de dix sur le témoin M6).

Faibles taux de captures avec les pièges à eau et attractant

Lorsqu'on compare d'autres pièges (DrosoTrap et McPhail) à la plaque jaune engluée, les captures de mouches du brou sont très faibles et même inférieures au témoin (Figure 3). Les diffuseurs de phéromone, qui ont montré leur efficacité sur plaque jaune engluée, ne permettent pas une efficacité de piégeage satisfaisante quand ils sont utilisés avec des pièges à eau. L'utilisation d'eau, plutôt qu'un insecticide ou de l'eau avec un agent de surface (empêchant un nouvel envol de la mouche), pourrait expliquer les faibles captures des pièges McPhail et DrosoTrap. Les mouches seraient peut-être capables d'en ressortir.

Des doses à affiner

Les résultats de piégeage des prototypes M1, M2, M9 et M10 sont prometteurs pour la gestion de Rhagoletis completa. La dose de 20 mg (M2) montre un niveau de captures intéressant mais en deçà de la modalité M1 à 100 mg. Par ailleurs, bien que les doubles doses (deux fois 100 mg et deux fois 20 mg) n'aient été testées qu'en seconde partie de saison (après le 7 août), elles ne semblent pas permettre une augmentation des captures. La dose la plus efficace semble donc être 100 mg pour assurer un bon niveau de captures sur une durée de 90 jours environ (de fin juin à octobre). La question du relargage journalier de phéromone nécessaire pour attirer efficacement la mouche du brou reste à affiner pour définir la dose totale utile sur une saison. Un juste milieu entre 100 mg et 40 mg pourrait suffire et réduire la quantité nécessaire en substance active par piège dans le cadre du monitoring.

Perspectives

Les diffuseurs utilisés dans le cadre de ces essais sont des prototypes. Un travail de mise au point d'une formulation industrialisable a été réalisé par le laboratoire de M2i en préparation de nouveaux essais au champ mis en place pendant la saison de 2020. Ces nouveaux essais permettront par ailleurs d'affirmer la robustesse d'attractants à base de delta-heptalactone pour R. completa.

L'industrialisation d'un diffuseur de phéromone attractant de la mouche du brou ouvrirait des portes pour de nouvelles méthodes de gestion du nuisible grâce au piégeage. Une surveillance fine de la dynamique du ravageur à l'échelle territoriale serait également possible. Au-delà, une méthode de protection des noyeraies via un système de piégeage massif désormais autorisé en France (instruction technique du ministère de l'Agriculture DGAL/SDQSPV//2020-581 du 22/09/2020) devient envisageable et devrait voir ainsi son déploiement facilité.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Identifiée en France en 2007, la mouche du brou Rhagoletis completa occasionne des pertes de rendement pouvant atteindre 80 % dans les noyeraies. Les moyens chimiques de lutte sont limités.

ÉTUDE - Dans le cadre du projet Licorne (2017-2018) axé sur les ravageurs de fruits à coque, rassemblant le laboratoire M2i, le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), la Station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes (SENuRA) et l'université de Gembloux (Belgique), des phéromones spécifiques ont été identifiées, permettant le développement de dispositifs de piégeage.

RÉSULTATS - En 2019, les essais montrent l'efficacité des pièges englués jaunes associés à une dose de 100 mg de phéromone, ouvrant la voie à une solution de lutte biologique par piégeage de masse et l'amélioration du monitoring pour mieux positionner les traitements.

MOTS-CLÉS - Mouche du brou, Rhagoletis completa, noyer, Juglans spp., piégeage, phéromone.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : johann.fournil@m2i-lifesciences.com

LIENS UTILES : https://tinyurl.com/y4pwlmgx

https://fredoncorse.com ; https://tinyurl.com/yyoyugks

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :