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DOSSIER - Bonne conduite et biocontrôleau vignoble

La confusion sexuelle contre la pyrale du daphné

PATRICIA ACIN*, WIRO MARTIN*, DIDIER RIGAT**, BAUDOIN FAVREAUX**, GÉRALDINE CLEMENTE***, JEAN-MICHEL MORIN*** ET GAËL DU FRETAY****, D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 12E CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES RAVAGEURS ET AUXILIAIRES EN AGRICULTURE (CIRAA) OR - Phytoma - n°739 - décembre 2020 - page 29

Une expérimentation valide techniquement la méthode à base de phéromones pour lutter contre Cryptoblabes gnidiella, ravageur préoccupant dans les vignobles du sud de la France.
2. Larve de Cryptoblabes gnidiella

2. Larve de Cryptoblabes gnidiella

3. Adulte. Photos : Antedis

3. Adulte. Photos : Antedis

Fig. 1 : Prises hebdomadaires par piège des papillons Cryptoblabes gnidiella pour la modalité témoin en 2019      Chaque modalité comporte quatre pièges delta contenant un diffuseur pour le monitoring du ravageur.

Fig. 1 : Prises hebdomadaires par piège des papillons Cryptoblabes gnidiella pour la modalité témoin en 2019 Chaque modalité comporte quatre pièges delta contenant un diffuseur pour le monitoring du ravageur.

Fig. 2 : Moyenne des résultats d'efficacité sur le piégeage et sur les dégâts pour 2018 et 2019      Le piégeage permet de mesurer l'effet de la confusion sur les vols (efficacité de fonctionnement) et non l'efficacité sur les dégâts.

Fig. 2 : Moyenne des résultats d'efficacité sur le piégeage et sur les dégâts pour 2018 et 2019 Le piégeage permet de mesurer l'effet de la confusion sur les vols (efficacité de fonctionnement) et non l'efficacité sur les dégâts.

 Diffuseur utilisé pour la confusion sexuelle de la pyrale du daphné. Photo : SEDQ

Diffuseur utilisé pour la confusion sexuelle de la pyrale du daphné. Photo : SEDQ

La pyrale du daphné, Cryptoblabes gnidiella, à ne pas confondre avec l'eudémis, est en pleine expansion dans les vignobles méditerranéens. La technologie de la confusion sexuelle s'ajoute désormais aux solutions existantes.

Des dégâts importants dans le sud de la France

Dans les vignobles du sud de la France, les lépidoptères nuisibles ne se limitent pas à l'eudémis de la vigne Lobesia botrana (Hubner) qui, selon les millésimes, peut générer des dégâts importants. L'utilisation d'insecticides spécifiques peut conduire, dans certaines situations, à voir (ré)apparaître d'autres lépidoptères. Cet ordre regroupe en fait un nombre important de ravageurs de la vigne : cochylis, Eulia, pyrales dont la pyrale du daphné Cryptoblabes gnidiella (Milliere).

La pyrale du daphné ou phycite des vignes ou tordeuse méditerranéenne de la vigne (source : Ephytia) est très polyphage, elle occasionne des dégâts en Europe du Sud et en Israël principalement sur les cultures d'agrumes, d'avocats, de grenades, de kaki et de raisins. En France, C. gnidiella a été identifiée officiellement la première fois dans le Gard en 1999 (Cassarini C., 2015). La zone littorale méditerranéenne semble justement être son lieu d'habitat privilégié. Depuis 2017, des dégâts importants ont été signalés dans les vignobles des régions de Corse, de Provence, du Languedoc et du Roussillon.

Selon les observations disponibles, les adultes émergent au printemps (mai). Les vols de papillon ont lieu la nuit. Les accouplements ont lieu la nuit même de l'émergence des adultes. Les mâles sont capables de féconder plusieurs femelles, quand celles-ci semblent plutôt ne pouvoir s'accoupler qu'une seule fois. La femelle dépose environ une centaine d'oeufs isolément, de forme ovale, sur les feuilles. Les premières larves sont visibles dès la fin juin. Lors des premiers stades larvaires, la chenille se nourrit de miellat secrété par les pucerons ou les cochenilles. Quand la larve est mature, elle est capable de s'attaquer à la baie verte de raisin. Les jeunes larves ne peuvent s'attaquer aux baies que si ces dernières ont passé le stade de la véraison. Elles provoquent des perforations irrégulières et peu profondes. Ce mode d'alimentation pourrait expliquer que ce ravageur n'est observé quasiment qu'en fin de saison, peu de temps avant les vendanges, sur raisins très mûrs (A. Halma, 2017). Dans la zone des Costières du Gard, le nombre de générations est au moins de cinq, de mai à octobre(1).

L'unique contrôle de cette espèce était réalisé au moyen d'une lutte chimique, cependant les produits autorisés pour les tordeuses de la grappe sont difficiles à positionner.

La confusion sexuelle est une méthode alternative. Cette technique consiste à créer une atmosphère saturée en phéromone sexuelle de l'insecte visé afin de perturber les mâles, de manière qu'ils ne rencontrent pas les femelles et éviter ainsi qu'ils s'accouplent. En France, aucune solution de confusion sexuelle n'était autorisée sur ce ravageur. Des essais ont été mis en place avec des diffuseurs qui avaient déjà été expérimentés sur cette pyrale en Espagne.

Matériels et méthodes

300 à 400 diffuseurs à l'hectare

Des essais ont été mis en place dans les Pyrénées-Orientales en 2018 sur la commune de Baho et en 2019 sur la commune de Canet-en-Roussillon par la société de prestation de services en expérimentation agronomique Antedis SAS France. En 2018, le vignoble expérimental était implanté en grenache noir conduit en gobelet avec une densité de 2 597 plants/ha (2,2 × 1,75 m). En 2019, il était implanté en syrah conduit en palissage avec une densité de 4 444 plants/ha (2,5 × 0,9 m).

Les essais ont été réalisés suivant les bonnes pratiques d'expérimentation (BPE) et selon les méthodes OEPP (Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes) dont la méthode PP1/264 relative aux essais en confusion sexuelle. Le dispositif était constitué par un seul bloc et trois modalités : le témoin, une modalité à 300 diffuseurs par hectare et une modalité à 400 diffuseurs par hectare. La taille pour chaque parcelle correspondant à une modalité était comprise entre 2 et 3 ha. Chaque modalité a été divisée en quatre sous-parcelles pour le suivi des vols et le comptage des dégâts.

Les diffuseurs utilisés étaient de type passif avec émission des substances actives, (Z)-11-hexadécénal et (Z)-13-octadécénaI, qui sont décrites comme les composés de la phéromone sexuelle de C. gnidiella (Anshelevich et al., 1993). Les phéromones de ces diffuseurs sont synthétisées par la société SEDQ Healthy Crops, les diffuseurs sont issus également de la technologie de cette même société qui a une entreprise basée en Espagne, spécialisée dans la production de solutions et de produits pour la protection biologique des cultures. Le diffuseur est perméable aux vapeurs et permet l'émission des différents produits à une dose contrôlée. Avec les conditions de température du sud de l'Europe, la durée de vie du diffuseur est d'au moins 180 jours.

Positionnement des diffuseurs, suivi des vols et comptage des dégâts

Les diffuseurs ont été placés dans la parcelle juste avant le début des vols de l'insecte en 2018, soit le 24 mai au stade BBCH 63/65, et plus tôt en 2019, le 16 avril au stade BBCH 16, de façon à vérifier la possibilité de coupler cette méthode avec la confusion sexuelle pour le contrôle de l'eudémis L. botrana. Chaque diffuseur a été posé dans le tiers supérieur de la plante.

Le suivi des vols a été réalisé en mettant en place quatre pièges delta par modalité contenant un diffuseur commercial spécifique pour le monitoring de Cryptoblabes. Les pièges ont été relevés deux à trois fois par semaine afin de contrôler la pression du ravageur et de confirmer le bon fonctionnement de la technique. Ce contrôle a été réalisé jusqu'à la vendange en 2018, et au-delà en 2019. Le comptage des dégâts a été réalisé au moment de la vendange (courant septembre) sur 100 grappes par parcelle élémentaire, soit 400 grappes par modalité. Des classes de dégâts ont été enregistrées selon l'échelle suivante :

- 0 = grappe saine, pas de présence de l'insecte ;

- 1 = colonisation faible, momification(2) inférieure à 10 % (perte de récolte négligeable) ;

- 2 = colonisation moyenne, momification entre 10 et 40 % (perte de récolte significative) ;

- 3 = colonisation forte, momification supérieure à 40 % (non récoltable).

Résultats et discussion

Une diminution des dégâts

Les résultats de piégeage pour 2018 et 2019 sont indiqués dans les Tableaux 1 et 2, ceux de la modalité témoin en 2019 sont illustrés dans la Figure 1. Le piégeage permet de mesurer l'efficacité du fonctionnement de la confusion et non l'efficacité de la confusion. Les résultats d'efficacité sur les dégâts pour 2018 et 2019 sont indiqués dans les Tableaux 3 et 4, et illustrés dans la Figure 2.

Concernant les suivis de vol dans les parcelles témoins, il apparaît que les captures importantes ont été enregistrées dès le mois de juillet en 2018 et à partir du mois d'août en 2019. Ce décalage pourrait être dû à une différence des conditions climatiques entre les deux années. Si l'on compare ces captures avec celles des parcelles qui ont été protégées par la confusion sexuelle, l'action de la confusion pour les deux années et pour les deux doses de 300 et 400 diffuseurs/ha est remarquable avec une efficacité de fonctionnement de la confusion comprise entre 99,8 et 100 % avec une persistance d'au moins 180 jours.

Les dégâts dans les parcelles témoins sont significatifs avec 17 % et 22 % de grappes attaquées en 2018 et en 2019, les efficacités de la confusion ont été respectivement pour ces deux années de 62 % et 88 % pour la modalité à 300 diffuseurs par ha et de 76,5 % et 83 % pour la modalité à 400 diffuseurs. Les efficacités sont plus particulièrement élevées pour la classe 3 correspondant à la plus forte colonisation. Ces efficacités, considérées comme très satisfaisantes, sont à analyser en prenant en compte la taille parcellaire de chaque modalité qui était seulement de 2 à 3 ha. Dans la pratique qui consiste à mettre en place la confusion sexuelle sur des surfaces aussi grandes que possible, l'efficacité devrait être encore supérieure.

Une dérogation suivie d'une AMM

Les études expérimentales mises en place en 2018 et 2019 en vigne dans le Roussillon ont permis de confirmer la bonne efficacité de la confusion sexuelle sur Cryptoblabes gnidiella. Compte tenu de la situation d'urgence phytosanitaire, à la demande du CIVL (Conseil interprofessionnel des vins AOC du Languedoc), des IGP sud de France et de l'IFV (Institut français de la vigne et du vin), cette technique de biocontrôle a fait l'objet en France en 2019 et en 2020 d'une autorisation de mise sur le marché dérogatoire au titre de l'article 53 du règlement (CE) 1107/2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques sous le nom de Cryptotec délivrée par la Direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture. La commercialisation et le suivi des applications auprès des viticulteurs ont été réalisés par la société de distribution de produits pour l'agriculture, S.A. Magne. Un dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la zone sud de l'Europe a été déposé auprès de l'Anses. Une AMM a été obtenue pour la France en date du 28 août 2020(3).

(1) Voir « Cryptoblabes gnidiella : une pyrale en expansion dans les vignobles du littoral méditerranéen », Phytoma n° 728, p. 28-31.(2) Grappe ou portion de grappe aux baies desséchées, vidées de leur substance et entremêlées de soies tissées par les larves.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La pyrale du daphné est une espèce polyphage sur de nombreuses cultures dont différentes espèces d'un grand intérêt économique telles que Vitis vinifera (vigne), Diospyros kaki (kaki), Punica granatum (grenade), Citrus spp., Malus spp., Prunus spp., Persea americana (avocat) et Mangifera indica (mangue), entre autres.

ÉTUDE - L'efficacité de la confusion sexuelle, avec les phéromones de lépidoptères (SCLPs) (Z)-13-octadécénal et (Z)-11-hexadécénal en tant que substances actives, a été étudiée dans le cadre du contrôle de la pyrale du daphné. Cette méthode alternative peut être mise en oeuvre dans le cadre de la protection intégrée contre les ravageurs permettant de réduire le nombre d'applications d'insecticides chimiques dits conventionnels.

RÉSULTATS - Les données obtenues dans le sud de la France confirment l'intérêt de la confusion sexuelle comme outil de contrôle de Cryptoblabes gnidiella en vigne même en cas de populations élevées.

MOTS-CLÉS - Cryptoblabes gnidiella, pyrale du daphné, ravageur, méthode alternative, vigne, phéromones, biocontrôle.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : alberto.gomez@sedq.es

LIEN UTILE : www.sedq.es

BIBLIOGRAPHIE : - Anshelevich L., Kehat M., Dunkelblum E. and Greenberg S, 1993. Sex pheromone traps for monitoring the honeydew moth, Cryptoblabes gnidiella: Effect of pheromone components, pheromone dose, field aging of dispenser, and type of trap on male captures. Phytoparasitica, 21(3), 189-198.

- Cassarini C., 2015. Diversification chez les tordeuses de la grappe : Eulia, Ephestia, Cryptoblabes. 17ème rencontre rhodanienne.

- Halma A., 2017. Les ravageurs de la vigne : une famille variée de ravageurs. Terroirs, Chambre d'agriculture Pyrénées-Orientales, n° 247.

- Lucchi A., Ricciardi R., Benelli G. et Bagnoli B., 2019. What do we really know on the harmfulness of Cryptoblabes gnidiella (Millière) to grapevine? From ecology to pest management. Phytoparasitica, 47(1), 1-15.

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