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DOSSIER - Changement climatique et santé des plantes

Des pullulations de ravageurs plus fréquentes et importantes ?

ALAIN ROQUES ET MARIE-ANNE AUGER-ROZENBERG, Inrae, Unité de zoologie forestière - Orléans - Phytoma - n°745 - juin 2021 - page 21

Le réchauffement climatique a des effets directs et indirects sur les bioagresseurs, leurs ennemis naturels et leurs plantes-hôtes.
Nids d'hiver de la chenille processionnaire du pin sur pin noir en zone urbaine. Photo : A. Roques

Nids d'hiver de la chenille processionnaire du pin sur pin noir en zone urbaine. Photo : A. Roques

Fig. 1 : Expansion de la processionnaire du pin entre 1992 et 2015  Source : Rousselet et al., URZF.

Fig. 1 : Expansion de la processionnaire du pin entre 1992 et 2015 Source : Rousselet et al., URZF.

Fig. 2 : Variations de la date de début de la migration printanière du puceron vert du pêcher (Myzus persicae) à Rothamsted (Royaume-Uni), de 1965 à 2009 en fonction de la température quotidienne observée en janvier-février Suivis du réseau Examine. D'après Hullé et coll., 2010.

Fig. 2 : Variations de la date de début de la migration printanière du puceron vert du pêcher (Myzus persicae) à Rothamsted (Royaume-Uni), de 1965 à 2009 en fonction de la température quotidienne observée en janvier-février Suivis du réseau Examine. D'après Hullé et coll., 2010.

Le réchauffement printanier favorise une apparition précoce de certains ravageurs, comme le puceron vert du pêcher, Myzus persicae. Photo : D. Cappaert - www.invasive.org

Le réchauffement printanier favorise une apparition précoce de certains ravageurs, comme le puceron vert du pêcher, Myzus persicae. Photo : D. Cappaert - www.invasive.org

3. Dégâts typiques de la tordeuse du mélèze.

3. Dégâts typiques de la tordeuse du mélèze.

 Détail d'une chenille. Photos : A. Roques

Détail d'une chenille. Photos : A. Roques

Fig. 3 : Fluctuations annuelles de la densité de populations de tordeuse du mélèze à 1 850 m d'altitude dans le Briançonnais       Roussissement généralisé visible à partir d'une moyenne de neuf chenilles par mètre de rameau) (d'après Rozenberg et coll., 2020, mis à jour.

Fig. 3 : Fluctuations annuelles de la densité de populations de tordeuse du mélèze à 1 850 m d'altitude dans le Briançonnais Roussissement généralisé visible à partir d'une moyenne de neuf chenilles par mètre de rameau) (d'après Rozenberg et coll., 2020, mis à jour.

Fig. 4 : Comparaison des processus temporels de colonisation par de nouvelles espèces d'insectes exotiques des arbres exotiques plantés en Europe (eucalyptus, légumineuses exotiques acacia et albizzia, agrumes et palmiers) et des arbres indigènes (chênes, érables et pins) D'après Eschen et al., 2015

Fig. 4 : Comparaison des processus temporels de colonisation par de nouvelles espèces d'insectes exotiques des arbres exotiques plantés en Europe (eucalyptus, légumineuses exotiques acacia et albizzia, agrumes et palmiers) et des arbres indigènes (chênes, érables et pins) D'après Eschen et al., 2015

Le changement climatique affecte simultanément toutes les composantes d'un écosystème, avec des effets directs sur les plantes et les organismes associés, modulant leur survie, leur phénologie, leur vitesse de développement, leur reproduction et leur aire de répartition. Cependant, les effets indirects, via les interactions entre toutes ces composantes, sont tout aussi importants.

Tenir compte des interactions trophiques

Dans un milieu donné, la composition et le fonctionnement du système multi-trophique existant entre plantes, organismes nuisibles (arthropodes, nématodes, champignons, micro-organismes, etc.) et leurs ennemis naturels (parasitoïdes, prédateurs, pathogènes) résultent d'un long processus de coévolution réalisé dans des conditions climatiques particulières. Chacune des composantes de ce système présente généralement une gamme de tolérance spécifique pour les différentes variables impliquées, en particulier pour la température ou l'humidité. Toute modification, même mineure, de ces conditions climatiques peut les rendre moins favorables à une des composantes, par exemple à la plante, et inversement plus favorables à une autre, par exemple le ravageur, entraînant une augmentation de son impact sur les plantes. Le même raisonnement s'applique à tous les niveaux trophiques, plantes, arthropodes ravageurs et leurs ennemis naturels, champignons pathogènes, virus et bactéries pouvant présenter des réponses opposées à une hausse de la température ou à la variation d'un autre facteur.

Des travaux encore limités

L'impact des changements climatiques sur la santé des plantes ne devrait donc vraiment s'apprécier qu'en considérant d'abord individuellement chaque niveau trophique, puis la synchronisation entre chacun d'eux et enfin, de manière intégrée, l'ensemble du système multi-trophique. Malheureusement, très peu d'études présentent une telle approche, incluant en particulier la réponse des ennemis naturels. De plus, les travaux se sont concentrés sur les réponses à une augmentation de la température, même si certains concernent l'influence de l'intensité et la périodicité des précipitations, surtout pour les espèces fongiques pathogènes et, plus récemment, celle des variations de concentration des gaz à effets de serre, en particulier de CO2 et d'O3. Ces dernières études, le plus souvent menées en conditions de laboratoire, en particulier chez les pucerons, donnent, pour l'instant, des indications souvent contradictoires quant aux réponses possibles des ravageurs à l'augmentation de ces concentrations.

Impact biologique de la hausse des températures

Le réchauffement climatique est le plus souvent apprécié à partir de l'augmentation de la température moyenne annuelle de l'air au niveau de la surface de la Terre. Cependant, les populations végétales et animales ne sont pas confrontées à une température moyenne, mais à une variation quotidienne des conditions météorologiques dans lesquelles elles se développent, y compris avec un réchauffement différent entre jour et nuit.

L'effet du changement climatique est donc plus complexe qu'une simple réponse linéaire à cette augmentation. De plus, au sein de la même espèce ou population, les réponses sur différents traits du cycle de vie peuvent différer, voire s'opposer, selon les saisons et régions bioclimatiques. La seule prise en compte de l'augmentation de la température annuelle peut masquer ces effets différenciés des réchauffements saisonniers.

Certaines espèces peuvent être d'abord favorisées par des hivers plus doux puis limitées par les canicules estivales, par exemple pour les dépérissements causés par un champignon pathogène de l'aulne, Phytophthora alni subsp. alni (=Phytophthora × alni), ou pour les populations de chenilles de processionnaire du pin, Thaumetopoea pityocampa, qui ont survécu et pullulé massivement dans le Bassin parisien avec les températures favorables de l'hiver 2002-2003 et se sont effondrées l'été suivant avec la canicule. Inversement, cette augmentation des températures de l'été 2003 a permis dans le même temps une expansion historique de l'insecte dans les Alpes italiennes, en favorisant la dispersion des papillons femelles.

Ainsi, une augmentation de la température en hiver, au printemps, en été, ou en automne n'aura pas le même impact biologique sur les plantes et leurs ravageurs.

Le réchauffement hivernal

Favorisation de la survie et de l'expansion des ravageurs

Sous les latitudes tempérées, les basses températures constituent généralement un facteur clé bornant l'aire de distribution des espèces d'arthropodes et de pathogènes. Pour de très nombreuses espèces, des seuils spécifiques de températures minimales existent tant pour leur survie hivernale que pour l'enchaînement des stades de développement (oeuf, larve, nymphe et adulte chez les insectes). L'augmentation, même minime, des températures hivernales permet ainsi la survie dans des zones géographiques auparavant inaccessibles en raison de climats rigoureux. Le changement climatique ayant déplacé les isothermes climatiques vers le nord de 120 km en moyenne lors du siècle dernier, un certain nombre d'espèces ont répondu rapidement à cet accroissement des températures en étendant leur aire de répartition vers le Nord ou en altitude.

Exemple de la processionnaire du pin

La processionnaire du pin constitue un exemple significatif. Son développement larvaire étant hivernal avec constitution d'un nid protecteur (photo 1), une expansion significative vers le Nord et en altitude a été notée depuis le milieu des années 1990 (Figure 1). Le réchauffement hivernal a largement déplacé vers le nord de l'Europe l'isotherme -16 °C, seuil létal pour la survie hivernale de ces chenilles. De plus, ce réchauffement a stimulé leurs possibilités d'alimentation nocturne, qui dépendent de la succession d'une température au moins égale à 9 °C dans le nid en journée, suivie d'une température nocturne de l'air supérieure à 0 °C.

La modélisation de ces contraintes climatiques a révélé qu'une barrière climatique bloquant l'expansion des insectes dans le sud du Bassin parisien avait été levée dès 1996 en relation directe avec la hausse des températures hivernales, permettant à l'insecte de pénétrer dans les zones urbaines et péri-urbaines de la région, et d'y pulluler continuellement d'autant que ses ennemis naturels semblent incapables de progresser aussi vite. La zone favorable à l'établissement de la processionnaire couvre désormais une grande partie de l'Europe de l'Ouest et devrait s'étendre dans le futur.

Le même effet protecteur d'hivers plus doux sur la survie hivernale et l'expansion géographique est observé chez d'autres insectes hivernant à l'état d'oeufs (nombreux lépidoptères ravageurs) ou de larves (nombreux scolytes, voir photo p. 16), conduisant à des pullulations dans les zones néocolonisées, comme récemment celles des géomètres du bouleau dans le nord de la Scandinavie. De même, la réduction, voire l'absence des gels favorisent largement la survie d'agents pathogènes majeurs comme Phytophthora cinnamomi ou Fusarium circinatum, très sensibles à ce facteur et, avec ces modifications, les zones à risques devraient s'étendre dans de nombreuses régions.

Une incidence négative chez quelques bioagresseurs

Inversement, une diminution des gels pourrait réduire l'incidence d'agents pathogènes qui profitent des blessures causées par ceux-ci pour infecter l'hôte, comme Seiridium cardinale, l'agent du chancre du cyprès. La combinaison d'hivers doux et humides pourrait aussi générer une augmentation de la mortalité hivernale chez les ravageurs hivernant sous forme de chrysalides, en raison d'une virulence plus élevée des champignons entomopathogènes et des bactéries.

Le réchauffement printanier

Accélération du développement des ravageurs

Chez les organismes ectothermes(1), la température corporelle et les processus physiologiques associés dépendent directement de la température ambiante. Dès que les températures sont supérieures aux seuils de développement, ce dernier est accéléré. Le premier signe du réchauffement printanier est une apparition précoce de vols chez les insectes ravageurs, en particulier les pucerons.

Les pucerons sont particulièrement bien adaptés aux régions à hiver froid, durant lequel ils survivent sous forme d'oeufs ayant un degré élevé de résistance au froid. Le seuil minimal de reprise du développement se situe généralement autour de 4 °C (entre 2,3 et 6,3 °C selon les régions pour le puceron du pois, Acyrthosiphon pisum). Le réchauffement se traduit par des périodes douces plus précoces et plus étendues, où les températures dépassent ce seuil et accélèrent ainsi le développement, avec l'apparition plus précoce d'adultes. Le suivi des migrations printanières a révélé une avancée de près de trois semaines sur les quarante dernières années chez la quasi-totalité des espèces de pucerons (95 % des 48 espèces suivies par le réseau européen « Examine », comme le puceron vert du pêcher Myzus persicae - photo 2, Figure 2).

Une telle précocité est aussi observée pour les vols de migrations de cicadelles, comme celle de la pomme de terre (Empoasca fabae) aux États-Unis et chez la plupart des lépidoptères hivernant à l'état d'oeuf. Chez la pyrale du buis (Cydalima perspectalis), on a aussi noté un fort effet positif de l'augmentation de la température sur la dynamique de levée de la diapause larvaire hivernale, facilitant l'adaptation de cet insecte envahissant à de nouveaux environnements climatiques et ses pullulations.

Désynchronisation des ravageurs avec leurs plantes-hôtes

Cependant, cette précocité peut se révéler largement défavorable pour le ravageur, surtout pour les spécialistes dépendant totalement de leur plante-hôte, dès que la phénologie de la plante répond différemment à la hausse des températures. Plusieurs cas de désynchronisation entre éclosion précoce de jeunes larves d'insectes et apparition plus tardive du feuillage nourricier, induisant famine et forte mortalité des ravageurs, ont été bien étudiés, avec des conséquences importantes sur la sévérité des impacts.

Chez la tordeuse du mélèze, Zeiraphera griseana (photos 3 et 4), cette désynchronisation phénologique aux altitudes précédemment optimales (1 800 m) s'est traduite par un effondrement des pullulations depuis les années 1980 (Figure 3), les dégâts se déportant en altitude au-dessus de 2 000 m, où cette synchronie est restaurée du fait de températures moins élevées. Les oeufs de la phalène brumeuse, Operophtera brumata, éclosent de plus en plus précocement par rapport au débourrement des chênes en Europe tempérée, parfois jusqu'à trente jours avant. Cependant, des modèles prédisent que la variabilité génétique importante de la date d'éclosion des oeufs, alliée à la forte pression de sélection due au taux de mortalité des néonates, pourrait permettre d'ici quelques décennies une adaptation à ces nouvelles contraintes climatiques, avec une éclosion des chenilles de nouveau synchronisée avec le débourrement des feuilles de chêne.

À l'inverse, la désynchronisation phénologique pourrait se traduire par des dégâts accrus pour l'eudémis de la vigne, Lobesia botrana. Une éclosion plus précoce de la première génération de chenilles, pouvant déjà atteindre plus de douze jours dans certaines régions, pourrait précéder l'apparition des stades phénologiques des grappes davantage résistants à ces chenilles. En revanche, chez le tigre du platane, Corythucha ciliata, la reprise d'activité des punaises hivernantes semble toujours s'effectuer en synchronie avec le débourrement foliaire de l'hôte, même pour une hausse de 2 °C des températures printanières.

Le réchauffement estival

Effets contradictoires entre sécheresse et canicule

Les vagues de chaleur et la sécheresse sont souvent associées dans le temps, mais notre compréhension de leur effet combiné sur les ravageurs reste limitée. Le stress hydrique diminue la résistance des plantes et conduit à une infestation accrue par certains ravageurs qualifiés de secondaires, comme de nombreux scolytes, ou des agents pathogènes comme la pourriture des racines des arbres Heterobasidion irregulare, une espèce envahissante qui apparaît mieux adaptée au climat méditerranéen que ses homologues indigènes. Ce stress induit aussi une augmentation de la teneur d'azote dans le phloème, qui favorise la croissance et la reproduction des insectes se nourrissant de phloème comme les pucerons. Cependant, un tel stress, incarné par la diminution de la teneur en eau du feuillage, et/ou une augmentation de la dureté des feuilles et par une concentration plus importante de métabolites secondaires défavorables aux ravageurs, peut aussi avoir un effet néfaste sur les performances d'autres espèces, en diminuant notamment leur fécondité.

Comme pour la survie hivernale, des seuils maximaux de température existent pour le développement de la majorité des organismes. Des températures au-delà des seuils, notamment avec les événements extrêmes comme les canicules, peuvent affecter négativement les taux de développement, la reproduction ou la survie des ravageurs. A contrario de l'expansion observée avec le réchauffement hivernal, on peut observer une rétraction de l'aire géographique. La processionnaire du pin disparaît ainsi du sud tunisien depuis 2003 du fait de l'accroissement des températures estivales et automnales.

Si le stress thermique peut avoir un effet négatif direct, il peut aussi améliorer les performances des ravageurs, en particulier lorsque la chaleur diurne est suivie de températures nocturnes plus fraîches comme pour le puceron de la pomme de terre, Macrosiphum euphorbiae. La survenue de températures moyennes de juillet supérieures à 20 °C est une condition à l'expression du dépérissement du pin provoqué par le nématode envahissant Bursaphelenchus xylophilus. Pour un réchauffement de 3 °C, les modèles prédisent que cette maladie pourrait affecter de 8 à 34 % du continent européen en 2030 alors que le nématode n'est pour l'instant présent qu'au Portugal et localement en Espagne. En revanche, une diminution de la pluviométrie totale durant l'été semble réduire l'incidence de plusieurs maladies, y compris l'oïdium.

Le réchauffement automnal

Favorisation du multi-voltinisme

L'augmentation du voltinisme (nombre de générations d'un organisme par an) est souvent considérée comme l'une des conséquences les plus spectaculaires de la hausse des températures. La vitesse à laquelle les organismes répondent aux changements environnementaux est partiellement déterminée par leur temps de génération. Des espèces à temps de génération court, ayant vu leur développement accéléré par le réchauffement au printemps et en été, pourraient présenter dans des conditions automnales favorables une ou plusieurs générations supplémentaires par an. Leur ajout aurait un effet majeur sur la santé des plantes, d'une part en induisant des dégâts répétés dans le temps, éventuellement sur les mêmes plantes (exemple : la pyrale du buis) et, d'autre part, en augmentant globalement la densité de population des ravageurs susceptibles de passer l'hiver.

Pour les pucerons, une augmentation de température de seulement 2 °C permettrait à certaines espèces de passer de 18 à 23 générations par an au Royaume-Uni. Chez l'eudémis de la vigne, une quatrième génération est souvent présente sur les grappes non vendangées jusqu'en novembre alors qu'elle n'avait que trois générations très nettement séparées dans le temps il y a 100 ans. La pyrale du buis (photo 5) pourrait aussi passer de trois à quatre, voire cinq générations par an dans certaines régions. Il est aussi intéressant de constater que des espèces considérées comme mono-voltines, et à développement long dans les conditions actuelles, pourraient devenir multivoltines. L'hyménoptère européen xylophage, Sirex noctilio, présente deux générations par an dans les régions chaudes d'Australie où il a été introduit, alors qu'en Europe le temps de génération est d'une à plusieurs années. Ces générations supplémentaires d'insectes sont susceptibles dans le même temps d'augmenter les taux de transmission des micro-organismes phytopathogènes qui peuvent leur être associés. Dans un climat avec des hivers plus doux suivis de pluies abondantes, la saison de sporulation des pathogènes fongiques peut aussi être prolongée avec plusieurs cycles de reproduction asexuée, et une augmentation rapide de la taille de la population.

Des effets délétères possibles

Cette augmentation du nombre de générations peut s'avérer défavorable si la hausse des températures automnales ne permet pas à la génération additionnelle d'hiberner au stade de développement adéquat avant les premiers gels. Les pullulations annuelles très irrégulières de la punaise envahissante des graines de conifères, Leptoglossus occidentalis, semblent liées au fait que la génération automnale supplémentaire, induite par la hausse des températures, ne peut passer l'hiver que si les nymphes arrivent à l'état adulte avant les premiers gels. Dans le cas contraire, cela se traduit par une mortalité quasi générale et un effondrement de la population l'année suivante.

Chez certaines espèces de pucerons parthénogénétiques toute l'année, la dernière génération à l'automne est sexuée avec production d'oeufs devant hiberner. La survenue de cette génération sexuée est déterminée par la diminution de la photopériode (nuits plus longues) mais aussi régulée par la température qui, si elle dépasse 20 °C, pourrait la retarder ou même totalement l'empêcher. Une hausse des températures pourrait donc favoriser la reproduction parthénogénétique de ces espèces.

Les espèces envahissantes des régions chaudes favorisées ?

La mondialisation des échanges favorise l'arrivée accidentelle en Europe d'espèces en provenance de zones subtropicales, voire tropicales. Jusqu'à récemment, leur établissement était contraint par les conditions hivernales défavorables à leur survie sur la majorité du continent, et par la durée limitée des périodes de températures favorables à leur développement. Depuis les années 1990, on constate cependant un établissement significativement plus important d'insectes exotiques sur les plantes d'origine tropicale ou subtropicale plantées en Europe telles qu'eucalyptus, palmiers et autres acacias (Figure 4). Ainsi, plus de 400 espèces d'insectes originaires des régions à climat subtropical ou tropical étaient déjà établies en Europe à la fin des années 2000. Mais elles restaient généralement confinées à leur point d'introduction, le plus souvent en zone méditerranéenne. Le réchauffement, en particulier hivernal, pourrait permettre leur expansion dans d'autres régions, comme l'établissement de nouveaux agents pathogènes exotiques.

Et les interactions multi-trophiques ?

Les quelques modèles qui ont tenté de prédire les effets du réchauffement sur les interactions multi-trophiques concluent majoritairement à un impact plus négatif sur le niveau trophique supérieur (ennemis naturels), pouvant favoriser des pullulations plus fréquentes de ravageurs. Au-delà des désynchronisations temporelles possibles entre ravageurs et ennemis naturels dans un site donné, issues de leurs réponses différenciées au réchauffement, beaucoup de ravageurs sont susceptibles d'étendre rapidement leur aire de distribution sans que les ennemis naturels puissent y suivre rapidement leur proie. L'ampleur de cette désynchronisation spatiale, donc de celle de l'impact sur les plantes-hôtes, va dépendre à la fois des divergences entre la température optimale spécifique de développement de ces ennemis naturels et celle de la proie, comme de leurs capacités respectives de dispersion. Chez la processionnaire du pin, les hyménoptères parasitoïdes des oeufs sont quasi-absents (< 5 %) des zones d'expansion conquises par l'insecte depuis plus d'une dizaine d'années.

Des étés plus chauds peuvent induire une prédation plus importante des pucerons par les coccinelles, mais avec des variations selon l'espèce prédatrice. La prédation par Coccinella septempunctata du puceron des épis de céréale, Sitobion avenae, comme du puceron du pois, Acyrthosiphon pisum, augmente après l'exposition de ces insectes à des périodes de chaleur contrairement à celle d'une autre coccinelle, Harmonia axyridis, sur A. pisum.

Adaptation des bioagresseurs et événements extrêmes

La plupart des études actuelles se sont focalisées sur les effets d'une augmentation moyenne des températures sur différents traits ou interactions dans les systèmes plantes/ravageurs, en omettant souvent les autres niveaux trophiques (ennemis naturels et/ou organismes associés). Les effets contradictoires observés à tous les niveaux compliquent les prédictions générales fiables sur la fréquence et l'intensité des pullulations pour le futur. Cependant, une conclusion majeure sur les changements climatiques est qu'ils seront caractérisés par une augmentation des événements de type catastrophique, comme des canicules, des tempêtes, des gels printaniers, des inondations. Ces événements sont imprévisibles et auront probablement un impact supérieur sur les plantes et les insectes à celui d'une augmentation moyenne des températures, à laquelle la plupart des organismes pourraient s'adapter sur le long terme.

(1) Se dit des animaux qui ne produisent pas de chaleur interne, et dont la température corporelle est variable et liée à celle du milieu.

RÉSUMÉ

CONTEXTE Les effets du réchauffement sur les bioagresseurs sont variés et peuvent s'opposer. Globalement, la douceur hivernale va favoriser la survie et l'expansion des ravageurs, le réchauffement printanier accélérer leur développement, les vagues de chaleur estivales affaiblir les plantes mais aussi affecter négativement certains ravageurs, et la douceur automnale permettre de nouvelles générations.

Mais les hausses de température peuvent également bénéficier aux ennemis naturels ou à la culture, ou désynchroniser le ravageur de sa plante-hôte.

MOTS-CLÉS - Réchauffement, processionnaires, scolytes, pucerons, cicadelles, pyrale du buis, tordeuse du mélèze, phalène brumeuse, eudémis, tigre du platane.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : alain.roques@inrae.fr

Marie-Anne.Auger-Rozenberg@inrae.fr

LIEN UTILE : https://www6.val-de-loire.inrae.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Lehmann P., Ammunet T. et coll., 2020. Complex responses of global insect pests to climate change. Frontiers in Ecology and the Environment, n° 18(3), p.141-150. Doi:10.1002/fee.2160

- Marçais B., 2018. Interactions entre changement climatique et agents pathogènes. Revue Forestière Française LXX, p. 645-652. Doi : 10.4267/2042/70316

- Pureswaran D.S., Roques A., Battisti A., 2018. Forest Insects and Climate Change. Current Forestry Reports. https://doi.org/10.1007/s40725-018-0075-6.

- Roques A., Auger-Rozenberg M.-A., 2018. Mondialisation et changement climatique, moteurs des invasions d'insectes. Accessible à https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/changement-climatique-mondialisation-invasion-insectes/

- Sauvion N, Van Baaren J., 2013. Impacts des changements climatiques sur les relations plantes-insectes et conséquences pour l'agriculture. In: Interactions Plantes-Insectes, Sauvion N., Thiery D., Catalayud P.A. et Marion-Poll F. (eds), QUAE éditions, Versailles.

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