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Amélioration variétale

Quelle réglementation pour les produits d'édition du génome ?

CATHERINE REGNAULT-ROGER, professeur des universités émérite à l'université de Pau et des Pays de l'Adour (E2S), membre de l'Académie d'agriculture de France et de l'Académie nationale de pharmacie, membre du Comité scientifique du Haut Conseil des biotec - Phytoma - n°742 - mars 2021 - page 41

Les plantes génétiquement modifiées par l'homme sont soumises à différentes réglementations dans le monde. En Europe, le débat continue.
Tomate biofortifiée 'Sicilian Rouge High Gaba'. Cette tomate japonaise (Université Tsukaba et Sanatechseed) génétiquement éditée par Crispr-Cas9 pour ses propriétés contre l'hypertension artérielle sera commercialisée courant 2021. Source : https://sanatech-seed.com/en/20201211-1-2/

Tomate biofortifiée 'Sicilian Rouge High Gaba'. Cette tomate japonaise (Université Tsukaba et Sanatechseed) génétiquement éditée par Crispr-Cas9 pour ses propriétés contre l'hypertension artérielle sera commercialisée courant 2021. Source : https://sanatech-seed.com/en/20201211-1-2/

Deux ouvrages de Catherine Regnault-Roger.

Deux ouvrages de Catherine Regnault-Roger.

Les applications des nouvelles techniques d'édition du génome, révolutionnées en 2012 avec le Crispr-Cas(1) sont multiples et concernent la santé humaine, animale et végétale. Aujourd'hui se pose la question de la réglementation qui doit leur être appliquée. Faut-il considérer les produits d'édition du génome comme des organismes génétiquement modifiés (OGM) soumis à la même réglementation que les produits issus de transgenèse ? La réponse selon les pays n'est pas unanime. Pour les produits agricoles, les conséquences dans un monde globalisé où circulent les marchandises seront nécessairement importantes, non seulement en termes de concurrence mais aussi d'indépendance alimentaire pour les nations.

Une rupture biotechnologique

Des technologies de plus en plus ciblées

Les techniques de modification du génome, développées dès les années 1940, reproduisent en laboratoire des phénomènes qui existent naturellement (Encadré 1). Elles permettent de s'affranchir des aléas du hasard, en sélectionnant les modifications que l'on veut induire. À la mutagenèse aléatoire et à la transgenèse qui nécessitent de lourdes manipulations expérimentales (rayonnements ou réactifs chimiques mutagènes, canons à particules, électroporation ou transfert bactérien), ont succédé les NBT (New Breeding Techniques) dont certaines utilisent des enzymes, les nucléases dirigées (Encadré 2). Ces dernières techniques qui réécrivent ou éditent le génome (de l'anglais « genome editing »), sont plus puissantes car plus précises, et moins onéreuses. La technique Crispr-Cas (un acide ribonucléique guide associé à l'enzyme Cas) a ainsi été qualifiée de « ciseaux moléculaires » pour souligner sa précision et également de « biologie de garage »(2) pour insister sur la facilité qu'il y a à la mettre en oeuvre.

Améliorer la santé humaine, animale et végétale

Les NBT sont devenues incontournables dans le secteur médical et la gamme des applications est large, de la production de protéines pharmaceutiques par les plantes ou de vaccins thérapeutiques à l'adaptation d'organes animaux pour une transplantation chez l'homme afin de pallier la pénurie des dons d'organes, ou encore la lutte par forçage génétique (Gene drive) associé au Crispr, contre les moustiques vecteurs de maladies infectieuses tropicales (dengue, paludisme, chikungunya, Zika).

Les NBT ouvrent également de larges perspectives en médecine vétérinaire. Des recherches se développent pour lutter contre des maladies qui affectent les élevages comme la tuberculose bovine de plus en plus résistante aux antibiotiques ou les pestes porcines qui sévissent en Chine et dans plusieurs pays africains. Des travaux sont également conduits pour améliorer le bien-être animal en diminuant la sensibilité au froid des porcelets, et pour créer des races de vaches sans corne afin de réduire les risques d'accidents dans les élevages et abandonner l'écornage.

Les applications dans le domaine de la santé du végétal ne sont pas moins nombreuses. De nombreux brevets basés sur la technique Crispr-Cas ont été déposés pour améliorer les rendements des cultures et permettre une adaptation aux changements climatiques (déficit en eau, salinité des sols), lutter contre les insectes et les maladies comme le mildiou de la tomate ou la nielle du riz(3). Les plantes les plus étudiées sont le riz (Oryza sativa), la plante modèle Arabidopsis thaliana suivie par le tabac (Nicotiana tabacum et N. benthamiana), la tomate (Solanum lycopersicum) et le maïs (Zea mays)(4).

Un monde réglementé

Des exigences européennes drastiques

Très tôt, s'est posée la question d'examiner quels risques pouvaient engendrer les modifications du génome mises au point en laboratoire. La conférence internationale d'Asilomar a été organisée en 1975 par Paul Berg, biochimiste à l'université de Stanford et prix Nobel de chimie en 1980, afin de se pencher sur l'évaluation de ces risques, et à sa suite, des réglementations sur l'utilisation des biotechnologies furent mises en place dans de nombreux pays. Aux États-Unis, le Coordinated Framework for Regulation of Biotechnology fut publié en 1986.

En Europe, la mise en place d'une réglementation sur les OGM intervint en plusieurs étapes (Encadré 3). Elle concerne aussi bien les thérapies géniques que les plantes cultivées transgéniques. La réglementation européenne est appliquée aux produits obtenus par la technique de la transgenèse, la dernière découverte de la décennie 1980-1990, tandis que ceux obtenus par mutagenèse aléatoire, une technique utilisée depuis les années 1940, en sont exemptés. En effet, malgré le principe de précaution sur lequel s'appuie la directive 2001/18, il pouvait apparaître superfétatoire, même à cette époque, de vérifier les résultats d'une technique qui n'avait jamais suscité un quelconque problème pendant plus de cinquante ans.

Cette réglementation induit des dossiers fournis et très fouillés, incluant des études d'hypothèses prospectives et comprenant une surveillance post-commercialisation drastique et onéreuse pour détecter une anomalie qui serait liée à la culture d'une plante transgénique (Encadré 4). Seuls les grands conglomérats internationaux du secteur (aujourd'hui l'américain Corteva, le chinois ChemChina et l'allemand Bayer(5)) ont l'assise financière suffisante pour assumer de telles exigences réglementaires qui s'ajoutent à la procédure normale de demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'une nouvelle variété végétale.

De nombreux travaux scientifiques favorables

S'il pouvait paraître opportun d'avoir une telle réglementation à un moment où subsistaient de nombreuses inconnues sur le comportement des plantes génétiquement modifiées en champ, en est-il encore de même aujourd'hui ? De nombreux arguments liés à vingt années de recherche intensives sur les OGM plaident en faveur de son allégement. Ainsi, les trois académies américaines (sciences, technologies et médecine) ont publié en 2016 un rapport de plus 600 pages, à la suite de l'audition de 80 acteurs, du recueil de 700 commentaires et de l'analyse de plus de 1 000 publications scientifiques portant sur les plantes cultivées produites par génie génétique sur une période de vingt ans. Après l'examen des effets agronomiques et environnementaux, des effets sur la santé publique et des conséquences sociales et économiques, ce rapport conclut que ces plantes biotech mises en culture dans le respect des bonnes pratiques agricoles (par exemple ne pas utiliser d'une année sur l'autre les mêmes substances actives phytopharmaceutiques herbicides, ce qui favorise l'apparition de résistance, ou encore pratiquer sur la parcelle des rotations de cultures judicieuses) ne présentent pas plus de toxicité et d'écotoxicité ou de risques environnementaux que les plantes conventionnelles. C'est dans ce contexte que se posa à partir de 2015 la question de la réglementation qu'il faudrait appliquer aux NBT.

Adoption des OGM : un monde divisé

Amérique et Asie : deux continents en pointe

Depuis 1996, année au cours de laquelle ont été plantées les premières cultures transgéniques (biotech) aux États-Unis, Canada, Argentine, Australie, Mexique sans oublier la Chine qui commercialisait déjà des tomates et du tabac transgéniques depuis les années 1990, le monde se divise en deux parties : d'une part, les pays qui les ont adoptées - ils se situent en Amérique du Nord et du Sud, en Asie et dans la zone Pacifique-Océanie - et, d'autre part, ceux qui les ont rejetées - le Moyen-Orient et une majorité de pays africains et de pays européens (à l'exception de l'Espagne et du Portugal).

Aujourd'hui, 191,7 millions d'hectares de plantes biotech(6) sont cultivés avec un éventail de cultures mondialisées (maïs, cotonnier, soja, ainsi que le canola qui dérive du colza) ou plus territoriales (papaye à Hawaï, aubergine au Bengladesh, pommes en Colombie-Britannique, riz doré aux Philippines). Elles expriment des caractères de tolérance à un ou des herbicides et de résistance à des insectes ravageurs ou à des maladies, et plus récemment des caractères permettant de résister à la sécheresse ou de biofortification.

Ce clivage entre les pays probiotech (qui cultivent et importent/exportent des cultures OGM) et ceux qui sont plus réservés (qui importent des cultures OGM mais en refusent la culture) se retrouve dans l'accueil qui a été réservé aux innovations de l'édition du génome.

Une réglementation OGM conciliante dans de nombreux pays

Aussi n'est-il pas étonnant que les premières réglementations appliquées aux produits d'édition du génome aient été prises en Amérique du Sud, où se situent les pays qui ont été qualifiés de « terre d'élection » des plantes biotech et qui se caractérisent par plus de la moitié de leur surface de terres arables cultivée en plantes transgéniques : l'Uruguay (54 %), l'Argentine (61 %), le Paraguay (78 %) et le Brésil (93 %)(7).

L'Argentine, par sa résolution 173/2015, le Chili (résolution normative 2017), la Colombie avec sa résolution 29299/2018 et le Brésil avec sa résolution normative 16/2018, le Paraguay en 2019, ont décidé de procéder au cas par cas mais en dispensant de réglementation tout nouvel OGM par NBT qui n'intégrerait pas « de nouvelles combinaisons de matériel génétique » : les produits d'édition du génome qui n'intègrent pas d'ADN étranger ne sont pas considérés comme des OGM. L'Uruguay n'a pas de réglementation particulière pour les produits d'édition du génome mais a signé, avec douze autres pays en 2018, un manifeste adressé à l'OMC (Organisation du commerce mondial) indiquant qu'il fallait proscrire les « distinctions arbitraires et injustifiées » entre les cultures issues d'édition du génome ou de croisement conventionnel. Parmi les autres pays signataires, figurent notamment l'Argentine, le Brésil, l'Australie, les États-Unis.

États-Unis et Canada : le produit final plutôt que la méthode d'obtention

Aux États-Unis, de nouvelles règles, appelées Secure (Sustainable, Ecological, Consistent, Uniform, Responsible and Efficient) Rule appliquées aux nouvelles biotechnologies d'édition du génome, ont été publiées le 18 mai 2020 dans le Federal Registrer (Registre fédéral), le journal officiel du gouvernement des États-Unis, après qu'une vaste consultation a été organisée pour recueillir l'avis de tous. Une plante génétiquement éditée pour des modifications mineures du génome comme le changement ou la suppression d'une paire de bases ou encore l'introduction d'un gène connu pour appartenir au pool génétique de la plante(8) sera exemptée de la réglementation fédérale appliquée aux OGM. Ce sont les caractéristiques du produit final qui sont désormais évaluées et non la méthode d'obtention. Le Service d'inspection de la santé animale et végétale (Aphis)(9) du département américain de l'Agriculture (USDA) estime que très peu des nouvelles variétés (autour de 1 %) qui lui sont soumises pour autorisation de mise sur le marché ne bénéficieront pas de cet allégement réglementaire qui cible des modifications SDN1 et SDN2. Le but est de favoriser l'innovation en matière d'amélioration variétale et d'augmenter le nombre des produits mis sur le marché. L'USDA a ainsi tenu compte des freins à l'innovation qu'engendre la réglementation américaine actuelle appliquée aux OGM(10).

Autre pays d'Amérique du Nord, le Canada ne traite pas différemment les produits d'édition du génome des autres produits issus d'innovations qui ont des caractères nouveaux. La méthode d'obtention (mutagenèse, transgenèse, NBT, croisement conventionnel, etc.) importe peu. Ce qui compte, ce sont les propriétés du produit fini obtenu qu'évalue au cas par cas l'Agence canadienne d'inspection des aliments (CFIA, Canadian Food Inspection Agency).

Ailleurs : des positionnements variés

Sur les autres continents, le Japon et Israël ont décidé de ne pas réglementer les produits génétiques ne contenant pas de nouvel ADN étranger. L'Australie dispense de réglementation les produits d'édition du génome SDN1 mais réclame un dossier pour les SDN2 et SDN3, optant ainsi pour une situation intermédiaire entre la déréglementation OGM des pays cités précédemment et la position européenne(11). La Russie a réaffirmé en 2020 son opposition à la culture et à l'élevage d'OGM agricoles sauf à des fins de recherche. Mais elle développe depuis 2019 un programme de recherche de 111 milliards de roubles (environ 1,23 milliard d'euros) pour développer une trentaine de variétés génétiquement éditées de blé, d'orge, de betterave à sucre et de pomme de terre. Le décret publié à cet effet indique que ces nouvelles variétés devaient être considérées comme équivalentes aux variétés obtenues de manière conventionnelle. La Chine n'a pas défini un statut réglementaire particulier pour les produits d'édition du génome mais a engagé des programmes de recherche pour 10 milliards de dollars US. C'est le pays qui possède le plus de brevets pour les applications agricoles de Crispr-Cas(12). L'Inde a publié en 2020 des lignes directrices non définitives à ce jour sur les exigences réglementaires qui seraient demandées aux SDN1et SDN2 en matière d'évaluation des risques, les SDN3 incluant de l'ADN étranger relevant d'un dossier de type OGM. Plusieurs pays de l'Asie du Sud-Est poursuivent leur réflexion. Le gouvernement de Nouvelle-Zélande, à la suite d'une décision de la Haute Cour de ce pays, a statué en 2016 que les produits d'édition du génome devaient être considérés comme des OGM. Mais à la suite de débats conduits par la Société royale de Nouvelle-Zélande les années qui suivirent, une réflexion est en cours sur le statut des produits d'édition du génome sans ADN étranger qui pourraient être exemptés de la réglementation des OGM.

Quelles sont les conséquences de ces ajustements réglementaires ? Il semblerait qu'en Argentine qui a opté très tôt, dès 2015, pour un allégement de la réglementation, la baisse des coûts d'homologation s'accompagne d'une offre élargie en nouveaux produits obtenus par les techniques de modification simplifiée d'édition du génome (SDN1 et SDN2), favorisant le développement de nouvelles variétés plus efficientes pour s'adapter aux changements climatiques ou mieux résister aux agents pathogènes et insectes ravageurs des cultures(5).

En débat dans l'Union européenne

Une réglementation sujette à interprétation

La situation est tout autre dans l'Union européenne (UE). Saisie par le Conseil d'État français, la Cour de justice européenne (CJE) a statué sur les produits obtenus par mutagenèse dirigée (donc obtenus notamment par édition du génome), en jugeant par un arrêt du 25 juillet 2018 que les produits obtenus par les techniques de mutagenèse postérieures à la directive 2001/18 doivent être soumis à la réglementation OGM de l'UE tandis que ceux obtenus par les techniques de mutagenèse « traditionnelles » (utilisées avant 2001) en sont exemptés, une latitude étant cependant accordée aux États membres pour les y soumettre également (ils en étaient dispensés jusque-là). Cet arrêt a été transposé dans le droit français par le Conseil d'État le 7 février 2020 avec une interprétation restrictive puisqu'elle demande que des variétés, issues au départ de mutagenèse spontanée au champ mais améliorées par mutagenèse dirigée au laboratoire (Encadré 1), et déjà utilisées en champ depuis plusieurs années, soient retirées du Catalogue officiel français des espèces et variétés de plantes cultivées. Cependant, la Commission européenne, appuyée par cinq États membres (Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas et République tchèque) a rendu le 22 septembre 2020 un avis circonstancié contestant les conclusions du Conseil d'État français et lui demandant de revoir ses projets de décrets et d'arrêtés. Rejoignant en cela celui du Comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies émis le 29 juin 2020(13) qui indique qu'il n'y a pas lieu scientifiquement de faire une distinction entre une mutation spontanée et des mutagenèses in vitro et in vivo, il conclut que les décisions du Conseil d'État français, sont, en l'espèce, contraires à la réglementation européenne dans le cadre du marché commun(14).

Prendre en compte les progrès techniques

L'arrêt de la CJE a par ailleurs été commenté par le Groupe des conseillers scientifiques principaux qui compose le SAM (Scientific Advice Mechanism), un comité d'experts de haut niveau créé le 9 juin 2015, et chargé d'informer en toute indépendance et transparence la Commission européenne sur des sujets scientifiques afin d'élaborer en connaissance de cause les politiques de l'UE. Dans une déclaration intitulée « Une perspective scientifique sur le statut réglementaire des produits dérivés de l'édition génomique et ses implications pour la directive OGM(15) », ce comité souligne qu'« en raison des nouvelles connaissances scientifiques et des récents progrès techniques, la directive OGM est désormais inadaptée », notamment pour des raisons de contrôle et de traçabilité des produits obtenus par les NBT. Il demande que soient évaluées les caractéristiques du produit final au lieu de légiférer à partir de la méthode d'obtention. Il insiste sur la nécessité de tenir compte « des connaissances actuelles et des preuves scientifiques, en particulier sur l'édition génomique et les techniques établies de modification génétique » et de créer un environnement réglementaire favorable à l'innovation afin que « la société puisse tirer parti des nouvelles sciences et technologies ». Il appelle enfin au dialogue sociétal entre toutes les parties concernées et le grand public.

Des voix en faveur d'une révision de la directive

Ce débat public est aujourd'hui ouvert. Une initiative citoyenne européenne Grow Scientific Progress(16), lancée par un groupe d'étudiants européens, a demandé la révision de la directive 2001/18 et une modification de la législation en vigueur pour que l'évaluation porte sur « le produit final plutôt que sur la technique, de sorte que la sécurité soit garantie sans que les avantages précieux des nouvelles techniques soient perdus en raison d'obstacles réglementaires absurdes ».

Les partis politiques s'en emparent également. Ainsi plusieurs membres éminents du Parti des Verts allemands (Grünen), élus dans diverses instances politiques comme le Bundestag (parlement allemand) et le Sénat de la ville de Hambourg, ont publié, dans une démarche non majoritaire, en juin 2020, un manifeste intitulé Neue Zeiten, neue Antworten : Gentechnikrecht zeitgemäß regulieren/Temps nouveaux, nouvelles réponses : réglementer le droit du génie génétique de manière moderne. Ils y soulignent que le génie génétique appliqué en santé humaine est universellement accepté et que les applications en agriculture peuvent aussi s'inscrire dans le cadre de la durabilité « avec de bonnes conditions d'encadrement » ; ce qui permettra un gain de temps pour faire face aux défis du futur comme le changement climatique. Constatant que la réglementation actuelle favorise les « structures de monopole dans l'agriculture », ce qui entrave la recherche publique, ils insistent sur la nécessité d'avoir de nouvelles règles pour donner aux institutions publiques et aux moyennes entreprises une opportunité d'utiliser ces nouvelles techniques afin de mieux répondre aux enjeux de l'innovation. Ils concluent ainsi que la réglementation européenne ne correspond plus à l'état actuel de la science et réclament qu'on considère le résultat obtenu et non la technologie utilisée en mettant en oeuvre « une évaluation technologique équilibrée et prudente en dialogue avec la science »(17).

Enfin, plus récemment, en novembre 2020, l'Union européenne des académies d'agriculture (UEAA), appuyée par plusieurs académies d'États membres, s'inquiète que 80 % des brevets déposés sur les applications de la technique Crispr-Cas soient américains ou chinois et moins de 10 % européens(18). Elle prend position pour demander une nouvelle réglementation sur les OGM adaptées aux techniques modernes de sélection. C'est dans ce contexte que la Commission européenne développe actuellement sur ce sujet si important pour l'avenir des agricultures européennes et l'indépendance agroalimentaire de ses États membres une réflexion qui doit se conclure en avril 2021.

(1) Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats.(2) Le Déaut J.-Y., Procaccia C., 2017. Les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche. Rapports n° 4618, Assemblée nationale, et n° 507 Sénat, tome I, OPECST, 366 pages.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - En novembre 2020, le prix Nobel de Chimie est attribué à Emmanuelle Charpentier et à Jennifer Doudna, co-inventrices de la technique d'édition du génome Crispr-Cas (CRISPR, Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats).

Cette découverte majeure révolutionna en 2012 les techniques de modification du génome. Ces dernières sont perçues favorablement dans une partie du monde. En Europe, la réglementation est plus restrictive.

RÉGLEMENTATION - La définition d'un OGM figurant dans la directive 2001/18/CE peut être sujette à interprétation, comme l'illustre le projet de transposition en droit français, rejeté par la Commission européenne. En parallèle, des voix s'élèvent en faveur d'une révision de la directive, afin qu'elle prenne en compte les avancées scientifiques.

MOTS-CLÉS - Organismes génétiquement modifiés (OGM), réglementation, NBT (New Breeding Techniques), mutagenèse.

CONTEXTE - En novembre 2020, le prix Nobel de Chimie est attribué à Emmanuelle Charpentier et à Jennifer Doudna, co-inventrices de la technique d'édition du génome Crispr-Cas (CRISPR, Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats).

Cette découverte majeure révolutionna en 2012 les techniques de modification du génome. Ces dernières sont perçues favorablement dans une partie du monde. En Europe, la réglementation est plus restrictive.

RÉGLEMENTATION - La définition d'un OGM figurant dans la directive 2001/18/CE peut être sujette à interprétation, comme l'illustre le projet de transposition en droit français, rejeté par la Commission européenne. En parallèle, des voix s'élèvent en faveur d'une révision de la directive, afin qu'elle prenne en compte les avancées scientifiques.

MOTS-CLÉS - Organismes génétiquement modifiés (OGM), réglementation, NBT (New Breeding Techniques), mutagenèse.

1 - Les techniques de modification du génome miment des phénomènes naturels

La modification du génome(1) des êtres vivants est un phénomène naturel indissociable de la vie. Elle permet une adaptabilité continue pour faire face aux modifications de leur environnement. Ces transformations, nécessaires à la vie et à la survie des individus et des espèces, se traduisent par un large éventail de réponses, socle de la biodiversité, et engendrent une constante évolution des écosystèmes.

Cette modification du génome met en jeu plusieurs mécanismes qui interviennent spontanément dans la nature, comme la mutagenèse et la transgenèse.

Il a ainsi été constaté que la patate douce du genre Ipomoea a acquis au cours de l'évolution des fragments d'ADN de bactéries du sol du genre Agrobacterium, et peut être considérée comme un organisme naturellement transgénique, un OGM obtenu de façon naturelle. Certaines variétés inscrites au Catalogue officiel sont issues d'un processus de sélection provenant d'une mutation spontanée. Des variétés de tournesol ont ainsi été développées à partir de plantes qui avaient manifesté une tolérance naturelle à une substance active herbicide (mutation spontanée au champ). L'étude de ces mutations naturelles en laboratoire a permis d'identifier quelles étaient les modifications du génome associées à cette caractéristique, de les sélectionner et de les introduire dans des lignées qui ont été ensuite commercialisées(2).

(1) Regnault-Roger Catherine, 2020. Des outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale, Fondation pour l'innovation politique, 56 pages.

(2) Plusieurs variétés de tournesol, dont certaines sont basées sur des technologies brevetées (Clearfield® ou ExpressSun™), ont ainsi été créées pour être « rendues tolérantes aux herbicides » (appelées VRTH). En France, elles ont fait l'objet, dès les années 2010, d'études réalisées par le Cetiom afin d'évaluer leur efficacité pour permettre le désherbage d'adventices difficiles et récurrentes comme l'ambroisie. Dix ans plus tard, en 2020, un avis de l'Anses a dressé un bilan général de l'utilisation des VRTH en France. Références :

- Franck Duroueix et Monique Hébrail, 2010. Désherbage du tournesol et du soja, de nouvelles stratégies, rencontres techniques régionales du Cetiom - https://tinyurl.com/ajjt49yl

- Anses, 2020. Utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides en France, Avis de mars 2020, édition scientifique - https://tinyurl.com/2k9rohxv

2 - Les « site directed nucleases » ou SDN

Les techniques d'édition du génome (NBT) sont classées en fonction de la transformation qu'elles induisent en trois classes appelées SDN. Les SDN1 et SDN2 mettent en jeu des modifications mineures du génome comme l'inactivation d'un gène par coupure ciblée (délétion) ou insertion de quelques nucléotides pour réparation, ou encore une modification ciblée d'une petite séquence similaire de nucléotides dans un gène donné. SDN3 correspond à une insertion ciblée d'une séquence différente non similaire d'ADN (exemple : un transgène)(1).

(1) Définitions du Haut conseil des biotechnologies (2016), d'après le rapport du groupe de travail sur les nouvelles techniques d'obtention végétales du 20 novembre 2017 - https://tinyurl.com/gdvi0arx

3 - Textes réglementaires sur les OGM de l'Union européenne

Deux directives articulées ensemble ont été publiées en 1989 et 1990 : les directives 89/219/CEE et 90/220/CEE relatives à l'utilisation d'OGM en milieu confiné ou en milieu ouvert, suivies dix ans plus tard, en 2001, par la directive 2001/18/CE « relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement », toujours en vigueur. Elle a été amendée en 2015 par la directive (UE) 2015/412 portant sur l'acceptabilité sociétale de ces technologies. Enfin, en 2018, la directive 2018/350/CE a réactualisé le cadre réglementaire des dispositions en matière de surveillance de l'évaluation des risques pour l'environnement. Le règlement (UE) 2015/2283 sur les nouveaux aliments accompagne ces directives.

4 - Dispositions de la directive 2001/18/CE sur les OGM dans l'Union européenne

Le dossier technique pour obtenir une autorisation pour une importation/transformation ou une mise en culture d'une PGM (plante transgénique) comprend un descriptif complet de la plante et de sa transformation, incluant un dossier toxicologique (alimentarité, allergénicité, etc.). Il s'accompagne d'un plan d'évaluation des risques pour l'environnement précisant l'exposition et l'existence ou non de flux de gènes, de phénomènes de persistance et d'envahissement, d'éventuels effets immédiats, différés ou cumulés à long terme sur les organismes cibles et non cibles (faune, flore de l'environnement, opérateurs), sur les cycles biogéochimiques et quelles sont les mesures prises pour les gérer à partir d'expériences de terrain mais aussi des scénarios extrêmes simulés en laboratoire.

Il se conclut par un plan de surveillance post-commercialisation conduit sur la durée de l'autorisation de dix ans et donnant lieu à des rapports annuels adressés à la Commission européenne. Il comprend une surveillance générale et une surveillance spécifique. La surveillance spécifique est destinée à mettre en évidence la survenue de changements attendus et à tester d'éventuelles hypothèses sur des effets négatifs. La surveillance générale vise à mettre en évidence des changements non prévisibles et des effets non intentionnels non connus sur des populations non-cibles et non identifiées comme cible potentielle.

(1) Regnault-Roger Catherine, 2020. Les biotechnologies agricoles, une clé pour l'indépendance agroalimentaire, 1er septembre 2020 - https://tinyurl.com/nbystcts

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : catherine.regnault-roger@univ-pau.fr

CLAUSE DE NON-RESPONSABILITÉ

L'auteur déclare ne pas avoir de conflit d'intérêt avec le sujet traité. Les opinions exprimées n'engagent pas les instances auxquelles elle appartient ou collabore. Sa déclaration publique d'intérêt (DPI) est affichée sur le site du HCB : https://tinyurl.com/7sm3a172

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