Si les cultures de lupin et de pois chiche tendent à se développer aussi bien en agriculture biologique que conventionnelle, des facteurs techniques freinent fortement la progression des surfaces, l'un des principaux étant la gestion des maladies, en particulier l'anthracnose dans le cas lupin et l'ascochytose dans le cas du pois chiche. Ces deux maladies sont en effet les plus préjudiciables pour ces cultures et les méthodes de lutte sont actuellement limitées. En cas de forte attaque, une parcelle peut être totalement détruite.
Des cultures de diversification
Face à des systèmes de plus en plus spécialisés et à l'apparition de plus en plus fréquente d'impasses techniques (gestions des maladies et ravageurs, enherbement, résistances...), la diversification des systèmes de production est devenue indispensable dans un objectif de durabilité. Dans ce contexte, le lupin et le pois chiche présentent un réel intérêt, notamment pour les rotations céréalières : comme les autres légumineuses, ces espèces ont la capacité de fixer l'azote atmosphérique via leurs nodosités, et sont donc autonomes pour leur nutrition azotée, tout en restituant de l'azote au sol, ce qui permet de diminuer la quantité d'azote apportée sur la céréale suivante. Plantes à pivot, elles permettent une restructuration du sol. Insérées dans une rotation, elles auront également comme effet de rompre le cycle des maladies et ravageurs des céréales, diminuant là encore les interventions sur la céréale suivante.
Deux maladies majeures transmises par les semences
L'ascochytose du pois chiche
L'ascochytose du pois chiche, due au champignon Ascochyta rabiei, apparaît le plus souvent sous forme de foyers au sein de la parcelle (photo 1). Sur les feuilles (photo 2), de petites lésions translucides évoluent en nécroses au centre desquelles de petits points noirs (les pycnides) sont visibles. Des lésions du même type, mais de forme allongée, apparaissent également sur les tiges (photo 3), pouvant les ceinturer et provoquer une cassure. Sur les gousses (photo 4), on observe également des nécroses à centre clair et pourtour noir, contenant des pycnides. Le champignon nécrose les graines après avoir pénétré dans les gousses. On le retrouve alors sous forme de mycélium au niveau des téguments et de l'embryon avec parfois la présence de quelques pycnides (photo 5).
L'anthracnose du lupin
L'anthracnose du lupin est due au champignon Colletotrichum lupini (photo 6). Les symptômes apparaissent également en foyers dans la parcelle. Le plus caractéristique est la torsion de la tige avec présence d'un chancre rose-orangé auréolé de brun dans le creux de la courbure. La tige peut être entièrement ceinturée puis casser. Des symptômes semblables sont observés sur les pétioles, pouvant alors provoquer des défoliations, des avortements de fleurs ou de gousses. Sur les feuilles, des nécroses beiges au pourtour brun-noir peuvent apparaitre, mais sont peu fréquentes. Les gousses présentent des chancres semblables à ceux observés sur tiges et sont souvent déformées (photo 7). Les graines contaminées peuvent être déformées et décolorées avec présence de mycélium et/ou des spores roses en surface.
Conservation et transmission des maladies
Les agents pathogènes responsables de ces maladies se conservent principalement sur les graines. Les graines contaminées constituent la principale source d'inoculum primaire et sont notamment à l'origine de l'introduction de la maladie dans de nouvelles parcelles et régions jusqu'alors indemnes. Ces graines contaminées donnent en effet naissance à des plantules qui présentent rapidement des nécroses à partir desquelles de nombreuses spores sont produites et disséminées sur de courtes distances par la pluie (phénomène de splashing) (photos 8 à 10), voire sur de plus longues distances par le vent. Dans une moindre mesure, des spores produites sur les résidus de cultures malades peuvent également être à l'origine de premiers foyers de contaminations. Par cycles successifs, toutes les parties aériennes des plantes peuvent ainsi être contaminées à n'importe quel stade phénologique.
L'ascochytose du pois chiche et l'anthracnose du lupin sont décrites dans de nombreux pays où elles sont également considérées comme les maladies les plus dommageables. En France, bien que présentant un frein au développement du pois chiche et du lupin, ces maladies sont peu étudiées et les connaissances actuelles relèvent de travaux récents menés dans le cadre de projets collaboratifs régionaux(1) ou menés dans les pays où la culture est bien implantée.
Peu de leviers actuellement disponibles
Dans une approche de lutte intégrée, la gestion de ces maladies peut faire appel à différents leviers : génétique, agronomique et chimique.
Il n'existe actuellement aucune variété de pois chiche ou de lupin résistante à ces maladies en France. Des travaux de sélection pour la résistance du pois chiche à l'ascochytose sont conduits dans la plupart des pays producteurs. Des sources de résistance ont été identifiées mais la sélection se heurte à la variabilité de l'agent pathogène, l'existence de sa forme sexuée, Didymella rabiei, offrant des possibilités de recombinaison et le développement de nouveaux pathotypes(2). La sélection du lupin pour la résistance à l'anthracnose est principalement menée en Australie et en Allemagne. En Australie, des variétés de lupin bleu présentant un bon niveau de résistance sont disponibles sur le marché et permettent la relance de la culture.
Les leviers agronomiques se limitent à l'utilisation de semences saines pour limiter l'inoculum primaire et à la qualité de l'implantation qui rend les plantes plus robustes face aux stress. L'utilisation de semences saines se heurte toutefois au manque de méthodes standardisées de détection et de solutions de traitements physiques, permettant de garantir un bon état sanitaire des lots.
La principale méthode de lutte actuelle reste donc la lutte chimique par le biais de traitements de semences ou en végétation, avec cependant des solutions limitées. Cette méthode de lutte est toutefois insuffisante à elle seule puisqu'elle ne permet pas de gérer ces maladies en cas de forte pression.
Peu de solutions sont donc disponibles aujourd'hui et il s'avère indispensable d'identifier des méthodes alternatives permettant de maîtriser ces deux maladies majeures et de limiter les intrants.
AsCoLup : pour une meilleure gestion des maladies
D'une meilleure connaissance des maladies à une dynamique territoriale
Le projet CasDar AsCoLup(3) (2020-2023)a pour ambition d'accompagner le développement des cultures de pois chiche et de lupin, principalement en apportant aux agriculteurs et à leurs conseillers des solutions permettant une meilleure gestion des maladies. Les principaux objectifs sont d'acquérir des connaissances sur ces deux maladies dans nos bassins de production français, de mettre au point des méthodes d'évaluation des risques, des outils d'aide à la sélection variétale et d'identifier des leviers de lutte agronomique dans le but de sécuriser la production. Le projet vise également l'impulsion d'une dynamique territoriale entre les acteurs de ces filières. Deux productions sont concernées : la production de semences et la production de consommation, en agriculture biologique et conventionnelle.
Afin de répondre à ces objectifs, trois actions sont menées. La première action concerne l'acquisition de connaissances, préalable indispensable à l'élaboration de méthodes de lutte. Il s'agit plus précisément de caractériser les populations d'agents pathogènes (A. rabiei et C. lupini) présentes en France et d'étudier l'épidémiologie et la nuisibilité des maladies.
La seconde action vise à identifier des leviers de lutte. Cela concerne :
- la mise au point d'une méthode standardisée de détection des pathogènes dans les graines et l'identification de méthodes de traitements physiques de ces graines ;
- l'optimisation des itinéraires techniques pour une meilleure gestion de ces maladies ;
- la mise au point d'un test d'évaluation du comportement variétal comme outil d'aide à la sélection.
Enfin, la troisième action vise à faciliter la structuration des filière en créant des conditions propices aux échanges entre acteurs des différents bassins de production.
Des premiers travaux
Le projet a débuté en janvier 2020. Dix observatoires ont été menés sur des parcelles de pois chiche à l'échelle nationale ; Ils ont notamment permis de collecter les premières souches d'A. rabiei, et de constituer une base de données sur les contextes parcellaires (pédoclimat, itinéraires techniques...) en lien avec le développement de la maladie. Ces observatoires qui se poursuivent en 2021 pour les deux cultures alimentent en partie les deux premières actions. Dans le cadre de la deuxième action, un test plan pour la validation de la méthode de détection des pathogènes sur milieu gélosé dans les graines a été soumis à l'ISTA (International Seed Testing Association) pour une harmonisation internationale, et accepté. Quatre traitements de semences alternatifs ont été identifiés et seront testés en 2021. Les premiers essais agronomiques visant à identifier des leviers de lutte ont été menés ; ils ont porté sur les leviers densité de semis et écartement. Enfin, un test de résistance variétale a été mis au point. Dans le cadre de la troisième action, des comités techniques filières ont été lancés, dans le but de favoriser les échanges entre les acteurs des filières.
(1) Projet Prograilive https://www.vegepolys-valley.eu/projet-sos-protein/projet-prograilive/(2) Pathotype : fraction d'une population d'agent pathogène qui possède en commun un même gène de virulence.(3) AsCoLup est financé dans le cadre de l'appel à projet CasDar IP 2019. Le projet, coordonné par Terres Inovia, rassemble quinze partenaires : Arterris, les chambres régionales de Bretagne et Normandie, Épi de Gascogne, le lycée agricole de Toulouse (Eplefpa Toulouse), la Fnams, le Geves, Jouffray-Drillaud, le Lubem (UBO), Qualisol, SeineYonne, Terrena, Top Semence, Soufflet et Terres Inovia.
RÉSUMÉ
PROJET - Le projet CasDar AsCoLup (2020-2023) a pour ambition d'acquérir des connaissances sur ces deux maladies et de développer à court/moyen terme des solutions de lutte, principalement agronomique, ainsi que des traitements alternatifs des semences.
MOTS-CLÉS - Légumineuses, lutte agronomique, semences, ascochytose du pois chiche, Ascochyta rabiei, anthracnose du lupin, Colletotrichum lupini.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : a.penant@terresinovia.fr