Les grandes cultures contribuent diversement aux émissions de GES et sont plus ou moins atteintes par le changement climatique. Ainsi trois cultures d'été (tournesol, sorgho et maïs) reçoivent des quantités d'azote et d'eau d'irrigation croissantes. Photo : P. Debaeke - Inrae
Fig. 1 : Évolution des émissions de gaz à effets de serre entre 1980 et 2100 pour l'ensemble des scénarios disponibles au niveau mondial Les quatre scénarios RCP sélectionnés par le Giec en 2013 résument les évolutions possibles selon les choix socio-économiques et politiques. Source : Fuss et al. (2014) et Soubeyroux et al. (2020).
Changement global, réchauffement global, dérèglement climatique : autant de termes qui se recouvrent en partie et traduisent les différentes facettes des évolutions climatiques subies et à venir. Leur origine anthropique est largement admise aujourd'hui.
Les émissions de GES à l'ère de l'anthropocène
Comme l'ont démontré les rapports du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), les activités humaines depuis l'ère industrielle ont provoqué une hausse exceptionnelle et univoque de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre (GES). Ces gaz, par leur capacité à absorber puis à réémettre l'énergie rayonnée par la surface du globe, provoquent le réchauffement de la surface terrestre (+1 °C depuis 1880) et d'une partie de l'atmosphère, à l'origine de dérèglements et de changements tendanciels du climat, ce qui amène à qualifier d'anthropocène l'ère actuelle. Le secteur agricole contribue également à ces émissions de GES (méthane, protoxyde d'azote) : pour la France, cette contribution a été évaluée à 19 % des émissions totales par le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) en 2018.
Des projections climatiques à l'échelle régionale
Pour prédire le climat futur à l'aide de modèles climatiques, il est nécessaire de formuler des hypothèses sur l'évolution des émissions de GES d'origine anthropique au cours des prochaines décennies. Or, celles-ci dépendent de la croissance démographique, du développement socio-économique, des évolutions technologiques et des choix politiques futurs. L'évolution de tous ces facteurs étant difficilement prévisible, les climatologues du Giec ont retenu quatre scénarios représentatifs des émissions de GES au cours du XXIe siècle, communément nommés RCP (Representative Concentration Pathways, ou Profils représentatifs d'évolution de concentration) : deux évolutions extrêmes (RCP2.6 : « sobre » et conforme à l'accord de Paris en 2015 ; RCP8.5 : « laisser-faire », sans politique de régulation du climat) et deux évolutions intermédiaires (RCP4.5 et RCP6.0). À chacun de ces RCP, on peut associer des gammes de réchauffement global à la fin du siècle (Figure 1).
Ces scénarios d'émission sont utilisés en entrée (forçage) de modèles climatiques globaux (dits GCM) dont l'objectif est de simuler l'évolution du système climatique à l'échelle mondiale en réponse aux contraintes naturelles ou anthropiques. Pour tenir compte de l'incertitude inhérente aux modèles et mieux couvrir la gamme des futurs possibles, de larges ensembles de projections climatiques sont utilisés. Comme la résolution de ces modèles globaux, de l'ordre de 150 à 200 km, est insuffisante pour représenter correctement les phénomènes locaux et certains événements extrêmes, les climatologues procèdent à leur désagrégation par des modèles de climat régionaux (dits RCM). Ainsi, le programme Euro-Cordex fournit plus d'une centaine de projections (triplets RCP/GCM/RCM) à haute résolution (12 km) au niveau de la France métropolitaine. Ce travail de régionalisation (après correction des biais) est indispensable pour le secteur agricole du fait de la diversité des conditions pédoclimatiques et des agroécosystèmes présents sur le territoire français.
Les évolutions récentes du climat en France
En France métropolitaine, le climat a évolué depuis le milieu du XXe siècle. Ainsi, entre 1901 et 2017, la température moyenne annuelle a augmenté de + 1,5 °C (Figure 2). Ce réchauffement (que l'on traduit par des anomalies positives de température par rapport à une normale de 30 ans) se manifeste plus nettement depuis les années 1990. Les effets du changement climatique sont également sensibles sur les précipitations, les vagues de chaleur, l'enneigement, les sécheresses, et ont un impact sur les événements extrêmes, chaque nouvelle année enregistrant des records thermiques et subissant des séquences climatiques inédites. La notion de dérèglement, parfois préférée, traduit le caractère imprévisible des événements climatiques, souvent extrêmes, qui perturbent la saisonnalité sur laquelle s'appuient la planification et la conduite des cultures.
Le rapport de la mission Jouzel en 2014 a établi un premier diagnostic des évolutions climatiques en France. Ainsi, depuis 1947, la fréquence et la durée des vagues de chaleur a augmenté dans la plupart des régions françaises (Figure 3). En revanche, le nombre de jours de gel a diminué sur une large partie du pays et la durée des vagues de froid s'est réduite.
Le rapport conclut également à une baisse des précipitations en hiver et en été dans les régions Sud, mais aussi au printemps dans le Sud-Est, et à un accroissement des pluies dans les deux tiers nord du pays. L'évolution des précipitations est donc contrastée selon les régions et les saisons. Depuis la fin des années 1980, l'étendue territoriale des sécheresses agricoles s'est accrue.
Ces données Météo-France sont portées à la connaissance des professionnels agricoles via des observatoires mis en place par les chambres régionales d'agriculture (Oracle) sous forme de chroniques climatiques et d'indicateurs agroclimatiques utiles au choix des cultures et à leur pilotage. Inrae (unité de service Agroclim) développe également des outils de service climatique orientés vers la recherche agronomique.
Les projections climatiques pour la France
Le portail Drias(1) « Les futurs du climat », développé par Météo-France, donne librement accès à des données régionalisées des projections climatiques les plus récentes (mise à jour 2020) produites par les laboratoires de recherche sur le climat en France (Cerfacs, CNRM-Game, IPSL). Il permet de produire des cartes fines ainsi que des données régionalisées de projections climatiques pour la température et la pluviométrie pour les RCP 2.6, 4.5 et 8.5 (Soubeyroux et al., 2020).
PHILIPPE DEBAEKE, UMR Agir - Inrae - Centre Occitanie Toulouse
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Quatre scénarios dits RCP illustrent les évolutions possibles des émissions de gaz à effets de serre au cours du XXIe siècle. À chacun de ces RCP sont associées des gammes de réchauffement global.
ÉTUDE - En France métropolitaine, le climat a évolué depuis le milieu du XXe siècle. Les projections climatiques varient selon les régions et les saisons.
Le réchauffement, marqué en été, le serait davantage au Sud-Est qu'au Nord-Ouest, en montagne qu'en plaine, et se traduirait par des vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses. Les périodes de froid ou de gelée diminueraient. Outre une forte modulation saisonnière des précipitations, les événements extrêmes (pluie d'orage, sécheresse estivale...) prendraient de l'ampleur.
MOTS-CLÉS - Réchauffement climatique, scénarios RCP, gaz à effets de serre, projections climatiques.
Les nouvelles projections climatiques de référence Drias 2020 pour la métropole par rapport à la moyenne historique 1976-2005
Selon les projections Drias 2020, le réchauffement serait continu jusqu'à la fin du siècle pour les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5 avec des valeurs médianes atteignant respectivement +2,1 °C et +3,9 °C, la hausse des températures étant plus forte en été (respectivement + 2,2 °C et + 4,5 °C), plus marquée au Sud-Est qu'au Nord-Ouest, en montagne qu'en plaine.
Le nombre de jours de vagues de chaleur est annoncé en hausse (× 3-4 ou 5-10 pour les deux scénarios) et de manière exacerbée dans les régions aujourd'hui les plus chaudes : arc méditerranéen, couloir rhodanien et vallée de la Garonne. Dans ces régions, les vagues de chaleur et journées caniculaires pourraient s'étaler sur des périodes supérieures à un ou deux mois.
Le nombre de journées de vagues de froid ou de gelée baisserait pour tous les scénarios et plus fortement encore dans les régions actuellement les plus froides (est de la France et zones de montagne).
Le cumul annuel des précipitations augmenterait faiblement (de +2 à +6 % selon les scénarios et les horizons temporels) mais avec une forte incertitude selon les modèles climatiques. Ceci traduit bien la position particulière du territoire métropolitain dans une zone de transition climatique entre hausse des précipitations au Nord et baisse au Sud, comme on peut l'observer au niveau européen. On s'attend également à une forte modulation saisonnière avec une hausse systématique en hiver (souvent > 10 %) et une baisse quasi systématique en été (-10 à -20 % en fin de siècle). Les pluies extrêmes pourraient augmenter en intensité et en fréquence. Les épisodes de sécheresse estivale augmenteraient de +5 à +10 jours pour les deux scénarios, notamment dans les régions Sud-Ouest, méditerranéenne et ouest de la France.
Source : Soubeyroux et al., 2020.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : philippe.debaeke@inrae.fr
LIENS UTILES : https://tinyurl.com/ehdv88z4
https://tinyurl.com/amvt63fn
https://tinyurl.com/4mky8ft5
https://www6.paca.inrae.fr/agroclim/Les-outils