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DOSSIER - Changement climatique et santé des plantes

Maîtriser les taupins par la confusion sexuelle

PHILIPPE LARROUDÉ(1), JEAN-BAPTISTE THIBORD(1), PATRICK DURAND(2), OLIVIER GUERRET(2) ET JULIEN SALUDAS(3), D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 12E CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES RAVAGEURS ET AUXILIAIRES EN AGRICULTURE (CIRAA) ORGANISÉE PAR VÉGÉPHYL(4) ( - Phytoma - n°745 - juin 2021 - page 16

De récents travaux permettent de mieux comprendre l'impact des phéromones sur Agriotes sordidus et d'optimiser leur usage, en vue de mettre au point une stratégie de lutte.
 Photo : Arvalis

Photo : Arvalis

2. Dégâts de taupin sur maïs. 3. Larve de taupin. Photos :

2. Dégâts de taupin sur maïs. 3. Larve de taupin. Photos :

Fig. 1 : Effectif d'adultes de taupin Agriotes sordidus capturés par type de piège et par jour      NPP = 1 piège « Pitfall » muni de l'attractif NPP (80 mg de géranyl-hexanoate spécifique à Agriotes sordidus). Barbers = 9 pièges passifs. CS = zone confusée.

Fig. 1 : Effectif d'adultes de taupin Agriotes sordidus capturés par type de piège et par jour NPP = 1 piège « Pitfall » muni de l'attractif NPP (80 mg de géranyl-hexanoate spécifique à Agriotes sordidus). Barbers = 9 pièges passifs. CS = zone confusée.

Fig. 2 : Captures hebdomadaires de taupins adultes dans les pièges passifs (Barber) et attractifs (NPP) pour les différentes formulations

Fig. 2 : Captures hebdomadaires de taupins adultes dans les pièges passifs (Barber) et attractifs (NPP) pour les différentes formulations

Fig. 3 : Taux de femelles fécondées en 2018 et 2019 (Poey de Lescar, Pyrénées-Atlantiques)

Fig. 3 : Taux de femelles fécondées en 2018 et 2019 (Poey de Lescar, Pyrénées-Atlantiques)

Fig. 4 : Abondance de larves (larves/tri de sol)

Fig. 4 : Abondance de larves (larves/tri de sol)

Fig. 5 : Taux de plantes attaquées

Fig. 5 : Taux de plantes attaquées

Les taupins sont des coléoptères de la famille des élatéridés comportant une multitude d'espèces dont certaines provoquent sur les plantes cultivées des pertes de rendement (maïs) ou de qualité des produits (pommes de terre et cultures légumières). Les principaux dégâts observés sont l'oeuvre de quatre espèces du genre Agriotes : A. lineatus (Linné, 1767), A. sputator (Linné, 1758), A. obscurus (Linné, 1758) et A. sordidus (Illiger, 1807). La découverte de phéromones sexuelles chez cet insecte a incité à étudier leur action sur le comportement des adultes. De récentes expérimentations montrent un potentiel intérêt de la confusion sexuelle sur les taux de femelles fécondées ou sur la diminution du stock larvaire chez Agriotes sordidus, une des espèces majoritaires sur le territoire français (Larroudé et al., 2015) et exclusive dans certaines zones du sud-ouest de la France.

Le taupin : ses dégâts, ses phéromones

Une recrudescence de dégâts

Une recrudescence des dégâts de taupins est constatée depuis le milieu des années 2000. L'augmentation de ces attaques aux cultures peut en partie être expliquée par :

- l'évolution règlementaire des stratégies de lutte insecticides visant à protéger les plantes cultivées plutôt que de contenir les populations de ravageurs (perte de familles chimiques entières et modification de l'utilisation des produits disponibles) ;

- l'évolution des pratiques culturales - diminution des surfaces labourées, présence obligatoire de couverts végétaux durant l'interculture et implantation de bandes enherbées dans l'environnement de certaines parcelles.

Découverte des phéromones et confusion sexuelle

Le contexte actuel pousse à la recherche de solutions alternatives pour assurer une protection efficace des cultures. Dans ce cadre, la découverte de phéromones sexuelles pour ces insectes (Toth, 2002) et le développement de formulations de synthèse (médiateurs chimiques des produits de biocontrôle selon l'IBMA) a ouvert de nouvelles perspectives en matière de lutte contre ce ravageur. Beaucoup travaillées (monitoring, prévision du risque, piégeage de masse...) depuis une vingtaine d'années avec des résultats plus ou moins satisfaisants, elles n'ont jamais été évaluées dans le cadre de la confusion sexuelle chez les taupins, technique qui a fait ses preuves chez d'autres insectes, les lépidoptères. Cette technique a été très peu étudiée chez les élatérides, une seule référence confirme son intérêt sur Melanotus okinawensis. Arakaki et al. (2008b) ont montré une réduction des populations de M. okinawensis après utilisation de la confusion sexuelle pendant sept années consécutives.

Cette technique consiste à diffuser de grandes quantités de phéromones sexuelles afin de saturer l'environnement et d'éviter la rencontre et l'accouplement des individus mâles et femelles.

Des premiers résultats acquis par Larroudé et al. (2017) sur Agriotes sordidus montrent que l'apport d'une quantité importante de phéromone sexuelle dans l'environnement perturbe le comportement des adultes qui peinent à retrouver le piège attractif central.

Évaluation au champ

Dispositif d'expérimentation

L'évaluation de la confusion sexuelle au champ s'est appuyée sur les méthodes de référence CEB n° MG09 et OEPP 264 proposées pour lutter contre les lépidoptères, adaptées aux spécificités biologiques des taupins.

Deux modalités (Témoin - T, Confusion sexuelle - CS) ont été comparées dans une parcelle de 25 hectares selon un dispositif en blocs à quatre répétitions. Chaque parcelle élémentaire de 900 m², dénommée zone centrale (37 rangs de maïs espacés de 0,8 m × 30 m de longueur) était positionnée à 30 mètres minimum de la bordure de la parcelle et éloignées les unes des autres de 150 mètres pour éviter toute pollution des zones CS sur les zones témoin. Sur chaque parcelle élémentaire, un dispositif de piégeage comprenait au centre un piège « Pitfall » muni de l'attractif formulé par Natural Plant Protection - NPP - (80 mg de géranyl-hexanoate spécifique à l'espèce Agriotes sordidus) et neuf pièges passifs (pots Barber) répartis de façon homogène dans la parcelle. La confusion sexuelle est réalisée à l'aide de gel sur bâtonnets répartis de façon homogène à raison de un bâtonnet pour 10 m² (Larroudé et al., 2017).

Ce dispositif a été complété en 2017 et 2018 par deux à trois couronnes de pièges passifs disposées à 5, 15 et 25 m du bord de la zone centrale pour juger de l'effet attractif de la zone confusée sur les individus situés en dehors de cette zone (essai « attractivité »).

L'activité des taupins est perturbée en présence des phéromones

Le nombre de taupins adultes capturés dans le piège attractif dans la zone Témoin est significativement supérieur à celui mesuré dans la zone CS, quelle que soit l'année de suivi (Figure 1). Par jour et par piège, ce piégeage varie de 14,9 à 18,4 individus pour le témoin et de 3,8 à 6,8 individus pour la CS. Le piégeage passif montre des niveaux significativement plus faibles dans la zone témoin avec moins de un individu/j en moyenne contre 2,7 à 6,4 individus par jour selon les années dans les zones CS.

Les résultats de l'essai « attractivité » acquis sur une période tardive de piégeage en 2017 (22 mai/20 juin) montrent qu'il n'y a pas d'effet significatif de la phéromone épandue en grande quantité dans la zone centrale sur l'activité des individus situés à l'extérieur de cette zone. Ce résultat est observé dès la première couronne à une distance de 5 mètres du bord de la zone centrale. Au fur et à mesure que l'on s'éloigne de cette zone, les niveaux de piégeage baissent et tendent vers l'équivalence entre les deux modalités testées. Ces résultats sont confirmés et validés en 2018 sur une période de piégeage plus précoce et plus longue (2 mai/4 juillet). L'effet significatif mesuré sur les pièges passifs en faveur de la modalité CS dans la zone centrale (2,40 vs 0,48 individu/piège) n'apparaît plus dès la première couronne (5 m) et se confirme avec l'éloignement de cette zone.

Amélioration du « support + phéromone »

Vers une formulation applicable en production

L'objectif était d'obtenir une formulation d'attractif applicable en parcelle de production (en substitution des bâtonnets utilisés à titre expérimental) et avec un temps de diffusion suffisamment élevé. Dans la première formulation GR2017 testée, la phéromone était pulvérisée à 5 % (w/w) en surface de granulés Futuramat déjà constitués (biopellets composés de matière végétale). En 2018, la phéromone était incorporée dans le support composé de PBSA (polybutylène succinate co-adipate - polyester biodégradable) et de pin maritime, avant granulation à basse température (formulation GR2018). Des essais ont été menés dans des parcelles élémentaires de 900 m² selon le dispositif décrit précédemment. Pour un même apport quantitatif de phéromones, il s'agissait de comparer la formulation gel 20 % sur bâtonnets avec ces différentes formulations de granulés réparties manuellement sur le sol. Parallèlement, des cinétiques de diffusion de phéromone ont été définies en étuve ventilée à 30 °C sur les deux lots de granulés et des granulés GR2018 5 % ont été prélevés de façon rythmée en surface au champ pour dosage de phéromone restante.

Différentes cinétiques de diffusion

Dans cet essai (parcelle à historique de dégâts très élevés), les niveaux de population capturés sont beaucoup plus élevés que lors des précédents essais, et les résultats obtenus (Figure 2) confirment une modification du comportement des taupins adultes sur l'ensemble des modalités testées. Les niveaux de piégeages dans les pièges passifs sont supérieurs à ceux mesurés dans le piège attractif confirmant la perturbation du comportement des taupins en CS.

La cinétique de piégeage n'est pas identique entre formulations. La modalité GR2017 5 % semble diffuser plus précocement que la modalité GR2018 5 %, en revanche cette dernière semble plus persistante. Trois semaines après application, 81 % d'individus sont capturés par les piégeage passifs (19 % par le piège attractif) pour la formulation GR2018 5 % vs 51 % pour la formulation GR2017 5 %. Pour la dernière observation, le piégeage décroit mais l'écart entre les formulations GR2017 et GR2018 est maintenu avec une fréquence d'individus piégés par les pièges passifs inférieure dans le cas de la formulation GR2017 5 % (seulement 31 % vs 57 % pour la formulation GR2018 5 %). Ce résultat indique une quantité de phéromone qui décroit plus rapidement sur la formulation GR 2017 et en conséquence un résultat qui tend vers celui d'un témoin avec une majorité de taupins piégés dans le piège attractif. La fréquence d'individus piégés dans les pièges passifs avec la formulation GR2018 5 % est similaire, quelle que soit la date d'observation, à celle obtenue avec la formulation gel 20 % sur bâtonnets cependant les niveaux de captures restent significativement plus élevés lors des deux premières dates d'observation avec la formulation gel 20 %. Ces résultats sont à mettre en parallèle à des mesures de cinétique de diffusion effectuées au laboratoire en étuve ventilée à 30 °C constants. Trois semaines après mise en place de l'étude, il ne reste plus de phéromone sur la formulation GR2017 5 % alors que seulement 40 % de la phéromone contenue dans la formulation GR2018 5 % a été diffusée.

Au champ, la formulation GR2018 5 % affiche pour un premier épandage (début mai) en situation de température moyenne de l'air de 15 °C une diffusion complète 60 jours après application. Après le deuxième épandage (fin juin) dans des conditions de température supérieure (21 °C) la diffusion complète est obtenue après seulement 30 jours.

Impact au champ

Dispositif d'expérimentation

L'efficacité de la confusion sexuelle au champ est évaluée sur deux critères en 2018 et 2019 :

- le taux de femelles fécondées sur une parcelle ;

- l'abondance de population larvaire sur trois parcelles (Barzun, Bénéjacq et Ger).

Tous les sites de suivis étaient localisés dans un rayon de 20 km dans le sud de l'Aquitaine.

Le taux de femelles fécondées pouvant être déterminé annuellement, ce critère a permis d'obtenir des résultats précoces et d'ajuster la méthodologie de mise en place (date, rythme d'épandage et de capture d'adultes) avec l'objectif d'abaisser les populations larvaires. Une parcelle de 17 hectares située à Poey-de-Lescar (Pyrénées-Atlantiques) a été dédiée à cette évaluation réalisée en 2018 et 2019. L'épandage des granulés a été réalisé sur 3 hectares avec une centrifugeuse de marque DeLimbe montée sur quad. Ce matériel permet d'épandre des granulés sur une largeur de 20 mètres. Pour obtenir une répartition homogène, l'application a été effectuée en deux passages croisés de 10 mètres d'espacement. Douze comptages de granulés (quadra de 0,25 m² au hasard) ont permis d'évaluer la qualité de répartition des granulés sur le sol : la densité de 10 à 12 granulés par m² était homogène au fil des ans. Dans les faits, la formulation GR 2018 5 % a été épandue une seule fois le 18 mai en 2018 et deux fois les 8 avril et 22 mai en 2019). Après épandage, pour chaque date de capture (rythme hebdomadaire) et chaque modalité (T - CS), un lot de 30 à 40 adultes (tous sexes confondus) était collecté au champ. L'élevage était réalisé individuellement sur terreau dans des boîtes de Petri. Au rythme d'une fois par semaine et par individu, un suivi de ponte et de présence de larves était réalisé, après 45 jours d'observation, les adultes n'ayant pas pondu étaient sexés pour déterminer le nombre de femelles et en déduire le taux de femelles fécondées par lot.

Pour le suivi d'abondance, chacune des trois parcelles était scindée en deux parties identifiées pour les trois années de suivi. Une zone d'une surface de 2 à 4 hectares en fonction de la taille de la parcelle était destinée à l'épandage de granulés chargés en phéromone (GR2017 5 % en 2017 puis GR2018 5 % en 2018) - zone CS. Le reste de la parcelle était considéré comme une zone Témoin. L'objectif final était de valider l'efficacité de la stratégie de la confusion sexuelle au champ sur plusieurs années visant l'abaissement sur le long terme du stock de larves dans le sol. Annuellement entre les stades 8 et 12 feuilles du maïs (deuxième quinzaine de juin), dans des conditions climatiques clémentes, seize tris de sol par modalité étaient réalisés aux mêmes endroits sur la parcelle. Ces cubes de terre de 20 cm de côté placés sur le rang de maïs étaient extraits pour comptage et conservation des larves présentes. Le taux de plantes attaquées était également déterminé sur six à huit placettes de 10 mètres linéaires à proximité de ces tris de sol. Ces mesures étaient effectuées sur des rangs de maïs sans protection insecticide au semis.

Pour le suivi d'abondance, les épandages de granulés ont été réalisés selon le descriptif réalisé précédemment à différentes dates, un seul épandage en 2017 (le 27 avril), deux épandages en 2018 (E1 : 27 avril/10 mai ; E2 : 25 et 29 juin) et quatre épandages en 2019 (E1 : 10 avril avant semis ; E2 : 27 avril/7 mai ; E3 : 4 juin et E4 : 28 juin).

Une réduction du taux de femelles fécondées

Les taux de femelles fécondées mesurés en 2018 et 2019 (Figure 4) sont différents. En 2018, l'épandage des granulés a eu lieu après semis de maïs le 18 mai, soit un mois après l'émergence des premiers adultes. Il n'y a aucune différence marquée sur la fréquence de femelles fécondées, quelle que soit la date, entre Témoin et CS. Les niveaux sont élevés dès la première date avec respectivement 92 et 79 % des femelles capturées qui étaient fécondées, par la suite les niveaux restent similaires entre modalités.

En 2019, les conditions de mise en place ont été beaucoup plus précoces avec un semis de maïs au 28 mars. L'émergence des premiers adultes est observée le 4 avril sur un site dédié situé à quelques kilomètres, deux épandages de granulés ont eu lieu, le 8 avril puis le 22 mai. Dans ces conditions, les résultats sont bien meilleurs. Dès la première date de captures, 60 % des femelles capturées sur le témoin étaient fécondées, aucune dans la modalité CS. L'épandage précoce des granulés conduit à une réduction significative du taux de femelles fécondées sur les deux premiers relevés l'écart important observé sur le premier lot doit cependant être pris avec précaution car les effectifs capturés étaient faibles (dix femelles pour le témoin et deux femelles pour la CS). Sur le deuxième lot, l'écart est moins important mais reste favorable à la modalité CS avec 48 % de femelles fécondées contre 67 % pour le témoin. Par la suite, le taux de femelles fécondées augmente régulièrement jusqu'au 22 mai et les écarts entre modalités se resserrent.

Des écarts entre parcelles pour l'abondance de larves

Les mesures initiales d'abondance (réalisées en 2017, année de la mise en place de la confusion sexuelle sur les trois parcelles) montrent quelques écarts entre parcelles (une à deux larves par tri de sol-TS) mais il n'y a pas de différences significatives entre zones destinées à accueillir les deux modalités à tester. Après deux années de confusion sexuelle (Figure 5), dans les zones Témoin, sur les sites de Barzun et Bénéjacq, l'abondance augmente de façon significative entre 2017 et 2019 avec respectivement 1,1 et 0,9 larve/TS en 2017 contre 2,8 et 2,1 en 2019. Pour le site de Ger, il est observé une légère augmentation mais non significative (2,1 vs 2,6 larves/TS). Sur la modalité CS, il n'est pas observé d'évolution de l'abondance entre 2017 et 2019 sur les sites de Barzun et Ger, en revanche une augmentation significative est mise en évidence sur le site de Bénéjacq (0,9 à 3,1 arves/TS). Annuellement, les résultats de Barzun en 2019 sont significatifs et en faveur de la confusion sexuelle avec une population plus faible (1,3 vs 2,8 larves/TS pour le témoin). À Bénéjacq, la tendance est inversée avec une population significativement supérieure en 2018 pour la modalité confusée.

Il n'y a pas de cohérence entre abondance et fréquence de plantes attaquées (Figure 6). Pour des abondances équivalentes entre 2017 et 2018, les dégâts sont différents et peuvent varier du simple au triple selon les situations.

Les premiers enseignements des essais au champ

Un comportement modifié lié à une concentration de phéromones

L'utilisation d'une grande quantité de phéromones dans l'environnement modifie le comportement des taupins adultes. Ce constat déjà observé par Larroudé et al. (2017) est validé avec la poursuite de cette étude par une activité plus forte des taupins adultes sur le sol dans la zone confusée. En comparaison à une zone sans confusion, les individus peinent à retrouver le piège attractif central, comme en témoignent des captures plus faibles dans ce dernier et plus élevées dans les pièges passifs situés autour.

La présence d'une quantité élevée de phéromones dans une parcelle pourrait laisser à penser que les individus situés hors de la parcelle pourraient être attirés par cette phéromone et par conséquent concentrer les populations et augmenter à terme les dégâts. Le dispositif mis en place montre que cette hypothèse n'est pas validée. La phéromone concentrée sur 900 m² de la zone centrale n'entraîne pas ou très peu de modifications du comportement des taupins adultes situés à l'extérieur de cette zone. L'effet attractif s'estompe au fur et à mesure que l'on s'en éloigne ; à 25 m au-delà de la bordure de cette zone, l'activité des adultes sur le sol est similaire en présence ou pas de la phéromone dans cette zone. Ces résultats semblent être en accord avec ceux obtenus dans des situations de monitoring (avec des quantités de phéromones beaucoup plus faibles positionnées sur diffuseur et dans un piège) en système de capture/marquage/recapture, par Sufyan et al. (2011). Ils observent qu'au-delà de 20 mètres de la source de phéromone seuls 25 % des individus Agriotes lineatus et Agriotes obscurus sont à nouveau capturés. Ce résultat est conforté par Blackshaw et al. (2017) qui observent qu'au-delà de 10 m l'attractivité d'Agriotes obscurus décroît de manière significative même si les individus sont positionnés sous le vent.

La persistance de la diffusion doit être améliorée

Le concept de confusion sexuelle ne peut potentiellement fonctionner qu'à condition d'avoir défini une formulation suffisamment persistante applicable au champ. Ne connaissant pas la quantité minimale de phéromone pour limiter les accouplements, il est également difficile de définir un seuil minimum de phéromone à maintenir dans l'environnement. L'utilisation de granulés entièrement composés de matière végétale couplée à la phéromone pulvérisée après granulation montre au laboratoire et au champ une diffusion précoce et peu persistante de la phéromone.

L'amélioration de la formulation en mixant, pour le support, de la matière végétale et un composé synthétique couplé à une incorporation de la phéromone avant granulation à basse température conduit à une meilleure efficacité évaluée sur l'activité des adultes. Ces résultats ne sont tout de même pas au niveau de la formulation gel sur bâtonnets ; la performance de cette dernière peut s'expliquer par le fait que la phéromone n'est pas en contact direct avec le sol (dégradation moins rapide) et que son positionnement à 10 cm de la surface du sol permet une meilleure diffusion dans l'environnement proche. Des résultats complémentaires, non présentés, montrent qu'il est possible d'améliorer la formulation des granulés pour augmenter la persistance de diffusion.

La diffusion de médiateurs chimiques, et notamment les phéromones sexuelles, est souvent tributaire des conditions climatiques et surtout de la température et peut donc être limitée dans certaines situations. Au cours de cette étude, des mesures en conditions de laboratoire font apparaître une diffusion plus rapide de la phéromone avec l'élévation de température quelle que soit l'humidité ambiante.

Importance du positionnement spatio-temporel des phéromones

Une formulation persistante ne peut se concevoir qu'avec un positionnement spatio-temporel judicieux pour obtenir des résultats positifs. En 2018, l'épandage tardif (1 mois après l'émergence des premiers adultes) ne donne pas le résultat espéré ; à la date d'épandage des granulés, environ 35 % des individus avaient déjà émergé, ce qui signifie qu'ils n'avaient pas été confusés.

En 2019, les épandages beaucoup plus précoces ont permis d'obtenir des résultats plus intéressants, favorables à la modalité CS au cours des deux premières observations. Par la suite, les écarts se resserrent et peuvent s'expliquer par un deuxième épandage beaucoup trop tardif (44 jours après la première application et seulement 36 % de phéromone restante dans les granulés), ce qui laisse à penser qu'un rythme d'épandage plus soutenu ou une dose de phéromone plus élevée pourrait maintenir suffisamment de phéromone dans l'environnement et par conséquent, éviter les accouplements.

Cette étude soulève les manques de connaissances précises des périodes clés pour la mise en oeuvre de la confusion sexuelle. Les observations réalisées dans ce cadre, et notamment un taux élevé de femelles fécondées pour des captures très précoces (dix/douze jours après les premières émergences significatives), interrogent sur l'état physiologique des taupins adultes au moment de l'émergence. Il semblerait qu'ils soient matures sexuellement, ce qui nécessiterait des épandages très précoces, avant même la mise en place de la culture de printemps.

Dans tous les cas, ces deux derniers points doivent être bien maîtrisés pour espérer mettre en évidence un effet significatif de la confusion sexuelle sur les populations de taupins.

Un concept à valider

À l'issue de trois années de confusion sexuelle sur les mêmes parcelles, les suivis de population larvaire réalisés sur deux campagnes ne permettent pas encore de valider l'efficacité de cette stratégie pour abaisser la population de taupins. Néanmoins, les formulations étaient peu persistantes et les épandages trop tardifs au cours des premières années de l'expérimentation. Le développement pluriannuel de ce ravageur incite à poursuivre les travaux pour espérer des résultats positifs. La validation du concept pourrait prendre quelques années supplémentaires comme en témoignent les résultats d'Arakaki et al. (2008b) sur Melanotus okinawensis qui a mis en évidence l'efficacité de cette stratégie de lutte au bout de deux cycles biologiques de ce ravageur.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Une recrudescence des dégâts de taupins est constatée depuis le milieu des années 2000. Quatre espèces du genre Agriotes, A. lineatus, A. sputator, A. obscurus et A. sordidus, causent d'importants dégâts sur les cultures de maïs, pomme de terre et légumes.

ÉTUDE - De premiers travaux visant à évaluer l'effet de la confusion sexuelle sur Agriotes sordidus ont permis de confirmer l'effet de l'apport de phéromone sexuelle sur le comportement des adultes. Les expérimentations ont été poursuivies dans le but d'étudier les conséquences de l'application de phéromone sexuelle au champ sur la dispersion des adultes dans l'espace et sur l'évolution de l'abondance de population dans le temps.

RÉSULTATS - Ces trois années d'étude ne permettent pas encore de valider l'efficacité de la confusion sexuelle d'Agriotes sordidus au champ mais font progresser sa mise en oeuvre pour espérer atteindre l'abaissement de population. Ainsi :

- l'apport d'une quantité importante de phéromones dans l'environnement perturbe l'activité des adultes dans la zone concernée et l'incidence est négligeable dès les premiers mètres situés à l'extérieur de cette zone ;

- la confusion sexuelle doit être effective dès les premières émergences d'adultes, indépendamment de la mise en place de la culture ;

- la dose de phéromone, apportée en une ou plusieurs applications, doit permettre d'avoir une diffusion en quantité suffisante durant une période de dix à douze semaines.

MOTS-CLÉS - Confusion sexuelle, taupins, Agriotes sordidus, phéromone sexuelle.

Indicateurs et analyses statistiques

L'analyse de l'activité des adultes de taupins est évaluée par le nombre de taupins adultes piégés dans le piège attractif NPP et le nombre de taupins adultes capturés dans les pièges passifs.

La confusion sexuelle est évaluée par l'abondance moyenne de larves par tri de sol et la fréquence moyenne de plantes attaquées.

Ces critères ont été analysés par analyse de la variance et comparaison de moyennes (test de Newman & Keuls). Les valeurs suivies de lettres différentes sont significativement différentes au seuil p < 0,05.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : p.larroude@arvalis.fr

LIENS UTILES : texte

BIBLIOGRAPHIE : - Méthode CEB n° MG09 « Principes généraux d'étude de l'efficacité au champ de spécialités à base de phéromones destinées à lutter contre les lépidoptères ravageurs des cultures pérennes par confusion sexuelle des mâles ».

- Méthode OEPP 1/264. Mating disruption pheromones.

- Arakaki N., Nagayama A., Kobayashi A., Hokama Y., Sadoyama Y., Mogi M., Kishita M., Adaniya K., Ueda, K., Higa M., Shinzato T., Kawamitsu H., Nkama S., Wakamura S., and Yamamura K., 2008b. Mating disruption for control of Melanotus okinawensis (Coleoptera: Elateridae) with synthetic sex pheromone. J.Econ.Entomol. 101 (5) : 1568-1574.

- Blackshaw R., van Herk W.G. and Vernon R.S., 2017. Determination of Agriotes obscurus (Coleoptera: Elateridae) sex pheromone attraction range using target male behavioural responses. Agricultural and Forest Entomology (2017), DOI: 10.1111/afe.12249.

- Larroudé P., Thibord J.B., Bonnissol S., 2015. Dossier Taupins : Espèces de taupins : une cartographie est désormais disponible. Perspectives agricoles n° 427, p. 46-49.

- Larroudé P., Thibord J.B., Montagnon R., Dufour S., Escudier Y., Guerret O., Saludas J., 2017. Confusion sexuelle : une nouvelle piste pour limiter les populations de taupins Agriotes sordidus (Illiger, 1807) ? - AFPP - Ecologie chimique : Nouvelles contributions à la protection des cultures contre les ravageurs - Montpellier - 24 octobre 2017.

- Sufyan M., Neuhoff D. et Furlan L., 2011. Assessment of the range of attraction of pheromone traps to Agriotes lineatus and Agriotes obscurus. Agricultural and Forest Entomology, n° 13, pp. 313-319.

- Tóth M., Furlan L., Szarukan I., Ujvary I., 2002. Geranyl hexanoate attracting male click beetles Agriotes rufipalpis Brulle and Agriotes sordidus Illiger (Col. Elateridae). J. Appl. Entomol. n°126, p. 312-314.

REMERCIEMENTS

Les résultats de ces travaux ont été acquis dans le cadre du projet Taupin'Up, projet labellisé par le pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation qui regroupe six partenaires : M2I (porteur du projet), Canoe, Arvalis, UPPA/Iprem, Armines-CMA et le groupe coopératif Euralis.

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