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Sur le métier

Alix Rousseaux met au point des biofongicides

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°742 - mars 2021 - page 53

Responsable de l'activité bio-intrants chez ARD, Alix Rousseaux oeuvre à la mise au point de biofongicides contre la fusariose et la septoriose du blé à partir de champignons ou de bactéries du terroir. Travailler avec du vivant s'avère bien plus compliqué qu'avec des molécules chimiques. Tout doit être inventé ou réinventé : process de production, formulation, utilisation au champ, stockage...
 Photo : C. Urvoy

Photo : C. Urvoy

Après une formation d'ingénieur agroalimentaire spécialisé en microbiologie des procédés alimentaires et biologiques, Alix Rousseaux a intégré l'équipe d'ARD(1) au sein de la bioraffinerie de Pomacle-Bazancourt (Marne). Créé en 1989 par des coopératives céréalières et sucrières de la région(2), ARD développe et met à l'échelle industrielle des procédés de biotechnologie pour l'agroalimentaire, la cosmétique, l'industrie ou encore l'agriculture. « Nous travaillons à 80 % pour des start-up ou des grands groupes internationaux comme les firmes phytosanitaires qui lancent de nouveaux produits, pour les aider à passer du laboratoire au stade industriel tout en offrant par la suite des capacités intermédiaires de production qui permettent d'accélérer leur développement commercial et industriel. » Ce transfert d'échelle est en effet beaucoup plus difficile avec du vivant comparé aux molécules chimiques. « 10 à 15 % de notre activité est destinée à nos coopératives actionnaires et à leurs agriculteurs qui investissent 0,15 €/q de céréales depuis dix ans pour trouver des solutions de biocontrôle pour leurs cultures. »

Des souches régionales

Côté santé végétale, ARD travaille depuis dix ans à la mise au point de biofongicides contre la fusariose et la septoriose du blé à partir de champignons ou de bactéries. Tout a commencé par des prélèvements d'échantillons de sol, de débris de végétaux, de feuilles de blé... sur différentes parcelles de la région sur indications des agronomes des coopératives. « Ces souches étant déjà adaptées à la région, ce sont celles qui ont le plus de chance de s'y développer en tant que biofongicides », explique Alix Rousseaux. Une fois les échantillons arrivés au laboratoire, les micro-organismes en sont extraits. « On peut obtenir jusqu'à 3 000 souches différentes. » Plusieurs étapes de screening sur boîtes de Petri sont ensuite mises en place pour tester leur action face au pathogène ciblé. Les plus efficaces sont étudiées : identification moléculaire et mode d'action. « Plus une souche combinera des modes d'action différents, plus elle a de chances d'être efficace avec un risque réduit de contournement. À la fin de cette étape, il reste vingt à cinquante souches. »

Une formulation adaptée

S'ensuit la mise au point du procédé de fermentation pour produire les souches sélectionnées. « Celui-ci ne doit pas être trop coûteux pour obtenir un coût final du biofongicide proche de celui des produits conventionnels. » Leur stabilité dans le temps est renforcée grâce à la mise en oeuvre d'un agent protecteur. Puis vient l'étape de la formulation. « Nous travaillons beaucoup sur la formulation à base de produits biosourcés pour qu'elle permette à la souche de bien se nourrir et résister au champ. » Troisième étape : les essais en chambre phytotronique. Les souches qui restent en lice (10 à 30) sont testées directement sur les cultures cibles avec un produit déjà formulé pour étudier différentes doses, le positionnement du traitement, la compatibilité avec les fongicides chimiques en présence de maladie. Au maximum, cinq souches seront gardées pour des tests au champ afin d'étudier un maximum de modalités pour chacune. « Contre la fusariose du blé, nous en avions deux la première année en 2017 au champ, puis une seule par la suite. »

Réduire l'IFT

« L'itinéraire technique a été construit avec les coopératives. Celles-ci réalisent ensuite toutes les modalités avec trois ou quatre répétitions pour tester différents stades d'applications. Dans certains essais, notre candidat procure la même efficacité que la référence. Dans d'autres, en fonction de la météo ou de la pression maladie, son efficacité est moindre. Mais l'objectif n'est pas de se passer des fongicides chimiques mais de réduire leur IFT en intégrant des produits de biocontrôle dans les programmes fongicides. »

En 2021, le stade d'application doit être affiné, de même que le procédé de production de la souche et la formulation. ARD a également présenté ces résultats à des firmes phytosanitaires et des start-up pour une future mise en marché. « Certaines vont conduire leur propre test pendant trois ans avant de s'investir dans une homologation. » Cinq à six années sont encore nécessaires avant que le produit ne soit commercialisé. Cela comprend des phases longues et coûteuses d'enregistrement des solutions actives au niveau européen puis de leurs homologations par les metteurs en marché par zone géographique.

Tout réinventer

Mettre au point un biofongicide est un parcours semé d'embûches. Il faut réussir à maintenir la viabilité et l'efficacité de la souche tout au long du procédé de production, pendant le stockage, lors de la pulvérisation, puis au champ, tout en assurant performance et compétitivité. « Pour cela, il faut adapter le process à chaque type de souches, ce qui nécessite d'investir dans des équipements spécifiques. » Il faut également mettre au point un stabilisateur de la souche, de nouvelles formulations, de nouveaux itinéraires techniques intégrant sélection variétale, agronomie et fongicides conventionnels à dose réduite, le tout sans OAD adaptés. « Il nous faut aussi imaginer des utilisations différentes en termes de conditions de stockage, de moments de traitement, et peut-être d'équipements d'application : nos liens étroits avec les coopératives agricoles prennent alors tout leur sens car leurs adhérents sont intimement associés au succès de cette révolution. » Et c'est sans compter sur le fait que la réglementation n'est pas encore totalement adaptée à ce nouveau type de produits. Parallèlement, ARD teste déjà son candidat sur d'autres couples culture/pathogène et planche sur d'autres biofongicides pour ses coopératives actionnaires. « Ce que nous avions réalisé en dix ans pour la fusariose peut l'être aujourd'hui en six ans », conclut Alix Rousseaux.

(1) Agro-industrie, Recherche et Développement.(2) Vivescia, actionnaire majoritaire, aux côtés d'EMC2 (Meuse), CAJ (Ardennes), et de Coligny, Efigrain-Sezanne et Esternay (Marne).

BIO EXPRESS

ALIX ROUSSEAUX

2009. Ingénieur agroalimentaire de l'Ensia de Massy, spécialisée en microbiologie des procédés alimentaires et biologiques (Essonne).

2010. Responsable de l'activité bio-intrants, chef de projet biotech et extraction du végétal chez ARD (Marne).

2017. Devient directrice de projet en biotechnologie en plus de ses autres fonctions.

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