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En mots et en pratiques

Gérer la forêt sans produits phytosanitaires

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°741 - février 2021 - page 48

Ravageurs, maladies et espèces végétales concurrentes font également partie des problématiques que doivent gérer les forestiers. Les moyens financiers réduits et le faible nombre de solutions chimiques homologuées ont laissé depuis longtemps une grande place aux solutions alternatives. Entretien avec Erwin Ulrich, de l'ONF.
Jusqu'en novembre 2020, Erwin Ulrich était chargé de R&D au département Recherche Développement et Innovation de l'ONF(1). Photos : E. Ulrich - C. Urvoy

Jusqu'en novembre 2020, Erwin Ulrich était chargé de R&D au département Recherche Développement et Innovation de l'ONF(1). Photos : E. Ulrich - C. Urvoy

Les produits phyto sont-ils beaucoup utilisés en forêt ?

Erwin Ulrich : L'ONF, qui gère les forêts domaniales, n'a jamais été un grand utilisateur. Les forestiers préfèrent utiliser les capacités autorégulatrices de la nature. C'est également par manque de budget. Étant certifié PEFC(2) depuis 2005, l'ONF s'est engagé à une utilisation exceptionnelle de ces produits et beaucoup d'entre eux, utilisés par le passé, ne sont plus autorisés. La proportion de surfaces traitées, tous produits confondus, n'a jamais dépassé 0,1 % de la surface gérée, soit environ 1 700 ha répartis sur toute la France.

Comment gérez-vous les principaux ravageurs ?

E. U. : On compte quinze à vingt ravageurs principaux dont les processionnaires du chêne et du pin, les scolytes, l'hylobe... En général, ces épidémies sont cycliques. La plupart des arbres peuvent supporter un à trois ans d'attaque. Les arbres atteints sont prélevés précocement pour éviter la prolifération. Contre les scolytes, le piégeage par phéromones d'agrégation peut être utilisé avec des efficacités variables selon la pression, ou encore la technique des arbres pièges. Des tas d'arbres fraîchement coupés sont installés. Dès qu'ils sont infestés, ils sont détruits ou traités par un insecticide de surface à base de cyperméthrine. Pour certains ravageurs comme l'hylobe, la lutte passive (attendre un à deux ans après les coupes définitives avant de replanter pour que la population disparaisse naturellement faute de nourriture) peut être efficace.

Et les maladies ?

E. U. : Parmi les principales maladies à gérer, citons le fomès pour les résineux. La contamination des arbres indemnes s'effectue après la germination des spores sur les souches fraîches. Le mycélium se transmet ensuite aux arbres voisins par contacts racinaires. La lutte est essentiellement préventive, par badigeonnage ou pulvérisation de Rotstop (qui contient des spores de Phlebiopsis gigantea, champignon antagoniste du fomès) à la surface des souches dans les trois heures suivant l'abattage, afin d'empêcher leur infection. Dans les peuplements déjà contaminés, cette technique n'élimine pas le champignon. Elle limite cependant l'accroissement de la maladie en évitant de nouvelles infections de souches. Dans ces situations, la solution passe par le choix d'espèces autres que des résineux lors du reboisement.

Quelles sont les espèces végétales problématiques ?

E. U. : Trente-huit ont été recensées comme étant des plantes potentiellement très concurrentes vis-à-vis de la lumière, l'eau et les minéraux notamment pour les jeunes plants. Parmi les plus problématiques, la fougère-aigle (Pteridium aquilinum) et la molinie bleue (Molinia caerulea) qui peuvent devenir des obstacles majeurs à la régénération naturelle ou par plantation lorsque le site en est envahi. Le système racinaire de la molinie bleue forme un réseau souterrain extrêmement dense freinant le développement racinaire des plants. Jusqu'en 2018, le glyphosate pouvait être utilisé contre toute végétation concurrente avant plantation.

Quelles techniques utilisez-vous ?

E. U. : Dès 2010 avec le projet Alter (Alternatives aux herbicides), puis le projet Pilote en 2013, des outils de désherbage mécanique, inventés par des constructeurs, ont été testés dans le cadre de nouvelles plantations par un réseau de partenaires : l'ONF, la recherche (Inrae et AgroParisTech), le FCBA(3) et la forêt privée. Plusieurs d'entre eux, adaptables sur minipelle ou midipelle, ont montré une efficacité. À chaque situation, il existe en fait un outil adéquat. Deux-trois d'entre eux sont aujourd'hui utilisés, notamment le scarificateur réversible et le Régédent pour éliminer la fougère-aigle, ou encore le peigne ou la râpe pour décaper la molinie.

Comment fonctionne ce scarificateur ?

E. U. : Composé de cinq dents (voir photo), cet outil est particulièrement adapté à l'arrachage des rhizomes de fougère-aigle : les dents s'insèrent sous le tapis végétal pour le soulever verticalement avec son système souterrain. La recolonisation de la zone désherbée est ensuite fortement ralentie pendant trois ans au minimum (inférieure à 15 % de la surface). De plus, la flore de substitution est plus diversifiée et moins concurrente avec seulement un tiers de fougère-aigle. Deux ans après plantation, la croissance en hauteur des plants est augmentée de 11 % (chênes) à 24 % (pins) et celle du diamètre de 20 % (chênes) à 67 % (pins). Le scarificateur réversible est également bien adapté à d'autres espèces : callune, myrtille, genêt, ajonc, ronce, clématite, jeunes ligneux issus de semences, graminées.

Et pour la molinie ?

E. U. : Il est à proscrire sur molinie car l'extraction de son système racinaire en zigzag engendre une exportation de sol trop importante. La technique la plus efficace est de couper la molinie à la jonction racines-tige avec un peigne de 60 cm à dents triangulaires ou une râpe de 100 à 120 cm à dents rectangulaires. Les racines meurent ensuite.

(1) Office national des forêts.(2) Programme de reconnaissance des certifications forestières.(3) L'institut technologique Forêt Cellulose Bois construction Ameublement.

Compenser le coût sur la durée

L'ONF s'est équipé pour réaliser le désherbage mécanique avant plantation ou le sous-traite à des ETF(1) spécialisées. Le coût est très variable : de 1 000 à 3 000 €/ha contre 200 à 300 €/ha pour un herbicide. Mais le désherbage par scarificateur permet aussi de réduire fortement les dégagements(2) pendant les cinq années suivant la plantation : un seul nettoyage contre trois à dix habituellement. D'où une économie de 700 à 5 600 € qui peut rendre le surcoût initial acceptable. Pour réduire ce coût, les constructeurs ont transformé certains outils sur pelle pour un usage tracté (outils montés sur tracteur) pour augmenter ainsi leur productivité.

(1) Entreprise de travaux forestiers.

(2) Intervention pour maîtriser la végétation concurrente des jeunes plants de hauteur inférieure à 3 m.

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