Fig. 1 : Pourcentage moyen d'expression des symptômes foliaires de l'esca par an et par cépage Total = moyenne des parcelles de cabernet-sauvignon (CS) et de mourvèdre (M). Les analyses ont été menées par an et par cépage. Les différentes lettres au-dessus des barres indiquent les différences significatives entre les graphes (à P moins que 0,05).
Esca en français, escha en italien, yesca en espagnol, Iska en grec, black measles en anglais... Ce syndrome intercontinental se plaît à brouiller les pistes sur ses caractéristiques et son développement. Néanmoins, la recherche avance et une étude récente de l'impact du type de greffe sur l'expression de ses symptômes foliaires vient placer une nouvelle pièce dans le puzzle complexe de la compréhension de cette maladie. Les pieds greffés sur place, en fente pleine, sont plus résistants.
Un syndrome complexe aux multiples facteurs de risque
Parmi les maux qui ravagent les vignobles du monde entier, il en est un qui effraie les viticulteurs depuis le temps des tout premiers vins : l'esca. Ce syndrome complexe est très étudié tout autour du globe, mais malgré cela, aucun moyen de lutte pleinement satisfaisant n'a encore été trouvé. Toutefois, même si les facteurs biotiques ou abiotiques pouvant favoriser ou freiner son développement sont connus et multiples : choix du porte-greffe, du cépage, système de conduite, type de taille (voir p. 20), âge de la parcelle, contrainte hydrique, type de sol... (Destrac-Irvine A., Laveau C., Goutouly J.-P., Guerin-Dubrana L., 2007), la difficulté à reproduire les symptômes en conditions contrôlées limite les progrès sur la compréhension et la gestion de ce syndrome. La qualité du matériel végétal planté est depuis longtemps suspectée par les viticulteurs d'être l'un des facteurs à l'origine de l'expression de l'esca sur leurs parcelles et certains types de greffe en particulier sont souvent pointés du doigt.
Même si les chercheurs ont depuis longtemps montré que le greffage était bien un facteur de risque infectieux, aucune étude n'avait été menée sur l'impact d'une technique de greffe par rapport à une autre. C'est sans doute ce qui a poussé un groupe de chercheurs de l'université de Bordeaux, de l'Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV), de l'Inrae, et de Bordeaux Sciences Agro, accompagnés par Worldwide Vineyards, à analyser l'impact du type de greffe sur le développement des symptômes foliaires de l'esca (1). À la base de leur étude, des observations des symptômes foliaires pendant deux ans sur des parcelles situées dans deux régions viticoles françaises (le Bordelais et la Provence) et plantées de deux cépages différents, typiques de leur territoire d'implantation et tous deux sensibles à la maladie : le cabernet-sauvignon et le mourvèdre. Ils y ont analysé l'influence de trois types de greffe sur l'expression de ces symptômes : les greffes oméga (omega graft) et anglaise (whip-and-tongue graft) pratiquées par les pépiniéristes sur table et la greffe en fente pleine, effectuée directement sur le porte-greffe à la parcelle (greffage en place, full cleft graft). Afin d'avoir rapidement des premiers résultats, un réseau d'une cinquantaine de parcelles, dont l'année de plantation variait de 1950 à 2000, a été suivi. Ainsi, l'esca, qui met plusieurs années avant d'extérioriser des symptômes foliaires (Encadré 1), pouvait être observé.
Les pieds greffés sur place en fente pleine moins touchés
Sur les deux années de l'étude et pour les deux cépages étudiés, les pieds greffés directement sur le porte-greffe, à la parcelle, en fente pleine, ont beaucoup moins développé les symptômes foliaires de l'esca que ceux greffés en utilisant les deux autres techniques. Ainsi, moins de 1 % des pieds greffés en fente pleine montraient la forme lente de l'esca en 2013 quand plus de 6 % des pieds issus de greffes en oméga et à l'anglaise étaient touchés (Figure 1). En 2014, la différence est encore plus marquée avec toujours moins de 1 % contre plus de 8 % et même plus de 10 %, lorsqu'on considère seulement les plants greffés en oméga. En ce qui concerne la forme apoplectique de la maladie, un effet significatif du type de greffe a également été souligné, avec toujours une moindre expression des plants greffés en fente pleine.
Tout pourrait se jouer dès le plus jeune âge
Pourquoi de telles différences ? Tout pourrait se jouer dès le plus jeune âge de la plante. En effet, des contaminations par des champignons de l'esca ont été mises en évidence maintes fois par les chercheurs, tout au long du processus de reproduction en pépinière (hydratation, ébourgeonnage, cicatrisation, enracinement, etc.)(2). Les vignes greffées sur place évitent toutes ces manipulations sur table. D'autres hypothèses sont avancées, comme la meilleure qualité de la greffe en fente pleine, qui garantit une plus grande surface de contact entre les cambiums du greffon et du porte-greffe, minimisant leur nécrose et favorisant une mise en place optimale du système circulatoire de la sève dans le futur pied. Enfin, cette technique s'opère sur un porte-greffe déjà enraciné, ce qui permet à la plante d'allouer un maximum de ressources à la mise en place de la continuité et de la robustesse de ses nouveaux vaisseaux.
La greffe anglaise
Pas forcément une bonne alternative
Il existe un biais inhérent à la constitution du réseau de parcelles pour l'expérimentation. En effet, la période d'expression maximale de l'esca dans les vignobles se situe entre 15 et 25 ans(3). Or ici, si les plants greffés en fente pleine et à l'anglaise avaient un âge équivalent garantissant la validité de la comparaison, ceux greffés en oméga étaient plus jeunes du fait du développement plus récent de cette technique, qui a pris le dessus sur les autres au début des années 1980 pour des questions de coûts de production. Ainsi, il est seulement possible de conclure que la greffe anglaise entraîne plus d'expression que les vignes greffées sur place, en évitant tout jugement définitif sur la greffe oméga. Toutefois, ces résultats permettent déjà de savoir qu'un retour à la greffe anglaise, effectuée mécaniquement sur table en pépinière, ne serait pas forcément une bonne alternative à la greffe oméga. Ces deux types de greffe ont un point commun important : elles associent deux matériels végétaux (le sujet et le porte-greffe) en état de dormance. Toutes les deux nécessitent donc de grands soins pour favoriser ensuite la cicatrisation des blessures. Elles nécessitent donc toutes les deux une vérification ultérieure très minutieuse de la qualité de la soudure. Ces hypothèses méritent d'être confirmées par des essais où ces différentes modalités seront suivies sur une même parcelle. Des études sont d'ores et déjà lancées mais il faudra attendre les premières expressions de symptômes foliaires dans quelques années pour pouvoir continuer à dénouer les facteurs impliqués dans ce syndrome.
(1) Mary S., Laveau C., Lecomte P., Birebent M., Roby J.-P. (2017), Impact of grafting type on Esca foliar symptoms, Oeno One, 51(3). https://doi.org/10.20870/oeno-one.2016.50.4.1408(2) Fourie P.H., Halleen F. (2006), Eur J Plant Pathol. 116:255. https://doi.org/10.1007/s10658-006-9057-9Aroca Á., Gramaje D., Armengol J. et al. (2010), Eur J Plant Pathol. 126:165. https://doi.org/10.1007/s10658-009-9530-3Gramaje D., Armengol J. (2011), Fungal trunk pathogens in the grapevine propagation process: Potential inoculum sources, detection, identification, and management strategies, Plant Disease, 95. 1040-1055. https://doi.org/10.1094/PDIS-01-11-0025Agustí-Brisach C., Gramaje D., García-Jiménez J. et al. (2013), Plant Soil. 364:5. https://doi.org/10.1007/s11104-012-1333-1Baaijens R., Ridgway H. J., Jones E. E., Cruickshank R. H., Jaspers M. V. (2013), Prevalence and distribution of Botryosphaeriaceae species in New Zealand grapevine nurseries, European Journal of Plant Pathology, 135(1), 175-185. https://doi.org/10.1007/s10658-012-0076-4(3) « Enquête nationale sur les maladies de dépérissement de la vigne réalisée par l'IFV (Institut français de la vigne et du vin) de 2003 à 2008. ».
RÉSUMÉ
CONTEXTE - L'incidence de l'esca a fortement augmenté au cours des vingt-cinq dernières années. Un groupe de chercheurs (université de Bordeaux, ISVV, Inrae, Bordeaux Sciences Agro) a étudié (2013-2014) l'influence du type de greffe sur l'expression foliaire de l'esca.
ÉTUDE - Les observations ont été menées sur des parcelles réparties dans deux régions viticoles françaises (climat océanique vs climat méditerranéen) avec deux cépages sensibles (cabernet-sauvignon dans le Bordelais et mourvèdre en Provence). Trois types de greffe ont été comparés : la greffe oméga, la greffe anglaise et la greffe sur place en fente pleine.
RÉSULTATS - Il existe un effet du type de greffe sur le développement foliaire des symptômes d'esca. Les parcelles greffées sur place en fente pleine présentaient un pourcentage de symptômes foliaires nettement inférieur à ceux des deux autres modalités, qui n'étaient pas significativement différentes.
Les parcelles greffées en oméga présentent un taux plus élevé de symptômes foliaires par rapport aux parcelles greffées sur place, mais ces parcelles étaient également plus jeunes tandis que les greffes anglaises avaient le même âge. La généralisation de la greffe mécanique sur table quelle qu'elle soit pourrait être l'un des facteurs expliquant l'augmentation de l'incidence de l'esca dans le vignoble.
MOTS-CLÉS - Esca, symptômes foliaires, type de greffe, pépinières, qualité du matériel de plantation.
1 - Forme apoplectique et forme lente
On distingue souvent deux formes parmi les symptômes foliaires de l'esca : l'une brutale et importante, l'autre plus progressive et plus localisée. La forme apoplectique est la forme la plus sévère de l'esca qui se définit par un dessèchement rapide du feuillage, puis la mort de la souche, qui peut intervenir en quelques jours durant l'été. Les symptômes foliaires internervaires, décolorations et/ou desséchements, simultanés ou successifs, sont caractéristiques de la forme lente de la maladie. Pour les cépages blancs, la coloration naturellement verte des feuilles devient vert pâle puis jaune, pour les cépages noirs, le limbe devient rouge vineux puis rouge clair ou orangé puis jaune. Toutes ces colorations peuvent laisser place à l'apparition de plages nécrosées (Lecomte et al., 2015, hors-série Phytoma).
2 - Un fort effet « lot »
Pendant cette étude, un fort effet local a été mis en évidence par les auteurs avec de 0 à plus de 40 % des plants touchés par la forme lente de la maladie d'une parcelle à l'autre, en particulier pour les plants greffés à l'anglaise et en oméga. D'après la littérature scientifique, cela peut s'expliquer par la plantation de lots infectés ou de moins bonne qualité, produits à forte cadence et dans des conditions d'hygiène insuffisantes(1).
(1) Retief E., McLeod A., Fourie P.h., Eur J Plant Pathol (2006), 115:331. https://doi.org/10.1007/s10658-006-9025-4
3 - La mécanisation du greffage
Le greffage oméga représente 95 % du greffage actuel. Les machines à greffer permettent de couper et d'assembler le porte-greffe et le greffon en une seule manipulation. La mécanisation du processus de greffage réduit considérablement les coûts. Après avoir fait correspondre le porte-greffe et le greffon ensemble, les boutures nouvellement greffées sont emballées dans des boîtes et empilées dans un environnement humide et chaud jusqu'à la formation d'un cal. Cette étape fournit les conditions idéales à la transmission des champignons associés à l'esca et au dépérissement à Botryosphaeria.
Photos : Worldwide vineyards. D'après Impact of grafting type on Esca foliar symptoms, doi:/10.20870/oeno-one.2017.51.1.1620
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : severine.mary@agro-bordeaux.fr
coralie.dewasme@agro-bordeaux.fr
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jdumercq@ives-openscience.eu