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DOSSIER - Des pucerons aux jaunisses :histoire de transmission

Jaunisse des betteraves : virus responsables et moyens de lutte

AURÉLIE MARMONIER(1), VÉRONIQUE BRAULT(1), CÉLINE GOUWIE(2), AMÉLIE MONTEIRO(2), CÉDRIC ROYER(2), SOPHIE PERROT(3) ET DENIS BÉGHIN(4) (1) Inrae - Grand-Est - Colmar. (2) ITB - Paris. (3) Geves - Beaucouzé. (4) Geves - Estrées-Mons. - Phytoma - n°742 - mars 2021 - page 23

Quatre virus majeurs sont à l'origine de jaunisse sur la betterave, avec des modes de transmission et des vecteurs différents, ce qui peut influencer les stratégies de lutte.
 Symptômes de jaunisse à Moyviller, le 2 juillet 2020.       Au champ, la jaunisse se manifeste d'abord par l'apparition de betteraves isolées présentant des jaunissements foliaires. À partir de fin juin, des foyers (ou ronds de jaunisses) apparaissent. Si la parcelle est très infectée, les foyers peuvent se rejoindre en fin d'été ou à l'automne. Photo : ITB

Symptômes de jaunisse à Moyviller, le 2 juillet 2020. Au champ, la jaunisse se manifeste d'abord par l'apparition de betteraves isolées présentant des jaunissements foliaires. À partir de fin juin, des foyers (ou ronds de jaunisses) apparaissent. Si la parcelle est très infectée, les foyers peuvent se rejoindre en fin d'été ou à l'automne. Photo : ITB

Fig. 1 : Caractéristique structurale, génomique, de transmission et de spécificité tissulaire des virus de la betterave

Fig. 1 : Caractéristique structurale, génomique, de transmission et de spécificité tissulaire des virus de la betterave

Fig. 2 : Détection des virus responsables des jaunisses par une méthode sérologique, le test Elisa      Le test Elisa (Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay) est une technique immuno-enzymatique qui repose sur la reconnaissance entre un anticorps et un antigène. Ce test comprend trois étapes. Dans la première étape, un premier anticorps (qui est spécifique du virus recherché) est fixé sur un support. Au cours de la deuxième étape, l'échantillon de plante broyée est déposé sur ce support. Les antigènes (particules virales) vont s'accrocher aux anticorps et le complexe anticorps/antigène est révélé après ajout d'un second anticorps (spécifique du virus recherché) couplé à une enzyme (troisième étape) puis du substrat de l'enzyme. Si la plante est infectée par le virus recherché, une coloration jaune apparaît.

Fig. 2 : Détection des virus responsables des jaunisses par une méthode sérologique, le test Elisa Le test Elisa (Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay) est une technique immuno-enzymatique qui repose sur la reconnaissance entre un anticorps et un antigène. Ce test comprend trois étapes. Dans la première étape, un premier anticorps (qui est spécifique du virus recherché) est fixé sur un support. Au cours de la deuxième étape, l'échantillon de plante broyée est déposé sur ce support. Les antigènes (particules virales) vont s'accrocher aux anticorps et le complexe anticorps/antigène est révélé après ajout d'un second anticorps (spécifique du virus recherché) couplé à une enzyme (troisième étape) puis du substrat de l'enzyme. Si la plante est infectée par le virus recherché, une coloration jaune apparaît.

Fig. 3 : Détection des virus responsables des jaunisses par une technique moléculaire, la RT-PCR multiplexe      La technique de RT-PCR (Reverse Transcription-Polymerase Chain Reaction) consiste à amplifier une partie du génome de chaque virus recherché et utilisant de courtes séquences nucléotidiques (amorces) spécifiques de chaque virus. En mélangeant les différentes amorces qui reconnaissent chacun un virus, il est possible au sein d'une réaction unique d'identifier plusieurs virus dans un même échantillon.

Fig. 3 : Détection des virus responsables des jaunisses par une technique moléculaire, la RT-PCR multiplexe La technique de RT-PCR (Reverse Transcription-Polymerase Chain Reaction) consiste à amplifier une partie du génome de chaque virus recherché et utilisant de courtes séquences nucléotidiques (amorces) spécifiques de chaque virus. En mélangeant les différentes amorces qui reconnaissent chacun un virus, il est possible au sein d'une réaction unique d'identifier plusieurs virus dans un même échantillon.

Fig. 4 : Gravité d'infestation en pucerons verts dans les sites de Vigicultures de 2019 et 2020      Le niveau d'infestation correspond au pourcentage de betteraves avec au moins un puceron vert noté dans la parcelle. On observe deux années très différentes, avec une infestation en 2019 en moyenne de 20 % des betteraves, et localisée plutôt en bordure maritime, alors qu'en 2020 l'infestation atteint en moyenne 65 % des betteraves, avec un gradient nord-sud très marqué. Source : Vigicultures - ITB.

Fig. 4 : Gravité d'infestation en pucerons verts dans les sites de Vigicultures de 2019 et 2020 Le niveau d'infestation correspond au pourcentage de betteraves avec au moins un puceron vert noté dans la parcelle. On observe deux années très différentes, avec une infestation en 2019 en moyenne de 20 % des betteraves, et localisée plutôt en bordure maritime, alors qu'en 2020 l'infestation atteint en moyenne 65 % des betteraves, avec un gradient nord-sud très marqué. Source : Vigicultures - ITB.

Fig. 5 : Efficacité des traitements insecticides sur les populations de pucerons verts sur la betterave (Loiret 2020)       Source : Vigicultures - ITB.

Fig. 5 : Efficacité des traitements insecticides sur les populations de pucerons verts sur la betterave (Loiret 2020) Source : Vigicultures - ITB.

La jaunisse est une des principales maladies virales qui affecte la betterave sucrière (photo ci-contre). Elle conduit à une réduction de la croissance des plantes ainsi qu'à des pertes conséquentes de rendement liées à la diminution de la biomasse et de la concentration en sucre. Les études actuelles portent sur une connaissance approfondie des virus et sur la recherche d'alternatives aux néonicotinoïdes en traitements de semence.

Virus responsables de la jaunisse des betteraves

Quatre virus majeurs

La jaunisse de la betterave est causée par quatre virus majeurs qui peuvent se retrouver seuls ou en combinaison dans les betteraves malades : le virus de la jaunisse modérée de la betterave (beet mild yellowing virus ou BMYV), le virus de la chlorose de la betterave (beet chlorosis virus ou BChV), le virus de la jaunisse de la betterave (beet yellows virus ou BYV) et le virus de la mosaïque de la betterave (beet mosaic virus ou BtMV). Le virus de la jaunisse occidentale de la betterave (beet western yellows virus ou BWYV) intervient aussi dans cette maladie, mais ce virus est uniquement présent aux États-Unis et en Asie. Le point commun entre ces virus est leur mode de propagation par puceron. Tous ces virus possèdent également un génome constitué d'une seule molécule d'ARN. Une fois dans la cellule végétale, il est immédiatement pris en charge par la machinerie cellulaire pour être traduit en protéines virales qui vont détourner les mécanismes de défense de la plante et assurer la réplication du virus.

Les polérovirus de la betterave

Le BMYV et le BChV font partie de la famille des Luteoviridae et du genre Polerovirus. Ils sont génétiquement proches et non différenciables par des approches sérologiques classiques basées sur des anticorps dirigés contre les protéines de la capside des virus.

Ces virus ont la particularité d'infecter seulement les cellules du phloème qui constituent les vaisseaux des plantes dans lesquels circule la sève. Ils sont véhiculés par deux espèces de pucerons qui transmettent ces virus aux plantes avec des efficacités variables : le puceron vert du pêcher (Myzus persicae) est un vecteur plus efficace que le puceron rose de la pomme de terre (Macrosiphum euphorbiae). Le BMYV et le BChV sont transmis par puceron selon le mode persistant circulant (P/C) et non multipliant, ce qui signifie que ces virus ne se multiplient pas dans le corps du puceron. Les particules virales qui cheminent dans la sève des plantes infectées sont ingérées par le puceron au cours de son alimentation (Figure 1). Les virus circulent ensuite dans le corps du puceron, passant au travers des cellules du tube digestif pour rejoindre l'hémolymphe, puis traversent les cellules des glandes salivaires pour se retrouver dans le canal salivaire des pucerons. Les particules virales sont alors transférées à une autre plante avec la salive du puceron lors d'une nouvelle prise alimentaire. Ces virus sont qualifiés de persistants puisqu'ils peuvent être stockés dans le corps du puceron durant toute sa vie (voir article p. 18). Les pucerons virulifères sont donc capables de transmettre ces virus à toutes les plantes qu'ils visiteront au cours de leur vie.

Le processus de transmission des polérovirus nécessite une succession d'étapes (acquisition, latence et inoculation) dont les durées ont été évaluées expérimentalement. Les polérovirus sont efficacement acquis par le puceron après qu'il s'est alimenté pendant 24 h sur une plante infectée, ce qui correspond à la période d'acquisition. Il leur faut ensuite 24 h supplémentaires pour atteindre les cellules des glandes salivaires (latence) avant de pouvoir être inoculés à une nouvelle plante au cours de la phase d'inoculation qui dure de 48 à 72 h. Ces virus peuvent infecter 23 espèces de plantes cultivées et adventices réparties dans huit familles différentes dont majoritairement les betteraves et les épinards. Les plantes adventices peuvent notamment servir de réservoirs aux virus en dehors des périodes de culture de la betterave.

L'impact de ces virus sur le rendement est d'autant plus important que l'infection est précoce. Le BMYV entraîne des pertes de rendement de l'ordre de 30 % lorsque l'inoculation a lieu au stade 2 à 4 feuilles et comprises entre 19 et 27 % lors d'inoculation au stade 4 à 6 feuilles. Le BChV entraîne des pertes de rendement plus modérées (8 à 24 %) lors d'inoculations réalisées au stade 4 à 6 feuilles. En revanche, lors d'inoculations plus tardives, il cause plus de dommages que le BMYV. À partir du stade 12 feuilles, les betteraves sont naturellement moins sensibles aux pucerons et à la transmission virale.

Le BYV : des symptômes sévères sur les betteraves

Le BYV appartient à la famille des Closteroviridae et au genre Closterovirus. Ce virus est reconnu comme étant responsable des symptômes de la jaunisse grave de la betterave. Dans la plante, les virions sont retrouvés dans les cellules du phloème mais peuvent, lors d'une infection tardive, coloniser des cellules non-phloémiennes (Figure 1). Plusieurs espèces de pucerons peuvent transmettre le BYV dont majoritairement M. persicae et Aphis fabae et, dans une moindre mesure, M. ascalonicus et M. certus. Le mode de transmission du BYV est semi-persistant, un mode intermédiaire entre les modes non persistant non circulant (NP/NC) et persistant circulant (P/C). Le BYV est acquis beaucoup plus rapidement que les polérovirus à partir de plantes infectées (de quelques minutes à quelques heures) mais moins rapidement que les virus NP/NC. Le virus est ensuite retenu transitoirement au niveau des pièces buccales du puceron pendant une période allant de 24 à 72 h selon l'espèce de puceron. Au-delà de ce temps, le puceron n'est plus porteur du virus. Le site de rétention du BYV dans le puceron n'est pas connu mais, par analogie avec d'autre clostérovirus transmis par vecteur, on peut supposer qu'il se situe dans la partie haute des stylets au niveau de l'oesophage. L'inoculation du virus peut être obtenue après une période d'alimentation allant de 6 à 24 h sur une plante saine. Ce virus possède une très large gamme d'hôtes et peut infecter 120 espèces de plantes cultivées ou adventices réparties dans quinze familles différentes dont majoritairement la betterave (sucrière, fourragère et potagère), la blette et l'épinard.

Les pertes de rendement dues au BYV sur betteraves à sucre ne sont pas constantes : alors que certaines études rapportent des pertes qui peuvent approcher les 50 % (pour une inoculation au stade 2-4 feuilles), des résultats obtenus plus récemment montrent une perte de rendement aux alentours de 10 % et inférieure aux pertes causées par le BChV et par le BMYV dans les mêmes conditions. La virulence du BYV pourrait donc être souche-dépendante. Comme pour les polérovirus, l'impact du BYV diminue lorsque la date d'infection est plus tardive.

Le BtMV, un virus peu dommageable seul

Le BtMV appartient à la famille des Potyviridae et au genre Potyvirus. Le BtMV n'est pas identifié comme un virus provoquant de graves dommages, mais il peut entraîner des conséquences importantes sur le rendement lorsqu'il est en association avec d'autres virus (voir ci-dessous). Contrairement aux autres virus mentionnés auparavant, ce virus est capable d'infecter toutes les cellules de la plante. Le BtMV est principalement transmis par les espèces M. persicae et A. fabae, mais il peut également être transmis par de nombreuses autres espèces telles que M. ascalonicus, M. euphorbiae, Acyrthosiphon pisum, Metopolophium dirhodum et Rhopalosiphum padi. Le virus est transmis de manière non persistante non circulante (NP/NC). Il est acquis et inoculé très rapidement en quelques minutes. Il n'est retenu dans le puceron que pendant un temps très bref ne dépassant pas une heure. Le site exact de rétention n'est pas identifié mais se situe probablement à l'extrémité des stylets. Ce virus infecte une centaine d'espèces de plantes réparties dans 26 familles dont principalement les Chenopodiaceae (dont font partie la betterave et l'épinard), Solanaceae et Leguminosae.

Prévalence des différents virus

La détection des virus responsables des jaunisses peut se faire par une méthode sérologique (le test Elisa, Figure 2) ou par une technique moléculaire (la RT-PCR multiplexe, Figure 3). La prévalence des virus responsables de jaunisse en France est extrêmement variable en fonction des années. Alors que le BMYV était majoritaire dans les échantillons prélevés entre 1999 et 2002, c'est le BChV qui était le plus prévalent dans les plantes atteintes de jaunisse en 2019 (67 % des échantillons) alors que le BYV n'était présent que dans 7 % des échantillons. La présence du BtMV n'a pas été recherchée en 2019. En 2020, les polérovirus responsables de la jaunisse modérée étaient majoritaires, mais les trois familles de virus étaient largement présentes en co-infections sur tout le territoire (les polérovirus, le BYV et le BtMV étaient détectés dans respectivement 82 %, 71 % et 64 % des parcelles ; données ITB).

La multi-infection virale de la betterave et ses impacts

Impact de la co-infection sur la betterave

Il a été montré que plusieurs virus responsables des jaunisses peuvent être présents simultanément dans une même betterave. Ces virus peuvent infecter la plante de manière simultanée, ou décalée dans le temps. Les interactions que les virus vont établir entre eux peuvent être qualifiées de synergiques lorsqu'elles sont bénéfiques pour l'un ou les virus présents, d'antagonistes lorsque l'effet est négatif, ou de neutres lorsqu'il n'y a pas d'effet sur le cycle viral. Ces interactions peuvent avoir un impact sur l'accumulation du virus, qui peut augmenter ou diminuer, et sur l'extériorisation des symptômes qui peuvent être réduits ou exacerbés.

Chez la betterave, l'impact des co-infections n'a été que peu étudié jusqu'à présent (encadré p. 28). Il a été montré que des betteraves co-infectées par le BtMV et BYV avaient une croissance très affectée comparée aux plantes mono-infectées. Récemment, une intensification de la sévérité des symptômes a été mise en évidence dans des plantes co-infectées par le BYV et le BChV lorsqu'elles sont comparées à des plantes mono-infectées. Les effets observés sur les plantes co-infectées se traduisent par des pertes de rendement plus importantes (poids du pivot et teneur en sucre réduits).

Les pucerons et leur cortège d'auxiliaires sous surveillance

Surveillance du territoire et BSV

Les pucerons, leurs prédateurs naturels et la jaunisse sont surveillés depuis plus de dix ans par la filière dans le cadre du réseau de Surveillance biologique du territoire (SBT) ou d'un réseau filière en cas d'arrêt de la SBT. Chaque année, 200 à 300 parcelles betteravières sont suivies, la présence des pucerons y est enregistrée, sans distinction entre les différentes espèces de pucerons verts, de même qu'est conduite l'observation des auxiliaires (avec des prédateurs comme les coccinelles, syrphes et chrysopes et des micro-organismes entomopathogènes comme les champignons de l'ordre des entomophtorales). Les données sont collectées dans l'outil inter-institut Vigicultures puis diffusées ensuite dans les Bulletins de santé du végétal (BSV) et dans des notes d'informations adressées aux agriculteurs.

En présence de néonicotinoïdes, de 2011 à 2018, des pucerons verts (M. persicae principalement, mais aussi M. ascalonicus, M. euphorbiae et A. pisum) ont été observés en moyenne dans 7 % des sites (tableau ci-dessus). À partir de 2019, les traitements de semences ont été remplacés par des traitements aphicides en végétation, et les pucerons verts ont été observés sur 66 % et 97 % des sites en 2019 et 2020 respectivement. Quant à la jaunisse, elle a concerné moins de 1 % des sites jusqu'en 2018, liée à des contaminations tardives (en août et septembre), puis a touché 10 % des sites en 2019 et a même atteint 70 % des sites en 2020 (tableau). Les auxiliaires ont une action efficace sur le contrôle des pucerons, mais leur arrivée est décalée de deux à cinq semaines après celle des pucerons. Afin de suivre les populations de pucerons verts, et de positionner au mieux les interventions insecticides, l'Institut technique de la betterave (ITB) a mis à disposition en 2019 l'outil Alerte Pucerons. Cet outil représente sous forme d'une carte en temps réel et interactive des seuils d'interventions.

Dès 2010, l'ITB a mis en place un observatoire des ravageurs et des auxiliaires en l'absence de néonicotinoïdes et d'aphicides en végétation représentant une trentaine de sites, et localisés dans les Hauts-de-France, en Normandie, au sud de Paris et en Champagne. Cet observatoire a démontré que la jaunisse est présente chaque année avec des niveaux d'intensité variables, sans corrélation simple avec la pression des pucerons verts.

2020, une année inédite

La situation de 2020 reste inédite en termes de précocité d'apparition des pucerons, de quantité de pucerons et d'impact de la jaunisse. En effet, les premiers pucerons verts ont été observés dès le 15 avril, dès le stade cotylédons des betteraves, soit 18 jours plus tôt qu'en 2019. De plus, très rapidement les pucerons verts se sont dispersés et ont atteint 97 % des parcelles. La spécificité de 2020 réside aussi dans la disparité régionale, avec un gradient sud-nord très marqué (Figure 4).

Méthodes de lutte contre les pucerons verts

Des alternatives aux néonicotinoïdes sont étudiées depuis quelques années, telles que les traitements aphicides : produits de synthèse ou de biocontrôle y compris les auxiliaires, plantes de service, variétés tolérantes. Leur combinaison sera indispensable pour obtenir une protection efficace de la culture.

Les produits alternatifs aux néonicotinoïdes

L'ITB expérimente chaque année différents produits en condition de plein champ. Leur efficacité reste insuffisante pour assurer un contrôle des vecteurs de la jaunisse. La Figure 5 montre l'absence d'efficacité des produits à base de pyrèthres et de carbamates contre les pucerons verts du fait du développement de résistances chez les pucerons. Les produits Teppeki (flonicamide) et Movento (spirotétramate en dérogation 120 jours en 2020) ont permis une réduction du nombre de pucerons verts mais insuffisante pour éviter le développement de la jaunisse en 2020 dans un contexte d'infestation massive et précoce de pucerons.

Des produits de biocontrôle sont testés depuis 2018 dans le cadre du projet multifilière ABCD-B (Écophyto 2018-2021) (voir p. 34). L'ITB a étudié différentes substances naturelles telles que l'huile de paraffine, la maltodextrine, l'azadirachtine, un biopolymère organique et deux champignons entomopathogènes (Lecanicillium muscarium et Beauveria bassiana). Certaines substances présentent des efficacités partielles qui ne rivalisent pas encore avec la référence chimique malgré des applications répétées de manière hebdomadaire (voir cahier technique de l'ITB dans le n° 1121 du Betteravier français du 22 décembre 2020).

La lutte génétique

Le programme d'investissements d'avenir Aker initié par l'État dans le cadre de l'Agence nationale de la recherche en 2012 pour une durée de huit ans a exploré de nouvelles sources de résistance grâce à un élargissement des ressources génétiques. Les hybrides créés sont en cours d'évaluation pour leur tolérance à la jaunisse.

Quantifier la tolérance variétale à la jaunisse passe par l'implantation de dispositifs expérimentaux adaptés. Une méthode d'évaluation a été proposée par le Geves pour tester les variétés candidates à l'inscription au catalogue officiel français des espèces et variétés. Elle consiste à implanter des essais sous différentes conditions : une modalité témoin protégée contre les pucerons vecteurs de jaunisse et d'autres modalités inoculées chacune par des pucerons virulifères, porteurs d'un virus spécifique ; ces modalités « inoculées » étant bien évidemment protégées des pucerons provenant de l'environnement. La réalisation de ces expérimentations nécessite de disposer d'une quantité importante de pucerons virulifères au moment de l'inoculation des plantes au champ (pucerons éliminés par traitement aphicide foliaire après l'inoculation). Ce protocole est adapté à l'inoculation des plantes avec le BMYV ou le BChV car les pucerons restent virulifères toute leur vie. À l'inverse, l'inoculation des plantes avec le BYV (semi-persistant) et plus encore le BtMV (non persistant) représente un défi car les virus sont retenus dans les pucerons sur des temps courts.

Par ailleurs, la protection des essais au champ vis-à-vis des pucerons provenant de l'environnement entraîne des effets indésirables qui compliquent la mise en place ou l'interprétation scientifique de tels essais. Les bâches « insect-proof », par exemple, rendent difficiles les travaux de désherbage. Les aphicides foliaires peuvent se révéler insuffisants les années à forte pression pucerons comme en 2020, ce qui compromet les résultats issus des essais.

Le dispositif avec inoculation contrôlée est coûteux mais permet d'éviter, comparativement à une inoculation naturelle des virus de la jaunisse, le caractère hétérogène de la dynamique de la maladie (la jaunisse se développe naturellement par « ronds de jaunisse ») ainsi que son caractère aléatoire qui dépend de la présence et de l'abondance des pucerons virulifères dans l'environnement.

Un programme ambitieux pour de nouvelles alternatives

Face au risque jaunisse en 2021, une dérogation pour deux produits à base de néonicotinoïdes en traitements de semences a été acceptée par le ministère début février. Cette dérogation est annuelle, elle pourra être demandée pour les trois prochaines années (jusqu'en 2023). Afin de trouver des alternatives aux néonicotinoïdes, un programme de recherche ambitieux est mis en place en 2021 pour concevoir des solutions opérationnelles contre les jaunisses virales. Il mobilise des acteurs de la recherche académique, privée, de la filière et des agriculteurs. Il est doté d'une aide de l'État de 7 millions d'euros sur trois ans.

Le plan s'articule autour de quatre axes :

•1/ Compréhension du risque sanitaire. Il vise à mieux comprendre le pathosystème puceron/virus/betterave, les conditions climatiques et de culture favorables aux pressions pucerons et jaunisse, ainsi qu'un meilleur contrôle des réservoirs viraux ;

•2/ Solutions à l'échelle de la culture, à savoir conduite culturale, évaluation de nouveaux aphicides de synthèse, produits de biocontrôle et résistance génétique ;

•3/ Solutions à l'échelle du système de culture et du territoire, à savoir aménagements parcellaires favorables à la régulation biologique par les auxiliaires, impact des cultures voisines et mosaïques paysagères ;

•4/ Évaluation économique des solutions techniques proposées, afin de garantir un modèle économique durable pour l'ensemble des acteurs de la filière.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - L'année 2020 s'est révélée catastrophique pour de nombreuses parcelles de betterave à sucre (avec une disparité régionale marquée), fortement touchées par la jaunisse, du fait d'importantes populations de pucerons apparus précocement. Jusqu'en 2023, des dérogations aux néonicotinoïdes seront possibles afin de permettre à la filière de développer des alternatives.

VIRUS ET CO-INFECTION - Quatre virus majeurs (BMYV, BChV, BYV, BtMV) causent la jaunisse de la betterave, avec une prévalence variable en fonction des années. En 2020, les trois familles étaient présentes, cette multi-infection virale de la betterave pouvant avoir des impacts sur le cycle viral et la transmission des virus par les pucerons.

ÉTUDES - Les recherches portent sur l'amélioration des connaissances sur les inter-actions virus/vecteur/plante-hôte et le développement de moyens de lutte alternatifs (projet ABCD-B, par exemple). À la suite du programme Aker, de nouvelles sources de résistance variétale vont pouvoir être explorées. Par ailleurs, un Plan national recherche et innovation lancé en 2020 va permettre de renforcer la recherche sur ces différentes thématiques.

MOTS-CLÉS - Betterave, jaunisse, virus, BMYV, BChV, BYV, BtMV, transmission, biocontrôle, néonicotinoïdes, amélioration variétale.

Hypothèses sur l'impact des co-infections sur le cycle viral et la transmission par puceron

Les co-infections pourraient avoir un impact sur la spécificité tissulaire, la charge virale, la transmission par puceron et l'extériorisation des symptômes. La localisation cellulaire des virus est très liée à leur mode de transmission et il est envisageable qu'une co-infection modifie la localisation cellulaire des virus par des mécanismes de complémentation, ou de suppression des défenses de la plante. Il est ainsi possible que la localisation restreinte d'un virus au phloème (cas des polérovirus, BChV ou BMYV, ou du clostérovirus BYV) soit modifiée en présence du potyvirus (BtMV) qui infecte toutes les cellules de la plante. Le BtMV pourrait apporter aux polérovirus la protéine de mouvement qui leur fait défaut et les restreint aux cellules du phloème. Les polérovirus pourraient également profiter de la suppression des réactions de défense de la plante induites par le BtMV dans les cellules non phloémiennes pour les envahir. Cet accroissement de la spécificité tissulaire augmenterait le nombre de cellules infectées par les virus phloémiens et donc la charge virale dans les plantes infectées. Enfin, une infection des cellules non phloémiennes par les virus phloémiens pourrait également modifier le mode d'acquisition des virus (les virus phloémiens deviendraient accessibles au moment des piqûres d'essai), ce qui pourrait affecter la dynamique de la maladie en facilitant la dissémination des virus.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : aurélie.marmonier@inrae.fr

veronique.brault@inrae.fr ; c.gouwie@itbfr.org

a.monteiro@itbfr.org ; c.royer@itbfr.org

sophie.perrot@geves.fr ; denis.beghin@geves.fr

LIENS UTILES : https://tinyurl.com/5cgdkuf6

http://www.itbfr.org/

https://www.geves.fr/

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article est disponible auprès de ses auteurs.

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