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DOSSIER - Légumineuses à grainesPetits moyens, gros défis

Bruchus signaticornis, ravageur principal de la lentille en France

JEAN-DAVID CHAPELIN-VISCARDI(1), SAMUEL LOISEAU(1), GWÉNOLA RIQUET(2), CÉLINE ROBERT(3) ET LAURENT RUCK(3) (1) Laboratoire d'éco-entomologie - Orléans. (2) Terres Inovia-Anils. (3) Terres Inovia. - Phytoma - n°743 - avril 2020 - page 33

Un suivi des populations de bruches pendant trois ans a permis d'identifier l'espèce principale dégradant les graines, et de préciser son cycle de développement.
La tente Malaise, dispositif de piégeage des insectes volants par interception, est pour l'instant la seule méthode satisfaisante de suivi des populations de bruches. Photo : C. Saysset

La tente Malaise, dispositif de piégeage des insectes volants par interception, est pour l'instant la seule méthode satisfaisante de suivi des populations de bruches. Photo : C. Saysset

Fig. 1 : Répartition des bassins de production suivis de 2018 à 2020

Fig. 1 : Répartition des bassins de production suivis de 2018 à 2020

2. Le mâle de la bruche de la lentille (Bruchus signaticornis), taille : 3,2 mm.

2. Le mâle de la bruche de la lentille (Bruchus signaticornis), taille : 3,2 mm.

3. La femelle, taille : 3,5 mm. Photos : .-D. Chapelin-Viscardi

3. La femelle, taille : 3,5 mm. Photos : .-D. Chapelin-Viscardi

Fig. 2 : Distribution des collectes de la bruche de la lentille par tente Malaise en fonction des années et des bassins de production suivis      Près de 140 000 bruches ont été collectées durant le projet (2018-2020).

Fig. 2 : Distribution des collectes de la bruche de la lentille par tente Malaise en fonction des années et des bassins de production suivis Près de 140 000 bruches ont été collectées durant le projet (2018-2020).

Bruchus signaticornis sur des graines bruchées. Photo : S. Loiseau

Bruchus signaticornis sur des graines bruchées. Photo : S. Loiseau

Fig. 3 : Évolution des captures des bruches mâles et femelles - Suivi sur trois parcelles (TM1, TM2 et TM3) Campagne 2018 - Bassin du Berry

Fig. 3 : Évolution des captures des bruches mâles et femelles - Suivi sur trois parcelles (TM1, TM2 et TM3) Campagne 2018 - Bassin du Berry

Les attaques de bruches altèrent la qualité des récoltes de lentille. Trois années d'étude et d'observations ont permis l'identification de l'insecte responsable des dégâts et l'acquisition de données sur sa biologie et son écologie au champ. Des pistes de gestion en culture sont toujours à l'étude, ainsi que des recherches en génétique.

Problématique de la lutte : connaître le ravageur

Les bruches, coléoptères ravageurs des graines de légumineuses, dégradent la qualité des graines qu'elles infestent en créant des galeries et des loges. L'infestation visible des graines, liée aux trous de sortie des insectes adultes, est une dégradation non acceptable par le consommateur. En effet, cette altération des graines entraîne un déclassement des lots, les exigences commerciales pour l'alimentation humaine étant très strictes. Ces attaques mettent ainsi en péril la pérennité des débouchés à forte valeur ajoutée. La recherche de solutions de gestion de ce ravageur - alternatives ou chimiques, au champ et dans les lieux de stockage - est primordiale. Les bruches sont également un problème important en production de semences car elles affectent leur faculté germinative.

Dans le cas de la lentille, la bibliographie répertoriait jusqu'à présent deux espèces ravageurs de cette culture : Bruchus lentis et Bruchus signaticornis. Néanmoins, les informations sur leurs aires de répartition tout comme sur les proportions des dégâts à affecter à l'une ou l'autre espèce restaient partielles et incertaines. Or une gestion optimale au champ ne peut être développée sans connaissances sur l'identité du ravageur majoritaire, sa biologie et son cycle de développement. La problématique de la qualité des graines pour la filière lentille n'a fait qu'enfler depuis 2017. En l'espace d'une vingtaine d'années, la surface cultivée a été multipliée par neuf en France. De fait, en 2018, l'Association nationale interprofessionnelle des légumes secs (Anils), Terres Inovia, leurs partenaires et le Laboratoire d'éco-entomologie d'Orléans ont lancé une étude qui a permis d'apporter des réponses à certaines de ces questions et d'ouvrir des perspectives de gestion.

Identification

Piégeage dans six bassins de production

Durant trois ans (de 2018 à 2020), un vaste protocole a été mis en place dans six bassins de production français : la Vendée, l'Indre (le Berry), la Haute-Loire (Le Puy), le Gers, l'Aube et l'Yonne (Figure 1).

Le protocole mis en place fait appel à un dispositif de piégeage par interception, la tente Malaise (photo 1) : un seul piège est installé dans chaque parcelle suivie. Ce piège capture les insectes volants. Son positionnement dépend de l'orientation des vents dominants et des structures extraparcellaires (haie, lisière de bois en bordure de champ...). Les insectes viennent se heurter sur un filet central. Du fait de leur tendance naturelle à monter lorsqu'ils sont face à un obstacle, ils se dirigent vers le haut de la tente pour finalement tomber dans un flacon collecteur placé au sommet du piège. Ce flacon contient de l'alcool à 70 ° pour assurer la conservation des insectes entre deux relevés.

Des populations de B. signaticornis majoritaires mais hétérogènes

Parmi les bruches collectées, au moins quatorze espèces différentes ont été relevées sur les 80 présentes en France. L'espèce Bruchus signaticornis (la bruche de la lentille, photos 2 et 3) est largement majoritaire dans les captures : 99,8 % des bruches trouvées dans les pièges appartiennent à cette espèce. Bruchus lentis, l'autre bruche de la lentille responsable de dégâts au Maghreb et en Espagne, n'a pas été détectée.

L'étude a mis en avant l'hétérogénéité des densités de populations en fonction des bassins de capture (Figure 2). Un nombre plus important de bruches est intercepté dans le bassin de l'Indre (le Berry), mais aussi dans une moindre mesure dans le Gers (en 2018) et dans l'Yonne (en 2020). Peu de bruches ont été relevées dans le bassin de la Haute-Loire (Le Puy) contrairement à ce qui était attendu au regard de l'historique de production de la lentille. Il existe également une variabilité interannuelle au sein des différents bassins étudiés.

Des taux de graines bruchées corrélés à la densité de bruches

Ces observations par piégeage au champ sont étayées par l'identification des insectes qui ont émergé de graines de différents lots prélevés dans des bassins de production. Cette approche complémentaire confirme que Bruchus signaticornis est l'espèce la plus préjudiciable à la lentille.

Les taux de graines infestées par la bruche, autrement dit graines bruchées (photo 4), ont été étudiés dans 111 parcelles, réparties dans les bassins de production étudiés de 2018 à 2020. Il ressort que le taux moyen de graines bruchées au niveau national est de 11,9 %. 57,7 % des parcelles étudiées présentent moins de 10 % de graines bruchées et 81,1 % des parcelles présentent moins de 20 % de graines bruchées. La forte hétérogénéité d'infestation entre les régions rejoint le constat établi par le piégeage en champ. Par ailleurs, au sein d'une même parcelle, la répartition d'une population de bruches n'est pas homogène. Globalement, il existe un lien entre le taux de graines bruchées et la densité de B. signaticornis observée. Ainsi, de faibles taux de graines bruchées et de faibles densités de bruches en parcelle sont relevés dans les départements de la Haute-Loire et de l'Aube. À l'inverse, de fortes densités de bruches et de forts taux de graines bruchées sont observés dans les départements de l'Indre et du Gers.

Éléments de biologie et d'écologie de B. signaticornis

Des vols massifs avant la floraison

Au printemps, une forte activité de vols, à la fois des mâles et des femelles, est visible durant quinze jours à un mois. La colonisation est caractérisée par un vol massif qui peut être suivi de plusieurs vols d'ampleur successifs (Figure 3). Elle peut avoir lieu entre mi-avril et fin-mai en fonction des années, probablement du fait des variations climatiques : températures, pluviométrie ou humidité. À cette période, la lentille se trouve à différents stades phénologiques, entre le stade « 4 feuilles » (BBCH 14) (« 2 feuilles » (BBCH 12) en altitude) et le stade « premiers boutons » (BBCH 51). La majorité des individus arrive avant la floraison de la culture. À la suite de cette phase de colonisation massive et après la floraison de la culture, le nombre d'adultes interceptés est négligeable. Cela pourrait s'expliquer par le fait qu'une fois dans les parcelles, les bruches se déplacent moins puisqu'elles disposent de leur plante-hôte.

Captures des mâles et des femelles

Les mâles de B. signaticornis sont majoritaires avant le début de la floraison et leur nombre décroît fortement jusqu'à l'arrêt de leur capture après ce stade. Les femelles sont interceptées majoritairement avant le début de la floraison, cependant, certaines années, elles peuvent être détectées en nombre après ce stade. Le plus couramment, les deux sexes arrivent à la même période (de un à quatre jours près), mais en proportion inégale à la faveur des mâles (Figure 3).

Le devenir des mâles interroge, puisqu'ils ne sont plus interceptés en nombre à partir du début de la floraison. Il est plausible que les mâles terminent leur cycle de vie peu de temps après la reproduction. Leur nombre décline alors progressivement une fois la période d'accouplement terminée, coïncidant avec la fin de la phase de colonisation des parcelles et précédant la formation des gousses.

La capture majoritaire de femelles par les tentes Malaise après le début de la floraison pourrait être liée à une quête alimentaire spécifique en pollen et nectar de la lentille. Les femelles de B. signaticornis voleraient de fleur en fleur pour se nourrir et développer leur système reproducteur à l'approche de la formation des premières gousses. Dans les parcelles suivies, des gousses se forment quatre à dix jours après le début de la floraison.

À partir du mois de juin, les femelles vont chercher des sites favorables pour la ponte (vols réduits, courts, sur de petites surfaces, non détectés par les tentes Malaise). Cette hypothèse est corroborée par l'étude de l'état de gravidité qui met en évidence l'évolution anatomique dans le temps de leur système reproducteur (non présentée ici(1)).

Perspectives pour la protection des cultures

Détection des bruches en parcelle

En 2018 et 2019, sur le site du Berry (Issoudun, Indre), une expérimentation initiale visant à comparer différents types de piégeage avait été mise en place (tests de cuvettes jaunes, Polytrap, pièges englués, utilisation du filet-fauchoir). En effet, les tentes Malaise - qui par ailleurs ne constituent pas un moyen de lutte - restent onéreuses dans le cadre d'un suivi de vol et leur mise en place est assez technique. Le but de cette expérimentation était donc de déterminer une méthode plus opérationnelle de détection des vols successifs sur toute la durée du cycle et utilisable pour un suivi par les agriculteurs. Malheureusement, ces tests ont montré qu'aucune méthode évaluée sur ces deux années n'apportait de résultats satisfaisants en regard de l'objectif poursuivi. Seules les tentes Malaise semblent pour l'instant adaptées à l'observation non biaisée des bruches en parcelles.

Solutions de lutte à l'essai

Parallèlement, des essais d'efficacité - réalisés selon la méthode CEB n° 265 « Méthode d'étude en plein champ de l'efficacité de produits insecticides destinés à lutter contre la bruche du pois, la bruche de la féverole et la bruche de la lentille » - ont été mis en place par Terres Inovia, les partenaires de l'Anils et la Fnams (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences) pour identifier de nouvelles solutions efficaces, avec un objectif de portage des dossiers auprès des administrations. À l'heure actuelle, les solutions évaluées ne sont pas satisfaisantes au regard des efficacités constatées et des exigences du marché pour l'alimentation humaine.De même que sur féverole, des solutions alternatives sont à l'étude, telles que les kairomones.

RésiLens : à la recherche de résistance génétique

Depuis 2019, l'Anils est partenaire du projet de recherche « RésiLens : constitution et évaluation d'une collection de ressources génétiques de lentille (Lens culinaris Medik.). Recherche de sources de résistances aux bruches et aux pourritures racinaires incluant Aphanomyces euteiches » (date de fin : juin 2022) porté par Inrae et bénéficiant d'un financement CasDar. Les objectifs du projet sont de caractériser une collection de ressources génétiques de lentille, de fournir des éléments de réponse sur l'identité des pathogènes telluriques et sur les bruches responsables de pertes de rendement chez cette culture. Il s'agit également de révéler des génotypes ayant des résistances totales ou partielles à ces problèmes majeurs et de les proposer pour des programmes de création variétale.

(1) Loiseau S. & Chapelin-Viscardi J.-D., 2020 - Évolution saisonnière de l'appareil reproducteur femelle de Bruchus signaticornis Gyllenhal, 1833 (Coleoptera Chrysomelidae Bruchinae). L'Entomologiste, 76 (2) : 101-108).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les bruches constituent une véritable menace pour la durabilité de la filière protéagineuse : pois, féverole, lentille... Sur cette dernière culture, une vaste étude a permis d'approfondir les connaissances sur le ravageur.

ÉTUDE - Entre 2018 et 2020, l'Association nationale interprofessionnelle des légumes secs (Anils), Terres Inovia, leurs partenaires et le Laboratoire d'éco-entomologie d'Orléans ont suivi, grâce à un dispositif de piégeage par tentes Malaise, les populations de bruches dans 45 parcelles réparties sur les six principaux bassins de production français.

RÉSULTATS - Bruchus signaticornis est l'espèce principale identifiée comme posant problème dans les parcelles de lentille. Les vols de colonisation ont lieu de mi-avril à fin mai, avant le début de la floraison avec un ratio d'individus favorable aux mâles. Après ce stade phénologique, les quantités d'individus piégés diminuent. Les taux de lentilles bruchées sont corrélés aux densités de bruches interceptées.

MOTS-CLÉS - Lentille, bruche, Bruchus signaticornis.

Tout savoir sur la bruche de la lentille !

Pour en savoir plus sur les méthodes et les données obtenues lors de cette étude, un recueil de résultats est proposé dans un supplément de la revue L'Entomologiste (en cours d'impression, voir le site internet : Les Suppléments - L'Entomologiste). Ce document de 84 pages expose l'état des lieux de la situation en France, précise le cycle de la bruche de la lentille, son écologie et son lien évolutif avec la plante-hôte au cours de la saison culturale. La synthèse apporte également des premiers éléments de connaissance sur les biorégulateurs naturels, notamment les hyménoptères parasitoïdes. Le supplément est vendu 10 euros (hors frais de port) et peut être commandé en écrivant à : secretaire@lentomologiste.fr

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : g.riquet@terresinovia.fr

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