Fig. 2 : Effet de 'Terapur' sur la population d'Heterodera carotae exorimée en pourcentage de réduction du nombre de kystes Pi = population initiale au semis. Pf = population finale (à 4 ou 6 mois après semis).
Fig. 3 : Efficacité de 'Terapur' sur la population d'Heterodera carotae exprimée en pourcentage de réduction du nombre de kystes en comparaison à un sol nu ou une culture de carotte (test de Tukey) Pi = population initiale au semis. Pf = population finale (à 4 ou 6 mois après semis).
Jusque dans un passé très récent, le nématode à kyste de la carotte, Heterodera carotae, était contrôlé par des fumigants qui sont aujourd'hui tous interdits en France. H. carotae présente deux caractéristiques particulièrement préjudiciables pour les producteurs de carotte : une capacité à faire d'importants dégâts à de faibles niveaux de population et, en l'absence d'hôte, une capacité de survie de plus de dix ans. Il s'avère donc important de trouver des moyens de protection innovants, parmi lesquels les plantes-pièges. La variété 'Terapur', commercialisée depuis janvier 2021 par Vilmorin-Mikado, est ainsi issue de plus de vingt années de recherches.
Réflexion autour d'une plante-piège à nématode
En l'absence de plante-hôte, une population de nématode à kyste de la carotte peut être constituée de masses d'oeufs libres et de kystes contenant eux-mêmes des oeufs (Encadré 1 page suivante). Ces oeufs contiennent les larves infestantes (J2) dormantes.
Après émergence, ces larves sont particulièrement vulnérables : la présence d'exsudats racinaires de l'hôte est nécessaire pour permettre leur survie, ce qui implique une synchronisation sophistiquée. Cette particularité permet de définir deux critères d'une plante-piège du nématode à kyste. Elle doit :
- dans un premier temps, induire l'émergence des larves infestantes issues des oeufs libres et des kystes ;
- dans un deuxième temps, empêcher les larves d'effectuer un cycle complet, soit par destruction de la plante-piège avant que les femelles qui l'ont infestée soient matures, soit du fait de la résistance de la plante-piège.
Une colonisation importante du sol par les systèmes racinaires des plantes-pièges est un gage de réussite de cette technique de protection. Cependant, une des particularités d'H. carotae est sa grande spécificité : quasiment seuls les exsudats issus de Daucus botaniquement proches de la carotte cultivée permettent l'émergence des larves infestantes (Mugniéry et Bossis, 1988 ; Ngala et al., 2021), d'où la nécessité d'avoir recours à la carotte (Daucus carota var. sativus) comme plante-piège.
L'identification des sources de résistance de Daucus carota au nématode s'est déroulée durant dix années de recherches collaboratives (Encadré 2 p. 23). Dix années supplémentaires ont été nécessaires à Vilmorin-Mikado pour développer la plante-piège 'Terapur'. Du fait de sa résistance à H. carotae, cette variété permet de bloquer le cycle de développement du nématode, empêchant ainsi sa multiplication, ce qui induit une baisse des populations.
Un mode d'action à double effet
La plante-piège, en tant que plante-hôte, va stimuler l'émergence des larves J2 par l'émission d'exsudats racinaires. Les juvéniles libérés vont migrer vers les racines et y pénétrer. Mais contrairement aux variétés de carotte de consommation, le site nourricier du nématode (syncytium) est défectueux chez 'Terapur', ce qui lui confère sa résistance à H. carotae. Les larves ne peuvent pas se développer jusqu'au stade adulte (Figure 1). Ce mécanisme de résistance induit donc un double effet sur la population de nématodes H. carotae du sol : une réduction du nombre de larves (en bloquant leur cycle dans les racines) et une réduction du nombre de kystes avec masses d'oeufs (en favorisant l'éclosion des oeufs). Le phénotype de cette variété est différent d'une carotte destinée à la consommation. En particulier, le développement du pivot racinaire est couplé à celui d'un chevelu de racines secondaires abondant avec une bonne capacité de colonisation du sol favorisant l'efficacité de ces modes d'action.
Une efficacité validée
Une première validation de l'efficacité de la plante-piège a été menée de 2012 à 2014 en conditions contrôlées sous serre sur du sol naturellement infesté par H. carotae, avec un suivi du nombre de kystes viables dans le sol du semis à la fin de culture. Ces essais ont démontré une réduction significative de la population d'H. carotae dans le sol, pouvant atteindre 86 % (Figure 2).
Ces premiers résultats positifs ont été confirmés par des expérimentations en plein champ dans la zone de Créances (Manche). Des essais en deux temps ont été réalisés de 2016 à 2020, avec une première phase de mise en place des précédents culturaux ('Terapur', carotte de consommation, sol nu, désinfection vapeur) sur une parcelle contaminée dont la population de nématodes H. carotae (kystes et/ou larves) a été suivie. La seconde phase de l'essai a consisté en une culture de carotte de consommation dont le rendement commercial a été étudié. La première année d'essai a permis à nouveau de montrer une forte réduction de la population d'Heterodera dans le sol à la suite de la mise en place de 'Terapur' (Figure 3). La seconde année a mis en évidence un effet de 'Terapur' sur le rendement commercial de la carotte de consommation ('Maestro'). Le précédent 'Terapur' entraîne une augmentation significative du poids des carottes, mais aussi une réduction significative des carottes courtes et fourchues non commercialisables (Figure 4 p. 25).
Au total, quatre années d'essais au champ avec un réseau de producteurs de Créances ont confirmé les bons résultats de la variété (photo 5), ainsi que son action en profondeur avec un enracinement de 'Terapur' de 40 à 60 cm (photo 4). La plante-piège se positionne ainsi comme une alternative efficace aux traitements phytosanitaires qui permet une remise en culture de carotte dans des sols infestés par H. carotae.
Préconisations d'utilisation
L'utilisation de la plante-piège contre H. carotae s'inscrit dans un modèle de production agroécologique incluant des rotations longues. Sa mise en place nécessite les mêmes outils et pratiques qu'une culture de carotte de consommation. Il est préconisé de la semer à une densité de 2 millions de semences/ha, au printemps pour une efficacité optimale. Cette préconisation prend en compte la réussite d'implantation de cette variété mais aussi l'activité du nématode, dont le cycle de vie est synchronisé avec celui de son hôte, la carotte, afin d'optimiser les chances d'une infestation réussie. La durée de culture peut varier de 3 à 5 mois, néanmoins une culture de 3 mois est recommandée afin de préserver la durabilité de la résistance dans l'attente de résultats complémentaires sur ce point. La culture est ensuite broyée en été (Figure 5). Avec ce calendrier optimal, la culture de carotte de consommation n'intervient pas avant le printemps de l'année suivante (N+1). Il est recommandé, dans la gestion des rotations, de mettre une autre culture en année N+1 avant l'implantation d'une carotte de consommation (N+2).
Le désherbage de la carotte de consommation ou en tant que plante assainissante reste un enjeu très important. Dans un contexte de retrait des substances actives, et en raison de l'implantation lente de 'Terapur', il est important d'optimiser le (suite p. 25) désherbage de post-semis/prélevée. Le désherbage chimique doit être complété par des interventions mécaniques pour optimiser la réussite de la gestion de la flore adventice en programme mixte. Cette culture-piège agissant à la fois sur les kystes et les larves est référencée dans le Contrat de solutions de la FNSEA.
Un levier dans un plan de lutte collectif
Les preuves d'efficacité au champ de la plante-piège 'Terapur', véritable plante assainissante, ont été apportées, cependant les recherches menées ces dernières années sur les alternatives aux pesticides aboutissent à la conclusion qu'une logique de substitution d'une méthode de protection phytosanitaire par une seule alternative non chimique n'est pas suffisante. Il est nécessaire de combiner plusieurs leviers pour atteindre un niveau de protection des cultures équivalent à celui d'une protection chimique.
L'usage de plantes assainissantes et de service sélectionnées pour leurs facultés à assainir les sols, et plus spécialement pour leur potentiel d'action sur les nématodes à kyste, constitue une mesure phare du plan de lutte collective « Heterodera carotae » en Normandie (Encadré 3).
Ainsi, l'introduction de la plante assainissante 'Terapur' combinée à l'allongement de la rotation à cinq ans a pour objectif de réduire les populations de nématodes et de rendre plus rapidement compatibles les parcelles pour une remise en culture de carotte. Toutefois, les connaissances manquent encore pour adapter des « solutions » pertinentes. Outre ces plantes, des préconisations techniques de conduites culturales font également partie des mesures d'accompagnement des producteurs engagés dans le plan. Ces recommandations ont pour but d'optimiser l'effet attendu des plantes de service et d'uniformiser les pratiques.
La mise en place de plantes assainissantes et de service représente une conduite de culture à part entière avec un itinéraire technique impliquant des coûts de culture. Il est important de réussir les différentes étapes des itinéraires techniques, à l'image de la conduite d'une culture de rente, afin d'optimiser les effets attendus des plantes de service. La démarche du plan de lutte collective en Normandie est celle d'une mutation de système de cultures. Ainsi, le bassin de la côte ouest de la Manche fait figure de laboratoire à ciel ouvert par le déploiement de ce plan de lutte expérimental à grande échelle.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Dès la fin des années 1990, le Programme national carotte (PNC) (réunissant les producteurs, l'Inrae, le CTIFL, l'université de Caen, Invenio, le Sileban et deux semenciers Vilmorin et Clause-Tézier) a étudié l'intérêt de la technique de la plante-piège pour réduire les populations d'Heterodera carotae en culture de carotte. Ce travail a abouti à la création de la variété dénommée 'Terapur'.
ÉTUDE - Plusieurs expérimentations menées en conditions contrôlées puis en plein champ ont permis de valider l'efficacité de la solution qu'il est possible d'intégrer au sein d'un nouveau modèle agroécologique de production.
RÉSULTATS - La carotte-piège résistante induit l'émergence des larves infestantes puis les empêche de terminer leur cycle de développement, conduisant à une réduction de la population d'Heterodera dans le sol. Le précédent 'Terapur' entraîne de ce fait une augmentation significative du poids des carottes et une réduction des carottes courtes et fourchues non commercialisables. L'usage de cette plante assainissante fait partie des mesures conseillées dans le cadre du plan de lutte collective « Heterodera carotae » en Normandie.
MOTS-CLÉS - Nématode à kyste, Heterodera carotae, Daucus carota.
1 - Présentation du nématode à kyste de la carotte, Heterodera carotae
Le nématode à kyste de la carotte, Heterodera carota, est un nématode inféodé aux apiacées et plus précisément à la carotte, Daucus carota var. sativus (Aubert, 1986 ; Mugniery et Bossis, 1988). Comme pour les autres nématodes à kystes, ce sont les exsudats radiculaires des apiacées qui permettent une éclosion des larves de stade J2, les exsudats de carotte étant le meilleur stimulus (Ngala et al., 2021). À la suite de l'éclosion, les J2 de cet endoparasite sédentaire cherchent à se nourrir sur la racine où elles vont se fixer dans le pivot et former un syncytium, c'est-à-dire un site nourricier, qui restera en place tout le long du cycle du nématode.
De cette pénétration découlent les symptômes qui rendent les carottes impropres à la consommation : bouchons, carottes tordues, développement de chevelu racinaire, ainsi que des portes d'entrée pour d'autres bioagresseurs (photos 1 et 2). Les mâles de stade J3 quittent la racine pour féconder les femelles. Les J2 femelles qui auront été fécondées forment une structure de protection globuleuse, renfermant des oeufs (jusqu'à plusieurs centaines) puis émettent une masse gélatineuse d'oeufs (Lilley et al., 2015). À maturité, ces kystes néoformés se détachent de la racine et peuvent survivre plus de dix ans dans le sol en l'absence de plante-hôte (photo 3).
2 - Historique : à la recherche du graal
Dès la fin des années 1990, la très forte dépendance de la protection des carottes aux solutions chimiques pour se protéger des dégâts occasionnés par le nématode à kystes de la carotte a amené la filière à mettre en place un programme de recherche comprenant à la fois les producteurs, l'Inra (aujourd'hui Inrae), le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), l'université de Caen, les stations régionales (Invenio et Sileban) et deux semenciers (Vilmorin et Clause-Tézier).
Ce travail mené dans ce qui était appelé le Programme national carotte (PNC) a porté sur trois axes. Deux axes concernaient le court et moyen terme : intérêt de la carotte-piège pour réduire les populations d'H. carotae et recherche de nouvelles solutions chimiques. Le troisième axe, à plus long terme, a eu pour objet la recherche de sources de résistance et l'intégration de ces résistances dans du matériel cultivé, l'idée initiale étant d'obtenir une variété commerciale résistante.
Ces travaux s'inscrivent dans une certaine continuité des recherches effectuées dans les années 1980 à la station de zoologie de l'Inra de Rennes (M. Bossis et D. Mugniery). De 2000 à 2009, la profession a financé, a minima, un ingénieur basé à l'Inra de Rennes.
Les premiers essais (2000-2002) sur une carotte « piège » avec des variétés sensibles à H. carotae ont montré à la fois l'intérêt de la technique, jusqu'à 70 % de réduction des populations d'H. carotae, mais aussi des limites liées principalement au type de variétés de carottes utilisées (par exemple augmentation de la population de nématodes à la suite d'une destruction trop tardive).
Parallèlement à ces premières études sur la technique de la carotte-piège, des travaux ont été entrepris par les partenaires du PNC pour identifier une ou des sources de résistance à H. carotae et l'introduire dans une carotte cultivée. Ainsi, près de 3 720 génotypes au sein du genre Daucus carota (var. carota et var. sativus) ont été testés, parmi lesquels il a pu être mis en évidence une résistance de bon niveau ne permettant pas au cycle du nématode d'être complet. Le travail mené par la suite a été d'introgresser par simple croisement cette résistance dans une variété de carotte cultivée, mais aussi d'aborder le type d'héritabilité de cette résistance. Ce travail a abouti à la création d'une carotte-piège résistante par Vilmorin-Mikado, dénommée 'Terapur'.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : Laure.barrot@vilmorin.com ;
b.pitrel@sileban.fr ; segolene.dandin@ctifl.fr ;
francois.villeneuve@ctifl.fr