Retour

imprimer l'article Imprimer

Gestion des maladies

Viroses de la mâche : état des connaissances

SYLVAIN GÉRARD, VÉRONIQUE CERCEAU, MARYLOU LORNE, SÉVERINE BOSSEUR ET BRIGITTE PELLETIER, Comité départemental de développement maraîcher - Pont-Saint-Martin. - Phytoma - n°746 - août 2021 - page 8

Quatre virus sont responsables des nécroses foliaires en culture de mâche. Malgré plus de dix années d'essais, les moyens de lutte restent limités.
1. Symptômes caractéristiques des viroses de la mâche : nécroses le long des nervures et déformations foliaires.

1. Symptômes caractéristiques des viroses de la mâche : nécroses le long des nervures et déformations foliaires.

2. Détection du champignon vecteur de virus par observation de zoosporange (sp.) dans les cellules de racines de mâches et spores de repos (sr.) en étoile de Olpidium sp. Photos : CDDM-CTIFL

2. Détection du champignon vecteur de virus par observation de zoosporange (sp.) dans les cellules de racines de mâches et spores de repos (sr.) en étoile de Olpidium sp. Photos : CDDM-CTIFL

En 2008, un symptôme de nécroses foliaires, d'origine alors inconnue, est apparu sur mâches cultivées sous grands abris plastiques. Les plantes attaquées évoluent très rapidement en pourriture généralisée en post récolte provoquant une dégradation du produit fini. Les pertes peuvent atteindre la totalité de la récolte. Après de nombreux travaux menés par le Comité départemental de développement maraîcher (CDDM), les semenciers et l'Inrae, l'équipe d'Éric Verdin (Inrae-Montfavet 84) a décrit en 2018 le CNSV (corn salad necrosis virus), le dernier des quatre virus détectés à partir des lésions foliaires. Un premier état des lieux des connaissances a été rédigé et diffusé dans Phytoma n° 703 (avril 2017). Depuis lors, les travaux ont porté sur la gestion du vecteur de ces viroses par différents moyens de lutte biologique ou chimique appliqués au sol ou à l'eau d'irrigation.

Éléments de biologie des virus

Quatre nécrovirus responsables des nécroses foliaires de la mâche ont été identifiés à ce jour par suivis moléculaires : tobacco necrosis virus A et D (TNV-A et TNV-D) ; olive mild mosaïc virus (OMMV) ; et un nouveau recombinant, corn salad necrosis virus (CSNV). Ils appartiennent à l'ancien genre des Necrovirus aujourd'hui séparé en Alphanecrovirus (TNV-A, OMMV et CSNV) et Betanecrovirus (TNV-D). Cette famille de virus (Tombusviridae) est très stable à la chaleur, avec un point d'inactivation thermique déterminé en laboratoire dans des extraits de plantes entre 85 et 95 °C selon les isolats. Très répandus dans le monde, avec une large gamme d'hôtes cultivés ou sauvages (laitue, radis, roquette, tomate, concombre, tabac, choux, tomate, melon, haricot, datura, lavatère, etc.), ils sévissent en complexes de deux à trois espèces présents dans les parcelles, et au sein d'une même plante (photo 1).

Les virus se maintiennent dans le sol sur les restes de racines infestées. Ils survivent grâce à des transmissions fréquentes à des hôtes successifs (adventices, cultures suivantes...). Ils se propagent par l'eau d'irrigation, les poussières et particules de sol contaminées, les débris de plantes infectées, les racines de plantes adventices infestées. Les palox de récolte ou le matériel agricole non nettoyés peuvent donc contenir des débris contaminés ! Leur migration dans la plante s'effectue depuis les racines vers les feuilles (activité systémique), les plantes-hôtes ne présentant pas alors forcément de symptômes foliaires.

Une transmission réalisée par un champignon

La transmission de ces virus est assurée par un champignon du sol, parasite obligatoire(1) non pathogène : Olpidium sp. Ce dernier a une gamme d'hôtes étendue (laitue, radis, roquette, tomate, concombre...) qui lui permet d'être présent dans la majorité des sols. Son développement optimal se situe entre 10 et 16 °C. Il meurt après une durée d'exposition de 30 min à 60-65 °C (encadré ci-dessus). La détection du champignon dans les racines de plantes-hôtes s'effectue par observations au microscope des fructifications : sporanges (sp.) ou spores de repos (sr.) (photo 2) également nommées spores de résistance en forme d'étoile.

Le champignon se multiplie par la formation de sporanges et spores de repos dans les racines, lesquels produisent et libèrent dans le sol de nombreuses zoospores. Ces zoospores flagellées ont besoin d'eau pour se déplacer et infecter les racines (infection secondaire à d'autres plantes), leur durée de vie est de quelques dizaines de minutes. Le vecteur est donc favorisé par des sols frais et mal drainés. Il peut se conserver plusieurs années dans le sol et les débris végétaux sous la forme de spores de résistance, mais il se maintient également sur des hôtes intermédiaires.

Les zoospores d'Olpidium sp. acquièrent les virus par contact avec les débris végétaux ou racines de plantes infestées en dehors de la plante-hôte. Seuls les zoospores sont virulifères en mode non persistants (ils n'intègrent pas les virus responsables de ces symptômes à leur patrimoine génétique) ; ils transmettent les virus aux plantes lorsqu'ils pénètrent dans leurs racines.

Les leviers étudiés pour lutter contre l'expression des symptômes

Les rotations

Certaines rotations étudiées en conditions contrôlées (radis, laitues) ne semblent pas constituer des plantes-hôtes des agents viraux rencontrés sur mâche sans cependant avoir permis leur élimination du sol.

Le champignon vecteur a été observé sur plusieurs espèces maraîchères (laitue, radis, roquette, épinard...) et se conserve de nombreuses années dans le sol. Ainsi, les rotations à l'aide des cultures légumières de la région ne sont probablement pas un facteur déterminant pour limiter Olpidium sp.

La prophylaxie

Certains facteurs semblent peu influencer le niveau d'infestation en conditions contrôlées (fertilisation...). En revanche, une conduite d'irrigation dite « sèche » diminue l'expression des symptômes viraux. Le Tableau 1 présente les résultats d'un essai illustrant ces propos. En conduite humide, les volumes d'eau apportés ont été doublés. Dans ces conditions, le nombre de plantes présentant des symptômes est doublé. En production, les résultats ne sont pas toujours aussi probants (pression en virus et en vecteur probablement plus forte), mais force est de constater qu'une conduite sèche améliore la situation sanitaire globale.

Les désinfections du sol

L'anaérobiose du sol est obtenue par application d'un composé organique (Herbie 72, de Soil Resetting) puis bâchage du sol. Les micro-organismes du sol décomposent le mélange de matières végétales, consomment l'oxygène et créent des conditions d'anaérobiose, provoquant ainsi une désinfection biologique. Dans les conditions expérimentales de production sous abris, l'application d'Herbie 72 testée sur parcelles infestées à trois doses (5, 10 et 20 t/ha) en mai 2013 n'a pas permis l'élimination d'Olpidium sp. du sol, le champignon étant toujours détecté dans les racines.

Après solarisation réalisée sous abri, le vecteur est généralement détecté : les conditions létales d'Olpidium sp. (rappel : 21 jours à 45 °C) sont difficiles à atteindre en parcelles de production dans les conditions climatiques de la région.

La désinfection à la vapeur a également été éprouvée. Trois temps de pose des coffres ont été testés en production sous abris fortement touchés : 6, 9 et 12 minutes (Tableau 2). Des poses de 9 et 12 minutes permettent de préserver deux cultures des symptômes de nécrose. Des résultats similaires ont été obtenus dans deux autres essais(2). Le sol est cependant rapidement recolonisé (place libre après la désinfection), probablement à partir des sources potentielles d'inoculum rencontrées en parcelles de production (eau de ruissellement, irrigation, adventices, cultures voisines...) qui assurent la survie du vecteur et des virus dans le sol.

Le dazomet (Basamid) : cette désinfection (Tableau 3) ne garantit pas la totale absence de nécroses en première et deuxième culture, mais en diminue fortement le nombre (moins que 10 % de plantes nécrosées). En troisième culture, le dazomet n'a plus d'effet, le sol a été recolonisé par Olpidium sp. et les virus.

La désinfection et l'acidification de l'eau

L'arrosage en conditions contrôlées d'une culture de mâche avec une eau à pH 5 permet de diminuer l'expression des symptômes viraux. Pour la désinfection de l'eau d'irrigation, partant du postulat qu'elle véhicule Olpidium sp. et probablement les virus, différents traitement ont été testés pour limiter les nécroses virales en 2018 (Tableau 4). Dans un premier essai, les modalités contenant un désinfectant puissant (1 et 3) ont permis de diminuer l'expression des symptômes de 50 % par rapport au témoin eau non traitée. Dans un deuxième essai, seul l'Oxeeshock (modalité 7 forte dose en péroxyde d'hydrogène) a montré un effet limitant la contamination des plantes, aucun symptôme de nécrose n'ayant été observé. Cependant à cette dose (1 800 ppm H2O2), la culture est touchée.

Un essai « gamme de doses en péroxyde » (Tableau 5) a permis d'éclaircir les doses intéressantes. La culture montre des symptômes de phytotoxicité à partir de 1 500 ppm, avec une réduction de 46 % des symptômes. La pression virale de l'essai étant très élevée par rapport aux taux en production, les doses de 500 ou 1 000 ppm se sont révélées intéressantes. De telles doses ont probablement aussi une action désinfectante sur le sol au-delà de celle de l'eau d'irrigation.

Les traitements phyto et biocontrôle

Différents produits phytopharmaceutiques ont été appliqués sur la culture tous les quinze jours à partir du semis, hormis le Santhal qui a été uniquement positionné au semis (Tableau 6). Aucune de ces solutions n'a permis de réduire l'expression des virus.

Conclusion

Après plus de dix années d'essais et de nombreuses pistes explorées par le CDDM, la gestion des virus responsables des nécroses sur mâche reste difficile et incomplète. En production, la désinfection des sols à la vapeur apporte une solution transitoire (protection d'une à deux cultures au maximum sur les trois habituellement réalisées) et doit être associée à tous les leviers qui ont pu montrer une efficacité partielle : la conduite sèche des cultures, la limitation des semis en période de fort risque, le traitement de l'eau d'irrigation ou bien le nettoyage des engins agricoles. Les travaux se poursuivent, sans succès à ce jour, sur la recherche de nouvelles solutions contre les viroses et le vecteur Olpidium.

(1) Se dit d'un champignon qui ne peut pas se développer sans un hôte, il ne peut pas être cultivé sur milieu gélosé.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Avec plus de 35 000 tonnes de mâche, les maraîchers nantais sont leaders et représentent 80 % de la production nationale. Décelés en 2008, les symptômes de viroses (nécroses foliaires) apparaissent dans le dernier tiers de la culture, aboutissant à la destruction de la récolte s'ils dépassent 1 % de présence.

RÉSULTATS - Depuis plus de dix ans, le CDDM expérimente différents leviers de lutte : rotation (2015), stratégie d'irrigation (conduite plus ou moins sèche - 2016/2017), désinfection des sols (2017), moyens de lutte chimique et biologique (2017), traitement de l'eau (2018 à 2019). Ces essais ont été mis en place au laboratoire de phytopathologie du CTIFL de Carquefou, au CDDM ou en parcelles de production.

Aucun des leviers testés ne permet d'éliminer les viroses des parcelles. Cependant, la stratégie de conduite sèche, la désinfection des sols à la vapeur et le traitement de l'eau d'irrigation montrent des effets de réduction sur les symptômes de viroses.

MOTS-CLÉS - Mâche, nécroses foliaires, virus, TNV-A, TNV-D, OMMV, CSNV (corn salad necrosis virus), moyens de lutte, désinfection.

Estimation des températures létales d'Olpidium sp.

D'après des tests réalisés in vitro sur deux sols maraîchers, l'infestation par Olpidium sp. :

- diminue dans les racines après 21 jours à 45 °C (température maximale atteintes lors de solarisation en région nantaise) ; après 10 min à 60 °C (température atteinte par la désinfection à la vapeur) ;

- disparaît après 5-10 min à 80 °C.

POUR EN SAVOIR PLUS

UR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : brigitte.pelletier@cddm.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (4 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :