Accompagner les agriculteurs dans leur démarche d'adaptation

Le projet européen Life AgriAdapt a permis de développer et tester une méthode pour évaluer la vulnérabilité d'une exploitation au changement climatique et l'accompagner dans sa démarche d'adaptation.

Le projet européen Life Agri-Adapt (2016-2020), porté par Solagro(1) en France, a été l'opportunité de tester la mise en place d'une démarche de caractérisation de la vulnérabilité des exploitations agricoles européennes et de leur adaptation au changement climatique. Une méthodologie commune aux quatre pays partenaires (France, Allemagne, Espagne et Estonie) a été développée puis appliquée sur un réseau de 126 fermes pilotes en Europe, dont 34 suivies par Solagro en régions Occitanie et Grand-Est. Les apprentissages de ces accompagnements ont donné lieu à la mise en place de la plateforme AWA (libre d'accès), à destination des acteurs agricoles, pour s'engageant dans une démarche d'adaptation. Voici les principales étapes d'accompagnement qui en découlent.

Analyser la vulnérabilité de l'exploitation

En retraçant son historique climatique

Depuis quelques années, les impacts du changement climatique se multiplient en France, conduisant les agriculteurs à s'interroger sur de possibles adaptations de leurs pratiques agricoles. Pour le conseiller agricole qui souhaite accompagner les exploitations dans l'analyse de leur vulnérabilité climatique, procéder par étapes successives avec les agriculteurs s'avère alors nécessaire (Figure 1). Vouloir immédiatement engager un travail sur l'adaptation de l'exploitation sans prendre le temps de comprendre sa vulnérabilité actuelle est souvent une erreur.

Les agriculteurs sont concentrés sur la campagne culturale en cours et la météo de l'année, avec en mémoire les deux a<0300> trois dernières saisons. Il est souvent utile de rappeler les événements climatiques passés en termes de chronologie et de magnitude sur une période de plusieurs dizaines d'années (au minimum 30 ans). Cet espace-temps rend visible les changements qui s'opèrent localement, souvent masqués par la forte variabilité interannuelle des paramètres climatiques.

La « sensibilité climatique » de la ferme peut ainsi être questionnée en retraçant son « historique climatique » : fréquence de chaque événement climatique (grêle, inondation, fortes températures, etc.), cultures touchées et niveaux d'impact (surfaces concernées, pertes de rendement). Dans un premier temps, le conseiller peut étudier la variabilité du rendement par culture à partir de statistiques départementales (SAA, Agreste) sur les dix à quinze dernières années. Bien souvent, les moins bonnes années coïncident avec l'intervention d'aléas climatiques bien spécifiques (canicule de 2003, excès d'eau et faibles températures de juin 2016, etc.). Par la suite, il est possible pour le conseiller d'affiner ces indicateurs pour chaque exploitation, en précisant la variabilité du rendement de chaque culture (écart entre les rendements minimaux et maximaux).

In fine, cette approche a pour objectif de hiérarchiser les risques climatiques pour chaque exploitation et d'en identifier les « forces et faiblesses climatiques ». La réflexion sur le processus d'adaptation de la ferme s'appuie sur l'analyse de cette situation initiale (Figure 2).

Cibler les contraintes et opportunités

En utilisant des projections climatiques

Afin d'illustrer les nouvelles conditions climatiques dans lesquelles les plantes devront se développer localement, il est indispensable de mobiliser les nouveaux outils que sont les projections climatiques : ces simulations climatiques sont produites par la communauté scientifique climatique (les laboratoires français de modélisation du climat sont le CNRM et l'IPSL), mais restent encore peu utilisées en dehors des spécialistes du climat (méconnaissance de l'existence de ces données, difficultés informatiques liées au format de fichier, etc.). Ces projections permettent de disposer du détail de chaque variable (précipitations, températures minimales et maximales, etc.) à un pas de temps quotidien, pour une résolution géographique (ou point de grille) de l'ordre de 10 km de côté, avec une distinction selon l'un des quatre scénarios RCP(2) du Giec(3), et ce jusqu'en 2100 si besoin. Pour une ferme, c'est l'équivalent de plus de 200 000 données climatiques locales qu'il faut ensuite être en capacité d'analyser.

Déterminer les contraintes et oportunités

Ces projections climatiques peuvent être retravaillées par l'utilisateur à l'aide d'un outil informatique de type tableur de calcul, de manière à cibler des contraintes potentiellement préjudiciables au fonctionnement physiologique d'une culture ou, inversement, des opportunités climatiques. Cette étape permet de passer d'indicateurs climatiques à des indicateurs agroclimatiques (IAC) (voir encadré page suivante), révélateurs de l'évolution climatique par comparaison entre une période de référence et une période future.

• Exemple de contrainte : les fortes chaleurs, caractérisées par un nombre de jours où la température maximale est supérieure à 25 °C lors de la fin du cycle de développement des céréales à paille (le blé tendre notamment), provoquent un défaut de croissance des grains et donc limitent le rendement final.

• Exemple d'opportunité : l'augmentation tendancielle de la température moyenne rend possible une valorisation d'un potentiel thermique supérieur, permettant d'envisager la mise place d'une nouvelle culture aux exigences thermiques plus importantes (remontée vers le nord du tournesol, soja ou sorgho par exemple).

Choisir des indicateurs agroclimatiques adaptés

Faire appel à des IAC lors de la démarche d'adaptation avec les agriculteurs est nécessaire pour qu'ils comprennent le niveau de changement qui s'imposera à leur activité économique. Cependant, ces IAC doivent être calculés à partir de données climatiques les plus proches de la situation géographique des agriculteurs pour les convaincre de leur pertinence. De multiples IAC étant envisageables (échaudage pour le blé tendre, risque de gel tardif en vigne, stress hydrique estival pour le maïs, nombre de jours de chaleur excessive pour les ruminants, etc.), il est indispensable de sélectionner ceux qui synthétiseront les principaux enjeux de chaque ferme en matière d'adaptation.

Au-delà de l'intérêt de visualiser le niveau de changement climatique, les IAC permettent de faire comprendre aux agriculteurs le phénomène d'inertie climatique (ou dérive climatique) : le réchauffement en cours depuis 1980 de +0,3 °C tous les dix ans va perdurer jusqu'en 2050, quel que soit le niveau de maîtrise des émissions de gaz à effets de serre dans le monde.

Proposer des pistes d'adaptation

Envisager différents leviers d'actions, à court et long termes

La plupart des agriculteurs ont déjà mis en place des pratiques agricoles qui ont un intérêt pour l'adaptation au changement climatique (par exemple la mise en place de couverts végétaux qui renforcent la fertilité des sols et donc leur aptitude de résilience en cas de sécheresse, la diversification des variétés cultivées pour une meilleure complémentarité d'aptitudes agronomiques dans un climat plus variable, etc.). Le conseiller doit être capable de souligner les pratiques vertueuses déjà mises en oeuvre et d'étudier la possibilité de les renforcer.

L'adaptation est un processus caractérisé par l'incertitude, il est difficile de prédire quand et à quel niveau elle est nécessaire. Ainsi, il y a tout intérêt à favoriser la mise en place de mesures d'adaptation de type "gagnant/gagnant" ou "sans regret" qui peuvent amener des bénéfices (environnementaux, économiques) aux agriculteurs indépendamment des possibles risques climatiques. C'est le cas notamment de mesures visant une séquestration additionnelle de carbone dans les sols agricoles (plantation de haies, cultures intermédiaires, etc.).

Au-delà des évolutions tendancielles imposées par le changement climatique (en termes de vagues de chaleur plus nombreuses, de périodes de sécheresse plus intenses ou prolongées), l'adaptation au changement climatique consiste aussi à être capable de faire face à une plus forte variabilité des différents paramètres climatiques (notion de valeurs extrêmes et de répétition des aléas). Il faut donc envisager un large spectre de leviers d'actions. En ce sens, la méthodologie AgriAdapt basée sur un grand nombre de composantes de vulnérabilité (système de culture, choix de variétés, sol et pratiques culturales, système assurantiel, commercialisation, etc.) pourra aider à éviter, par exemple, de restreindre l'adaptation aux seules questions de la disponibilité en eau. L'élaboration d'un plan d'action devra donc faire appel à la fois à des solutions de court terme (pragmatisme et mise en oeuvre immédiate), mais aussi à des mesures de moyen et long termes. Il est important de donner une feuille de route aux agriculteurs pour les aider à s'orienter dans l'anticipation de leur mise en oeuvre. Enfin, l'adaptation demeure un processus itératif qui nécessitera d'être régulièrement interrogé au fil du temps.

(1) Basée depuis maintenant quarante ans à Toulouse, Solagro est une association qui accompagne les démarches en lien avec le changement climatique en agriculture, que ce soit l'atténuation et la séquestration carbone que l'adaptation.(2) Les experts du Giec ont défini quatre scénarios d'émissions et de concentrations de gaz à effets de serre, d'ozone et d'aérosols, ainsi que d'occupation des sols baptisés RCP (Representative Concentration Pathways ou profils représentatifs d'évolution de concentration). Source : https://tinyurl.com/ch8e75sp(3) Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.