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DOSSIER - Légumineuses à grainesPetits moyens, gros défis

Légumineuses à graines : quelle protection phytosanitaire ?

FRANCK DUROUEIX, ANNE MOUSSART ET LAURENT RUCK, Terres Innovia. - Phytoma - n°743 - avril 2020 - page 15

Lentille, pois chiche, féverole, pois, lupin : ces cultures sont confrontées à des bioagresseurs, contre lesquels peu ou pas de solutions existent.
Culture de pois en floraison. Photo : L. Jung - Terres Inovia

Culture de pois en floraison. Photo : L. Jung - Terres Inovia

Les légumineuses à graines sont exposées aux stress abiotiques, en particulier dans le contexte actuel de changement climatique, tels que les gels tardifs, hydromorphies passagères, fortes températures en floraison, stress hydrique qui, ces dernières années, se sont répercutés sur leurs performances économiques au point de présenter un risque pour le développement de ces cultures. La protection vis-à-vis des bioagresseurs est un enjeu tout aussi important du fait de leur grande diversité. L'indicateur de fréquence des traitements total(1) est de 4,5 pour le pois protéagineux et 3,1 pour la féverole, quand il atteint, en 2017, 6,3 pour le colza et 5,1 pour le blé tendre(2), assez loin devant le tournesol ou le soja, respectivement à 2,7 et 1,8(3). Cet indicateur ne traduit cependant pas les impasses techniques, les usages non pourvus ou les situations fragiles.

Une gestion des adventices sous pression

La gestion des espèces adventices reste pour les producteurs et leur filière un enjeu prioritaire pour maintenir la compétitivité de leur culture et de leur assolement. Le semis tardif des légumineuses à graines, à l'automne (novembre) ou au printemps (mars), est un atout dans la gestion agronomique, en interculture ou avant semis, des graminées hivernales (ray-grass, vulpin) dont la pression ne cesse de progresser (résistance aux antigraminées foliaires). Cependant, les nouvelles contraintes sur l'utilisation des produits à base de glyphosate rendent plus complexe la destruction des levées de fin d'automne et d'hiver. Dans le cadre du processus européen de renouvellement d'approbation des substances actives, l'avenir des modes d'action alternatifs à ceux des antigraminées foliaires que sont la benfluraline et la propyzamide (groupe HRAC K1) inquiète et peut remettre en cause la place de ces légumineuses dans la rotation.

Le contrôle des dicotylédones est plus aisé. Cependant, en raison de son profil environnemental, l'avenir de la bentazone (C3) est incertain alors que la substance présente des bénéfices particuliers comme la gestion des astéracées dans une culture de légumineuse. La pendiméthaline (K1), l'aclonifen (E - F3) et l'imazamox (B), utilisés dans la majorité des programmes de désherbage, sont des molécules candidates à substitution, ce qui fragilise leur avenir. Ainsi, les programmes expérimentaux ont pour objectif de construire des stratégies plus durables en incluant des substances actives aux profils différents ou en faisant intervenir le désherbage mécanique. Développer de nouvelles solutions sur ces petites cultures, c'est aussi s'atteler à des projets règlementaires en lien avec le ministère de l'Agriculture et de l'alimentation, l'Anses et les sociétés phytopharmaceutiques. En 2021, un herbicide à base d'isoxaben a pu être homologué via une extension d'usage pour culture mineure et grâce à un financement pour la réalisation des essais résidus (Comité technique des usages orphelins animé par la DGAL). En ce qui concerne le désherbage mécanique, le binage est particulièrement bien adapté aux grands écartements, supérieurs à 40 cm (féverole, lupin). La herse étrille est à réserver au pois de printemps (elle peut sensibiliser le pois d'hiver à la bactériose) et à la lentille à des stades précoces. Le désherbage mécanique se montre efficace sur dicotylédones mais très insuffisant sur graminées.

La gestion des maladies se heurte aussi à des difficultés

Maladies racinaires : esquive et espoir en génétique

Peu de solutions existent pour lutter contre les maladies racinaires. L'aphanomyces (Aphanomyces euteiches) constitue notamment une impasse technique pour le pois de printemps et la lentille, aucune méthode de lutte phytopharmaceutique n'étant actuellement disponible. Terres Inovia propose toutefois des solutions pour gérer le risque et vient notamment de développer un outil (Eva) permettant d'évaluer le risque parcellaire. Ceci permet d'esquiver un risque d'échec et d'opter pour une culture adaptée telle que le pois d'hiver. Des avancées significatives ont également été réalisées en génétique et sélection ; trois variétés récemment inscrites au catalogue présentent un certain niveau de tolérance, compatible avec de faibles niveaux de potentiel infectieux. Un programme consistant à chercher des compléments d'efficacité, notamment via les traitements de semences est en cours. Les légumineuses à graines peuvent être concernées par d'autres maladies telluriques, même si leur nuisibilité est moindre que celle de l'aphanomyces, en particulier si les bonnes pratiques agricoles sont déployées. Un projet visant à caractériser les principaux pathogènes en cause (Fusarium sp., Rhizoctonia sp., Phytophthora sp.) est actuellement en cours à Terres Inovia (projet Mallag), en vue de mieux lutter contre ces maladies.

Traitement des semences

La lutte contre le mildiou, sur pois, féverole et lupin ou contre l'ascochytose du pois chiche via le traitement de semences se trouve en situation délicate. La restriction d'usage du métalaxyl-M en traitement de semences aux cultures sous abris au 1er juin 2021 met les producteurs en position d'usage non pourvu dans les cas où ces cultures font couramment partie de l'assolement. Le pois chiche, très sensible à l'ascochytose, transmise par la semence, se trouve en usage orphelin depuis le retrait du thirame (2019) puis du thiophanate-méthyl (2020). La lutte alternative fait l'objet de toutes les attentions, notamment en production de semences (prophylaxie, agrément des parcelles de production et des lots). En parallèle de procédures de dérogation 120 jours envisagées par la filière (article 53 du règlement UE 1007/2009), les programmes actuels de recherche et de développement testent, sur ces espèces, de nouvelles solutions conventionnelles et de biocontrôle autorisées ou en cours de développement sur d'autres cultures.

Protection foliaire

Ce contexte réglementaire a aussi eu un impact sur la protection foliaire contre les maladies telles que le botrytis de la féverole ou les ascochytoses du pois, du lupin, du pois chiche ou de la lentille. La gamme de fongicides doit être renouvelée, en conséquence du retrait du chlorothalonil (2019) et de l'époxiconazole (2019), et de l'avenir très incertain du tébuconazole et du cyproconazole. Cette lutte fongicide repose désormais essentiellement sur l'azoxystrobine. Il s'agit de développer de nouvelles solutions, performantes et économiques sans écarter les pistes du biocontrôle. La protection intégrée prend en compte toutes les étapes de la conduite, de la prophylaxie en production de semence à la gestion de la date de semis et de la densité. Ces étapes sont aujourd'hui bien maîtrisées par le conseil. Compte tenu de la faible fréquence de ces légumineuses dans l'assolement, la rotation n'est pas considérée comme un levier. Dans le cas du pois, la sélection de variétés plus résistantes à la verse et plus hautes a permis de créer des couverts moins favorables au développement de l'ascochytose. Comme pour d'autres espèces de grandes cultures, des méthodologies d'évaluation variétale pour la résistance aux maladies ont par ailleurs été récemment développées sur ascochytose du pois ou celle du pois-chiche et devraient permettre d'accélérer la création et la mise sur le marché de variétés plus résistantes.

De nombreux ravageurs sur légumineuses

Sur pois, l'IFT insecticide est équivalent à celui observé pour les herbicides (sitone, thrips, voire bruche, cécidomyie, tordeuse). En culture de légumineuses à graines, les pyréthrinoïdes sont des substances pivots, mais cette famille est aujourd'hui mise à mal après le récent retrait de plusieurs d'entre elles et de fortes inquiétudes demeurent sur celles restantes. La lutte contre les bruches, Bruchus rufimanus pour la féverole, B. pisorum pour le pois et B. signaticornis pour la lentille, se trouve dans une impasse technique avec des conséquences directes sur l'économie de ces filières (répondre aux critères d'accès du marché de l'alimentation humaine). Les solutions actuelles ne sont pas efficaces, contrairement à l'endosulfan ou à la bifenthrine utilisés jadis. La recherche mobilise plusieurs métiers, dont celui d'entomologiste pour comprendre et concevoir de nouvelles méthodes de lutte, en biocontrôle notamment (projets de lutte directe, piégeage, push-pull, etc.). L'évaluation de solutions à base de kairomones constitue un de ces volets (projet de la société AgriOdor). Des pistes se dessinent en génétique uniquement en féverole (identification de deux cultivars tolérants aux bruches, recherche de marqueurs pour la sélection - projet Peamust) mais elles traduisent la nécessité de mettre en place un ensemble de leviers dont la prophylaxie, en particulier les actions à mener autour de la récolte et du stockage.

Enfin, l'année 2020 a mis en évidence les dégâts et dommages qui peuvent être occasionnés sur pois, féverole et lentille par les pucerons et les viroses qu'ils transmettent. Le manque actuel de solutions alternatives contre les pucerons, malgré les projets développés sur ce sujet (identification de caractères de tolérance du pois - Inrae, université d'Amiens, Terres Inovia ; évaluation de solutions de biocontrôle - Terres Inovia), montre que la protection reste fragile car elle repose, en situation de forte pression, sur une seule substance active pivot, le pirimicarbe. De nouvelles solutions sont évaluées et attendues dans les prochaines années

Des défis à relever

La protection des cultures des légumineuses à graines doit donc répondre à de nombreux défis :

- la performance et la compétitivité pour assoir leur place dans le système de culture afin que ce dernier bénéficie de nombreux bénéfices en lien avec la transition agroécologique ;

- la durabilité en lien avec la disponibilité de solutions techniques conventionnelles et alternatives ;

- la levée d'impasses techniques, notamment via le progrès génétique ou l'amélioration des pratiques culturales.

(1) L'IFT des cultures rend compte du niveau actuel de la protection.(2) Source : service de la statistique et de la prospective (SSP/ministère de l'Agriculture et de l'alimentation).(3) Source : Agreste-janvier 2020.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - L'intérêt des légumineuses à graines dans les assolements pour les nombreux services écosystémiques qu'elles rendent (rupture dans le cycle des maladies et ravageurs, contribution à la gestion des adventices, azote, bilan carbone, qualité des sols...) fait consensus. C'est une des raisons pour lesquelles ces cultures tiennent une place centrale dans le nouveau plan protéines visant à améliorer la souveraineté protéique dans le cadre du volet agricole du plan de relance.

SITUATION PHYTOSANITAIRE - La protection des cultures doit permettre d'assurer cette place des légumineuses dans l'assolement. Les défis sont importants car les restrictions règlementaires fragilisent une situation déjà confrontée à des impasses (exemples : Aphanomyces du pois, ascochytose du pois chiche, bruches). Les programmes de recherche et développement en désherbage, en lutte contre les maladies ou les ravageurs visent à évaluer d'autres substances actives à meilleurs profils, des solutions de biocontrôle et à exploiter les progrès de la sélection.

MOTS-CLÉS - Légumineuses à graines, lentille, pois chiche, féverole, pois, lupin, graminées, ascochytose, Aphanomyces, mildiou, bruches, pucerons.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : f.duroueix@terresinovia.fr

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